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Prix Nobel de physique 2022 : Alain Aspect, l’homme qui a prouvé qu’Einstein avait tort

L’histoire de la physique quantique commence avec Albert Einstein au début du XXe siècle et continue avec ses héritiers. Plus de 100 ans après, ces derniers démontrent des erreurs du maître.

 
 

SCIENCES - Au début du XXe siècle, la physique quantique révolutionnait notre vision du monde, opposant parfois les penseurs de la discipline entre eux. Les travaux d’Alain Aspect sur l’intrication et les liens entre les particules au début des années 80, lui valent aujourd’hui de recevoir le prix Nobel de physique 2022. Elles sont aussi le coup de boutoir décisif à une théorie d’Albert Einstein, dont les travaux continuent d’inspirer la recherche vers des découvertes qui, dans notre quotidien, pourraient tout changer.

Pour comprendre l’ampleur de ce qu’a démontré le chercheur français, il faut d’abord revenir sur la physique quantique elle-même, et son champ d’action. : « Ce sont les lois du monde à toute petite échelle », résume Julien Bobroff, physicien et professeur à l’Université Paris-Saclay et auteur du Bienvenue dans la nouvelle révolution quantique (Éditions Flammarion).

Onde et corpuscule à la fois

Car ces lois, qui régissent le comportement des atomes, des électrons ou encore des photons, n’ont rien de commun avec celle de notre univers macroscopique. Lorsque l’on pense à un atome, c’est une sorte de toute petite bille qui vient à l’esprit : à cette échelle, les particules ne se comportent pas vraiment comme le feraient des billes, mais bien comme des ondes.

Pour le dire autrement, des atomes passant dans deux trous distincts devraient en théorie aller s’écraser avec précision à deux points séparés d’une paroi, à la manière de billes. Or, ce n’est pas le cas : lorsqu’elle n’est pas mesurée, la lumière se comporte comme une onde, et se disperse le long d’un spectre, comme le montre l’illustration ci-dessous.

Illustration de l’expérience de la « Fente de Young »  menée en 1801
Illustration de l’expérience de la « Fente de Young » menée en 1801
 

Cette découverte de la nature de l’infiniment petit, que l’on doit à Max Planck et Albert Einstein dans les années 1910-1920, fut le début de la physique quantique, et la base des travaux d’Alain Aspect sur l’intrication. Un terme qui, là encore, a de quoi changer toute la compréhension du monde qui nous entoure.

Des atomes unis pour la vie...

« Imaginez que vous mélangez deux grains de lumière », s’enthousiasme Julien Bobroff. « Vous faites dès lors en sorte qu’ils partagent un même état, un véritable destin commun ». Et ce destin commun n’a pas de limite de distance, aussi incroyable que cela puisse paraître. Ils ne se fusionnent pas mais partagent un lien inextricable.

Un photon, donc un grain de lumière, possède ainsi deux états de polarisation, à la manière d’une bille qui aurait deux couleurs suivant qu’il tourne vers la gauche ou vers la droite. Mais tant qu’il n’a pas été mesuré, il peut être dans ces deux polarisations à la fois, comme si la bille avait deux couleurs en même temps ! C’est le principe de superposition quantique, que connaissent bien les amateurs du paradoxe du fameux « Chat de Schrödinger », que l’on retrouve ci-dessous.

https://huffpost-focus.sirius.press/2022/10/04/0/0/640/320/640/0/60/0/14cbf65_1664883912083-640px-schroi-dinger-s-cat-diagram.png 2x" media="(max-width: 459px)"> https://huffpost-focus.sirius.press/2022/10/04/0/0/640/320/1280/0/60/0/14cbf65_1664883912083-640px-schroi-dinger-s-cat-diagram.png 2x" media="(min-width: 460px)"> Expérience du chat de Schrödinger
Wikimedia Commons
Expérience du chat de Schrödinger

À partir du moment où l’on mesure la polarisation d’un photon, sa nature change, il passe d’une petite onde à une particule, comme on l’a vu. Au même moment, sa polarisation choisit : soit il tourne vers la gauche, soit vers droite, comme si la bille choisissait soudain sa couleur... Mais lorsqu’il partage le destin d’un autre photon, un étrange phénomène se produit.

« Imaginez que j’ai deux photons intriqués, puis que je les éloigne l’un de l’autre », explique le physicien. « Je mesure le premier, qui va choisir son état complètement au hasard », donc à droite ou à gauche. Instantanément, l’autre photon placé à distance va systématiquement choisir de tourner dans l’autre sens. « Le truc incroyable, c’est que vous pouvez les éloigner autant que vous voulez : ils continuent à partager leur destin », explique Julien Broboff.

... mais une relation à distance

C’est précisément ce qu’a démontré Alain Aspect. Et à l’inverse, ce que refusait Albert Einstein. Le légendaire physicien d’origine allemande estimait que les deux photons devaient forcément échanger une information pour que l’un prenne systématiquement la direction opposée à l’autre, ou bien partager un secret dès le début, une variable cachée. Il devait donc s’écouler un instant minuscule, à peine mesurable, entre le moment où le premier photon était observé, et optait pour une direction et l’instant où le second faisait de même. Mais comment démontrer cette absolue simultanéité, ou son absence ?

« Alain Aspect a résolu le problème », raconte Julien Broboff, « en étant sûr qu’ils n’aient pas le temps de communiquer ». Le Nobel 2022 met en place en 1980 un dispositif qui ne laisse plus aucune place au doute, et démontre que même placés à douze mètres de distance, des photons intriqués continuent de partager un destin commun de façon instantanée, sans avoir à échanger des informations. L’intrication devient une réalité démontrée et irrémédiable. Le grand Albert Einstein avait tort, et les promesses de cette expérience sont vertigineuses.

Cryptographie, imagerie, mais surtout ordinateur quantique : l’intrication permet en effet d’ores et déjà de réaliser des performances spectaculaires. Le langage informatique repose sur des 1 et des 0 : en arrivant à mélanger superposition (le fait pour un photon de tourner à la fois vers la gauche et vers la droite) et intrication, les puissances de calculs obtenues sont sans comparaison.

« Imaginez qu’on arrive à intriquer non pas deux, mais soixante-dix photons », et dont on arriverait à stabiliser l’état, « on stockerait toute l’information produite par l’humanité ». Les défis restent immenses, mais les avancées continuent. La Chine n’est d’ailleurs pas en reste sur ce sujet : en 2017, elle a annoncé avoir testé l’intrication de deux photons… À plus de 1000 kilomètres de distance. L’héritage de l’expérience d’Alain Aspect.

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