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L’inquiétante histoire des vaccins racontée par Marc Menant

 

 

 

La défense du conservatisme traditionaliste russe face au modernisme de l’Occident, considéré comme décadent, constitue le ressort idéologique de l’invasion de l’Ukraine par le président russe, explique l’essayiste, dans un entretien au « Monde ».

Propos recueillis par Nicolas Truong ....Publié le 30 mars 2022

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Spécialiste de la philosophie russe, Michel Eltchaninoff est également rédacteur en chef à Philosophie magazine. Il a notamment publié Lénine a marché sur la lune. La folle histoire des cosmistes et transhumanistes russes (Solin-Actes Sud, 256 pages, 21 euros) et vient de rééditer une version augmentée et actualisée de Dans la tête de Vladimir Poutine (Actes Sud, « Babel », 208 pages, 7,50 euros), ouvrage dans lequel il analyse le « substrat intellectuel » du président russe qui se considère comme « un philosophe de la mission civilisationnelle de la Russie, et aussi comme un historien ».

Quelles raisons idéologiques ont poussé Vladimir Poutine à envahir l’Ukraine ?

L’indépendance de l’Ukraine est vécue par Vladimir Poutine comme « une tragédie ». Elle est « le résultat d’un travail délibéré de forces qui ont toujours tendu à briser notre unité », dit-il, dans le sillage d’Ivan Ilyine [1883-1954], ce philosophe qui imaginait déjà une « dictature nationale » comme remède au chaos séparatiste qui suivrait la fin du communisme et qui est une de ses grandes références intellectuelles. Vladimir Poutine affirme depuis longtemps que « Kiev est la mère des villes russes », selon une formule attribuée au prince Oleg au Xe siècle, et prétend restaurer « l’unité historique des Russes et des Ukrainiens ».

Sa conviction repose sur une vision biaisée de l’histoire, écrite à l’époque impériale, au XIXe siècle, qui établit un lien de continuité entre la principauté de Kiev [IXe-XIIIe siècle] et l’origine de la Russie contemporaine, qui se met en place à partir du XIIIe avec le royaume de Moscovie. Or, la Rus’ de Kiev est un empire multiethnique et non pas une entité slave. Ainsi, la vision de Vladimir Poutine est-elle une reconstruction impériale.

L’Ukraine redécouvre son identité au XIXe siècle et devient même une République indépendante en 1919. Les famines de 1932-1933, la répression des dissidents et de sa culture vont nourrir sa volonté d’indépendance à l’égard de l’Union soviétique, obtenue en 1991 après un vote massif en sa faveur.

Lire aussi l’entretien : Article réservé à nos abonnés « Les dirigeants russes, des tsars à l’actuel maître du Kremlin, ont une obsession des frontières »

De la révolution orange de 2004 au Maïdan de 2013-2014, la volonté d’indépendance politique de l’Ukraine n’a cessé de s’affirmer – les régions russophones adhérant, elles aussi, pleinement à Kiev. L’histoire impériale commune n’empêche pas le désir de souveraineté. Le 21 février, trois jours avant d’envahir l’Ukraine, Poutine a donné un cours d’histoire à la télévision russe en remontant au débat qui opposa, en 1922, Lénine – qui a, selon lui, mis « une bombe nucléaire » sous l’URSS en donnant aux républiques le droit à l’autodétermination – et Staline, qui voulait les inclure dans un grand ensemble étatique et dont il prend, sur ce point précis, le parti.

Juste avant d’envahir l’Ukraine, Vladimir Poutine a également rappelé l’intervention de l’OTAN en Serbie en 1999. Dans quelle mesure est-elle restée une blessure, voire un casus belli pour lui ?

C’est une humiliation majeure pour lui et incontestablement une des pierres angulaires de son intervention en Ukraine. Lorsque l’OTAN bombarde Belgrade, sans mandat des Nations unies, il faut le rappeler, Poutine s’apprête à devenir premier ministre et il perçoit dans cet événement l’aboutissement de la domination occidentale postsoviétique.

Malgré ses premières années dites « libérales », qui ne sont qu’une phase d’observation, Poutine va, peu à peu, se mettre à lutter contre ce qu’il perçoit comme une hubris occidentale – au lieu de mettre en place une réflexion collective, dans son pays, sur le siècle soviétique et ses tragédies.

Quelles sont les racines idéologiques du poutinisme ?

Son idéologie repose sur quatre piliers : un néosoviétisme, une slavophilie, un eurasisme et un conservatisme. Vladimir Poutine n’a jamais cru au communisme, mais il est sensible au patriotisme sacrificiel du soviétisme. Il pense que l’idée communiste était « une belle histoire dangereuse », notamment sur le plan politique et économique. Il n’a jamais été marxiste-léniniste, mais il reste soviétophile. Mythologie de la seconde guerre mondiale, apologie de la conquête spatiale, opposition au monde occidental composent le néosoviétisme de cet ancien lieutenant-colonel du KGB qui glorifie cette école des cadres d’élite du Parti qui l’a formé.

A partir de 2004, Poutine emprunte ce que j’appelle une « voie russe » forgée à partir de la deuxième génération des intellectuels slavophiles. Non pas celle des années 1830, avec des disciplines de l’idéalisme allemand de Hegel, Fichte et Schelling, qui pensent qu’un peuple particulier, comme la Russie avec son organisation politique locale, ses traditions paysannes et son orthodoxie, peut être porteur de l’universel. Mais celle de la deuxième génération, à partir de la défaite de la guerre de Crimée [1856], qui est plus offensive à l’égard de l’Occident.

Lire aussi l’analyse : Article réservé à nos abonnés L’agression russe en Ukraine marque le retour de la guerre impériale

Cette deuxième génération est notamment incarnée par Nikolaï Yakovlevitch Danilevski [1822-1885], auteur de La Russie et l’Europe [1869], livre de chevet des élites poutiniennes, qui ajoute à la slavophilie originelle l’idée d’un développement organique de la Russie et d’une confrontation inévitable avec l’Occident, marqué par le règne du droit, la prééminence du commerce et une forme de matérialisme qui s’opposeraient frontalement à une Russie imprégnée de christianisme messianique et de spiritualité. L’apologie de la guerre et la croyance en un fondement biologique de la civilisation slave sont les deux vecteurs du poutinisme. Vladimir Poutine cite également Constantin Léontiev [1831-1891], penseur conservateur, qui voit dans l’Europe moderne une « catastrophe anthropologique », entrée en décadence depuis la Renaissance.

Pourquoi le conservatisme est-il devenu la doctrine officielle de la Russie à partir de 2013 ?

Après une réélection difficile en 2012, Poutine avait besoin de se relancer idéologiquement et de soulever l’adhésion du peuple russe autour de lui pour réussir son troisième mandat.

Lire aussi la tribune : Article réservé à nos abonnés « L’Ukraine est aussi étrangère à la Russie que l’Autriche peut l’être à l’Allemagne »

Il a très attentivement suivi les manifestations contre le mariage pour tous en France, dont certains activistes s’étaient tournés vers l’ambassade de Russie afin qu’elle leur vienne en aide. Dans un grand discours tenu au Club Valdaï, en 2013, qui réunit les experts internationaux de la Russie, il critique le mariage entre personnes du même sexe et loue la famille traditionnelle. Face au péril que représente, selon lui, l’offensive libérale, la Russie doit attirer les conservateurs du monde entier, intellectuels et politiques opposés au triomphe du politiquement correct. Poutine veut faire de la Russie le pôle mondial du conservatisme.

Dans quelle mesure son conservatisme s’appuie-t-il également sur l’eurasisme ?

L’eurasisme est un courant né dans les années 1920, parmi des penseurs russes émigrés en Europe, notamment à Prague ou à Sofia. Ces intellectuels affirment que la Russie est une aire géographique et linguistique à part. La Russie n’a rien à voir avec le monde dit romano-germanique et l’Europe occidentale, assurent-ils, mais avec les populations asiatiques, notamment musulmanes, les Slaves et les peuples turciques qui composent une symphonie spécifique. Dans leur vision du monde, l’Eurasie a vocation à se tourner vers l’Orient.

Lire aussi la tribune : Article réservé à nos abonnés « Le recours de Poutine à l’argot mafieux indique une sorte d’appartenance au monde des malfrats »

D’où la fidélité des élites poutiniennes à l’égard d’un penseur comme Lev Nikolaïevitch Goumilev [1912-1992], ethnologue et historien spécialiste des peuples des steppes. En résumé, Vladimir Poutine a trois livres de chevet : Nos missions [1954], d’Ivan Ilyine, théoricien de l’armée blanche, La Philosophie de l’inégalité [1918] de Nicolas Berdiaev [1874-1948], et La Russie et l’Europe de Nikolaï Yakovlevitch Danilevski. Poutine se considère d’abord comme un historien, mais il cite de nombreux philosophes. Depuis 2005, il développe une idéologie cohérente, même si l’eurasisme peut entrer en contradiction avec la « voie russe » orthodoxe.

Ses discours s’en prennent de façon virulente à la « cancel culture » et au « wokisme ». Poutine est-il un dictateur anti-woke ?

Assurément. En octobre 2021, au Club Valdaï, il explique que, après la chute du communisme, l’Occident s’est fourvoyé. D’une part en menant des guerres sans fin en Irak ou en Afghanistan : « Où sont les principes humanistes de la philosophie occidentale ? Ce n’est que du bavardage », déclare-t-il. D’autre part, dans des polémiques stériles. Il caricature les débats occidentaux en déplorant qu’on demande couramment aux enfants – sans l’accord de leurs parents – s’ils veulent changer de sexe, en se désolant qu’on ne peut plus lire Shakespeare parce qu’il véhiculerait des préjugés arriérés et que les minorités dictent leurs volontés à la majorité. Il explique même que la Russie avait connu le « wokisme » dans les années 1920, période des avant-gardes pour les élites intellectuelles, marquée par la libéralisation des mœurs avec des divorces à la minute et des films au sein desquels on pouvait voir évoluer des couples à trois.

