L' AMÉRIQUE DANS TOUS SES ÉTATS ....Au pays du dollar, toute nouvelle liberté signifie d'abord liberté d'entreprendre.

- Depuis qu'il est en vente libre au Colorado, le cannabis connaît un boom économique. Au point d'attirer des hommes d'affaires qui visent le produit haut de gamme.

Voyageur, attention! Au Colorado, si vous apercevez une croix verte accrochée à la devanture d'un magasin, ne poussez pas la porte pour demander une boîte de paracétamol. Ces «dispensaires» (dispensaries) ne vendent qu'un produit: du cannabis. Ici, on est loin du coffee shop d'Amsterdam, façon arrière-salle d'un café d'étudiants au parquet taché et aux banquettes mitées. Dans cet Etat de l'ouest des Etats-Unis, la marijuana s'achète dans des établissements haut de gamme, entre le showroom et la bijouterie. Au point de devenir un produit de consommation (presque) comme les autres et d'attirer des investisseurs soucieux d'en faire un objet de luxe.

«Denver compte davantage de magasins de cannabis que de cafés Starbucks», souligne Christian Hageseth, fondateur de Green Man Cannabis, une des enseignes haut de gamme de la capitale du Colorado. Les détaillants y sont plus de 300. Un coup d'œil au journal gratuitWestword donne un aperçu de la concurrence. Les dernières pages de cet «organe central» du fumeur d'herbe sont couvertes d'annonces où chacun promeut ses prix d'appel et vante sa qualité. Avec des tarifs de base tournant autour de 5 $ le gramme - ou de 100 $ l'once (28 g, limite légale pour un résident de l'Etat) -, ils tentent d'attirer le chaland. En ce jour de juin, ils sont plus d'une centaine dans les colonnes du périodique. Avec des raisons sociales allant du pseudo-scientifique - Advanced Medical Alternatives - au plus déjanté - Ganja Gourmet -, les revendeurs proposent des dizaines de sortes de boutons de chanvre aux noms évocateurs: Gorilla Glue (colle de gorille), Skywalker, Green Crack ou encore Star Killer.

Au Colorado, ce business a commencé au début du siècle avec la légalisation du cannabis dit médical. Sont alors nés les «dispensaires» où des consommateurs munis d'une ordonnance d'un médecin ont pu acheter de la marijuana légalement. Les législateurs de l'Etat avaient établi au préalable une liste de pathologies allant du cancer au sida en passant par la migraine chronique, le glaucome ou l'épilepsie. Combien de certificats de complaisance ont été signés par des praticiens peu regardants? Nul n'a pu le quantifier mais chacun témoigne que l'usage - et la culture autorisée jusqu'à six plants par personne - a fait un premier bond. Il faudra attendre le 1er janvier 2014 et l'entrée en application de l'amendement 64 voté quatorze mois plus tôt par le Parlement du Colorado pour déclencher le boom en ouvrant la voie à la consommation «récréative» de cannabis pour tout citoyen de plus de 21 ans.

 

«C'est le marché qui connaît la plus forte croissance aux Etats-Unis, explique Roy Bingham, un Britannique diplômé de Harvard Business School, ancien banquier et conseil d'entreprise, qui a lancé BDS Analytics, le premier observatoire économique du secteur du cannabis. Malgré les obstacles légaux qui handicapent encore cette activité, elle attire désormais les investisseurs.» Une mutation est en cours. On le voit à Denver. Il y a deux ans, un tronçon de Broadway, une des plus longues artères de la ville, avait été affublé du surnom de «Green Mile»: les magasins de cannabis avaient poussé comme des champignons après la pluie dans ce quartier un peu bohème. Aujourd'hui, les enseignes ouvrent partout, et notamment dans les zones les plus huppées, comme la 16e Rue, épine dorsale du centre-ville où le shopping est roi.

