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https://www.lefigaro.fr/histoire/qui-serait-le-roi-de-france-si-nous-en-avions-un-20230505

 
 

GRAND RÉCIT - Alors que le couronnement du roi d'Angleterre Charles III aura lieu samedi, enquête sur les ancêtres et les arguments des deux prétendants au trône de France, Louis de Bourbon et Jean d'Orléans. Leur rivalité plonge ses racines dans l'histoire.

Les Français s'apprêtent à regarder en masse le sacre de Charles III. «Pourquoi n'avons-nous pas ce bonheur, nous aussi?» se demanderont certains téléspectateurs. Le goût pour la grandeur monarchique reste vif au pays qui a guillotiné son roi en 1793.

 

Qui serait le roi de France, si nous avions un roi? Deux prétendants au trône sont en lice: Louis de Bourbon, duc d'Anjou, et Jean d'Orléans, duc de Vendôme. En réalité, les deux princes sont des Capétiens de la branche des Bourbons, c'est-à-dire des descendants d'Henri IV. Mais le premier, espagnol, descend en ligne directe de Louis XIV par son petit-fils, devenu roi d'Espagne en 1700. Tandis que le second est l'héritier de la branche cadette des Bourbons, les Orléans, et du dernier roi qui a régné sur la France, Louis-Philippe, roi des Français de 1830 à 1848. Chacun des deux prétendants a ses partisans et des arguments à faire valoir.

Tout au long du XVIIIe siècle, le roi de France regarde avec méfiance son cousin Orléans, premier prince du sang, trop près du trône pour ne pas en rêver

La rivalité entre les deux branches de la maison de France naît au XVIIe siècle. Louis XIII, qui meurt en 1643, a deux fils. L'aîné monte sur le trône sous le nom de Louis XIV cependant que son frère cadet, Philippe, appelé Monsieur à la cour, reçoit le titre de duc d'Orléans. Maintenu à l'écart du pouvoir par le roi-soleil, marié à Henriette d'Angleterre puis, après sa mort, à la princesse Palatine, il a lui-même un fils qui parviendra à l'âge adulte et fonde ainsi une dynastie. Ce fils de Philippe d'Orléans, neveu de Louis XIV, n'est autre que le célèbre Régent, qui gouvernera la France pendant la minorité de Louis XV, de 1715 à 1723, et jusqu'à sa mort. Puis, le jeune roi ayant une santé fragile, son nouveau premier ministre le marie en hâte dès l'âge de 15 ans afin qu'il ait un descendant mâle (en vertu de la loi salique, les filles étaient exclues de la succession au trône) et que la couronne ne passe pas aux Orléans.

Tout au long du XVIIIe siècle, le roi de France regarde avec méfiance son cousin Orléans, premier prince du sang, trop près du trône pour ne pas en rêver. Les Orléans vivront, pour l'essentiel, au Palais-Royal, donné en apanage par Louis XIV à son frère, et qui restera la demeure de la branche cadette de la famille royale jusqu'en 1848. Sous Louis XVI, Louis-Philippe d'Orléans affiche son opposition au monarque en plusieurs occasions (bras de fer avec les parlements, réclamation de la convocation des États généraux) et le roi l'exile sur ses terres. À l'instigation du duc d'Orléans, les jardins du Palais-Royal, qui lui appartiennent et où la police n'a pas le droit d'entrer, deviennent le lieu où se rassemblent tous les contestataires de la monarchie absolue. C'est là que Camille Desmoulins prêche l'insurrection aux Parisiens en juillet 1789.

Député de la noblesse aux États généraux, le prince se range dans le camp des partisans de la Révolution. Il intrigue pour que les députés évincent Louis XVI et le proclament lieutenant général du royaume ou Régent. En coulisses, le secrétaire du duc d'Orléans, Choderlos de Laclos, l'auteur du célèbre roman épistolaire Les Liaisons dangereuses, se démène pour son maître. Et on accuse le premier prince du sang d'avoir poussé à la roue lors des «journées d'octobre» 1789, qui voient le retour forcé de Louis XVI, Marie-Antoinette et le dauphin à Paris.