Mais Poutine, là encore, fier de la supériorité russe, se réjouit que sa société ait réussi à dépasser ce moment, même s’il omet de rappeler que c’est la chape de plomb stalinienne qui referma brutalement cette parenthèse libertaire.

Selon Poutine, les Européens sont des enfants gâtés, zombifiés par la consommation, rivés à des querelles pathétiques sur la race et le genre. D’où cette révolte des masses, comme celle des « gilets jaunes », qu’il suivait de près. Face à cette décadence de l’Occident, la Russie posséderait une maturité et une supériorité qu’il faut défendre et préserver.

Les raisons de la guerre qu’il mène en Ukraine sont-elles donc civilisationnelles ?

Poutine mène en effet, dans son esprit de plus en plus enfermé dans l’idéologie, une guerre de civilisation. Il cherche à étendre la domination russe sur le continent eurasien. Dimanche 6 mars, le patriarche Kirill, chef de l’Eglise orthodoxe russe, a expliqué à Moscou que le conflit ukrainien était une « lutte métaphysique » notamment contre les pays qui autorisent la Gay Pride. Les poutiniens considèrent qu’il s’agit d’un combat entre le conservatisme traditionaliste et le modernisme occidentaliste.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Eglise orthodoxe russe : « La guerre en Ukraine ne serait rien d’autre qu’un combat métaphysique contre une force du mal »

Et, dans son discours du 21 février, Poutine renchérit en soutenant qu’« ils nous en veulent parce que nous existons ». Il évoque donc un péril existentiel. La Russie, ce plus grand pays du monde, est pour lui fondamentalement différente de la civilisation occidentale. Elle porte en elle une jeunesse et une force vitale que l’Europe a perdues depuis longtemps. Depuis l’annexion de la Crimée en 2014, il se prépare à la grande confrontation avec l’Occident.

Les dissidents russes ont-ils les moyens de s’opposer à la guerre ?

Le 6 mars, alors que le patriarche de Moscou justifiait cette « guerre de civilisation », de nombreuses manifestations féministes ont été réprimées. Or, ces mouvements féministes peuvent aujourd’hui parler aux citoyennes ordinaires russes, non seulement en expliquant que la guerre est une des nombreuses manifestations de la domination masculine, mais qu’elle menace leurs enfants, leurs amis et leurs maris.

Ainsi, de nouvelles formes de dissidence apparaissent, faisant renaître des initiatives dissidentes comme à l’ère soviétique, tels les samizdats [des ouvrages diffusés clandestinement] (désormais sur Internet) et l’humour ravageur. Puisque les citoyens n’ont pas le droit de dire « guerre » mais seulement « opération spéciale » , on voit des images et des montages circuler au sein desquels le chef-d’œuvre de Tolstoï ne s’appelle plus Guerre et Paix, mais « Opération spéciale et paix ». Comme au temps du soviétisme, l’humour, souvent noir, va redevenir une forme d’opposition à la guerre : l’arme du désespoir.

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Teilhard de Chardin, prophète en procès

Par HENRI FESQUET.

Publié le 21 janvier 1971 à 00h00 - Mis à jour le 21 janvier 1971 à 00h00

Temps de Lecture 6 min.

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Teilhard de Chardin, un esprit faux dont le prestige a été démesurément gonflé par des chrétiens inconséquents, ou un grand penseur dont le seul tort fut d'avoir raison trop tôt ? Un téméraire que Rome aurait bien fait de réduire au silence de son vivant, ou bien la victime de gardiens d'une orthodoxie étriquée sourds aux besoins religieux de notre temps ? Le débat n'est certes pas clos, même si, le temps ayant fait son œuvre, les polémistes d'aujourd'hui se réfèrent davantage à un teilhardisme diffus qu'à des textes ou des ouvrages précis.

L'alternative reste posée non seulement pour les historiens de la pensée chrétienne, mais plus concrètement et plus immédiatement pour les pasteurs et les apologètes qui doivent présenter le message évangélique à nos contemporains. Aux uns et aux autres, le témoin privilégié que fut le Père d'Ouince apprendra à mieux connaître le drame silencieux vécu par Teilhard, le climat de suspicion dont il souffrit jusqu'au dernier jour, et l'intérêt théologique d'une œuvre qu'on peut certes discuter, mais qu'on n'a pas le droit d'ignorer sous peine de se priver d'une des anthropologies les plus intéressantes de notre époque. " Je ne serai vraiment compris que lorsque j'aurai été dépassé ", disait Teilhard. Ce défi mérite d'être relevé, commente le Père d'Ouince. (1)

L'ouvrage de ce dernier ne fait double emploi avec aucun des deux qui l'ont précédé (2). Car le Père d'Ouince est seul à avoir été à la fois l'ami, le confident et le supérieur du grand jésuite. Ceci n'est d'ailleurs pas un hasard si Teilhard fit partie de la communauté des " Études ", alors animée par le Père d'Ouince. Pressentant à la fois la valeur de son confrère et les dangers qu'il courait, le directeur des " Études " le voulut ainsi. Il ambitionnait de faire de sa revue un lieu de rencontre entre croyants et incroyants. Mais c'était en 1935... Les précurseurs de Vatican. Ils étaient trop rares pour que ce projet prît corps. L'auteur est mieux placé que quiconque pour connaître par le menu et pour comprendre le drame intime de son prestigieux confrère, dont il chercha courageusement à être le bouclier.

Avec l'autorité qui s'attache à sa personne, avec modestie, avec tact, mais avant tout avec le souci de vérité, le Père d'Ouince retrace la douloureuse situation de Teilhaid au sein d'une Église hiérarchique, qui non seulement l'empêcha d'entrer au Collège de France, de publier le moindre ouvrage, mais le condamna à l'exil en Amérique sans même lui laisser la possibilité de prononcer des conférences.

Le contraste est saisissant entre cet ostracisme et la manière héroïque dont Teilhard accepta les mesures dont il fut la victime. Ne cessant d'identifier son attachement à l'Église et à Jésus-Christ, le disciple de saint Ignace a toujours repoussé la tentation de se révolter. Rares furent ses cris de souffrance, tels que cette lettre au Père Valentin : " J'ai tait bonne ligure, mais intérieurement c'est quelque chose qui ressemble à l'agonie ou à la tempête. (...) O mon ami, dites-moi que je ne suis pas infidèle à mon idéal en obéissant ! " Combien de fois, au contraire, Teilhard exprima son inébranlable confiance en son Église, en la vertu de " fidélité " et sa conviction que " rien ne peut se grouper que sur l'axe romain ". En ces temps de contestation et de hargne contre l'autorité, cette attitude apparaît particulièrement exemplaire.

On ne peut, d'autre part, qu'être frappé du rayonnement du Père Teilhard. Innombrables sont ceux qui, grâce à lui, ont retrouvé la foi ou surmonté leur crise religieuse. Les hommes d'Église qui l'ont bâillonné n'ont pas eu la même efficacité. Leur erreur ne fut-elle pas d'identifier l'orthodoxie avec la tendance théologique qu’ils représentaient ? Vatican II a bien montré en tout cas que certains dicastères romains ne pouvaient prétendre avoir le monopole de la vérité catholique. Le monitum du Saint-Office de juillet 1962 s'efforça de limiter les effets de la réhabilitation du Père Teilhard entreprise par divers théologiens, et notamment par l'ouvrage du Père de Lubac. Mais en 1965, le Père Arrupe, nouveau général des jésuites, n'hésita pas à franchir un pas décisif en affirmant : " Dans l'œuvre du Père Teilhard, les éléments positifs l'emportent de beaucoup sur les éléments négatifs ou sur les éléments qui prêtent à discussion. (...) On ne peut pas ne pas reconnaître la richesse du Père Teilhard pour notre temps. " À cette date, Teilhard était mort depuis dix ans...

Pour un statut du " chercheur "

Mais si le Père d'Ouince a entrepris de remuer tant de souvenirs pénibles, c'est moins pour faire le procès de l'Église préconciliaire que pour contribuer à ouvrir des pistes et à tirer des enseignements pour l'avenir. Un des chapitres les plus suggestifs de son ouvrage est celui où, dans le sillage de son ami, il réclame " un statut du chercheur dans l'Église " Pour Teilhard, on le sait, la recherche dans tous les domaines est un " devoir sacré ". " L'Église, notait-il dès 1917 manque à peu près complètement d'organe de recherche à la différence de tout ce qui vit et progresse autour d'elle (...) Il faut que sous le contrôle de l'Ecclésia docens (Église enseignante) se développe l'Ecclésia quaerens (Église en recherche). Il y a en ces temps des problèmes criants que personne, en dehors de quelques conversations privées, ne regarde en lace. " Ces propos ne restent-ils pas d'une brûlante actualité ?

En présentant dans un deuxième tome quelques-uns des grands axes de la pensée teilhardienne, le Père d'Ouince estime qu'un des grands bienfaits de celle-ci est d'avoir libéré un certain nombre de vérités religieuses traditionnelles d'un cadre cosmologique ou juridique périmé qui les rendait psychologiquement irrecevables et de faire comprendre que pour se nourrir le christianisme a besoin de " la sève naturelle de l'univers ".

