ILLUSTRATION

 

… Ce 4 avril ...hébergé au Castel Fleuri ...je me situe en plein dans cette période   .. je me lève au milieu de la nuit .... et

 

1... ...je revois sur mon site .... cette nouvelle phrase que je venai de placer en tête de la page d'accueil du site....

 

 

… et le Figaro ... et une page de mon site

 

 

 

 

... avec Jacques Julliard... avec ce beau titre d'article

 

« Coronavirus… retour à la condition humaine »…

 https://www.lefigaro.fr/vox/societe/jacques-julliard-coronavirus-retour-a-la-condition-humaine-20200329

Jusqu’au coronavirus, nous avions vécu des temps nietzschéens. «Je vous enseigne le Surhomme», dit Zarathoustra au peuple assemblé, «l’homme est quelque chose qui doit être dépassé».

Aux temps de l’antihumanisme

Le grand événement intellectuel du dernier quart du XXe siècle, c’est la rupture opérée par l’élite philosophique française avec l’humanisme des siècles précédents jusqu’à Sartre. Ce rejet qui nous était revenu en boomerang des États-Unis sous le nom de «French Theory». Le plus doué, le plus profond de ces philosophes, Michel Foucault, l’avait dit à la fin des Mots et les Choses: «L’homme est une invention dont l’archéologie de notre pensée montre aisément la date récente. Et peut-être la fin prochaine(…),comme à la limite de la mer un visage de sable.»

Il faut tenir compte de la tournure provocatrice, et parfois métaphorique, de la pensée de Foucault. Ce qu’il voue à une mort prochaine, ce n’est pas l’espèce humaine, c’est la vision humaniste de l’homme, telle que l’avait élaborée l’Occident au cours des trois derniers siècles. Du reste, cet antihumaniste théorique qu’était Foucault se conduisait en humanitaire pratique, militant des droits de l’homme, fondateur avec Jean-Marie Domenach, directeur d’Esprit, du Groupe d’information sur les prisons. Quand ce dernier l’avait interpellé sur l’apparente contradiction entre ses deux attitudes, il avait répondu de manière plutôt dilatoire.

Les gestes des soignants qui leur valent aujourd’hui l’admiration et la reconnaissance des Français sont à l’opposé de ce que la société encourage

Reste que, depuis lors, la religion universaliste de l’homme, fruit du croisement de l’anthropologie chrétienne et de la philosophie des Lumières, n’avait plus très bonne presse dans les milieux avancés. J’en veux pour preuve le refus de la nature humaine et l’affirmation du primat du construit sur le donné, qui s’exprime aujourd’hui dans le trans-sexualisme et plus généralement dans les théories du genre: mon sexe n’est pas une donnée reçue, mais un objet construit tantôt par la société, tantôt par mon libre arbitre ; je peux en changer au gré de mes volontés.

De même, les théories plutôt fumeuses du transhumanisme, à la lumière des progrès de l’intelligence artificielle, réduisent à peu de chose le substrat humain et annoncent un perfectionnement illimité de la prétendue nature humaine. Il n’y aurait bientôt plus que les écolos pour croire à l’invariabilité de la nature physique et humaine. L’homme pourra vivre jusqu’à trois cents ans, et l’on peut entrevoir le moment où la mort, qui est la forme suprême de l’humaine condition, pourrait être surmontée par le nouveau Prométhée.

Prométhée a le coronavirus

Oui, mais voilà que, par la faute d’un misérable pangolin sur un marché de Wuhan, à moins qu’il ne s’agisse d’une chauve-souris, un agent infectieux invisible s’installe dans les parois de nos poumons, à la façon opportuniste d’un bernard-l’hermite, et tout ce bel édifice est ébranlé jusqu’à ses fondements. Prométhée se met à tousser, il prend sa température trois fois par jour et réclame à cor et à cri un masque! Je ne suis guère fervent des farces et attrapes de la psychanalyse, c’est-à-dire du décryptage de l’inconscient par l’almanach Vermot, mais tout de même! Prométhée s’affuble d’un masque, Prométhée ne veut plus se regarder en face dans le miroir, quel symbole!

«Personam non appetivi», dit Cicéron dans le Pro Murena. Interrogé par l’excellent M. Verpilleux, notre professeur de latin, mon copain Chatillon avait impavidement traduit: «Je n’ai jamais mangé personne!», aux hurlements de joie de la classe. Redevenons sérieux: la phrase de Cicéron signifie: «Je n’ai pas cherché à prendre un masque», puisque persona, dont le français a fait «la personne», désigne en latin le masque de théâtre. «Je n’ai pas voulu jouer un rôle, je me présente à vous le visage découvert.» Harcelé de toutes parts, l’humanisme moderne a recours à un masque, celui de la nature. Il n’est plus, à ce qu’il prétend, qu’un animal comme les autres.