L'ancien premier prince du sang, qui se fait appeler désormais « Philippe-Égalité », vote la mort et l'exécution sans sursis de son cousin Louis XVI

Si le rôle du prince dans les «journées d'octobre» demeure controversé, Mirabeau, le grand ténor de l'Assemblée constituante, semble avoir envisagé de soutenir «la solution Orléans», mais ce scénario n'aboutit pas. Puis la Révolution se radicalise. Les ultras fustigent «la faction Orléans» et le cousin de Louis XVI choisit la surenchère pour se disculper de tout soupçon. Quelques semaines après la chute de la monarchie, le 10 août 1792, il est élu député à la Convention et siège sur les bancs de la Montagne. Puis le 21 janvier 1793, intervient la grande déchirure entre les deux branches des Bourbons: l'ancien premier prince du sang, qui se fait appeler désormais «Philippe-Égalité», vote la mort et l'exécution sans sursis de son cousin Louis XVI.

Pour les partisans des Bourbons, et ceci tout au long du XIXe siècle, les Orléans seront dorénavant, avant tout, les descendants d'un régicide, c'est-à-dire du coauteur d'un crime impardonnable. Le vote de «Philippe-Égalité» ne l'empêche pas d'être à son tour condamné à mort et exécuté (novembre 1793), sept mois après que son fils, le futur roi Louis-Philippe, qui servait dans les armées de la Révolution en guerre contre l'Autriche, eut passé à l'ennemi avec le général Dumouriez.

C'est ce choc intellectuel différé entre deux mondes, qui donne aux luttes d'idées de la presse et des Chambres un relief incomparable et tel que jamais plus notre pays n'en connaîtra de pareil

Julien Gracq

Lors de la Restauration, en 1814 puis, après les Cent-Jours, de 1815 à 1830, les Bourbons s'efforcent de «renouer la chaîne des temps, que de funestes écarts avaient interrompue», suivant la formule toute diplomatique de Louis XVIII dans la Charte. La monarchie restaurée va-t-elle réussir à concilier l'ancien monde et le legs juridique et institutionnel de la Révolution et de l'Empire? «C'est ce choc intellectuel différé entre deux mondes, qui donne aux luttes d'idées de la presse et des Chambres un relief incomparable et tel que jamais plus notre pays n'en connaîtra de pareil», a souligné Julien Gracq. Et en effet, qui se plonge dans les controverses et l'éloquence de l'époque est, souvent, frappé par la fermeté de la pensée unie à la beauté du style. La France s'habitue alors à un régime semi-parlementaire. Le suffrage censitaire est beaucoup plus restreint que lors de l'expérience de monarchie constitutionnelle de 1791, mais Louis XVIII a accepté sans ergoter l'essentiel des acquis de la Révolution: l'égalité civile, la liberté individuelle et de culte, la suprématie du talent pour l'accès aux emplois publics, une représentation nationale et la garantie des biens nationaux.

 

Même certains ultras, si tournés en ridicule par la postérité, sont conscients du caractère irréversible de la déchirure révolutionnaire. À la tribune de la Chambre des députés, le 15 mars 1830, Félix de Conny s'exclame crânement: «Oui! Nous acceptons ce titre de contre-révolutionnaires que nous donnent nos adversaires; ce titre est écrit sur les actes de proscriptions de nos pères; ce titre, on le leur donna quand ils montaient à l'échafaud; ce titre, nous l'acceptons et nous le léguerons à nos enfants.» Pourtant il ajoute: «Mais, si vous êtes contre-révolutionnaires, vous voulez, nous demande-t-on, le retour de l'Ancien Régime. Je répondrai avec la même franchise: non, nous ne le voulons pas; nous ne le voulons pas, car il est impossible; nous ne voulons pas ce que le temps a détruit et détruit sans retour.» Les idées nouvelles ont fait leur œuvre et imprégné jusqu'à leurs adversaires les plus résolus.

Inutile Cassandre, j'ai assez fatigué le trône et la pairie de mes avertissements dédaignés. Il ne me reste qu'à m'asseoir sur les débris d'un naufrage que j'ai tant de fois prédit

Chateaubriand, dernier discours à la Chambre des Paris, août 1830

L'entêtement, l'autoritarisme et les maladresses de Charles X, qui a succédé à Louis XVIII en 1824, n'en entraînent pas moins la Révolution de juillet 1830. Après trois jours d'insurrection, le 30 juillet, les députés libéraux confient la lieutenance générale du royaume au duc d'Orléans, qui l'accepte le lendemain. Flanqué du vieux La Fayette, le fils de «Philippe-Égalité» paraît au balcon de l'hôtel de ville de Paris, les trois couleurs à la main, et est acclamé par la foule. Le 2 août, Charles X, retranché au château de Rambouillet, abdique en faveur de son petit-fils, le duc de Bordeaux, futur comte de Chambord, alors âgé de 9 ans, qu'il proclame roi de France sous le nom d'Henri V. Mais l'heure du compromis est passé.