" L'œuvre de Teilhard, écrit le Père d'Ouince, représente l'une des contributions les plus lucides et les plus orthodoxes à la solution de la crise moderniste. Elle contient une charte de l'esprit missionnaire répondant aux exigences de notre époque. "

Teilhard a toujours refusé l'idée courante que le monde moderne est irréligieux. Il estime que l'énergie religieuse humaine s'emploie à l'accomplissement de l'homme et que le christianisme se doit de faire droit à cette requête en montrant qu'il est le seul courant où l'on enseigne que l'univers est aimanté par un centre personnel. La clef de l'édifice à construire est là. Il faut prendre conscience des dimensions du Verbe incarné. " Quelqu'un, écrit-il, est en gestation dans l'univers. Aimer Dieu, c'est l'aimer à travers la genèse de l'univers et de l'humanité. - Ainsi Teilhard a jeté un pont entre l'ambition de l'homme moderne tournée vers l'aménagement de la Terre et le message chrétien. Cette vision du monde - construire le corps du Christ - a illuminé sa vie intérieure, et Teilhard est persuadé que cette intuition sera tôt ou tard contagieuse. " Il suffit, écrit-il, pour la vérité d'apparaître une seule fois, dans un seul esprit, pour que rien ne puisse jamais plus l'empêcher de tout envahir et de tout enflammer. "

Mieux connue, conclut le Père d'Ouince, la doctrine de Teilhard apparaîtra " exigeante, austère, traditionnelle ". Grâce à elle quelque chose a changé dans le dialogue entre croyants et Incroyants et après une période de déclin l'influence de Teilhard renaîtra. On le relira comme les grands classiques. Venant d'un homme aussi compétent et équilibré que l'ancien directeur des " Études ", ce jugement devrait donner à réfléchir.


(1) Un prophète en procès, par le père René d'Ouince. Premier tome : Teilhard de Chardin dans l'Église de son temps, 259 pages ; deuxième tome. Teilhard de Chardin et l'avenir de la pensée chrétienne, 267 pages. Edit. Aubier. 18 francs chaque tome.

(2) M. Francisco Bravo, docteur en philosophie et en théologie, professeur à l'université de Caracas, vient de publier aux éditions du Cerf (collection Cogitatio fidei) un ouvrage intitulé la Vision historique chez Teilhard de Chardin. 448 pages, 63 F.

 

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µµµµµ%%%% ..... La théodicée et la question du mal (Articles accès Registered) ... d’une conception de Dieu qui doit plus à Platon et Aristote qu’aux prophètes et à Jésus. Ses vues sont partagées du côté catholique par le théologien et prêtre suisse, Maurice Zundel ou le moine allemand ...Créé le 27 mars 20204. µµµµµµµµµµ... PAGE d'ACCUEIL du site " du plus profond de NOS coeurs.....Paule & Robert ... époux en leur finitude EN la VIE IN-finie ....UNi-vers .... (Articles Publique) ... non plus seulement comme époux, mais encore comme père et mère. …   Maurice Zundel         CORRELATs   .... Benoît XVI n’hésite pas à affirmer que si éros sans agapè est aveugle, agapè ...Créé le 16 mars 20205.

>>>>>>>>>>>>1>>>>>>>>>>> µµµµµ*** ... le temps ... (Articles Publique)   >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>   ... ce premier texte ...   ...le temps...   c'est lui qui tout naturellement s'impose à moi comme PREMIER de la série   >>>>>>>>>>>>>> ..de ...Créé le 19 février 20206. NOUS ... de "Rousseau et la philosophie" ....à cet étrange et mystérieux ENtre-RAPPORT " femme-homme -CHIASMATIQUE " ...... (Articles Publique) ... ....  CORRELATs à inclure ... ZUNDEL Altérité homme femme ..." Ceci est mon corps livré pout toi .." https://www.homocoques.fr/index.php/2-articlesaccesregistered/367-helmuth-plessner-les-degres-de-l-organique-et-de-l-homme ...Créé le 22 décembre 20197.

..... suite du cheminement de l'homocoques ....au 21.07.1 (Articles accès Registered) ... Nicolas Grimaldi   Alexis Carrel   Aristote Descartes Korzybski   Maurice Zundel  Spaemann   Michel Henry   Nietzsche  Jung  Freud Laborit   Jean-Paul II  Benoît XVI  .... .... et autres maîtres ...Créé le 21 juillet 20198.

Autrement du 24.06.2019 (Articles accès Registered) ... Alain Badiou  Nicolas Grimaldi  Alexis Carrel  Aristote  Descartes  Korzybski  Maurice Zundel  Spaemann  Michel Henry  Nietzsche  Jung  Freud  Laborit  Jean-Paul II  Benoît XVI   Evangiles   Chesterton ...Créé le 24 juin 20199.

µµµµµ * ..... des MAÎTREs PENSEUR(s) de l'homocoques .....EN ..... la philosophie .. la vie de l'esprit ... l'epistomologie.... la langue ... l'anthropologie .... la gnosologie ... la phénoménologie ...à ... (Articles Publique) Créé le 28 février 201910.

du DENI de ... LA MORT ..... (Articles accès Registered) ...  http://www.homocoques.com/aq1001-zundel-mort.htm http://www.homocoques.com/aq1001-Cyrulnik_suicide.htm ---------------------------------2----------------------- Robert Redeker : «La société ...Créé le 18 septembre 201711.

de certains MONOCOQ/HOMOCOQUES...d' d'Alexis Carrel ...à...Simone Weil ....leur actualité brûlante .... ... (Articles accès Registered)  ARTICLES PEGUY 3) .... Charles Péguy, ce gêneur qui dénonçait "la puissance de l'argent"  ..... Pour la première fois dans l'histoire du monde les puissances spirituelles ont été toutes ensemble ...Créé le 15 juillet 2017

 

 

 

 https://www.lepoint.fr/podcasts/les-contrariantes/les-contrariantes-33-l-attachement-a-son-pays-est-une-forme-de-gratitude-18-03-2022-2468704_4230.php

 

 

 

 

by Le Point
Amoureux de la raison, de la liberté et de la démocratie, John Stuart Mill observait : « Ce n’est que par la confrontation des opinions adverses que l’on a une chance de découvrir le reste de la vérité. » Hélas, notre époque semble avoir oublié cet esprit de la controverse féconde. Partout, on s’enferme dans des clans intellectuels jaloux de leur périmètre et de leur pureté. On transforme des oppositions normales d’idées en guerre culturelle et idéologique. On publie tribunes et pétitions sur ses engagements sans avoir envie de discuter avec ceux qui ne les partagent pas. On dénonce beaucoup, mais cette posture moralisatrice confondant l’indignation et l’argumentation ressemble à s’y méprendre à une extinction de la pensée critique. L’intimidation, l’autocensure et le conformisme n’ont jamais été les bases d’une démocratie vivante et sûre d’elle-même, mais plutôt les préludes des tyrannies. Peggy Sastre et Laetitia Strauch-Bonart entendent faire mentir l’époque. Après un tour de chauffe où elles se secoueront l’une l’autre les plumes, les Contrariantes recevront toutes les deux semaines des acteurs de la vie intellectuelle, culturelle, politique et scientifique pour parler de l’actualité et de l’inactualité des idées. Le programme est vaste : sortir des tribus et des bulles, aborder des sujets sérieux sans esprit de sérieux et des polémiques sans velléité excommunicatrice, préférer les faits aux émotions, les idées aux mots d’ordre, les connaissances aux tabous et aux totems. La parole et la pensée ne valent rien si elles ne peuvent être libres. Les Contrariantes offrent un nouvel espace pour cette liberté.

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L’ARN, cet incroyable messager, une invention française, un Nobel en 1965

https://histoireetsociete.com/2021/07/18/larn-cet-incroyable-messager-une-invention-francaise-un-nobel-en-1965/

 

 

Au-delà des rumeurs, des fantasmes, il y a un grand exploit scientifique… Il y a le fait que la Chine a tout de suite transmis le gène du virus… Et il y a le travail de chercheurs qui depuis 1965 ont accompli une révolution scientifique, ces chercheurs étaient français. Il y a la manière dont cette recherche jadis à la pointe a été sacrifiée et l’appropriation par les groupes privés qui pourtant se nourrissent de financements publics. Il y a les rumeurs imbéciles, obscurantistes alors qu’il y a près d’un milliard d’êtres humains qui ont déjà expérimenté. Ce sont les mêmes qui jadis menaçaient de mort Pasteur. Ils accompagnent comme des hyènes ceux qui veulent piller la science parce que ce sont de profonds réactionnaires qui ont l’art et la manière d’exprimer leur mécontentement par la haine des leurs, la peur et la division. Voici le magnifique mécanisme de l’ARN messager.. (note de Danielle Bleitrach)

En 1965, le prix Nobel de physiologie ou de médecine était attribué à André Lwoff, Jacques Monod et François Jacob « pour leurs découvertes concernant le contrôle génétique de la synthèse des enzymes et des virus ». Ce système de régulation est baptisé « opéron ». Au-delà du prestige du Prix Nobel, les travaux de ces trois chercheurs de l’Institut Pasteur furent reconnus comme l’une des contributions les plus importantes à la constitution de la biologie moléculaire. La manière dont Jacques Monod et François Jacob conçurent les principes de la régulation génétique devint rapidement essentielle pour comprendre, comme ils l’avaient pressenti, les mécanismes de l’embryogenèse chez les métazoaires.

50 ans après le Prix Nobel : Jacob, Lwoff et Monod, fondateurs de la biologie moléculaire

L’ARN, cet incroyable messager
Par Gildas des Roseaux

Les vaccins mis au point par Pfizer et Moderna reproduisent le fonctionnement naturel de cet agent génétique très spécial, qui sait transmettre à nos cellules les informations nécessaires à la synthèse des protéines. Voici son secret.

