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François écoute mais aime décider seul au risque de l'isolement. Stefano Spaziani.
 
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ENQUÊTE - Gouverner l'Église catholique n'est pas une sinécure, mais diriger le Vatican est encore plus périlleux. Malgré ses talents de fin politique et son fort caractère, François, 85 ans, se heurte comme jamais, en cette dixième année de pontificat, à une série d'adversités.

Envoyé spécial à Rome

 

Jamais le pape François n'a encore ­affronté une telle ­adversité. En cette année 2022, dixième de son pontificat, tout semble se liguer contre lui. Rome, toujours prompte à brûler ce qu'elle adore, est en émoi. Certains discernent une phase de ­maturité du pontificat. D'autres une « fin de règne », selon une expression courante dans la Ville éternelle. Beaucoup pensent déjà à la suite. Mais François, 85 ans, très combatif, est loin d'avoir dit son dernier mot. Un grand jubilé chrétien mondial est en vue pour 2025. Surtout il prépare sa réforme capitale : celle de la « synodalité » pour 2024.

Il espère convertir l'Église, pyramidale, centralisée et cléricalisée, en une communauté plus démocratique, décentralisée où le pouvoir sera davantage partagé avec des laïcs. Y parviendra-t-il ? Cette ambition suscite soutien et admiration chez les uns et un épais scepticisme chez ceux qui connaissent bien les arcanes d'une institution bimillénaire édifiée sur la centralisation. Ce pontificat, réformateur, flamboyant et… Clivant, connaîtrait-il son ­apogée ou entrerait-il en déclin ?

Tous les pontificats connaissent cette même courbe ascendante puis descendante. Ce qui compte pour l'Église est la portée d'un pontificat. De ce point de vue, ceux de Jean-Paul II et de Benoît XVI, avec leurs qualités et leurs défauts, sont encore très vivants.

Haute tension au Vatican

N'ont-ils pas marqué, et pour longtemps, des générations de fidèles et de clercs ? Il en est et en sera de même pour François. Dans le milieu ecclésiastique, personne ne se risque donc à juger prématurément le cours des choses. « Les phases de crise ne sont pas forcément les pires, observe un jeune cardinal, homme de Dieu, en poste au Vatican ; elles ouvrent à des réalités de l'Église que nous ne pouvons pas voir à présent. Le Seigneur n'abandonne pas son Église. »

L'Espérance est là, surtout chez les chrétiens, mais le mot « crise » est tout de même concédé. Elle est ouverte depuis l'élection de François pour certains. Elle est plus récente pour d'autres, y compris parmi les soutiens du pape. Tous s'accordent sur le climat de haute tension qui ­règne au Saint-Siège et dont l'intensité ne faiblit pas, en contraste avec l'image de bonhomie véhiculée dans le monde et qui a changé l'image de l'Église. Il y a évidemment, avec François, des antagonismes puissants, liés à sa forte ­personnalité ­réputée « clivante ». Son caractère « tranchant », son style « autoritaire » sont le lot quotidien d'un ­Vatican où l'on entend ces qualificatifs. Il y a aussi des « colères » ­papales et beaucoup se disent « terrorisés ». Il y a aussi, plus objectivement, une­ ­série de dossiers difficiles qui jettent une lumière parfois crue sur le pontificat. Un observateur ­italien de ­longue date, qui a beaucoup vu et ­entendu dans la cité du Vatican, les synthétise d'un mot : « confusion ». Une confusion « à la latino-américaine », précise-t-il, que des « mentalités européennes » ont de plus en plus de mal à saisir.

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Pendant des mois François, « humilié », refusait d'être vu en fauteuil roulant. Éric Vandeville.