Charles X doit prendre le chemin de l'exil tandis que le duc d'Orléans prête serment de respecter la Charte devant députés et pairs du royaume, qui le proclament roi des Français (9 août). Après un discours de grand style, Chateaubriand, membre de la Chambre des pairs, démissionne. «Inutile Cassandre, s'écrie-t-il, j'ai assez fatigué le trône et la pairie de mes avertissements dédaignés. Il ne me reste qu'à m'asseoir sur les débris d'un naufrage que j'ai tant de fois prédit», déclare l'écrivain à la tribune, avant de quitter l'hémicycle pour n'y plus jamais revenir.

D'autres parlementaires légitimistes, c'est-à-dire partisans de la branche aînée des Bourbons, font de même. «Veuillez lui faire connaître que je refuse solennellement le serment [de fidélité à Louis-Philippe] que, dans une de ses dernières séances, la Chambre a prescrit à ses membres», écrit ainsi Félix de Conny. «Ce refus m'est commandé à la fois par mes principes politiques, par le souvenir de mes anciens serments, et par le respect que je dois au malheur.»

Victor Hugo fut tour à tour légitimiste, orléaniste et républicain

Les légitimistes ne cesseront d'accabler Louis-Philippe de leur mépris et, plus tard, lui préfèreront souvent la République ou le Second Empire. Lors de la Révolution de février 1848, le chef du parti légitimiste, Berryer, jubile lorsqu'il voit Louis-Philippe contraint d'abdiquer comme Charles X 18 ans plus tôt. Il fait tout, à la Chambre, pour s'opposer à ce que les députés confient la régence à la fille aînée de Louis-Philippe, la duchesse d'Orléans, qui se présente devant eux avec ses deux fils, titrés comte de Paris et duc de Chartres, et âgés de 9 et 7 ans. Tocqueville, légitimiste dans sa jeunesse (il avait pleuré en août 1830 en voyant le départ de Charles X en exil) puis orléaniste de raison, siégeait lui aussi à la Chambre, aux côtés de Berryer. Et il a raconté avec amertume, dans ses Souvenirs de la Révolution de 1848, comment le chef des députés légitimistes a choisi, en ces heures incertaines, la politique du pire.

Ces querelles dynastiques nous sont devenues très lointaines, presque incompréhensibles. Elles étaient, à l'époque, pour de nombreux Français, investies d'une charge émotionnelle puissante, indissociable de leur histoire personnelle ou familiale. Victor Hugo fut tour à tour légitimiste, orléaniste et républicain. En 1820, il avait fait ses premiers pas dans la carrière littéraire en composant un poème en hommage au duc de Berry assassiné par un fanatique. Quarante-deux ans plus tard, dans Les Misérables , le géant des lettres, désormais éloigné des idées monarchiques, prend soin d'avertir son lecteur au détour d'un chapitre: s'il va évoquer les salons ultras de la Restauration dans les pages qui suivent, c'est «sans aucune idée amère ou dérisoire. Des souvenirs affectueux et respectueux, car ils touchent à sa mère, l'attachent à ce passé».

Français, Je suis au milieu de vous. Vous m'avez ouvert les portes de la France, et je n'ai pu me refuser le bonheur de revoir ma patrie