Il n’y a pas de courant sans contre-courant, et, à ce prométhéisme progressiste, était donc venu s’opposer la vague puissante, généreuse et irrationnelle du naturalisme conservateur, sous le nom d’écologie. Pour lui, il n’y a de vrai, il n’y a de bon que la nature, et c’est à elle qu’il faut revenir comme le nourrisson qui n’aspire qu’à rentrer dans le sein maternel. En somme les uns voulaient dépasser la nature par le haut, les autres par le bas. Nicolas Hulot, qui est comme le fondé de pouvoir de la déesse nature auprès des humains, nous a fait part de son mécontentement: «Le coronavirus est un ultimatum de la nature.» Il va sans dire en effet qu’il n’y avait pas d’épidémie avant l’ère industrielle. Et la Peste noire (1346-1353) qui extermina le tiers de la population européenne doit être une légende répandue par les tenants de la mondialisation.

Rousseau contre le naturalisme écolo

Même Rousseau, le chantre de la nature originelle, n’était jamais allé aussi loin. Toute son œuvre affirme au contraire que le chemin qui va de la nature à la culture est un chemin à sens unique, et qu’il n’est pas question de revenir en arrière. Il faut construire systématiquement la société qui ne nous a pas été donnée, et qui est l’œuvre de l’homme (le contrat social), à condition de le faire en conformité avec les impératifs incontournables de la conscience: «Conscience, conscience! instinct divin, immortelle et céleste voix ; guide assuré d’un être ignorant et borné, mais intelligent et libre ; juge infaillible du bien et du mal, qui rend l’homme semblable à Dieu, c’est toi qui fais l’excellence de sa nature et la moralité de ses actions, sans toi je ne sens rien en moi qui m’élève au-dessus des bêtes, que le triste privilège de m’égarer d’erreurs en erreurs à l’aide d’un entendement sans règle et d’une raison sans principe.» («Profession de foi du vicaire savoyard», Émile, livre IV, Garnier, p. 354-355.)

Voilà, tout est dit. J’espère que comme moi vous trouvez cela beau, et très supérieur à Greta Thunberg, n’est-ce pas? Le sentiment adolescent aujourd’hui très puissant, qui tend à nous ravaler au rang de l’animal ou bien à rehausser ce dernier au niveau de l’homme, est infiniment sympathique. Mais il n’est pas naturel: il est au contraire le fruit de la conscience humaine, aux antipodes de l’instinct qui pousse certains mammifères à en dévorer d’autres.

Quant à la bonté fondamentale de la nature, il suffit de renvoyer au coronavirus, ce «crime contre l’humanité» (Arnauld Miguet, correspondant France TV à Wuhan dans Libération) pour en prendre la mesure: «La nature est la plus grande menace bioterroriste», a déclaré ici même Frédéric Keck, directeur du laboratoire d’anthropologie sociale au CNRS. Oui, la nature est une mère, à condition d’ajouter que c’est une mère qui à l’occasion dévore ses enfants. Le naturalisme écolo est une ineptie, qui voudrait ramener à rien tout l’effort de la civilisation pour moraliser la nature.

Ni ange ni bête

Ce long préambule n’avait qu’un objet: souligner que l’homme d’avant le coronavirus avait pour principal souci d’échapper à sa nature, en faisant tantôt l’ange tantôt la bête, alors qu’il n’est ni l’un ni l’autre: en somme de se soustraire à la nature humaine: le transhumanisme et le naturalisme, en deux tentatives opposées, étaient les deux faces de cet évitement.

Le coronavirus est un rappel à l’ordre. Il nous ramène, à la manière de Pascal, à notre nature, ni transhumaniste, ni infra-humaniste, mais humaine. Jamais du reste on n’avait autant cité Pascal et notamment le fragment prémonitoire qui dit que «tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre». Seulement, la leçon de Pascal n’est pas, à la différence de nos contemporains, le retour au divertissement, mais au contraire la confrontation avec son destin et avec sa condition.

Arrivé à ce point, je sens mon interlocuteur s’agiter et me tirer par la manche: «Je vous vois venir avec votre apologétique, inspirée du “bon usage des maladies”, du même Pascal. Nous n’avons que faire de vos leçons de morale! Rendez-nous vite nos avions et nos voitures, nos théâtres et nos bistros, nos pavés et nos plages!»

Sur fond de virus, les relations entre les humains sont en train de changer. La menace commune leur fait mieux mesurer ce qui les unit

Je n’ai jamais fait du virus l’instrument de la colère des dieux ni du châtiment de la nature. Le plus probable est que nous allons retrouver un jour tous les jouets qui servaient à nous divertir. Je me borne à souligner l’écart grandissant, révélé par le fléau, entre nos raisons de vivre et la manière dont nous vivons. Au point de marquer nos pensées et nos actions du sceau de l’hypocrisie. Qui, depuis quelques semaines, ne s’est pris à penser que, décidément, nos médecins et nos infirmières nous sont plus nécessaires que nos politiques, et nos caissières de supermarchés que nos traders et nos banquiers? Du fond de notre désarroi remonte un malaise suscité par nos genres de vie habituels.

