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PORTRAIT – A 27 ans, la skieuse américaine n'en finit plus d'écrire sa légende. Celle d'une immense championne, mais aussi d'une jeune femme qui a dû surmonter diverses épreuves.

Le 16 février dernier, dans l'aire d'arrivée du Roc de Fer de Méribel. Pendant de longs instants, Mikaela Shiffrin reste étendue dans la neige. Submergée d'émotions. À 27 ans, l'Américaine venait juste de remporter le titre mondial du géant, le dernier qui manquait encore à son palmarès dans la discipline. Une victoire à la portée bien plus importante qu'une simple médaille d'or venant se lover autour de son cou. De la voir, elle si souvent décrite comme impénétrable après ses innombrables succès, fendre l'armure aux yeux de tous en disait long sur son bonheur. Et son soulagement. Un an après des Jeux olympiques de Pékin achevés sans la moindre médaille, un échec qui l'a durablement marquée, mais dont elle est parvenue à s'affranchir cette saison en brillant sur les Mondiaux de Courchevel-Méribel – un titre donc en géant et deux médailles d'argent en slalom et super G – et, plus encore, en égalant le mythique record d'Ingemar Stenmark de victoires en Coupe du monde.

 

En décrochant samedi son 87e succès lors du slalom disputé à Are, Mikaela Shiffrin a écrit un nouveau chapitre à sa légende. Qui avait débuté le 20 décembre 2012, ici-même sur la piste suédoise, lorsqu'une jeune skieuse de 17 ans et quelques mois avait remporté le slalom devant la skieuse locale Frida Hansdotter et la Slovène Tina Maze. Cela aurait pu être un coup d'éclat sans lendemain. Sauf que derrière, l'Américaine récidivait à Zagreb, puis à Flachau et Lenzerheide pour remporter le globe de cristal de la discipline. Non sans en avoir aussi au passage décrocher le titre mondial à Schladming, le premier des quatre qu'elle allait conquérir consécutivement entre les piquets. Une formidable hégémonie. La chronique, aussi, d'un succès annoncé pour cette jeune femme biberonnée à la poudreuse des pistes de Vail, dans le Colorado, où elle nait et dévale ses premières pentes à l'âge de 5 ans. Logique, dans une famille de skieurs, avec des parents et un grand frère de trois ans son aîné, Taylor, adeptes des spatules.

Déjà sur le podium en Coupe du monde à 16 ans

Très vite, la petite Mikaela montre des dispositions inouïes, et une volonté de réussir qui ne la quittera plus jamais. Ainsi, sur son casque, elle grave le sigle «ABFTTB» pour «Always be faster than the boys» (toujours être plus rapide que les garçons), sa devise en souvenir d'un message d'encouragement qu'elle avait reçu de la part de l'ancienne skieuse américaine Heidi Voelker. Pour progresser, à 8 ans, elle décide de quitter le Colorado pour le Vermont, où elle intègre la Burke Mountain Academy. Sans pour autant s'éloigner de son père Jeff et de sa mère Eileen. Dès lors, la voilà lancée sur les pistes de la gloire avec de multiples succès en Whistler Cup ou au Trofeo Topolino, des compétitions majeures chez les jeunes. Mais la catégorie junior, Shiffrin ne va guère s'y attarder puisque dès l'âge de 16 ans, elle intègre le circuit Coupe du monde, s'offrant même un premier podium (3e) en slalom à Linz malgré le handicap d'être partie avec le dossard 40.

Depuis toute petite, elle a toujours skié jusqu'à la tombée de la nuit. Il fallait se battre pour la faire rentrer à la maison.

