Il ne veut pas revenir à l’éducation de grand-papa où l’autoritarisme rigide et le peu d’intérêt pour l’enfant transformaient les foyers familiaux en «palais des claques». Mais Didier Pleux, psychothérapeute en rupture avec le discours ambiant, reproche à l’éducation bienveillante ou positive d’aujourd’hui son absence totale de bon sens. Non, dit-il en s’opposant à Françoise Dolto, le bébé n’est pas une personne à part entière, mais une personne en devenir à qui il faut enseigner des règles de vie.

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Et, non, poursuit-il en s’opposant à Boris Cyrulnik, tout ado dysfonctionnant n’a pas forcément manqué d’affection et de sécurité dans sa petite enfance. Aujourd'hui, ce dont les ados en crise ont le plus manqué, estime le clinicien qui les reçoit, c’est d’un apprentissage de la frustration et d’encouragements à dépasser les difficultés rencontrées. Didier Pleux détaille son approche dans L’Education bienveillante, ça suffit!, un ouvrage vif qui vient de paraître chez Odile Jacob.

Le mouton noir des médias

Il se présente comme le mouton noir des médias. Ce thérapeute adepte des thérapies cognitives et comportementales (TCC) s’exaspère du tout psychanalytique à la française et affirme être systématiquement zappé dans les journaux, à la radio et à la télé. Il avance pour preuves deux cas récents où, l’an dernier, après été avoir abondamment interviewé par L’Express et Le Point, ces deux titres auraient à peine restitué ses propos dans leur dossier consacré à l’éducation.

C’est que la France, freudienne et lacanienne, est fascinée par l’inconscient et aligne son approche éducative sur le seul principe du lien sécurisant dans la petite enfance, selon la théorie de l’attachement développée par John Bowlby et reprise par Boris Cyrulnik, regrette Didier Pleux. En corollaire, ce pays rejette toute approche plus comportementale, considérée comme «trop anglo-saxonne» pour les standards nationaux.

Non, l’enfant ne se régule pas tout seul

Or, lorsqu’il reçoit des ados en difficulté, le thérapeute constate rarement chez eux un déficit d’estime d’eux-mêmes qui aurait pris naissance dans les premières années de leur vie, mais plutôt une incapacité à gérer les revers quotidiens faute d’y avoir été habitués durant la croissance.

«Les partisans de Dolto estiment que les enfants et les adolescents entourés d’affection et de soins régulent d’eux-mêmes la balance entre devoirs et désirs. Je pense tout le contraire. Sans l’adulte pour les guider et leur refuser certains plaisirs, il n’y a aucune raison pour que les enfants et les adolescents ne choisissent pas tout le temps la facilité.»

Parents victimes du trend

Les parents ne sont pas responsables de cette incurie, précise Didier Pleux. Les géniteurs d’aujourd’hui croient sincèrement bien faire en offrant soutien inconditionnel et affection sans limites. L’ennui, c’est que cette éducation basée sur l’harmonie à tout prix épuise ces parents souvent submergés par leur vécu émotionnel et produit des enfants tellement conscients de leur importance qu’ils deviennent des tyrans.

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«Avant, jusque dans les années 1970, on réifiait les enfants, c’est-à-dire qu’ils étaient réduits au rang d’objets domestiques, à peine considérés. Maintenant, on les déifie. Ne pourrait-on pas trouver un juste milieu?» interroge celui qui est également docteur en psychologie du développement.

Amour et frustration

Pour Didier Pleux, la formule magique de toute éducation, véritable leitmotiv dans son essai, tient en deux mots: «amour et frustration». Une attitude qu’il n’a pas trouvée auprès de ses parents, maussades et absents, mais auprès d’un enseignant exigeant, M. Potel, lorsqu’il avait 8 ans. «Il était à la fois autoritaire et soutenant. Cette compréhension de toute ma personnalité, son engagement à élever chaque élève, sa volonté de me donner des limites traduisaient ce que j’attendais le plus: la rencontre d’un éducateur.»