Publié le 30/04/2021

Janvier 2020. Le coronavirus avait à peine fait ses premières victimes chinoises que déjà les laboratoires du monde entier s’activaient. Objectif : trouver le vaccin qui allait permettre d’éradiquer une probable pandémie. Quelques semaines plus tard, de probable, la pandémie était devenue bien réelle, poussant les chercheurs dans une course folle. Au bout de cette course folle, une nouvelle technologie médicale allait faire son apparition sur la scène publique : le vaccin dit « à ARN messager ».

Démontré en 1960

Ses premiers producteurs, l’association du laboratoire américain Pfizer avec la startup allemande BioNtech et la toute jeune entreprise Moderna, ont ainsi redoublé d’efforts pour révolutionner le principe même d’un vaccin. Leur trouvaille : donner à l’organisme humain la capacité de produire lui-même la molécule qui permettra au système immunitaire de se préparer à une éventuelle attaque virale. Mais comment fonctionne cette approche révolutionnaire ? Pour bien saisir son mécanisme, il faut d’abord comprendre le principe même qu’il cherche à imiter, à savoir la transcription du génome à l’état naturel, par ce fameux ARNm.

Derrière cet acronyme, cousin de l’ADN, se cache « l’acide ribonucléique messager », dont la découverte remonte à 1960 par une équipe de scientifiques français. Jacques Monod et François Jacob, notamment, avaient alors réussi à mettre en évidence l’existence de cette copie transitoire d’une partie d’ADN. Une copie que chacune de nos cellules utilise comme intermédiaire pour produire des protéines. Les deux hommes seront récompensés par le Prix Nobel de médecine pour cette découverte incroyable.
C’est l’histoire d’un coffre-fort

Imaginez une usine qui fabriquerait un produit exceptionnel et qui voudrait conserver son secret de fabrication. Pour chaque nouvelle production, elle autoriserait ses ouvriers-messagers à venir faire, dans le coffre-fort, une simple photocopie de la recette, ou plutôt d’une partie de la recette, tandis que l’original resterait conservé, bien à l’abri, derrière la porte du coffre.

C’est ainsi que fonctionnent nos cellules. Elles gardent jalousement au sein de leur noyau une gigantesque « bibliothèque » de recettes – sous forme de brin d’ADN – qui permet l’élaboration des protéines, ces petites molécules indispensables à la vie, présentes dans nos muscles, nos artères, nos cheveux, par exemple…

Or, pour pouvoir fabriquer des protéines, la cellule a besoin d’un plan bien précis. Elle va alors réaliser une copie de la « recette » contenue dans le noyau. Le duplicata ainsi généré constitue le fameux ARN messager. Celui-ci est ensuite exfiltré en dehors du noyau, dans le cytoplasme.

Là, les ribosomes vont s’occuper de mettre en œuvre la synthèse de la protéine demandée, sur la base de sa « recette » photocopiée. Ils vont en fait traduire le message apporté par l’ARN messager puis produire une chaîne d’acides aminés. Une fois cette chaîne d’acide aminés synthétisée, elle se repliera sur elle-même et formera la protéine voulue.

Les chercheurs ont ainsi eu l’idée de détourner cet ingénieux système pour mettre au point des vaccins d’un genre nouveau. Traditionnellement, la vaccination repose sur l’injection dans l’organisme d’un agent infectieux désactivé (ou atténué). L’objectif est de déclencher une réponse immunitaire dirigée contre l’agent, agresseur, qui nous protégera en cas de rencontre avec le virus en question. Les vaccins à ARN messager consistent, eux, à laisser nos cellules fabriquer elles-mêmes le composant contre lequel notre organisme va apprendre à se défendre. Concrètement, il s’agit de produire en laboratoire la fameuse «photocopie» qui correspond à la « recette » d’une protéine du virus ciblé, contre laquelle l’organisme va s’entraîner à résister. Dans le cas du vaccin contre le Sars-Cov-2, il s’agit donc de produire la protéine Spike qui permet au virus de s’insérer dans nos cellules.

Adressée directement aux ribosomes, sans passer par le noyau des cellules, cette molécule n’interagit pas avec l’ADN. Avantage de cette approche : les ARN sont bien plus simples et plus rapides à produire que les éléments des vaccins classiques. Inconvénient : l’ARN vaccinal est instable face aux changements de températures, ce qui explique la nécessité de conserver les vaccins à des températures très froides avant leur administration.
De grands espoirs
On l’a dit, ces vaccins utilisant l’ARN messager ont été mis au point et produits en laboratoire dans des délais records. Il faut préciser que la recherche dans le domaine avait déjà débuté depuis de nombreuses années et plusieurs essais avaient débuté, notamment contre Ebola. La crise planétaire déclenchée par la pandémie de Covid-19 a ainsi donné un coup d’accélérateur à ce champ de recherche.
Crédits
RÉDACTEUR
Gildas des Roseaux
Avec la contribution de Cyrille Vanlerberghe du service Sciences

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Vues : 2278  le 16.08.21

 

 

 

   «Le Royaume des Cieux, dit le Seigneur, est semblable à un trésor caché dans un champ. Quand l’homme découvre ce trésor, il s’en va et vend tout ce qu’il possède afin de pouvoir acheter ce champ et acquérir ce trésor »

(Mt 13, 44).

Quand on dit dans l'Écriture : « Au commencement de la vie était le Verbe », c'est pas vrai. Au commencement de la vie était l'émotion. C'est l'émotion qui compte. Le Verbe emmène tout. C'est l'émotion qui compte.

 

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.... par le sacrement du mariage 

 

Un

 

"ENtre-ENgagement-réciproque"

 

 

 

 

 

 Les Flammes Jumelles : Amour Sacré 


 
EsT

....
 
” L’alliance matrimoniale, par laquelle un homme et une femme constituent entre eux une communauté de toute la vie,
ordonnée par son caractère naturel au bien des conjoints ainsi qu’à la génération et à l’éducation des enfants,
a été élevée entre baptisés par le Christ Seigneur à la dignité de sacrement “.
>>>>
 
 
 
 

 

 


 

 

  l'altérité sexuée

des époux

femme-homme

devenant par le dialogue

mère-père

 

 

 

 

 

 

...CÔ-CREÂteurs...

 au monde

 

 

 

LA VIE IN-finie

 

 

 


 
 
 
 
 de l'existence *.
 
 
 
....et si c'était un " système non linéaire" se construisant comme se construit un arbre, cerne après cerne, saison après saison. Une mince couche entre bois et écorce, appelée cambium*, est seule active et vivante : elle seule produit la vie et engendre les cellules qui feront l'arbre de demain.
Mais les couches inactives et mortes qui sont sous le cambium et qui forment le bois, n'en sont pas moins réelles pour autant ....
 
 
 
 
 
 

 

#YoCanto – Viva la Vida (Coldplay)

 

 

 

 

CORRELATs

 

le 23.04.23

 

 

 

 

 

 

  • extrait de la page par l'hcqS le 23.04.23...... INterieur

Je connais en ces « jours difficiles », un ENtre-moment d'« éclairci–espérance »...moment qui me permet de dicter, ici et maintenant, ces quelques lignes. Je ne vais pas parler de ceux de ma conception mais simplement de ceux de la semaine écoulée.


Mardi dernier, à la suite des recommandations du Docteur Breban j'avais une place pour me faire vacciner, en priorité comme « comorbide », au centre de vaccination qui venait de s'ouvrir à Ambroise Paré.... j'avais réservé un taxi pour l'aller retour … après une longue lutte interne ( possibles effets secondaires de mes injections mensuelles de Simponi ... immuno dépresseurs qui me permet de ne pas être en chaise roulante depuis 20 ans) et consultation des enfants ( "il n'y a pas d'urgence papa") j'ai annulé le processus lundi. Aucun des enfants n'est vaccinés, à l'exception de Thierry). Danny s'est fait vacciner le lendemain.
Ce même mardi la chaudière tombe en panne. Après multiples interventions de la société d'entretien Habitat Plomberie .... il s'avère qu'il faut remplacer la carte mémoire… à l'instant ..16h30.... l'intervenant, me confirme qu'il a reçu la pièce et qu'il interviendra en fin de journée ...« éclairci–espérance » ...merci…

 

Aujourd'hui, journée d'« éclairci–espérance » : J'ai pu discuter ce matin longuement avec Sophie à propos de l'ENtre-moments « dépendance à la veille de mourir » ... Se rendant auprès de leurs parents et beaux-parents...Thierry-Sophie viennent demain après-midi me rendre visite .... moment d'ENtre-dialogue ouvert ... moment d'« éclairci–espérance » ...merci…

EXterieur

 

 

 

  •  philosophie magazine  Avril 2021 ...Avoir 15 ans ...la nouvelle morale de Jeunes ... à inclure

 

 

 

 

 

 

 

 

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https://www.cairn.info/revue-francaise-de-psychanalyse-2011-5-page-1449.htm

 

« Prends l’initiative, petit enfant, manifeste à ta mère, par ton rire,
que tu la reconnais...
Prends l’initiative, petit enfant, celui qui n’a pas vu ses parents lui sourire
ne sera pas digne de la table des dieux ni de la couche d’une déesse. »
Virgile, 4e Églogue.

1Le maternel serait le fond sur lequel nous appuyons notre sentiment d’exister, nos rêves et notre pensée. Un écran pour projeter nos fantasmes, un soutien pour adosser notre moi, un contenant rassurant des affects et émois, mais effrayant par la régression et l’engloutissement qui y seraient possibles.

2Le maternel de la mère remplit des fonctions essentielles au fonctionnement psychique de l’enfant. Comment s’articulent l’immaturité de la psyché infantile et la complexité des désirs maternels ? Quels processus permettent que se transmettent les capacités maternelles ?

