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Catégorie : Articles Publique
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Il est beaucoup plus simple de changer son nom de famille à partir de ce vendredi. Cette procédure offre la possibilité pour une personne majeure de choisir de porter le nom de sa mère, de son père ou les deux, dans l’ordre désiré. La fin d’un combat de longue haleine pour certains.

par Minh Dréan

publié le 30 juin 2022
 
 

«J’ai déjà posé ma journée du 1er juillet !» s’exclame, Anthony, 28 ans, qui souhaite changer de nom de famille depuis dix ans. Il n’est pas le seul. D’après un sondage Ifop de février 2022, 22 % des Français seraient intéressés par cette procédure. «On ne choisit pas son nom.» Désormais si, ou presque : toute personne majeure pourra changer son nom de famille, une fois dans sa vie, simplement en déclarant son choix à la mairie. Ce changement sera enregistré après un délai d’un mois de réflexion. Si la loi rend la procédure plus aisée, elle n’ouvre pas la possibilité de prendre n’importe quel nom : juste celui des parents.

Une procédure allégée par rapport à celle, longue et aléatoire, qui existait jusqu’alors et qui devait être motivée : nom de famille discrédité ou à consonance péjorative, désir de franciser son nom ou d’en empêcher son extinction… Pour Zahra, 24 ans, qui porte le double nom de ses parents, dont l’un à consonance arabe qui selon elle «pourrait lui porter préjudice sur le marché du travail», l’ancienne procédure aurait pu fonctionner. En revanche, les motifs dits «affectifs», pour ceux désirant abandonner le nom d’un parent violent, absent ou pour toute autre raisons personnelle, avaient «très peu de chance d’aboutir», rapporte Marine Gatineau-Dupré, fondatrice du collectif Portemonnom, qui a porté le projet de loi.

 

Des demandes refusées

Les demandes refusées, David, 40 ans, y était habitué. «J’ai pourtant tout essayé», rigole-t-il (jaune). D’abord, il tente le motif de l’abandon de domicile de son père, sans succès. Puis, il réitère sa demande en prouvant les idées racistes de «son géniteur», nouvel échec. Un espoir le gagne avec le début de l’affaire d’Outreau dans les années 2000, l’un des accusés porte le même nom que lui, ce qui pourrait lui faire du tort s’il était condamné. Mais l’accusé est acquitté et David continue de porter son fardeau. Dans la bataille, il perdra son allié, son frère, décédé il y a vingt-deux ans. Quant à sa mère, «elle a peur que cela crée une différence entre [eux], cela lui fait beaucoup de peine. Il n’en est rien», assure le quadragénaire qui changera de nom cet été. Il ne poussera pas la porte de la mairie de Marseille, où il réside, mais celle de «son village», en Corse, «en famille».

Cette difficulté, Véronique, 50 ans, y a été également confrontée. Alors qu’elle souhaitait se défaire du nom de son ancien beau-père qui a abusé sexuellement d’elle pendant plus de dix ans, sa demande est refusée, après un an et demi d’attente. «J’avais pourtant un dossier béton. J’en suis, littéralement et physiquement, tombée par terre.» Aujourd’hui, Véronique peine à trouver ses mots, tant la joie de «faire disparaître ce nom à tout jamais» devient grande.

Un enfant doit pouvoir se détacher des actes de ses parents

Un nom lourd à porter, Valentine (1), étudiante de 23 ans, a vécu cette situation. Face à la difficulté de changer de nom, la jeune femme tombe de haut : «Qui pouvait décider si j’étais légitime ou non ?» Valentine a coupé les ponts avec son père, dont elle porte le nom, incarcéré pour viol il y a plusieurs années. Changer de nom, elle y a longuement réfléchi. «Je pensais que c’était le seul lien qui me rattachait à ma demi-sœur, confie-t-elle. J’avais peur de devoir faire, aussi, le deuil de cette relation.» La jeune femme voit cette possibilité de changement comme un «aboutissement». «Un enfant devrait pouvoir se défaire des actes de ses parents», poursuit-elle.

Pour Anthony aussi, enlever le nom de son père est une étape de sa reconstruction. Ce dernier n’a jamais accepté l’homosexualité de son fils. «Porter le nom d’une personne qui vous a toujours rabaissé et qui ne vous a jamais aimé, c’est insupportable.» A l’été, ce n’est pas une, mais deux personnes qui changeront de nom : «Mon mari aussi va prendre le nom de ma mère, explique-t-il, ému. C’est le plus beau des hommages.»

Reconnaissance et héritage maternel

La possibilité de changer de nom ? Louise, étudiante de 23 ans n’y avait jamais vraiment songé jusqu’au jour où elle entend parler du projet de loi : «Je m’entends très bien avec mon père, et mes deux parents vivent ensemble, mais ma mère est aussi importante que mon père.» Il est donc «logique» pour elle de porter un double nom, sans compter «le ras-le-bol des injonctions patriarcales» associées au patronyme. Pour les enfants dont le père se remarie, la situation peut aussi se compliquer. «Je trouve incohérent de porter le même nom que ma belle-mère et pas celui de ma propre mère», glisse Clothilde, 25 ans, qui avait tenté en vain d’obtenir le nom de sa mère – ce qui lui sera désormais possible.

Enlever le nom d’un des parents, c’est aussi choisir celui de l’autre parent. David, qui souhaite prendre le nom de sa mère, et par extension celui de ses grands-parents, est particulièrement touché par la possibilité de transmettre ce nom à son fils de 7 ans. Avec cette loi, le changement de nom d’un adulte s’étendra de plein droit à ses enfants de moins de 13 ans. Au-delà, leur consentement sera nécessaire.

Mettre fin à une souffrance quotidienne

Une autre disposition vise, elle, à faciliter la vie des parents qui ne portent pas le même nom que leur enfant. La loi permet pour le parent qui n’a pas transmis son nom d’ajouter ce dernier au nom d’usage de leur enfant, sans avoir besoin de l’accord du second parent. Pour Estelle, 33 ans, la vie était devenue un casse-tête. Elle souhaitait que son enfant porte le double nom. «Hors de question», lui répond le père.

Séparés depuis plusieurs mois, le nom était devenu «un moyen de pression», explique-t-elle. «Les échanges devenaient de plus en plus difficiles… à tel point qu’aujourd’hui il fait l’objet d’une mesure d’éloignement à mon égard.» Si l’accord du père n’est plus nécessaire pour qu’Estelle ajoute son nom au nom d’usage de son enfant, elle sait qu’elle n’est pas au bout de ses peines, puisqu’elle sera tout de même obligée de le prévenir. Ce dernier peut alors saisir un juge aux affaires familiales pour s’y opposer. «J’ignore comment il va réagir. Mais maintenant la contrainte est pour lui», se rassure la jeune femme qui va faire la démarche début juillet. «Après ? Je vais partir en vacances avec mon fils, sans avoir peur qu’il puisse me le prendre et que, à chaque contrôle, on me demande de prouver que c’est le mien.»

(1) Là, c’est le prénom qui a été modifié.

 

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