Le comte de Chambord, manifeste de juillet 1871

L'effondrement du Second Empire et la proclamation de la République (4 septembre 1870) posent de nouveau la question d'une restauration. Les Français, aux législatives de février 1871, élisent une majorité de députés monarchistes, légitimistes et orléanistes. En juillet 1871, après la Commune, le comte de Chambord, petit-fils de Charles X, revenu d'exil, rend public un manifeste qui ne manque pas d'allure: «Français, Je suis au milieu de vous. Vous m'avez ouvert les portes de la France, et je n'ai pu me refuser le bonheur de revoir ma patrie». Le prétendant esquisse son programme: « Dieu aidant, nous fonderons ensemble, et quand vous le voudrez, sur les larges assises de la décentralisation administrative et des franchises locales, un gouvernement conforme aux besoins réels du pays. Nous donnerons pour garantie à ces libertés politiques auxquelles tout peuple chrétien a droit, le suffrage universel honnêtement pratiqué et le contrôle des deux Chambres (…)». Le comte de Chambord assure de sa sollicitude «les classes laborieuses», «ouvriers des champs et des villes, dont le sort a fait l'objet de mes plus vives préoccupations et de mes plus chères études».

Arrive ensuite le sujet qui fâche. Sommé par les orléanistes d'abandonner le drapeau blanc pour adopter le drapeau tricolore, Chambord refuse. Il en fait une question d'honneur: «Je suis et je veux être de mon temps; je rends un sincère hommage à toutes ses grandeurs et, quelle que fut la couleur du drapeau sous lequel marchaient nos soldats, j'ai admiré leur héroïsme, et rendu grâce à Dieu de tout ce que leur bravoure ajoutait au trésor des gloires de la France. Entre vous et moi, il ne doit subsister ni malentendu ni arrière-pensée. Non, je ne laisserai pas, parce que l'ignorance ou la crédulité auront parlé de privilèges, d'absolutisme et d'intolérance, que sais-je encore? de dîme, de droits féodaux, fantômes que la plus odieuse mauvaise foi essaie de ressusciter à vos yeux, je ne laisserai pas arracher de mes mains l'étendard d'Henri IV, de François Ier et de Jeanne d'Arc.» Et Chambord de conclure: «Je l'ai reçu comme un dépôt sacré du vieux Roi mon aïeul, mourant en exil; il a toujours été pour moi inséparable du souvenir de la patrie absente; il a flotté sur mon berceau, je veux qu'il ombrage ma tombe. Dans les plis glorieux de cet étendard sans tache, je vous apporterai l'ordre et la liberté. Français, Henri V ne peut abandonner le drapeau blanc d'Henri IV.»

La controverse juridique fait rage entre orléanistes et légitimistes pour déterminer qui est le « vrai » prétendant au trône de France

L'union entre légitimistes et orléanistes autour de Chambord étant impossible, les députés confient le pouvoir exécutif au maréchal de Mac-Mahon (mars 1873). Puis ils lui accordent le titre de président de la République pour un septennat (novembre 1873). Ce choix d'un mandat présidentiel de sept ans est dicté par un calcul sur l'espérance de vie présumée du comte de Chambord, alors âgé de 52 ans. Les orléanistes espèrent que, pendant que Mac-Mahon, monarchiste de cœur, assure l'intérim à l'Elysée, la mort de Chambord permette aux légitimistes, en l'absence d'héritier mâle du défunt, de reporter leur fidélité sur le comte de Paris. L'accord de tous les monarchistes derrière le même prétendant serait ainsi réalisé et la restauration dès lors possible. Un mot court les salons parisiens: «Il faut que la providence ouvre les yeux du prince (Chambord) ou les lui ferme à jamais». Mais l'évolution de l'opinion en faveur d'une république – alors conservatrice – va ruiner ces espoirs.

Depuis, la controverse juridique fait rage entre orléanistes et légitimistes pour déterminer qui est le «vrai» prétendant au trône de France. On l'a dit, Chambord, petit-fils de Charles X, est mort sans enfants en 1883. Mais si la lignée des descendants directs français de Louis XIV est éteinte, il existe aussi des descendants espagnols du Grand Roi. En 1700, Louis XIV a en effet accepté le testament du duc d'Espagne, qui, faute d'avoir un fils, désignait le petit-fils du roi soleil, le duc d'Anjou, comme son successeur. L'intéressé était monté sur le trône d'Espagne sous le nom de Philippe V. Et, au terme d'une guerre européenne déclenchée par cet évènement, les puissances européennes hostiles à la France avaient reconnu le petit-fils de Louis XIV comme le roi d'Espagne au traité d'Utrecht (1713) . En contrepartie, l'impétrant avait renoncé à ses droits à la couronne de France.

