https://www.blomig.com/2013/02/26/la-force-des-mots/

 

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Vous est-il arrivé d’expérimenter la force incroyable des mots ? Je voudrais partager avec vous une remarquable expérience qui m’est arrivée, et que j’ai eu la surprise de pouvoir analyser a posteriori.

Bien sûr, les mots et le langage restent notre manière la plus directe, la plus naturelle, de formuler nos pensées. En ce sens, ils présentent à  la fois un aspect négatif et un aspect positif : l’expression de notre pensée est contrainte par les mots, les concepts, les idées dont nous disposons, et d’un autre côté elle s’appuie et est rendue possible grâce à  ces mêmes mots (langage, mais aussi les idées déjà  formulées par d’autres). Nommer les choses les fait exister, les rend tangibles ; dans l’imperfection inhérente à  toute existence.

J’ai récemment découvert un autre aspect des mots, plus profond. Une sorte d’inertie et de puissance des mots, presque d’expression inconsciente par les mots. Une fois une idée formulée avec des mots définis, on peut découvrir que le choix des mots n’a pas été uniquement le fruit d’une plus ou moins bonne adéquation avec la pensée que nous souhaitions exprimer. Ou plutôt, et de manière complémentaire : la pensée qu’ils ont permis d’exprimer ne se résumait pas à  ces mots, qui n’étaient que des clefs pour continuer la réflexion. Des fils à  tirer, avec une logique interne.

L’exemple récent m’est venu dans le cadre de mon travail : j’ai produit, avec d’autres, une sorte de tableau des « vrais métiers de l’innovation », sorte de bestiaire mi-sérieux, mi-poétique des vrais fonctions que nécessite l’innovation au sein d’une entreprise. C’est en cours de finalisation, et passionnant.
Dans ce cadre, j’ai imaginé — et/ou réutilisé du déjà  connu – des noms — assez directs – pour ces vrais métiers, et surtout des sous-titres à  vocation plus évocatrice et ouverte. Mon métier, « animateur de communauté », s’est retrouvé affublé du sous-titre « Le discuteur de sens ». Pourquoi pas, et cela permet de mettre l’accent sur le rôle transverse, convivial, de discussion et d’échange du community manager. Bien sûr, cela n’en fait pas le tour (d’autant qu’à  chaque communauté son community manager).

Mais depuis, l’expression est repassée toute seule dans mon esprit, plusieurs fois : suis-je réellement un discuteur de sens ? L’expression est-elle adaptée à  mon rôle ? Celui qui discute, c’est aussi celui qui met en débat, qui questionne, qui doute. Et le sens, c’est le sens de l’action, la stratégie. Mais sur un deuxième niveau, plus inconscient probablement, se sont exprimées d’autres idées, qui résonnent autrement, qui font d’autre liens : le discuteur c’est aussi le philosophe, celui qui veut penser l’inconnu, et le sens c’est aussi le sens de la vie, de nos actes.
Et ce n’est pas un hasard si tout cela me parle : j’aime la philosophie, et je l’ai toujours aimé en partie pour une des questions fondamentales qu’elle pose à  l’être humain. La vie a-t-elle un sens ? Et si elle n’en a pas d’absolu, quel sens puis-je donner à  ma vie ? Je crois que cela sort à  un moment clé aussi de ma vie, au moment où je viens d’avoir un troisième enfant, où j’essaye d’imaginer mon avenir professionnel. Cette tension vers l’avenir, l’inconnu, ne suffit-elle pas à  expliquer le choix de l’expression « discuteur de sens » ? Mais cela m’a redonné aussi envie de travailler plus dur la philosophie, et la question du sens.

Oui : les mots qui sont sortis (« discuteur de sens ») n’étaient pas fortuits et pas forcément adaptés au rôle que je cherchais à  décrire (ils le sont quand même pas mal, je m’en aperçois en creusant le sujet). J’ai utilisé les mots qui me paraissaient pertinents pour me décrire, autant que mon rôle ou ma fonction. Projection involontaire et presque inévitable. Surprenante force des mots qui disent ce qu’on veut dire, mais aussi ce qu’on ne savait pas vouloir dire. Les mots disent ce que « ça » veut dire.

Ils servent donc aussi à  se révéler à  soi-même, pour peu qu’on leur accorde ce pouvoir (ce qui requiert un peu de lâcher-prise sur notre propre personne), et un peu d’attention.

Avez-vous déjà  connu ce genre de « révélation linguistique » ?

 

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