Eileen Shiffrin, sa mère

Dotée d'un toucher de neige exceptionnel, et quelque part inné, l'Américaine a su y ajouter une technique en perpétuelle évolution. Rien d'étonnant pour cette amoureuse transie de ski et bosseuse acharnée, comme le résumait sa mère. «Depuis toute petite, elle a toujours skié jusqu'à la tombée de la nuit. Il fallait se battre pour la faire rentrer à la maison.» D'une stabilité incroyable sur le haut du corps, Shiffrin donne parfois l'impression de voler entre les piquets du slalom, sa spécialité avec 52 victoires en Coupe du monde, mais aussi entre les portes du géant (19 succès) et même en super G (5 succès) ou en descente (3 succès) pour cette formidable polyvalente capable de s'imposer sur chaque discipline. Championne olympique en slalom à Sotchi en 2014, puis du géant quatre ans plus tard à Pyeongchang, victorieuse de trois gros globes de cristal récompensant la première du classement général de la Coupe du monde de 2017 à 2019, débarrassée de l'ombre de Lindsey Vonn partie à la retraite, la tornade du Colorado paraissait alors partie pour écraser toute notion de concurrence. Jusqu'au 3 février 2020 et ce message posté sur son compte Instagram…

La brutale disparition de son père

«Ma famille a le cœur brisé au-delà de l'entendement par le décès inattendu de mon bienveillant, aimant, attentionné, patient et merveilleux père (…) Il nous a enseigné tant de leçons précieuses... Mais par-dessus tout, il nous a transmis cette règle d'or : sois bienveillant, réfléchis avant d'agir, amuses-toi (Be nice, think first, have fun). C'est quelque chose que je garderai avec moi pour toujours.» Déboussolée par la perte d'un père tout autant qu'un mentor, Mikaela Shiffrin va mettre du temps à remonter la pente durant deux saisons plus délicates. Des difficultés que l'Américaine n'a pas hésité à évoquer via ses réseaux sociaux où elle devient de plus en plus active. Elle, considérée comme très discrète au début de sa carrière et nettement moins extravertie que Vonn, se met à s'ouvrir, à évoquer des sujets plus personnels (sa relation avec le champion norvégien Aleksander Aamodt Kilde qu'elle expose par exemple), à s'engager politiquement en faveur de l'environnement…

La première fois que je l'ai rencontrée à 18 ans, j'avais été marquée par son humilité.

Megan Harrod, son attachée de presse

«La première fois que je l'ai rencontrée à 18 ans, j'avais été marquée par son humilité», se souvient ainsi Megan Harrod, son attachée de presse et amie, auprès de l'AFP. «Elle avait même tendance à se rabaisser parfois. C'est une sorte de nerd (intello en français) dans le bon sens du terme, elle fait un peu penser à une étudiante sur plusieurs aspects de sa vie. Et c'est aussi une des personnes les plus empathiques que je connaisse, un être humain formidable, surtout pour ses proches. C'est ce qui la rend spéciale.» Une transformation constatée également par la skieuse française Coralie Frasse-Sombert qui la côtoie en Coupe du monde : «Cela fait plaisir de voir qu'elle montre davantage d'émotions en bas des pistes après ses succès. À un moment, elle donnait l'impression de ne pas y accorder d'importance, comme si elle oubliait ses victoires tellement elle en avait. Là, elle s'exprime plus, et elle a toujours été très respectueuse des autres, ce qui est très agréable.»

Désormais, cap vers les 100 victoires ?

À bientôt 28 ans (elle les aura le 13 mars prochain), Mikaela Shiffrin a donc su à la fois surmonter la douleur de perdre son père et rebondir après son échec de Pékin, qu'elle a vécu «comme une humiliation», pour revenir au sommet et reprendre sa marche en avant pour conquérir un cinquième gros globe de cristal. «Ces trois dernières années, depuis la mort de mon père, j'avais des problèmes de mémoire», confiait-elle en janvier. «Cette année, c'est la première fois que je me sens de nouveau capable de me concentrer à ce niveau. C'est revenu, mais cela a mis longtemps.» Et cela lui a demandé beaucoup de travail sur le plan psychologique, elle qui n'a pas caché avoir fait appel à un spécialiste. Et aujourd'hui, la voici devenue l'égale d'un certain Ingemar Stenmark. Une fierté après laquelle elle ne court cependant pas. «Les statistiques déshumanisent le sport et ce que chaque athlète essaie d'accomplir», estime-t-elle. «Je n'ai jamais rêvé de battre des records de victoire en Coupe du monde, de points ou de médailles mondiales.» Pourtant, elle le fait admirablement bien. Au point d'atteindre un jour les 100 succès ?