3Le maternel n’est pas un concept analytique, c’est un vaste domaine qui va de la maternité à tous les développements autour de l’objet maternel, ses fonctions, ses folies et ses transformations. Le maternel serait une entité fonctionnelle qualifiant autant les soins physiques et psychiques reçus par le nourrisson – le maternage – que la capacité des femmes et des hommes de développer cette capacité de prendre soin. Un mode psychique à la fois passif, ce que nous avons reçu, et actif, ce qui fait la fonction maternelle. Il a longtemps été dit que c’était un instinct, tant la puissance passionnelle de l’investissement de l’enfant pouvait être difficile à expliquer, si ce n’est par les hormones sexuelles.

4Je ferai référence au maternage et à ses qualités comme base du maternel : base sensorielle, la relation première est sensuelle. C’est la mère préœdipienne qui est au centre du maternel. Elle n’est pas essentielle dans la pensée freudienne, c’est avec Melanie Klein qu’elle est devenue l’objet princeps de la vie psychique primitive.

5Les auteurs anglo-saxons mettent en priorité l’environnement dans lequel peut croître un début de psychisme dans un bébé helpless, démuni. Je pense à la métaphore qu’a utilisée Fernand Deligny (1979) à l’époque de ses tentatives avec les enfants autistes : « Un caneton est pourvu, de manière innée, d’un nager latent. S’il n’y a pas d’eau dans les environs, nager n’a pas lieu et reste nul et non advenu […]. L’eau, pour le caneton, n’est pas un objet ; c’est quelque chose de réel, indispensable pour que ce nager soit possible. » Le maternel, celui du père, de la mère ou des soignants caregivers, c’est cette eau sans laquelle les capacités des nourrissons n’existent pas.

6Les conséquences dramatiques des carences de cette eau/le maternel sur l’appareil psychique donnent la mesure de l’importance quantitative et qualitative de l’environnement humain pour la constitution du sujet. Le maternel est basique, ce sont les fondations sur lesquelles nous sommes construits. C’est ce support vital, qui s’observe quand on travaille avec des nourrissons et leurs parents : le soutien narcissique dont parle Grotstein (1981) comme du soutien du dos, réel et métaphorique, et que Geneviève Haag (1990) a superbement développé dans ces observations de tout-petits. Une « matrice » encadrante, une surface et un contenant dont les qualités de support et de souplesse dépendent des premiers contacts avec le maternel des parents. Ce serait le fond originel, Grund chez Freud, ou l’archaïque, base de l’inconscient, Ungrund.

7Le maternel apparaît dans les rêves comme l’écran sur lequel se créent les représentations, tout comme il est associé au fantasme de retour dans l’inanimé originel.

8Une jeune patiente, qui a vécu des séparations précoces d’avec ses parents divorcés, se souvient qu’à l’âge de trois ans, loin de sa mère, elle ne pouvait s’endormir qu’avec la vision d’une grande surface blanche qui se développait dans ses rêves en prenant des formes de volcan qui faisaient penser au sein. Plus âgée, angoissée à la peur que sa mère ne soit morte chaque fois qu’elle partait chez son père, elle faisait le cauchemar de la surface blanche couverte de boules agitées dont les ombres se projetaient à l’infini, lui faisant éprouver la terreur de ne jamais en sortir malgré sa familiarité. Terreur proche de l’inquiétante étrangeté, associée au « fantasme de la vie dans le ventre maternel ». Un retour morbide à la confusion entre soi et l’espace maternel. Un moment proche de la désintrication pulsionnelle au moment où elle aurait pu éprouver une culpabilité œdipienne.

9Le sujet qui éclôt des premières indifférenciations a intégré le maternel, ses qualités et défauts : « Soit un soi qui soit bien ce contenant, ce fond stable, permanent et unique… présence, certitude impalpable, invisible, silencieuse et pourtant essentielle, à la fois assise constitutive du sujet et réalité vivante » (Cahn R., 1991).

10Quelles sont les qualités et les fonctions du sujet « maternel » qui permettent cette rencontre originaire essentielle ? D’ou vient cet investissement ?

11« Les enfants satisfont notre désir d’immortalité » écrit Freud en 1900. « His Majesty the Baby » investi de tout le narcissisme parental, reviviscence du narcissisme infantile, est source d’un amour intense, d’un transfert des idéaux et espoirs qui vont permettre aux capacités maternelles de se mettre en place avec l’adaptation aux besoins incessants et exigeants du nourrisson. Le maternel est en équilibre entre initiatives adaptées à l’enfant et passivité nécessaire pour recevoir l’expérience primaire du bébé, ce qui mobilise le masochisme féminin et entre en conflit avec les désirs de la femme sexuée. Entre trop d’excitation et pas assez d’attention, le maternel se manifeste avec les pathologies de l’intrusion et de la négligence. Hélène Deutsch (1944) affirmait que les bonnes mères étaient des femmes frigides. Michel Fain (1971) a mis en valeur le rôle de « censure de l’amante » de la mère qui met des limites entre elle et l’enfant afin de lui laisser son espace fantasmatique.

12On doit aux psychanalystes anglais d’avoir décrypté les spécificités du fonctionnement maternel en le nommant « dévotion ». Melanie Klein a posé le maternel bisexuel en fondateur du monde psychique, l’objet-mère y est omniprésent, mais ses qualités maternelles ne sont pas en jeu.

13C’est Winnicott (1956) qui insiste sur la nécessaire sensibilité maternelle au développement psychique du nourrisson ; reconnue plus comme un environnement pare-traumatisme que comme une personne, la mère aux capacités maternelles, « mère dévouée ordinaire » est capable de s’identifier à son enfant, d’avoir l’intuition de ses besoins non seulement physiques mais émotionnels. Elle sera « suffisamment bonne » quand elle pourra doser ses interventions, être en empathie sans envahir et se retirer progressivement pour laisser le champ au moi de l’enfant qui grandit. Le maternel est le soutien au moi immature, grâce aux capacités de sollicitude. C’est la « préoccupation maternelle primaire », état d’hypersensibilité apparu en fin de grossesse, qui permet l’adaptation délicate et sensible au nourrisson. La folie maternelle va s’ouvrir sur l’espace du transitionnel, car le maternel, c’est aussi la capacité de se laisser quitter.

14On risque de dériver loin de la séduction réciproque, loin du fantasme, quand on fait référence au maternel sans évoquer la personne de la mère. Le maternel comme prolongement sans limite de l’enfant, continuité indivise fait disparaître l’espace fantasmatique et érotique de la mère.

15La notion de relation fusionnelle obstacle à l’accès au symbolique est dépassée par Bion (1979). La rêverie maternelle contient aussi l’amour pour le père. Fonction de contenance des événements émotionnels, elle opère leur transformation en penser. On peut parler de capacité maternelle de l’analyste aux prises avec les débordements et les attaques psychotiques.

16Le maternel n’est pas seulement empathie, la mère oppose son refus à l’enfant, l’ouvre sur le monde, lui offre d’agir sa curiosité. La mère parle, nomme toutes choses, elle étaye le langage. Il faut aussi rappeler les critiques féministes de la psychanalyse pour qui maternité et maternel sont considérés comme des faits culturels plus que psychiques.

17Le travail analytique comme organisation à deux, ou intersubjectif pour être dans l’actualité, se rapproche du mode maternel du fonctionnement de l’analyste. Les débats du monde américain sur la psychanalyse relationnelle, le rôle de la communication non verbale dans la technique analytique sont un reflet de ce mouvement général vers le prégénital maternel.

18Le maternel manifeste quelle est la place de l’autre ; depuis l’emprise sur un objet considéré comme une partie narcissique de soi, jusqu’à l’attention pour l’autre dans sa différence et sa spécificité, sans qu’il ne soit nié du fait de son existence séparée. Les tableaux des vierges de la Renaissance déclinent les variantes de la place de l’autre pour une mère. Les relations amoureuses, les situations de soins et d’éducation rejouent sans cesse les enjeux du maternel.

19L’objet maternel revient sur le devant de la scène analytique postfreudienne autour de la qualité de sa présence, bien avant de saisir les effets de son absence. Le rôle majeur de cette présence dans les constructions primaires est maintenant éclairé par les troubles du narcissisme et de la symbolisation associés aux défauts de l’investissement du maternel.

La mère et le maternel chez Freud

20Ce fut difficile pour Freud de penser la figure maternelle et son rôle aux débuts de la vie. Cela aurait requis une identification féminine à laquelle il a toujours dit être réticent. Entouré de mère, nanny, sœurs, femme et six enfants, il a eu l’occasion d’observer le maternel, pourtant, dans ses écrits, il semble avoir été plutôt indifférent à la complexité de la relation précoce (Whitebook J., 2011 ; Anzieu D., 1974).

21Freud n’a pas commenté les qualités maternelles de sa femme Martha. C’est Anna qui a eu un rôle maternel auprès de son père vieillissant et c’est à elle à qu’il s’adressera au moment de mourir. Dans la reconstruction de son enfance, il perçoit que l’identification avec la mère le conduirait à se soumettre à la passivité. C’est après le décès de sa mère Amalia, âgée de 90 ans, que Freud a dit la libération ressentie à pouvoir envisager sa propre mort. Il écrit alors le texte sur la sexualité féminine dans lequel il évoque la relation préœdipienne à la mère et les ressentiments inévitables de l’enfant, garçon comme fille, à l’égard de cette imago fondamentale (Sprengnether M., 1990).