Dans ces tourbillons domine une première question, celle de la santé du pape. Un genou l'immobilise. « Cela ne devrait pas durer », assurent ses ­médecins sans en être toutefois certains. L'idée d'une intervention chirurgicale a été envisagée, mais elle apparaîtrait jusque-là trop risquée. N'en pouvant plus de souffrance – le pape a fait ses premières confidences à ce sujet à la fin du mois de janvier –, François a fini par accepter des infiltrations le 3 mai. Il souffre d'une ­gonalgie, inflammation aiguë des ­ligaments au genou droit, conséquence directe de son problème structurel de sciatique à la hanche qu'il corrige à chaque pas. Il s'est dit « humilié » par cette immobilisation. Il a même longtemps refusé d'apparaître en public avec une béquille et pire, en chaise roulante. Mais un pas devenait un supplice. Lors de l'audience générale du 4 mai, il s'est fait encore aider en donnant le bras à ses assistants pouvant à peine mouvoir sa jambe droite. Le 5 mai, il a fini par céder et se laisser conduire en fauteuil roulant devant les caméras, ce qu'il faisait avant mais hors champs des objectifs.

Il est ­déplorable que le pape ait choisi un ton aussi inapproprié pour mettre sur la place publique une conversation réservée

Le patriarcat de Moscou

Quant aux suites de l'opération aux intestins subie le 16 juillet 2021, elles ne sont pas vraiment connues. Le ­Vatican bruisse des rumeurs les plus alarmantes à ce sujet car ce fut une très lourde chirurgie, bien plus difficile que prévu. Impossible d'y voir clair, faute d'informations fiables. Le pape a objectivement assumé tous ses engagements depuis la fin de sa convalescence de l'été 2021. Dont trois voyages internationaux, ­Hongrie et Slovaquie, puis Chypre et Grèce, l'île de Malte, enfin, début avril. Mais les grands déplacements internationaux prévus, Soudan du Sud notamment en juillet, Canada en septembre, sont à confirmer. Quant au Liban, il vient d'être officiellement « annulé » mais jamais le Vatican ne l'avait confirmé en raison de l'instabilité politique. On ne peut donc rien ­déduire pour l'heure. Dans un livre de dialogue, Des pauvres au pape, du pape au monde publié au Seuil le 1er avril, François a confié : « Jusqu'à il y a trois ans, je mangeais de tout. Maintenant, malheureusement, j'ai une sérieuse complication intestinale, une diverti­culite aiguë, et je dois me nourrir de riz bouilli, de pommes de terre bouillies, de poisson grillé ou de poulet. Du simple, simple, simple… »

La Russie s'est fâchée avec lui

Du simple, mais les choses se compliquent sur d'autres plans. À commencer par le redoutable dossier russe et ukrainien où le chef de l'Église ­catholique concentre sur lui une ­incompréhension mondiale en ­ménageant la Russie et en reprochant à l'Otan ses « aboiements » en Ukraine qui auraient « fâché la Russie ». En pape, il plaide pour la paix par la négociation. Il fustige la guerre, mais sans dénoncer l'agresseur. En pacifiste convaincu, François s'attaque à la course aux armements et l'usage des armes mais refuse de se prononcer sur la légitimité de la ­défense armée ukrainienne. En aucun cas, il ne veut avaliser la ­fourniture d'armes. Surtout venant des États-Unis… Une position intenable dont François paie le prix fort. Il sait aussi qu'on lui reprocherait son silence s'il se taisait.

Il vient toutefois de réussir à fâcher la Russie le 3 mai, avec qui il ne voulait pas couper les ponts. Ce jour-là, dans une interview exclusive au Corriere della Sera, François a demandé de rencontrer Poutine à Moscou pour lui signifier d'arrêter la guerre. La même requête avait été formulée sans succès par les canaux diplomatiques du Vatican à la mi-mars. Le pape voulant cette fois prendre le monde à témoin. Ce qui a exaspéré la Russie. Le gouvernement russe a d'ailleurs sèchement répliqué : « Ce genre de question devrait passer par les canaux diplomatiques. » Plus dure encore fut la riposte du patriarcat orthodoxe de Moscou que François avait publiquement impliqué dans cette interview à la suite de leur échange en ­visioconférence le 16 mars : « Il est ­déplorable, a expliqué le patriarcat de Moscou, que le pape ait choisi un ton aussi inapproprié pour mettre sur la place publique une conversation réservée. »