Souvent, observe l’auteur, les parents très conciliants sont débordés par la colère de leurs enfants. Le thérapeute propose deux solutions. D’une part, assumer la rupture relationnelle temporaire. Un «file dans ta chambre!» vaut mieux qu’un câlin qui renforce le mauvais comportement. «Si à chaque rage de votre enfant vous le prenez dans les bras pour le consoler, il continuera à se mettre en colère pour avoir cette récompense», explique le thérapeute.

D’autre part, imposer une série de tâches contraignantes dès le plus jeune âge, comme ranger ses chaussures, mettre un papier à la poubelle, dresser la table, etc., de sorte que le chérubin comprenne que le foyer n’est pas qu’un temple du plaisir. «En général, le simple fait de demander ces petites corvées au quotidien structure le mental de l’enfant et limite les grandes colères», assure le clinicien.

Pas de dommages au cerveau

A propos de colères, l’auteur s’oppose à l’approche de Catherine Gueguen, pédiatre qui, dans Pour une enfance heureuse, avance, sur la base d’études scientifiques, que chaque colère «provoque des dommages irréversibles dans le cerveau de l’enfant».

Sceptique, Didier Pleux se range plutôt à l’avis du neuroscientifique Antonio Damasio pour qui «tout déséquilibre, voire tout bouleversement ou conflit neuronal, engendre un nouvel agencement de circuits neuronaux. C’est le fondement même de la plasticité du cerveau et de sa très grande capacité à s’adapter.» Ainsi, aucun chantage à la rage.

Non, le bébé n’est pas une personne

Autre grief de ce thérapeute à contre-courant? L’idée de Dolto selon laquelle un bébé est une personne. «Non, le bébé n’est pas une personne accomplie, mais une personne en devenir qui a besoin de la verticalité des parents pour se réaliser. Il est faux de dire que l’enfant est l’égal de l’adulte, car il revient à l’adulte de l’éduquer, de l’élever pour qu’il soit le moins vulnérable possible dans le monde actuel. Un monde que le parent connaît mieux, ce qui l’autorise à faire autorité.»

Comment se traduit la méthode «amour et frustration» dans le concret d’une journée? «L’enfant ne mange pas quand il veut, il ne choisit pas ses vêtements lui-même, il n’occupe pas tout l’espace du foyer, il est poli avec ses proches et les inconnus, et, surtout, il ne voit pas toutes ses demandes exaucées à la seconde près», énonce le spécialiste du développement.

L’action plutôt que l’empathie

Par ailleurs, dans la méthode Pleux, les parents écoutent, conseillent, mais ne vivent pas émotionnellement à la place de l’enfant. Lorsque, par exemple, l’enfant rentre de l’école en se plaignant d’avoir été exclu par ses camarades, les parents préféreront l’action à l’empathie. Plutôt que de s’exclamer: «Oh mon pauvre, c’est injuste!» et souffrir avec lui, préférer: «Qu’est-ce que tu pourrais imaginer pour réintégrer les jeux?»

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Didier Pleux préconise aussi l’inscription de l’enfant à des activités collectives, de loisir, d’aide et de partage, pour qu’il se confronte à d’autres vécus. Et si le petit souhaite arrêter une activité en cours d’année, il faut lui rappeler que «zapper n’est pas jouer». D’autant que le moment d’inconfort est souvent provisoire. Une fois l’orage passé, le participant pourra de nouveau beaucoup apprécier cette activité.

La règle, c’est la règle

De manière générale, le thérapeute réprouve la quête de sens très centrale dans l’éducation bienveillante et ses excès d’explications. «L’enfant sera souvent en surcommunication pour modifier les règles qui le dérangent. La démocratie, c’est bien pour des citoyens à capacités identiques. Dans la famille, les règles doivent être fixées par les adultes, qui les expliquent une fois et les appliquent ensuite. Et si les règles ne sont pas respectées par les enfants, ne pas hésiter à les sanctionner de manière mesurée. Encore une fois, la frustration est formatrice, elle fait partie de l’éducation.»