22Mais la figure maternelle qui apparaît dans son œuvre est œdipienne, plus un objet qu’un sujet, récepteur de l’investissement libidinal de l’enfant. Elle n’est pas active avec son désir, son savoir, sa capacité d’être mère. La conflictualité inhérente au pouvoir de la mère séductrice et agressive n’est pas abordée, la mère reste idéalisée. Chez Freud, la civilisation est bâtie sur l’ordre paternel, et s’il compare l’existence d’un monde archaïque matriarcal à une découverte archéologique, c’est juste pour envisager un passé révolu et non pour penser que l’ordre maternel ait eu une fonction spécifique.

23Dès l’Esquisse, Freud met en place l’objet sein, associé à la mère qui répond aux besoins, pare-excitante autant que séduisante. Réponse qui permet que les pulsions sexuelles s’étayent sur celles d’autoconservation, que l’activité fantasmatique l’accompagne, que le soi se développe et s’autonomise par intériorisation des fonctions du maternel.

24La notion de structure encadrante proposée par André Green (1983), et le rôle actif de l’hallucination négative de la mère, manifestent le rôle essentiel du maternel. Ces enjeux autour de la représentation se relient au stade du miroir, et sont en lien avec les travaux des Botella sur l’hallucinatoire (2001).

25Durant cette période d’omnipotence, le narcissisme infantile investit l’identification primaire à la mère toute puissante, et se poursuit avec le moi idéal. Le sentiment océanique du moi primitif que Freud décrit dans Malaise dans le Civilisation, sensation d’éternel éprouvé dans le narcissisme originaire, est comparé aux vestiges de la Rome antique. Romain Rolland le définit comme transfert maternel originaire.

26C’est dans Léonard de Vinci que Freud aborde la place de la figure maternelle. La tendresse illimitée, la séduction maternelle qui abolit la place du père est menace de castration et Freud généralise sur l’amour maternel : « L’amour de la mère pour le nourrisson qu’elle allaite et soigne est quelque chose qui va bien plus en profondeur que son affection ultérieure pour l’enfant qui grandit. Il est de la nature d’un rapport amoureux pleinement satisfaisant. »

27Freud réaffirme, à la fin de sa vie dans la Féminité, que pour un fils l’amour maternel a une parfaite qualité. Mais il affirme l’insatisfaction de la femme, c’est en devenant mère qu’elle trouverait une totale satisfaction ; la fécondité, le désir d’enfanter ne seraient pas touchés par la menace de castration. Dans Contribution à la psychologie de l’amour, Freud maintient un clivage entre la plénitude idéale de celle qui est mère et les désirs érotiques féminins.

28Est-ce que cette intense satisfaction associée aux jeux naïvement érotiques entre mère et fils peut être reliée à l’excès de refoulement qui atteint plus tard l’enfant névrosé ? Cet amour maternel séducteur serait source de la sublimation, chez Léonard comme chez Freud ? L’excès maternel comme source de la curiosité ?

29Quant à la fille, son attachement précoce à la mère et sa dépendance la prédisposent à l’hystérie ou la paranoïa. C’est dans L’étude sur la sexualité féminine que Freud aborde la question de l’agressivité maternelle. Il dit là combien il lui est difficile de s’identifier à ses patientes et d’endosser leur transfert maternel.

30Les soins maternels et l’empreinte libidinale associés attirent la régression, fixent le choix d’objet sexuel, marquent la relation au père. Dans le mythe des origines que Freud développe avec Totem et Tabou, l’évolution de la civilisation passe par le dépassement de la pensée animique associée à la toute-puissance et sa relation avec l’univers maternel, royaume du sensoriel.

31Il évoque la puissance originaire des « grandes déesses mères », déesses porteuses d’un savoir qui alimente toute la curiosité infantile et la quête de connaissance, dans une forme primitive du fantasme œdipien énoncé par Lacan « l’Autre à jamais en sa jouissance ».

32Dans le Motif du choix des coffrets, Freud parle « du fil d’un lien archaïque » qui mène « aussi bien aux déesses de la vie et de la fécondation qu’aux déesses de la mort ». Catherine Couvreur commente : « Lorsque les mères vacillent, l’enfant imaginaire, celui du temps mythique de la complétude narcissique absolue, est livré sans recours à la solitude, au silence, et à l’obscurité de la séparation. » Elle cite la lettre de Freud du 3 juillet 1899 à Fliess, quand sa propre mère et sa femme enceinte sont toutes deux malades : « Étrange et inquiétant lorsque vacillent les mères, les seules à se tenir encore entre nous et la délivrance. »

33La lettre de Freud à Stefan Zweig du 2 juin 1932 regrette que la maternité imaginaire d’Anna O n’ait pas pu ouvrir sur la connaissance : « Breuer avait à ce moment-là la clé qui nous aurait ouvert “les portes des Mères”, mais il l’a laissée tomber. » Le mystère des mères aurait-il été accessible grâce l’hystérie ? L’univers des mères est celui des pulsions à l’origine du vivant, le narcissisme à sa source, lieu imaginaire de l’illimité et du mortifère.

L’abandon des qualités phalliques au profit du maternel

34La féminité accomplie requiert l’abandon du pouvoir de la mère des origines. Ce sont les qualités phalliques de la mère qui doivent être maîtrisées. La priorité de l’Œdipe toujours réaffirmée implique que la fille et la femme se soumettent au principe de l’abandon de leur partie masculine. Freud maintiendra toujours la séparation entre la figure maternelle donneuse de soins et celle qui exerce le pouvoir : l’agressivité possible de la mère est toujours repoussée comme une qualité phallique à laquelle il aurait fallu renoncer. Le masochisme féminin s’origine à ce renoncement. Seule l’identification à la mère « du tendre attachement préœdipien » permet de sortir de la répétition d’hostilités (Freud S., 1932).

35C’est dans le pôle tendre du maternel que la femme peut trouver une quiétude face à sa généalogie maternelle. J.-B. Pontalis (1983) parle de « huis clos maternel » pour évoquer le contentieux qui lie la femme devenue mère à sa propre mère. Freud maintient clairement la spécificité du lien à la mère, lien exclusif qui marque la sexualité de la femme, tout en reconnaissant la difficulté de connaître ce domaine primitif : « Tout ce qui touche au domaine de ce premier lien à la mère m’a paru difficile à saisir analytiquement, blanchi par les ans, semblable à l’ombre à peine capable de revivre comme s’il avait été soumis à un refoulement particulièrement inexorable » (Freud S., 1931). C’est justement cette ombre qui poursuit la femme devenue mère (Schaeffer J., 1999).

36Que reste-t-il de l’infantile ? Des traces sensorielles, des représentations retravaillées par les effets de l’après-coup, des constructions imaginaires fondées sur les imagos parentales de la petite enfance, des résidus de l’identification à la mère de cette époque révolue, celle dont la fonction a été introjectée, dont les avatars ont été sources d’idéaux. Si la maternité s’associe à une levée partielle du refoulement et permet des retrouvailles avec ces traces, c’est une régression qui peut aussi bien alimenter l’amour passionné de la mère pour son bébé que le compromettre (Anzieu-Premmereur C., Cornillot M., 2003).

37Une jeune patiente qui s’est décrite comme une enfant négligée par des parents trop préoccupés par leur carrière, vient d’apprendre qu’elle est enceinte et rapporte un rêve qui illustre ces retrouvailles avec un objet maternel de qualité ancienne : « Je suis dans la mer, au milieu de nulle part et je cherche ma direction. Un petit bateau finalement passe, et c’est une femme qui me montre l’horizon, je reconnais l’ombre de ma maison, mais c’est une longue distance et la solitude m’écrase, alors j’ai peur des monstres qui sont au fond de la mer. Je me sens entre deux eaux, c’est une mer qui ne me porte pas. » Rêve transférentiel au moment où elle doit s’absenter et retrouver les monstres anciens de sa rage d’avoir perdu l’objet maternel.

38La maternité s’étaye sur les conflits du féminin et du corps sexué bouleversé par la grossesse et la naissance. C’est un danger pour le moi de certaines qui ne pourront accéder à la capacité maternelle, prises dans la dépression ou la psychose et l’absence d’investissement amoureux de l’enfant ; détachées ou mécaniques, elles seront pour l’enfant des infirmières sans émotion, comme la « mère morte » de Green (1983) ; d’autres seront envahies de haine pour cet objet dépendant d’elles mais qui ne peut satisfaire leur besoin de fusion. Enfin certaines seront passionnément amoureuses, désirant un éternel lien narcissique avec un enfant objet partiel qu’elles vont posséder et maîtriser, sans pouvoir le considérer comme un être séparé aux besoins propres. On peut ainsi décliner toutes les variantes du maternel « fou ». La seule folie qui autorise une illusion partagée entre mère et enfant est la « folie de tendresse » dont parle Margaret Mahler (1975) ; folie pleine de sollicitude où l’enfant se construit en symbiose pour s’individuer ensuite.

Naissance du sujet et fonction maternelle

Dans la perspective freudienne

39« On m’objectera à bon droit qu’une telle organisation qui est entièrement soumise au principe de plaisir et qui néglige la réalité du monde extérieur ne pourrait se maintenir en vie, ne fût-ce qu’un instant, de sorte qu’elle n’aurait absolument pas pu apparaître. Mais l’utilisation d’une fiction de ce genre se justifie quand on remarque que le nourrisson, à condition d’y ajouter les soins maternels, est bien près de réaliser un tel système psychique » (Freud S., 1911).

40C’est autant la fonction maternelle de contenance que d’ajustement réciproque qui donne le « ciment » nécessaire aux investissements, aux liens et à leur stabilité.