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En 2016, le patriarche russe Kirill échange avec François à Cuba. Adalberto Roque/AP/SIPA

Voilà donc le pape et le Vatican isolés sur la scène diplomatique. Ce qui ­indique une baisse d'influence de l'Église catholique. Un expert latino-américain en poste à Rome commente : « Ce pape s'imagine qu'il pourrait, par sa seule présence lors de voyages, régler des problèmes géopolitiques. Une présence passagère, même charismatique, console un jour mais n'a jamais rien réglé. Il y a une prétention vaticane à se penser capable de ­régler les conflits de la planète. »

Une curie court-circuitée

Il se dit que François n'avait pas forcément consulté sa diplomatie, pourtant très cultivée sur le dossier russe et ukrainien, avant de prendre dans le premier quotidien italien une telle position géopolitique. La fameuse curie romaine, naguère redoutée, est régulièrement court-circuitée par François. Là aussi, François a voulu bousculer un ordre établi en lançant, dès 2013, une vaste « réforme de la curie ». Sa réforme va entrer en ­vigueur ce 5 juin, jour de la Pentecôte. Aux dernières nouvelles, et avant sa mise en œuvre, la réforme suscite « beaucoup de résistances ­internes » confie un haut cadre, avec « une forme de grève du zèle ».

C'était la cinquième fois, en deux millénaires, que l'Église catholique réformait ainsi son gouvernement central. Au lieu d'un document fini, ce fut un texte bourré de fautes et comportant des erreurs de fond qui a été ­publié au grand dam des juristes du Vatican

Cette petite histoire en dit long : beaucoup se sont émus le 19 mars dernier, jour de la Saint-Joseph, de voir publier au Vatican sans aucun préavis ni conférence de presse, le texte officiel de cette réforme de la ­curie. Un texte pourtant attendu ­depuis des années, la nouvelle « constitution apostolique » intitulée « Praedicate evangelium », c'est-à-dire « Annoncez l'Évangile ». C'était la cinquième fois, en deux millénaires, que l'Église catholique réformait ainsi son gouvernement central. Au lieu d'un document fini, ce fut un texte bourré de fautes et comportant des erreurs de fond qui a été ­publié au grand dam des juristes du Vatican. Même les services de communication du Vatican furent pris de court. En réalité, François, l'avant-veille, décida seul de publier, le 19 mars – jour de saint Joseph pour qui il a une grande dévotion – sans ­tenir compte de son état d'achèvement. Un comportement « typique », assure un cadre du Vatican, où le pape gère en direct une quantité de choses « sans toujours prendre conseil, ses services devant exécuter ».

Un vent d'égalité souffle

Une telle anicroche est un détail face à la portée de la réforme. Celle-ci ­apporte des changements notoires. Le plus important est de placer, sur le même plan, tous les ministères de la curie romaine. La Congrégation pour la doctrine de la foi, qui était le ministère le plus haut en dignité et en importance, se trouve reléguée derrière le dicastère de l'Évangélisation et juste avant un nouveau dicastère dédié à la charité et aux actions ­humanitaires. Ce qui signifie une abolition des hiérarchies au sein des ministères du Vatican. Tous sont considérés à égalité. Tel est le nouvel esprit voulu par le pape : avant de parler de la doctrine, l'Église doit être « pastorale » et aider les gens. À la manière dont un berger prendrait soin de son troupeau. Et non sur le modèle d'un professeur de vertu qui corrigerait ses élèves. Autre point clé, imposé par le pape, mais actuellement âprement discuté par des cardinaux d'importance, le fait qu'un laïc, homme ou femme, puisse désormais diriger un ministère du Vatican. Cette charge était jusque-là réservée à des évêques et des cardinaux pour des raisons théologiques fondamentales touchant à la constitution même de l'Église catholique.