Ce que nos yeux ont vu de plus invraisemblable, depuis 1870, ce n'est pas le téléphone, l'automobile, le radium, le télégraphe sans fil, ni même l'aéroplane; ce qu'il y a de plus invraisemblable, c'est que la république ait pu durer

Arthur Meyer, directeur du journal monarchiste «Le Gaulois», en 1912

Cette renonciation est-elle valide? Oui, répondent les orléanistes, qui arguent que la renonciation a été sincère, librement consentie, et même répétée dans un traité ultérieur. Non, rétorquent les légitimistes. Pour eux, la couronne est «indisponible». Un prétendant ne peut pas renoncer à ses droits sur elle. La renonciation de Philippe V est donc juridiquement nulle. Et ses descendants successifs sont ainsi, depuis 1883, les prétendants légitimes. D'autant que la nationalité française de l'intéressé n'a jamais été une loi fondamentale du royaume.

 

Depuis la Belle Époque, la majorité des monarchistes soutient le prince d'Orléans (qui, de génération en génération, porte souvent le titre de comte de Paris, mais pas toujours). Une minorité significative suit le prétendant de la branche aînée des Bourbons, quoiqu'il soit espagnol.

Alors que la IIIe République se raffermit, et adopte une loi qui contraint à l'exil les princes des familles ayant régné sur la France (1886), certains royalistes se rallient à la République de guerre lasse, tout en demeurant monarchistes de cœur. C'est aussi le cas de nombreux catholiques, par loyauté et déférence envers le pape Léon XIII : dans son encyclique Au milieu des sollicitudes (1892), le souverain pontife a exhorté les catholiques français au ralliement. Le légitimiste Albert de Mun, catholique social alors célèbre, député du Morbihan puis du Finistère pendant 36 ans, accepte ainsi la République tout en publiant en 1910, parvenu à l'âge de la maturité, un ouvrage au titre mélancolique : Les dernières heures du drapeau blanc. Le père du général de Gaulle, qui avait démissionné du ministère de l'Intérieur pour ne pas cautionner la politique anticléricale des républicains, se définissait lui aussi comme un «monarchiste de regret». Il est permis de penser qu'il a d'autant plus encouragé le choix d'une carrière d'officier par son fils qu'elle permettait de servir la France plus encore que le régime républicain.

Tous ces monarchistes de cœur, qui lisent souvent Le Figaro à l'époque, auraient pu cosigner ce jugement d'Arthur Meyer, directeur du journal monarchiste Le Gaulois, en 1912: «Ce que nos yeux ont vu de plus invraisemblable, depuis 1870, ce n'est pas le téléphone, l'automobile, le radium, le télégraphe sans fil, ni même l'aéroplane; ce qu'il y a de plus invraisemblable, c'est que la république ait pu durer».

Le pape condamne l'Action française en 1926, puis Jean d'Orléans désavoue Maurras à son tour et rompt avec lui en 1937

Parmi les différentes sensibilités monarchistes fidèles aux Orléans, qui ont souvent journaux, clubs et cercles militants, l'Action française de Charles Maurras, fondée en 1899, pose un problème au prétendant. Il est sensible au rayonnement intellectuel du journal de l'Action française, à son prestige auprès d'une fraction de la jeunesse étudiante et à la stature de son chroniqueur de politique étrangère, Jacques Bainville. Mais la conception maurassienne de la monarchie, la raideur doctrinale de Maurras, sa violence verbale et le goût de ses jeunes militants, les Camelots du roi, pour les batailles de rue ne risquent-ils pas de nuire à sa cause? Le pape condamne l'Action française en 1926, puis, après des années de tensions, Jean d'Orléans désavoue Maurras à son tour et rompt avec lui en 1937.

Le prétendant, qui vit en Belgique avec sa famille, n'en reçoit pas moins volontiers des étudiants français prometteurs qui l'ont sollicité et font le voyage depuis Paris pour le rencontrer. En 1939, il accorde ainsi une audience, à leur demande, à trois jeunes gens dont on reparlera: François Mitterrand, André Bettencourt et François Dalle. Les trois amis inséparables conserveront un excellent souvenir de leur rencontre avec Jean d'Orléans.