41« L’objet maternel psychique remplace pour l’enfant la situation fœtale biologique » écrit Freud en 1925. Les soins maternels essaient de répondre aux besoins et fournissent le plaisir associé à la satisfaction du besoin, c’est l’étayage de la pulsion sexuelle, la création des zones érogènes ; l’activité fantasmatique se développe avec l’autoérotisme adressé à l’objet maternel objet du désir. La mère « ne se contente pas de nourrir, elle soigne l’enfant et éveille ainsi maintes autres sensations physiques agréables et désagréables. Grâce aux soins qu’elle prodigue, elle devient la première séductrice. Par ces deux sortes de relations, la mère acquiert une importance unique, incomparable, inaltérable et permanente et devient pour les deux sexes l’objet du premier et du plus puissant des amours, prototype de toutes les relations amoureuses ultérieures ».

42Les débuts de la vie psychique formulés par Freud sont centrés autour de l’incorporation orale du sein, de l’identification primaire « directe et immédiate » et du développement du moi ; la fonction maternelle fournit un état qui ressemble à l’absence de besoin. Dans Pulsions et destin des pulsions, Freud note : « Bien sûr, l’état originaire narcissique ne pourrait prendre ce développement si chaque être individuel ne passait par une période de désaide et de soins, cependant que ses besoins pressants, satisfaits par le concours de l’extérieur, seraient ainsi tenus à l’écart du développement. »

43La protection fournie par la mère prévient les manques qui empêcheraient l’accès au développement vers le moi-réalité final en imposant trop tôt à l’appareil psychique immature une expérience de réalité qui laisserait une trace indélébile dans le moi.

44

« Quand la personne secourable [hilfreiche] a exécuté pour l’être impuissant [hilflos] l’action spécifique nécessaire, celui-ci se trouve alors en mesure, grâce à ses possibilités réflexes, de réaliser immédiatement, à l’intérieur de son corps, ce qu’exige la suppression de stimulus endogène. L’ensemble de ce processus constitue un “fait de satisfaction” qui a dans le développement fonctionnel de l’individu les conséquences les plus importantes ».
(Freud S., 1895)

45Le concours de l’extérieur, une personne secourable, les soins maternels désignent les interventions venues de l’extérieur sans identité sexuelle ni repré­sentation personnalisée, proches de la notion neutre anglo-saxonne de caregiver, donneur de soins. Une représentation de l’analyste et de sa neutralité ?

46Dans l’Esquisse, l’appareil psychique est décrit dans un fonctionnement quantitatif. Il s’agit d’un maternel métapsychologique, de la fonction économique de la mère. La fonction de pare-excitation est première (Balestrière L., 2008).

47La capacité de rêverie de la mère décrite par Bion (1979) pour théoriser l’identification projective à l’œuvre entre mère et bébé, rend compte de ce phénomène de métabolisation des tensions. L’objet « contenant » par sa fonction de tolérance pour l’affect et de transformation en pensée, rend possible le champ d’action du principe de constance. Du point de vue métapsychologique, la mère n’est pas qu’objet de plaisir.

48L’inscription psychique des traces sensorielles dues à la présence maternelle, a donné lieu à différentes élaborations : le pictogramme de Piera Aulagnier (1975), où l’inscription pictographique inconsciente permet la création d’une trace mnésique ; les éléments bêta de Bion, faits de sensations et d’émotions inassimilables sans l’aide de la fonction de filtre maternel ; le signifiant énigmatique de Laplanche ; le signifiant formel de Didier Anzieu (1987), image proprioceptive, tactile, kinesthésique, posturale, « mise en mémoire d’impression, de sensations, d’épreuves trop précoces ou trop intenses pour être mises en mots ».

49« Quand j’étais petite, j’étais un peu morte », dit une fille de cinq ans élevée par une mère toujours au bord du gouffre de l’angoisse d’anéantissement. Fillette qui passait son temps à attacher ses poupées avec des ficelles dans l’espoir de se sentir reliée à l’objet, exister : « Sinon, je ne sens rien, disait-elle en séance, je ne me sens pas là », et qui a été sensible au rythme de nos rencontres, avec les jours « vidés par l’aspirateur à tristesse » et les jours de séances « fêtes d’anniversaire ». Devenue adolescente, elle dira combien elle ressent l’absence de valeur de la vie, un sentiment d’indifférence détachée. Seules sont vivantes pour elle les activités associées aux souvenirs de sa grand-mère, imago maternelle idéalisée, et des jeux qu’elle faisait durant la thérapie où j’avais tenté d’associer les ficelles avec les liens familiaux : elle tricote. Elle peut alors rêver et retrouver créativité et vitalité : « C’est un ressenti horrible, la futilité de l’existence, je ne peux pas le faire disparaître, alors quand je suis dans le vide, je tricote et ça fait venir des pensées. »

Narcissisme et autoérotisme

50Le bébé tête pour se nourrir ; le sein suscite, en plus de la satisfaction, un plaisir associé à la zone orale. Jean Bergeret (1984) qualifie de « violence fondamentale » la violence de l’instinct de conservation. C’est la mère par sa présence adéquate, satisfaisante, sensuelle qui sexualise les soins. L’objet maternel fondateur de l’étayage est base de l’autoérotisme, il sera à la source du vecteur « égoïsme-emprise » comme le propose André Barbier (2007). L’autoérotisme est appuyé sur le fonctionnement maternel qui colore tous les phénomènes psychiques qui se mettent en place au début de la vie. Il a une valeur unifiante (Hochman J., 1993).

51La fonction maternelle est incorporée comme une présence et comme une assise de soi. Marion Milner (1955) remarque ainsi l’impact du maternel sur notre représentation du corps :

52

« La conscience intérieure qu’on a de son propre corps reprend le rôle de la mère externe ; non pas seulement dans le sens qu’on apprend à faire pour soi-même les actes des soins corporels que la mère a faits jadis, mais dans le sens ou l’on façonne une sorte de sphère psychique ou de nouvelle matrice à partir de l’image que l’on a de son propre corps, comme seul endroit sûr où habiter, d’où l’on peut sortir des antennes vers le monde. »

53L’incorporation serait le mécanisme d’appropriation du maternel. Incorporation et introjection s’opèrent en présence de la mère, pour s’enrichir ensuite des fantasmes créés en son absence. Certains se sont écartés de la problématique de l’objet, comme Maria Torok (citée par Balestrière L., 2008) qui propose de penser la présence maternelle, « l’assistance constante d’une mère » comme source des introjections et pas seulement source de complétude : « Les tout débuts de l’introjection ont lieu grâce à des expériences du vide dans la bouche, doublées d’une présence maternelle. »

54Lacan (1975) a eu une lecture différente de l’Esquisse. Dans Le séminaire sur l’éthique de la psychanalyse, il discute « l’action spécifique qui vise à l’expérience de satisfaction » en relevant l’impact du désir (Lust) vers l’Autre, premier objet de satisfaction et d’hostilité. L’autre en tant qu’objet est chez Freud Objekt et parfois das Ding, que Lacan va retenir en mettant l’accent sur la chosification de la mère par la toute-puissance de l’enfant, plutôt que sur l’investissement libidinal dont elle est la source :

55

« Le Ding est l’élément qui est à l’origine isolé par le sujet, dans son expérience du Nebenmensch, comme étant de sa nature étranger, fremde… C’est car ce das Ding est justement au centre qu’il est exclu. C’est-à-dire qu’en réalité, il doit être posé comme extérieur, ce das Ding, cet Autre préhistorique impossible à oublier dont Freud nous affirme la nécessité de la position première, sous la forme de quelque chose qui est entfremde, étranger à moi tout en étant au cœur de ce moi, quelque chose qu’au niveau de l’inconscient, seule représente une représentation. »

56L’Autre radicalement étranger, la chose, est hors des chaînes représentatives. La mère est le réel premier, inaccessible. Ce qui fait d’elle une puissance idéalisée, inaccessible et mortifère. Mais il ne reste pas de possibilité de penser le maternel.

57La position maternelle à l’origine est prise dans un paradoxe, être source d’une expérience d’unité, de fusion où le soi se découvre exister, et à la fois source, dans l’excitation mutuelle de qualité sexuelle, de l’étrangeté radicale de l’autre énigmatique.

Le couple sujet-environnement dans la perspective anglaise

58Mère calmante ou trop stimulante, elle apporte une satisfaction qui n’est jamais parfaite, décalée dans le temps ou dans sa qualité. L’enveloppe narcissique n’est pas étanche au monde extérieur. La réalité de l’environnement s’impose dans l’écart entre le fantasme et la satisfaction éprouvée dans la rencontre avec l’objet. Il est essentiel que cet écart n’apparaisse que progressivement, rappelle Winnicott (1970), sinon le monde externe fait une intrusion traumatique dans l’appareil psychique immature : écart source du penser, qui s’origine dans le fonctionnement psychique de la mère, dans ce qui produit en elle ou non du maternel ; et un maternel de quelle couleur ? Amoureux, tendre, froid, passionnel, affolé, déprimé, indifférent…

59Le maternel procure un soutien essentiel aux besoins de sécurité. Non pas que la mère doive être là de façon constante, mais la qualité de son souci et de ses gestes donne l’expérience d’une continuité prévisible (Yi Mi-Kyung, 2006).