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François ne gouverne qu'avec quelques cardinaux choisis. Guido MARZILLA/GAMMA RAPHO.

Autre évolution de taille : celui qui était jusque-là un premier ministre, premier serviteur du pape mais également ­patron de la curie romaine, va garder son titre de « secrétaire d'État », mais il devient en réalité un simple secrétaire général du gouvernement dont le seul pouvoir sera la coordination des ­ministères. Il ne sera plus au-dessus. Dans cette réforme, le pouvoir du pape est donc très nettement renforcé. En définitive, c'est lui qui décide quasiment de tout. La curie romaine telle qu'elle était, administration centrale de pouvoir, semble décapitée.

Dernier point clé de cette réforme qui institue, au passage, un contrôle ­économique rigoureux : la décentralisation. Le Vatican reste le ­Vatican, mais il se place au service et non plus en surplomb des confé­rences épiscopales, structures ­nationales de l'Église dans le monde. Hormis les questions « de doctrine, de ­discipline ou de communion de l'Église », les conférences épiscopales pourront décider de sujets locaux sans référer à Rome. Ce que le pape appelle dans sa nouvelle constitution « une saine ­décentralisation ». Il ­résume sa ­réforme d'un mot : ­ « l'esprit synodal ».

Effervescence synodale

Le « synode » est effectivement la grande réforme de François. Le mot signifie « assemblée ». Il s'inscrit dans la plus ancienne tradition chrétienne où toutes les décisions étaient prises collectivement sous la conduite du chef de la communauté. Les Églises orthodoxes ont gardé cette tradition. Un patriarche – c'est le titre de leur chef d'Église – aussi puissant soit-il, ne peut rien décider sans le vote de son saint-synode composé des ­évêques. Cet esprit collectif, démocratique, associant les fidèles, ­hommes et femmes, François veut l'insuffler à tous les niveaux de gouvernance de l'Église catholique, ­paroisse, diocèse, conférence épiscopale, Saint-Siège. Il a lancé pour cela, en 2021, un synode spécial sur la­ ­« synodalité » dans toute l'Église ­catholique. Il se déroule en 2022 dans tous les diocèses. Une ­session finale et décisive aura lieu à Rome en ­octobre 2023. Elle votera des propositions que François entend mettre en œuvre à l'aube de 2024.

Inspiré de la gouvernance des Églises orthodoxes mais aussi des Églises protestantes, cette « révolution », si elle advient, serait un changement de culture complet du monde catho­lique habitué à suivre les décisions de la hiérarchie. Elle inquiète profondément à Rome, au vu de l'expérience en cours d'un synode local dans l'Église allemande qui rivalise d'audaces réformistes sur les dossiers sensibles : mariage des prêtres, ­accueil des personnes homo­sexuelles, place des femmes. Le ­Vatican veille, mais il semble avoir perdu le contrôle sur cette initiative. Le pape François a mis en garde l'Église allemande contre une éventuelle sortie de route, mais il a curieusement nommé au poste clé de ­ « rapporteur » du prochain synode romain sur la « synodalité » un prélat qui soutient les orientations… Du ­synode allemand. Il s'agit de l'archevêque du Luxembourg, Mgr Jean-Claude Hollerich, un jésuite très ­proche de François créé cardinal en 2019. Il s'est prononcé à plusieurs ­reprises en faveur d'une évolution du discours de l'Église sur l'homosexualité – « les positions de l'Église sur le caractère peccamineux des relations homosexuelles sont erronées », pense-t-il –, estimant que le prochain ­synode devra aussi revoir la façon de parler des questions éthiques. En janvier dernier, il confiait à La Croix que « les prêtres homosexuels » devraient pouvoir « en parler à leur évêque sans que ce dernier les condamne ». Il se ­posait aussi cette question : « En ce qui concerne le célibat dans la vie sacer­dotale, demandons franchement si un prêtre doit nécessairement être ­célibataire ? »

Des propos qui lui ont valu les protestations publiques d'un autre cardinal qui n'a pas sa langue dans sa poche, le cardinal australien George Pell. Mi-mars, il a sommé la Congrégation pour la doctrine de la foi d'intervenir officiellement contre les propos du cardinal Hollerich et contre les prises de position similaires du président de la conférence des évêques allemands, Georg Bätzing, qui pilote le fameux synode allemand ­devenu, en réalité, une sorte de laboratoire d'Église.