Pendant la guerre, le comte de Paris a estimé de son devoir, vu les circonstances, d'entreprendre de jouer un rôle public

Henri d'Orléans, devenu le prétendant à la mort de son père en août 1940, a été connu de générations de Français sous son titre de comte de Paris, jusqu'à sa mort en 1999 à l'âge de 90 ans. L'homme a inspiré les sentiments les plus variés aux Français pour qui les princes restent dépositaires d'un legs historique précieux. Pendant la guerre, après avoir été autorisé à servir dans la Légion étrangère en 1939-1940, le comte de Paris a estimé de son devoir, vu les circonstances, d'entreprendre de jouer un rôle public. Il se rend à Vichy et rencontre Pierre Laval, qui s'en débarrasse en lui proposant de devenir… ministre du Ravitaillement, offre que le prince ne peut que décliner.

Présent à Alger en décembre 1942, après le débarquement anglo-américain en Afrique du nord, le comte de Paris est accusé par certains historiens, comme Alain Decaux, d'avoir accepté le projet d'assassiner l'amiral Darlan qu'aurait conçu le résistant royaliste d'Astier de la Vigerie. Selon cette théorie, D'Astier aurait eu l'objectif chimérique de voir le comte de Paris succéder à Darlan comme détenteur de l'autorité française en Afrique du nord et conciliateur entre De Gaulle et son rival, le général Giraud. Souvent interrogé sur cette affaire après-guerre, Henri d'Orléans a toujours affirmé qu'il n'avait en aucun cas consenti au meurtre de Darlan, tué le 24 décembre 1942 par un jeune résistant de 20 ans, Fernand Bonnier de La Chapelle, aussitôt condamné à mort par un tribunal militaire et fusillé.

Cinq ans après la fin de la guerre, en 1950, la loi d'exil des descendants des familles ayant régné sur la France est abrogée à l'initiative du député du Morbihan Paul Hutin-Degrées, ancienne figure de la droite conservatrice et catholique des années Trente. Le comte de Paris et sa famille peuvent ainsi regagner leur pays et s'installent dans une propriété à Louveciennes (Yvelines actuelles).

L'autre épisode marquant de sa vie publique tient à ses relations avec le général de Gaulle. Lorsque le premier volume des Mémoires de guerre, L'Appel, 1940-1942, paraît en 1954 chez Plon, l'homme du 18 Juin lui adresse le deuxième exemplaire sorti de presse et dédicacé. Le premier exemplaire a eu pour destinataire le pape Pie XII, le troisième le président de la République, René Coty et le quatrième la reine d'Angleterre, Elizabeth II.

Sans doute De Gaulle a-t-il exprimé au comte de Paris ses regrets devant la rupture de la continuité historique qu'a représentée la chute de la monarchie

 

Revenu au pouvoir en 1958, De Gaulle a-t-il vraiment envisagé que le comte de Paris pourrait lui succéder comme président de la République en 1965 puis, au terme de son mandat «républicain», engager une restauration avec l'assentiment populaire? C'est très douteux, mais le prétendant au trône de France l'a cru. Sans doute, lors des entretiens entre les deux hommes, De Gaulle lui a-t-il exprimé ses regrets devant la rupture de la continuité historique qu'a représentée la chute de la monarchie, et songé à voix haute avec mélancolie à ce qui aurait pu advenir. Peut-être a-t-il encouragé le prétendant à se faire mieux connaître des Français. Mais guère davantage.

Les dernières décennies de la vie d'Henri d'Orléans ont été marquées par sa volonté opiniâtre de vendre une grande partie du riche patrimoine familial qu'avait reconstitué le futur roi Louis-Philippe à partir de son retour d'exil en 1814. Le comte de Paris a aussi entrepris de déshériter ses onze enfants en confiant ce qui demeurait des biens des Orléans à la fondation Saint-Louis, qu'il a fondée en 1974. La fondation Saint-Louis s'est substituée à la société civile du domaine de Dreux, créé en 1886 pour recueillir en indivision l'essentiel du patrimoine des Orléans (le château d'Amboise, la chapelle royale de Dreux, etc.) contraints de quitter la France après le vote de la loi d'exil. Un conflit familial très pénible, qui n'est pas éteint aujourd'hui encore, a alors éclaté. Ce grand déballage, aggravé par une bataille judiciaire entre ses protagonistes, a été largement relaté par les médias et a terni le prestige des Orléans dans l'opinion, pourtant leur bien le plus précieux à l'âge de la démocratie.