Cette nouvelle localisation tient à deux raisons. D'une part, la clientèle locale évolue. Le «bobo» n'a plus envie de faire un crochet vers une obscure boutique de périphérie. Certes, il est illégal d'en consommer aussi bien dans les lieux publics qu'au travail ou dans sa voiture - en plus, la ville de Denver a étendu la prohibition aux bars et aux restaurants. Mais les acheteurs locaux préfèrent s'approvisionner près de la maison ou près du bureau plutôt que sur le «Green Mile». Deuxième raison, le tourisme du cannabis est en train d'exploser, notamment à Denver. En avril dernier, le Colorado a enregistré des ventes record de 117 millions de dollars (105 millions d'euros) dans ce secteur alors que l'Etat connaissait une hausse du nombre de ses visiteurs. Il suffit de pousser la porte des boutiques durant le week-end pour se convaincre du succès: elles sont pleines du matin au soir. Greg Barnum, qui en dirige une sur Santa Fe Drive, près du centre culturel de Denver, confirme. «Les vendredis, samedis et dimanches sont de loin nos meilleurs jours de vente, dit-il. Les acheteurs viennent de tout le pays et de l'étranger.»

Les gérants connaissent l'origine de leurs clients car l'entrée du magasin est soumise à un contrôle d'identité. Un citoyen américain est prié de présenter son permis de conduire, un étranger, son passeport. Car, selon l'adresse, la quantité de cannabis autorisée varie. Si l'on ne réside pas au Colorado, on n'a droit qu'à un quart d'once (7 g), alors qu'un résident peut posséder une once (28 g). «Beaucoup n'y ont jamais goûté, ou l'ont fait une fois dans leur vie, explique Greg Barnum. Nous devons donc les conseiller et guider leurs premiers pas. On oriente plutôt ces novices vers un aliment au cannabis - gâteau, chocolat, bonbon - afin de mieux contrôler la dose de THC (tétrahydrocannabinol, molécule psychoactive contenue dans la plante, ndlr).»

Dans l'antichambre des magasins, où l'on vérifie l'identité de chaque entrant, de petits dépliants intitulés «Good to know» («Bon à savoir») rappellent la législation et prodiguent quelques conseils. On y lit notamment qu'il ne faut pas conduire après avoir consommé - ou attendre six heures avant de prendre le volant. On recommande également de modérer sa consommation. Et l'on avertit de ne pas emporter les produits achetés vers un autre Etat des USA.

Ces appels à la modération ne semblent pas impressionner grand monde. Selon une étude de la faculté de médecine de l'université du Colorado, les services des urgences des hôpitaux reçoivent de plus en plus de touristes (+ 109 % en deux ans) qui ont forcé sur la marijuana. Une autre étude, publiée l'an dernier, souligne une forte croissance des accidents de la circulation liés au cannabis. Quant à l'interdiction d'exporter du cannabis en dehors de l'Etat, elle reste symbolique étant donné qu'aucun contrôle n'est effectué ni sur les routes ni dans les aéroports. «Je pars en vacances en Caroline du Nord dans deux jours, nous a confié un acheteur qui sortait d'un magasin. Je suis donc venu faire mes provisions avant!»

Les adversaires de la légalisation n'ont pas dit leur dernier mot. Ils tentent encore d'imposer de nouvelles normes de teneur en agents actifs. «Si cette mesure est adoptée, près de 80 % de nos produits seront interdits», redoute Michael Lord, directeur du développement de LivWell, premier distributeur de l'Etat avec 14 magasins et propriétaire de la plus grande plantation légale des Etats-Unis. Malgré les obstacles, les businessmen du cannabis entrevoient un avenir radieux. «Le nombre d'Etats prêts à légaliser la consommation ne cesse de croître, observe Roy Bingham. Cela va devenir irréversible.» Quant à Christian Hageseth, qui voit son activité comme de la viticulture de grand luxe, il s'apprête à ouvrir un «cannabis ranch» tout près de l'aéroport de Denver avec hôtel, restaurant et salle de dégustation construits autour d'une plantation dernier cri. Au pays du dollar, toute nouvelle liberté signifie d'abord liberté d'entreprendre.

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