Contre le retour en arrière

Des visions de l'Église s'opposent et se combattent ouvertement sous ce pontificat. Le pape ne se pose pas en arbitre. Il est dans le parti de la réforme, comme il l'a confié en septembre dernier à des jésuites slovaques qu'il rencontrait à Bratislava. Il leur a dit sa « souffrance » de voir s'installer dans l'Église « l'idéologie du retour en arrière » spécialement « dans certains pays » parce que « la liberté fait peur », ­estimait-il.

C'est le combat contre cette « idéologie du retour en arrière » qui a aussi motivé, leur a-t-il confié, sa décision de donner un coup d'arrêt réglementaire en juillet 2021 afin de stopper le développement des paroisses selon le rite tridentin, un phénomène français et américain. Ce qui n'est pas passé dans le monde traditionaliste. Il sera toutefois intraitable. « Je continuerai dans cette voie », a-t-il confié à ces jésuites, s'insurgeant contre les jeunes prêtres qui, « à peine ordonnés » demandent l'autorisation à l'évêque « de célébrer en latin ». Il faut les faire « atterrir sur la terre », a-t-il martelé.

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Des mères de prêtres arrivent à pied de Paris à Rome pour la liberté de la messe. La Voie Romaine.

La ligne est dure. Un groupe français d'une trentaine de mères de prêtres, âgées entre 60 et 70 ans, vient de se rendre à pied de Paris à Rome pour demander un adoucissement de cette réforme. Une seule a pu saluer le pape le 4 mai, lors de l'audience générale hebdomadaire, au même titre qu'une centaine d'autres personnes. Une ­minute pour des mères de cet âge qui ont marché de tout leur cœur pendant huit semaines en parcourant 1500 kilomètres, c'est tout de même peu donner pour un pape qui prêche « la miséricorde ».

«Je suis encore vivant»

Illustration également française de cette volonté papale de contrer « l'idéologie du retour en arrière », des nominations comme celle du nouvel archevêque de Paris, Mgr Laurent Ulrich. Il est dans la ligne de François sur beaucoup de sujets, dont l'immigration, et rompt de facto avec l'héritage du cardinal Lustiger. La ­première décision de Mgr Ulrich sera sans doute de lancer un synode à ­Paris comme il le fit à Lille et à Chambéry, ses deux précédents diocèses. Ce choix du pape a mis sous le choc une majorité des 500 prêtres de Paris, les jeunes en particulier. Or, ces ­prêtres ne seraient pas là sans l'action prophétique du cardinal Lustiger issu du judaïsme qui reprit de 1981 à 2005 un diocèse en perte de vitesse laissé par le cardinal Marty. Sans Lustiger et son héritage, l'Église ­florissante de Paris – qui a aussi ses gros défauts – pourrait être compa­rable aujourd'hui, à celle, crépus­culaire, de Bruxelles qui opta pour le progressisme, notamment sous la conduite du cardinal Godfried ­Danneels. Mort en 2019, très actif au conclave de 2013, ce dernier fut l'un des hommes clés de l'élection du pape François. Il le plaça d'ailleurs à son côté lors de sa première apparition ­publique sur le balcon de la basilique Saint-Pierre, le soir du 13 mars 2013.

Deux visions de l'Église, donc. Certainement complémentaires mais plutôt opposées actuellement avec, au centre, la question du sacerdoce. À Rome, beaucoup se demandent si cette Église catholique synodale, moins ­pyramidale, pourra remédier à la chute des vocations sacerdotales. ­Elles se maintiennent seulement en Afrique et dans certains pays d'Asie, mais elles ont baissé de 28 % depuis dix ans en Italie… Soit une alerte rouge au royaume du catholicisme et maintenant au Vatican.

