REPORTAGE - Symbole de l'érosion côtière et du changement climatique, l'immeuble Le Signal se rapproche inexorablement du rivage. Le chantier de démolition, qui a enfin débuté, devrait durer trois semaines.

Le Figaro Bordeaux

 

 

 

Elles sont souriantes toutes les trois, même si ce sont un peu leurs souvenirs qui vont disparaître sous les coups des pelleteuses. Ce vendredi, trois sœurs, Nicole, Colette et Annie, sont venues assister au début de la destruction de l'immeuble Le Signal, à Soulac-sur-Mer (Gironde). Le chantier commence près de dix ans après l'évacuation du lieu de tous ses habitants et devrait durer environ trois semaines.

Leur père avait acheté un appartement dans cette large bâtisse sur la dune en 1981. Depuis, elles y venaient tous les étés, «jusqu'à ce qu'on nous dise : prenez vos affaires et foutez le camp», raconte les trois sœurs, aujourd'hui âgées de 92, 81 et 79 ans. En 2014, après de nouvelles tempêtes qui ont rapproché dangereusement l'immeuble de l'océan, un arrêté de péril est pris : l'évacuation des occupants devient obligatoire. «Ils ont arraché les citernes de gaz, donc on n'a pas eu d'autre choix, on est parties, en pensant qu'on reviendrait, qu'une solution serait trouvée.» Mais le Signal n'allait plus jamais être habité, et un long processus administratif et judiciaire démarra.

Ce vendredi, deux ministres étaient présents dans cette station balnéaire de moins de 3000 habitants, rarement aussi animée en cette saison. Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, et Bérangère Couillard, secrétaire d'État chargée de l'Écologie et ancienne députée de la Gironde, ont tous les deux fait le déplacement, pour le démarrage de ce «chantier symbolique». Une visite officielle remarquée, tant cet immeuble en bord de mer est devenu, malgré lui, l'incarnation de la rapidité du changement climatique. «C'est un immeuble construit à 200 mètres du rivage», rappelle Christophe Béchu. Mais la plage est désormais à moins de dix mètres de cette imposante carcasse de béton.

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Après son évacuation, le Signal à l'abandon s'est retrouvé à la merci, non pas des flots, mais des pilleurs. Pendant des années, les propriétaires ont alors mené un véritable bras de fer avec l'État, pour pouvoir être indemnisés. Le Conseil d'État décide en 2018 que le fonds de prévention des risques naturels majeurs - dit fonds Barnier - ne peut pas être utilisé dans ce cas de figure. Mais avec le concours de parlementaires locaux, le dossier avance. L'ex-député de la Gironde, Benoît Simian, réussit à faire voter fin 2018 un amendement au projet de loi de finances pour indemniser les propriétaires.

«Deux préfets qui ont mouillé le maillot»

Présent ce vendredi, l'ancien élu se réjouit avec ironie de la présence des ministres à Soulac. «Je suis ravi qu'on ait deux membres du gouvernement, qui sont des convertis de dernière minute», sourit-il en rappelant que Bérangère Couillard était «la seule députée de Gironde qui n'avait pas cosigné cet amendement». Benoît Simian précise que l'indemnisation des habitants a été un parcours semé d'embûches, rendu possible grâce à «deux préfets qui ont mouillé le maillot» pour faire «respecter le vote du parlement» : Didier Lallement et Fabienne Buccio. Un soutien des représentants de l'État dont témoigne aussi Vincent Duprat, ancien propriétaire du Signal avec son épouse.

Mais la somme finalement perçue ne permettra pas aux anciens habitants de retrouver ce qu'ils ont perdu. «129.000 euros pour plus de 70m2 avec vue sur mer, si quelqu'un m'en trouve un autre, je le prends, mais pas les pieds dans l'eau», soupire, amère, Danièle Duprat, présente avec son mari, sa sœur et son beau-frère.

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Sur place ce vendredi, outre les habitants des alentours, le nouveau préfet de la Nouvelle-Aquitaine, Étienne Guyot, et le maire de la commune, Xavier Pintat, fils de Jean-François Pintat, ancien maire de Soulac, qui était en responsabilité lorsqu'il a été décidé de construire cet immeuble sur la dune, qui devait être le premier bâtiment d'un ensemble de treize barres dressées face à l'océan.

«Un soulagement pour le Médoc»

Incarnant la dimension transpartisane des enjeux de l'érosion côtière, deux parlementaires de la Gironde aux vues radicalement opposées ont fait le déplacement sur le chantier : Grégoire de Fournas, député Rassemblement national, et Monique de Marco, sénatrice écologiste. Cette dernière se dit encouragée par les propos tenus par Christophe Béchu depuis le début de la semaine.

«C'est la première fois que j'entends le ministre prendre conscience de l'emballement climatique», précise celle qui espère que «le gouvernement va comprendre qu'il y a des endroits où il va falloir ne pas construire de nouveaux EPR », l'élue rappelant notamment l'inondation de la centrale nucléaire girondine du Blayais en 1999.

Le député nationaliste évoque quant à lui «un symbole fort de l'érosion côtière et du périple judiciaire, administratif et politique entrepris ces dernières années», exprimant «un soulagement pour le Médoc de voir ce bâtiment démoli dans des conditions devenues acceptables pour tout le monde et notamment les propriétaires».

«On a réussi à trouver une solution», se félicite Christophe Béchu, après avoir symboliquement participé au premier coup de pelleteuse, arrachant un pan de la structure fantomatique de l'immeuble. «Ce qui se passe aujourd'hui témoigne de l'érosion du trait de côte, lequel s'accentue à cause du dérèglement climatique», explique le ministre. 975 communes sont concernées par l'érosion du trait de côte, détaille le membre du gouvernement, sur environ 20% des 20.000 kilomètres de littoral du pays. «L'érosion est plus forte en Gironde que dans le reste du pays», rappelle-t-il, évoquant la «nécessité d'avoir un plan national très puissant» à cet égard.

Pour faire face à cet enjeu majeur de lutte contre le dérèglement climatique et ses conséquences, la secrétaire d'État Bérangère Couillard a annoncé le lancement d'une concertation d'un an avec le Conseil national de la mer et des littoraux, présidé par la députée girondine Sophie Panonacle. Cet échange aura pour but d'évaluer les besoins et de recenser les projets mis en place pour lutter contre le recul du trait de côté. «La montée des eaux est inéluctable, donc forcément, il va falloir s'adapter», proclame la ministre.

En attendant que des mesures concrètes soient mises en place pour les autres habitations menacées par le recul du trait de côte sur le littoral français, le Signal, pionnier malgré lui, va donc bientôt disparaître de la dune. Après trois semaines de travaux, quinze jours seront nécessaires pour évacuer les gravats désamiantés, lesquels seront revalorisés pour d'autres travaux d'aménagement de la ville. Le milieu dunaire sera ensuite reconstitué et replanté, explique le maire de la commune. Un belvédère fera son apparition une fois la dune reformée. Près de cinquante ans après avoir été érigé, le Signal ne sera bientôt plus seulement un symbole, mais aussi un souvenir.

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