>>>>LE FIG>>>>Pour les Indiens du Dakota du Nord, le pétrole récemment exhumé est un miracle. Mais il pourrait devenir une malédiction.

À perte de vue s'étendent les vastes plaines herbeuses du Dakota du Nord, entrecoupées de lacs et de marais d'une beauté étrange et apaisante, avec leurs ajoncs immobiles. Mais plus on progresse vers l'ouest en direction du gisement pétrolier de Bakken, sur la frontière avec le Montana, plus l'exercice devient difficile. Imperceptiblement mais sûrement, l'intrusion des «adorateurs» du «Dieu pétrole» change le paysage. Apparaissent des dizaines de pompes, de derricks et de citernes, des stocks de tubes d'acier, des grues, des villages de préfabriqués pour ouvriers déracinés et mille autres signes de la ruée vers l'or noir qui bouleverse depuis 2006 la vie jusque-là ralentie du Dakota du Nord. Les pompes se balancent à rythme régulier, plongeant vers les entrailles de la terre pour sucer son sang noir. De loin, elles ressemblent à de grosses mantes religieuses de fer. Sur la route 23, qui traverse la réserve de Fort Berthold avant d'arriver à la ville de Williston, dont la population a quadruplé, des milliers de camions-citernes foncent à toute vapeur dans un vrombissement qui fait vibrer la chaussée. Le «pays indien», niché sur les bords de la rivière Missouri et les rives du lac Sakakawea, fait désormais partie intégrante du nouvel eldorado pétrolier du Dakota du Nord.

...... Nous les Indiens sommes assis sur un tas de dollars», commente Calvin Grenelle, historien au musée de la réserve de Fort Berthold, où les trois tribus Mandan, Hidatsa et Arikara se sont regroupées pour survivre, après avoir vu leur territoire grignoté par la poussée implacable des visages pâles au XIXe siècle. Ce chercheur - dont la mission est de préserver l'héritage culturel de ses ancêtres, en forçant les compagnies pétrolières à consulter les organisations compétentes avant toute prospection - voit le boom comme «la dernière intrusion en date d'une longue chaîne historique». «C'est à la fois un miracle et une malédiction, explique-t-il. Que ferons-nous de cette manne d'argent facile. Saurons-nous investir sur le long terme? Affronterons-nous les défis environnementaux et culturels qui se bousculent à nos portes?» Pour expliciter ce qu'il veut dire, Calvin exhibe la photo d'une montagne sacrée située dans la réserve. Aplati en son sommet, ce promontoire sert toujours de lieu de prière aux Indiens. Mais Grenelle, qui fréquente régulièrement cette montagne, dit qu'il est devenu très difficile d'y méditer, vu l'énorme aire de stockage de pétrole qui a été construite au pied de la montagne. «Ces nuisances visuelles et sonores sont le symbole du danger qui nous guette», dit-il.

« C'est à la fois un miracle et une malédiction. Que ferons-nous de cette manne d'argent facile. Saurons-nous investir sur le long terme ?  »

Calvin Grenelle, historien au musée de la réserve de Fort Berthold

À White Shield, l'une des quatre bourgades qui structurent la réserve de Fort Berthold, Fred Fox, un grand Indien costaud, au visage large et plat, reçoit dans un bureau tapissé de vieilles photos noir et blanc de son grand-père, qui pose avec dignité, paré d'une large coiffe à plumes. Ancien responsable du département énergie, et aujourd'hui l'un des sept élus du conseil tribal, Fred affirme que l'enrichissement par le pétrole est colossal chez les Indiens. Depuis 2008, date à laquelle ces derniers ont ouvert leurs terres à l'exploitation «avec un peu de retard sur le reste du Dakota» - en raison de la nécessité d'un accord du gouvernement fédéral, qui a la responsabilité de la protection des terres indiennes - les propriétaires individuels (environ 6000 des 13.000 membres de la communauté) auraient déjà touché près de 630 millions de dollars de royalties, auxquels s'ajoutent les 150 millions de royalties touchés collectivement par la tribu. Si l'on ajoute à ces revenus les bonus perçus au moment de la prospection, le total atteint largement le milliard de dollars et ces revenus croissent de manière exponentielle! Fred Fox affirme que le boom ouvre d'énormes possibilités d'emploi pour les Indiens et que «ceux qui sont au chômage, ne cherchent pas». Il évoque la construction prochaine d'une raffinerie de pétrole, très contestée. Soucieux de faire profiter les jeunes générations d'Indiens du boom de l'or noir, le collège de Newtown vient d'ailleurs de créer une formation de pilotage de poids lourds et une autre destinée à initier les étudiants aux métiers techniques du raffinage.

Fred Fox reconnaît toutefois que l'eldorado génère une tension colossale sur les ressources de la réserve, qui «doit apprendre à gérer le développement». Le gouvernement tribal dépense des millions en infrastructures routières et en nouveaux logements, en pénurie criante vu l'afflux de main-d'œuvre extérieure. Le trafic routier est devenu un énorme point noir. Fox évoque la dégradation des routes et la hausse vertigineuse des accidents ; l'un d'eux a tué sa femme, fauchée par un poids lourd il y a quatre mois. La tribu a dû aussi augmenter ses ressources policières pour enrayer la criminalité et le trafic de drogue, en hausse constante. «Ces problèmes sont réels, mais en même temps, soyons clairs: une chance comme ce boom n'arrive qu'une seule fois», note l'élu, parlant de préparer les tribus au futur.

La directrice du musée des tribus, Marylin Hudson, 77 ans, fille d'un chef indien Hindatsa et d'une fille d'émigrés norvégiens, est l'une des heureuses bénéficiaires de l'or noir. Grâce à des lots familiaux dont elle a hérité, elle dispose d'un revenu supplémentaire de 5000 à 10.000 dollars de royalties par mois, «ce qui aide bien», sourit cette grand-mère aux cheveux courts et frisés. Mais cette intellectuelle indienne, qui continue de vivre sobrement comme beaucoup d'Indiens, confie «ses doutes sur la capacité des dirigeants tribaux actuels à avoir une vision d'avenir». «Il faudrait qu'ils pensent au long terme, mais ils ne voient que le lendemain.»

.....

Marty et le rêve de la septième génération

Marty Jeune Ours ne ressemble pas à la majorité des Indiens que l'on croise à Newtown. La plupart sont en surpoids, voire obèses, souvent nonchalants, voire indifférents à l'étranger de passage. Lui est svelte et sportif, avec un mélange d'ouverture, de passion et de dignité dans le regard. Beaucoup semblent ne pas mettre en question la bénédiction de l'or noir, tandis que lui veut éveiller son peuple à ses dangers. «Notre peuple a plongé dans l'assistanat, l'indifférence, l'obésité et l'alcool parce qu'il s'est détourné de ses traditions», dit Marty. Ce beau jeune homme à la tresse noire, dit «avoir appris à réfléchir par lui-même pour comprendre comment son peuple en était arrivé à ce degré de dégradation». Passionné de l'histoire des Indiens américains, amoureux de la nature et des chevaux, écologiste farouche, Marty, dont le discours rappelle les apôtres de la décroissance, dit rechercher une alternative au cercle infernal de la consommation à tous crins, loin de la dépendance pétrolière. Pour lui, si l'or noir, «cet ennemi», doit servir à court terme, «c'est à financer la recherche sur d'autres énergies alternatives comme le soleil». Il a confiance, invoquant une vieille prédiction indienne annonçant que la septième génération - la sienne, selon Marty - œuvrera à la renaissance.