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Respecté par François, le cardinal Pell, australien, est un redoutable critique. Vandeville Eric/ABC/Andia.fr

Un Vatican qui va mal, à vrai dire. Il y a tous ces dossiers et puis il y a une autre affaire qui empoisonne l'atmosphère. Une affaire de trop. C'est le ­procès en cours au tribunal du Vatican du cardinal Angelo Becciu, ancien ­numéro 3 du Vatican, démis par le pape en septembre 2020 pour un ­investissement immobilier à Londres. Les séances font apparaître que ce haut responsable avait agi, pour cet inves­tissement imprudent, sous les ordres du… Pape. Le verdict est loin d'être prononcé, mais dans ce petit monde du Vatican, « la confusion » est effectivement à son comble.

Dans cette atmosphère délétère de « fin de règne » certains cardinaux préparent l'avenir ou plutôt… Le prochain conclave. Le pape François lui-même l'a reconnu devant ses amis jésuites ­slovaques. Ses propos, enregistrés et publiés dans la revue jésuite de référence, La Civiltà cattolica, sont certains : « Je suis encore vivant, leur a-t-il dit, nonobstant ceux qui voudraient me voir mort. Je sais que se sont tenues des rencontres entre prélats qui pensaient que le pape allait plus mal que ce que l'on disait. Ils préparaient le conclave. ­Patience ! Grâce à Dieu, je vais bien. »

Déjà des «papabili»

Ce pape est redoutablement bien ­informé, car il sait en prendre les moyens. Ce qui crée aussi au Vatican un irrespirable climat de suspicion. De fait, plusieurs réunions de ce genre ont eu lieu. Comme de normal du reste. En 1998, quand le parkinson de Jean-Paul II fut reconnu, le même scénario se produisit. Ces réunions dénoncées par François ne concernent toutefois pas que des « conservateurs ».

À l'initiative d'un jésuite américain, le père Mark Massa, une réunion qui se voulait très discrète, voire secrète, s'est tenue par exemple à Chicago les 25 et 26 mars avec d'éminents cardinaux et prélats du monde entier. L'idée était de comprendre « l'opposition à François ». Le cardinal Oscar Rodríguez Maradiaga qui s'y trouvait a confié ­ensuite au National Catholic Reporter : « Cette “opposition au pape” essaye de construire des murs, de revenir en ­arrière, de regarder l'ancienne liturgie ou des choses d'avant Vatican II. »

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Mgr Bätzing, président des évêques allemands, figure progressiste. dpa Picture-Alliance via AFP.

Le père Massa milite pour la « synodalité ». C'est « la chose la plus importante », elle permettra « d'éliminer le processus de recours à Rome » et ­précise : « Nous voulons montrer que l'opposition au pape François est dans une large mesure une opposition au concile Vatican II. » Propos carica­turaux où personne ne se reconnaît à Rome. L'Église est plus subtile que cette vision en noir et blanc. Cette initiative américaine souligne l'enjeu du synode sur la synodalité qui ­s'annonce effectivement comme la dernière et grande bataille du pape François, fut-il immobilisé.

Quant aux listes de papabili, elles commencent à circuler à Rome. C'est une habitude. Elles n'ont ­jamais contribué à élire un pape. Deux noms reviennent pour l'heure avec insistance : le cardinal Matteo Maria Zuppi, archevêque de ­Bologne, issu de la communauté de Sant'Egidio et très proche de François. Et, étonnamment, le cardinal de Budapest, Péter Erdo, plutôt conservateur. Ce ne sont que de ­pures spéculations. Une chose est en revanche certaine : avec la prochaine promotion de cardinaux que nommera François cet automne ou au printemps prochain, ce pape aura choisi les deux tiers des cardinaux du prochain conclave. Soit la majorité nécessaire pour élire un successeur. « François suit tout, au détail près », prévient l'un des collaborateurs.


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