Les gestes des soignants qui leur valent aujourd’hui l’admiration et la reconnaissance des Français sont à l’opposé de ce que la société encourage: jouer personnel, ne penser qu’à soi, écraser les concurrents, se moquer des conséquences. Pourquoi donc avons-nous supporté depuis si longtemps cette tyrannie de l’instance économique, qui est le trait fondamental des temps modernes, au point de nous faire oublier tout le reste? Fallait-il donc attendre ces grandes vacances de la normalité moderne pour que nous rappelions soudain cet ami que nous avions perdu de vue, que nous nous mettions enfin à ce roman de Balzac que nous nous promettions depuis des années de lire, ou cette conversation avec un proche depuis si longtemps différée?

Un seul ennemi: l’homme

Et puis, sur fond de virus, les relations entre les humains sont en train de changer. La menace commune leur fait mieux mesurer ce qui les unit. Des êtres qui avaient passé des années côte à côte se retrouvent soudain face à face. «Votre télé est tellement mauvaise que, le soir, je parle avec ma femme», avait confié un chauffeur de taxi à Pierre Tchernia, hilare. C’était dire! L’époque a changé. On n’avait jamais autant consulté le téléviseur en quête de nouvelles sur le virus, mais on trouve le temps de parler avec sa femme, ses parents, ses amis, ses voisins. Le Paradis, c’est les autres… On avait déjà connu ça en Mai 68, comme s’il fallait un événement exceptionnel, quelle qu’en soit la nature, pour briser d’un coup la carapace invisible qui, en temps ordinaire, nous sépare des autres. Parce que nous avons un ennemi commun, nous comprenons enfin ce qu’humanité veut dire: une communauté de destin.

Il y a une spécificité de l’espèce, jusque dans son malheur. Covid-19 ne fait exception de personne: il s’attaque aux Blancs comme aux Noirs, aux jeunes comme aux vieux, aux femmes comme aux hommes, aux riches comme aux pauvres. Il n’a qu’un ennemi: l’homme. Cela est bien clair, mais saurons-nous en tirer les conséquences? Nous sommes embarqués dans le même bateau, nous sommes pour la première fois depuis longtemps dans le même camp, parce que nous appartenons à la même espèce. Une telle considération condamne toute forme de racisme, et aussi toute instrumentalisation «non mixte», c’est-à-dire politicienne de l’antiracisme. Allons-nous demain, une fois le cap franchi, recommencer comme avant nos jeux stupides? Le coronavirus nous a reconnus comme espèce, à la fois une et universelle: serions-nous incapables d’en faire autant?

L’humanité comme programme

Faire preuve d’humanité, voilà ce qui est de nous requis, voilà ce qui nous sauve. Il est beau que, dans la langue française, «humanité» désigne à la fois l’espèce elle-même et le sentiment qu’elle doit inspirer à chacun envers tous les autres. Humanité n’est pas qu’un groupe à l’intérieur de l’animalité, c’est un programme. Aucun fonctionnalisme social, aucune doctrine utilitariste n’est capable de rendre compte du geste accompli par chaque médecin, chaque infirmière, chaque brancardier pour sauver la vie de son semblable, fût-ce au risque de la sienne. Au point de créer la stupeur, avant même la reconnaissance de la population, habituée à voir dans toute action humaine la poursuite de l’intérêt et le primat de l’économique. Ce n’est pas un hasard si les salopards absolus, un Trump, un Bolsonaro, font de la sauvegarde des équilibres économiques actuels le seul enjeu de ce drame, et non le réflexe élémentaire d’humanité.

Voilà pourquoi je ne crois ni au naturalisme ni au transhumanisme, ces deux formes complémentaires de la dénégation de l’humain. Je n’y crois pas parce que ni l’un ni l’autre ne sont capables de rendre compte de ce qui se passe, et le seul exemple de transhumanisme digne de ce nom que je connaisse, c’est la figure de Jésus-Christ mort sur la croix.

Je ne suis pas naïf. Il y aura un après du coronavirus. Les historiens qui ont réponse à tout, les historiens qui ont des cases pour tout ranger, finiront bien par en trouver une où placer le coronavirus. Car, à la fin, c’est toujours l’historien qui gagne. Il dira que le coronavirus est un pur produit des moyens modernes de communication. La grippe espagnole, qui fit plus de morts que la Première Guerre mondiale, est passée presque inaperçue, non parce qu’il y avait la guerre, mais parce qu’il n’y avait ni internet ni la télévision. Le coronavirus, à l’inverse, est un fléau moderne, qui terrifie avant même d’avoir frappé. Il concerne d’un coup l’humanité entière, il parle simultanément à chacun de notre condition commune. On ne dira plus qu’il n’y a rien à la télévision…