Le sérieux et la dignité du prince permet à ses partisans d'espérer que les Orléans retrouveront grâce à lui une meilleure image publique

Le prétendant actuel, Jean d'Orléans, duc de Vendôme, âgé de 57 ans – le petit-fils du comte de Paris qui avait entrepris de déshériter ses enfants – s'emploie à rétablir la réputation de sa dynastie. Marié à Philomena de Tornos y Steinhart, d'ascendance espagnole et autrichienne, le prince au regard bleu azur a cinq enfants. La famille a longtemps vécu au domaine royal de Dreux, géré par la fondation Saint-Louis, jusqu'à ce que le conflit persistant du prétendant avec la fondation ne la conduise à s'installer dans l'Aude. Après ses longues études (il est notamment titulaire d'un MBA en administration des affaires obtenu dans une université américaine), son service militaire, un passage dans le conseil et une carrière dans la banque, Jean d'Orléans se consacre à la gestion des 2500 hectares de la forêt du Nouvion-en-Thiérache, dans l'Aisne, que lui a léguée sa grand-mère, la comtesse de Paris, séparée de son mari, afin d'assurer l'indépendance financière de son petit-fils lésé par les choix de son grand-père. Le sérieux et la dignité du prince actuel, aux interventions publiques parcimonieuses et réfléchies, permet à ses partisans d'espérer que les Orléans retrouveront grâce à lui une meilleure image publique.

De l'autre côté des Pyrénées, pour sa part, Louis de Bourbon, duc d'Anjou, franco-espagnol âgé de 49 ans et descendant en ligne directe de Louis XIV, défend les couleurs de la branche aînée des Capétiens. Par son père, il est l'arrière-petit-fils du roi d'Espagne Alphonse XIII (qui a quitté le trône sans abdiquer formellement en 1931) et le cousin germain du roi d'Espagne actuel, Philippe VI. Sa mère est la petite-fille du général Franco. Son arrière-petit-fils est intervenu dans le débat politique espagnol pour s'opposer fortement à la «loi de mémoire démocratique» adoptée en 2022 par la gauche au sujet de la guerre civile espagnole et de la mémoire du régime franquiste. Et il a accepté de succéder à sa grand-mère, après sa mort en 2017, comme président d'honneur de la Fondation nationale Francisco Franco, qui entend défendre la mémoire du Caudillo.

Financier aux allures de playboy latin, grand sportif, jet-setteur d'apparence épanoui, Louis de Bourbon a eu pourtant une enfance marquée par le malheur

Financier aux allures de playboy latin, grand sportif, jet-setteur d'apparence épanoui, Louis de Bourbon a eu pourtant une enfance marquée par le malheur: après un grave accident de voiture survenu alors qu'il avait neuf ans, en 1984, il perd son frère aîné tandis que lui-même demeure longtemps dans le coma. Puis son père est tué dans un accident de ski en 1989. Louis est alors propulsé chef de la maison de Bourbon à l'âge de 14 ans. Appelé «Louis XX» par les légitimistes, il est marié à Maria-Margarita Vargas Santaella, riche héritière vénézuélienne. Le couple a quatre enfants et vit à Madrid. «C'est un héritage culturel que je porte, ce n'est pas moi qui l'ai choisi, déclarait Louis de Bourbon à la chaîne KTO en 2017. Mais je me sens bien et je suis fier de le porter.» «Je ne prétends pas, je suis », aime aussi à dire le prince avec une pointe d'accent espagnol pour expliquer pourquoi il réfute le qualificatif de prétendant. Il est notable, enfin, que comme son cousin Orléans, mais avec plus d'insistance, Louis de Bourbon a apporté son soutien aux gilets jaunes au début du mouvement.

Tels sont les deux hommes, reliés par le lien du sang à de nombreuses têtes couronnées d'Europe et familiers des pages people des magazines, que l'histoire désigne comme les successeurs possibles des rois de France (sans parler du prétendant au trône impérial, le prince Napoléon). Si l'approche juridique du sujet donne des arguments puissants aux Bourbons, la qualité plus «nationale» de la dynastie des Orléans demeure pour elle un atout. Dans ce choc entre deux légitimités, le choix populaire, si par aventure il venait à s'exprimer, aurait le dernier mot.

 
 
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