60Ce que Winnicott (1971) nomme « l’élément féminin pur » :

61

« Le bébé devient le sein (ou la mère), l’objet est alors le sujet […]. Aucun sentiment du soi ne peut s’édifier sans s’appuyer sur le sentiment d’être (sense of being). ce sentiment d’être est quelque chose d’antérieur à être-un-avec parce qu’il n’y a encore rien eu d’autre que l’identité. Deux personnes séparées peuvent avoir le sentiment de n’être qu’un, mais à ce moment dont je parle, le bébé et l’objet sont un […]. Les psychanalystes ont voué une attention particulière à l’élément masculin ou à l’aspect pulsionnel du mode de relation à l’objet, en même temps qu’ils négligeaient l’identité sujet-objet sur laquelle j’attire l’attention ici, et qui est fondement de la capacité d’être. L’élément masculin fait, alors que l’élément féminin (chez les hommes comme chez les femmes) est […]. La frustration semble liée à la recherche de la satisfaction. Quant à l’expérience d’être, quelque chose d’autre lui est propre : ce n’est pas la frustration qui est en cause, mais la mutilation. »

62Les petits de moins de trois ans que je vois en consultation, souvent diagnostiqués dans le registre de l’autisme mais dont le retrait est dépressif, reviennent à la vie et à la relation quand la mère soutenue par l’analyste offre à l’enfant l’expérience d’être deviné, « embrassé ». De la même façon que le mot comprendre provient de « prendre avec », il s’agit ici de contenir et avec le corps, embrasser, et avec l’esprit, comprendre (verstehen en allemand dont le sens est aussi entourer). La mère entoure l’enfant avec son corps et ses pensées, le libidinal se joint au symbolique, elle interprète (Anzieu-Premmereur C., 2010).

L’attachement

63C’est l’investissement psychique du contact avec le corps de la mère et du lien continu de tendresse avec elle qui constitue l’attachement. John Bowlby (1969) a décrit les facteurs favorables à cet investissement : l’échange de sourires, de signaux sensoriels et moteurs pendant l’allaitement, la solidité du portage, la chaleur du contact, le toucher et la caresse ; Didier Anzieu (1984) a ajouté la concordance des rythmes et parle de pulsion d’attachement.

64La controverse avec Bowlby autour de l’attachement est apparue à propos de la carence des soins maternels et de leurs conséquences. La capacité maternelle a pris alors une teneur innée non pulsionnelle. Les qualités de régularité, continuité, consistance sont apparues comme essentielles dans le processus d’interaction avec le tout petit pour créer une relation de sécurité, prévisible et fiable, source d’un attachement qui se transmet de génération en génération.

65La qualité du portage du bébé par sa mère se fait plus solide dans les thérapies mère-bébé quand la mère prend conscience du besoin de son enfant de se sentir soutenu, souvent quand elle évoque ses souvenirs avec sa propre mère. Le lien est une boucle : quand elle a découvert le besoin de sa fille d’échanger des regards avec elle, la mère d’une petite fille de quatre mois s’est sentie aimée par son bébé et lui a renvoyé un miroir qui témoigne de son investissement, calmant aussitôt le bébé qui a retrouvé l’appétit. La pulsion d’attachement est satisfaite, et c’est le moi-peau, interface entre mère et enfant, enveloppe, qui prend forme et donne un « élan intégratif » au moi en ébauche (Cupa D., 2002).

66Le concept winnicottien de holding s’applique ici, le bébé ne pouvait pas s’agripper au sein absent, ni au regard de la mère, trop préoccupée elle-même par sa détresse d’un sevrage précoce. Pour se sentir tenu, rassemblé, un bébé doit être porté par une mère qui peut ressentir ce qui se passe, offrir un miroir, une harmonisation autant physique que psychique. Cléopâtre Athanassiou (1994) rapporte la conception d’Esther Bick sur l’agrippement : « L’attention maternelle est ce qui donne à la tenue physique du bébé la valeur d’une tenue psychique et lui permet de sentir ce rassemblement des différents éléments de lui-même qui, si sa mère le lâche, vont provoquer l’angoisse d’une chute sans fin. »

67Le maternel regroupe donc le pare-excitation essentiel, le holding contenant les angoisses d’anéantissement et la mère libidinale au contact érogène.

68S’y ajoute la mère-processus de transformation, que Christopher Bollas (1979) a nommé l’objet transformationnel, processus d’intégration et de soutien des transformations internes. Bollas affirme que la mère est ressentie comme le support des changements dans l’expérience d’être ; c’est, plus que le désir, la transformation de soi-même qui est au centre. Le maternel environnement-facilitateur reste associé aux changements de soi et c’est la source, à l’âge adulte, de la quête d’un objet qui continue à permettre de se développer.

69Le maternel, c’est aussi tolérer d’être le réceptacle des rejets projectifs du bébé pour qui l’objet n’est pas que source de gratification, mais cible où évacuer les expériences émotionnelles « non digérées » liées à la tension : autant qu’au besoin de sein, l’enfant est sensible au besoin de se débarrasser de ce que Bion appelle le non-sein.

Miroir, créativité et espace transitionnel

70

« Au niveau des besoins psychiques premiers, écrit Wilfrid Reid (2010), la mère doit maintenir l’illusion première de l’enfant d’être à l’origine de sa propre satisfaction […]. Ainsi les réponses premières de la mère aux mouvements et état affectif et pulsionnel de son enfant se comportent-elles comme une espèce de “miroir” premier de l’être […]. Dès lors on peut comprendre toute l’importance de la transitionnalité qui s’établit entre mère et bébé, c’est un système antitraumatique qui évite de placer l’enfant devant un dilemme qu’il ne peut traiter : ceci est-il de mon fait ou de celui de l’autre ?
C’est ainsi que se fixe, quand les soins sont mal adaptés ou inadéquats, ou encore quand la fonction pare-excitante de l’environnement est défaillante, un noyau de culpabilité primaire, un noyau de mal-être, l’enfant se sentant alors à l’origine de ce qui dysfonctionne. »

71La fonction de miroir précède la transitionnalité. L’expérience de still face où la mère vide son regard, montre l’effet dramatique sur le bébé qui devient mou et apathique en quelques minutes.

72René Roussillon (2008) rappelle la nécessité de la peau commune comme assise de la fonction de miroir de la mère. « Le sujet doit pouvoir “se sentir”, s’autoaffecter des motions pulsionnelles et des affects qui le parcourent […]. La capacité à se sentir transitionnalise la vie pulsionnelle et affective, elle repose sur la capacité à constituer les sensations en messages symboliques. »

73La jubilation dans le miroir qui arrive vers la fin de la deuxième année est l’aboutissement de l’intégration du moi et de l’objet maternel, dit Sami-Ali (1970), ce qui va assurer sa permanence, protection contre l’anéantissement en cas d’absence.

74On connaît l’interprétation lacanienne du stade du miroir, quand le sujet sort de l’indifférenciation avec la mère et naît au désir, pris dans le désir de l’Autre (Célérier M.-C., 1982). La mère doit être suffisamment tolérante pour laisser s’installer entre elle et son bébé cet espace transitionnel, modulable selon l’état de l’enfant et garantie contre la relation d’emprise.

75Jean a treize mois, il s’est replié dans le sommeil et l’anorexie depuis l’âge de trois mois quand les angoisses de la mère qui n’a pas pu l’accueillir ont conduit à un sevrage brutal. Il n’a aucun langage, ne tient pas debout, ne joue pas. Mais il me regarde, souvent avec effroi et je lui dis sa peur des étrangers, le vide dans sa bouche depuis le sevrage, son besoin d’être blotti contre sa mère que j’encourage à le tenir, tout en évoquant sa rancune à l’égard de ce petit qui ne se développe pas. C’est le père qui réagit en prenant l’enfant dans ses bras. Jean décide alors de s’approcher de moi qui lui tends un jouet mou, continue son chemin et passe devant le miroir, il s’interrompt, interloqué, me voit dans le miroir, hurle d’angoisse ; je parle de lui séparé de maman quand il voit mes yeux, de son besoin d’être comme elle, avec elle, et qu’elle le voit quand il se regarde. Il met le jouet mou dans la bouche, repart courageusement vers le miroir, le touche et me regarde, cette fois-ci avec intérêt. Je lui dis bonjour Jean, et combien il se sent étonné d’être lui devant moi. L’anorexie va cesser dès cette première rencontre et toutes les séances vont ensuite commencer avec Jean glissant vers le miroir et attendant mon bonjour.

L’équilibre psychosomatique

76C’est la capacité de représentation de l’enfant qui est en jeu. Par sa fonction de maintien et de support de la continuité vitale, la mère permet que se constitue la mémoire sensorielle et confirme à l’enfant ses propres perceptions et émotions, qui peuvent être alors ressenties comme « vraies » (Debray R., 1987).

77Le maternel a pour rôle la liaison pulsionnelle, l’intrication de la pulsion de mort à la libido. Ferenczi a associé les troubles de l’humeur, les « fractures de l’élan vital », aux pulsions de destruction qui se meuvent aussitôt que l’investissement maternel se défait. Ce qui rejoint la notion de Benno Rosenberg (1991) sur le masochisme gardien de la vie par intrication de la destructivité, opposé au masochisme mortifère désobjectalisant. Michel Fain (2001) l’explicite : « L’investissement libidinal maternel neutralise la pulsion de mort présente dans le ça de l’enfant par la force de cohésion contenue dans son instinct maternel. » L’activité hallucinatoire et le rêve sont forces de cohésion qui dépendent de la fonction maternelle.

78Le message transmis par la mère lors de l’endormissement assure autant de la tendresse maternelle que de l’existence d’autres investissements de la mère. Le maternel de la mère est gardien du sommeil du bébé, le féminin de la mère qui exerce la « censure de l’amante » ouvre à la scène primitive, au tiers.

79Rémi a cinq ans, enfant d’un couple où le père manifeste une empathie maternelle car sa mère n’a pas pu le tenir dans ses bras à la naissance, elle n’a pas senti « ce dont parlent les autres femmes, ce grand élan de tendresse, non, juste l’angoisse » qui a empêché le corps à corps. Ce fils qui grandit sans la soucier commence des épisodes de terreurs nocturnes. Rémi n’a aucune conscience de ses épisodes et déteste que ses parents parlent d’une partie de lui qu’il ignore, cela le dépersonnalise. Il est d’ailleurs très mécontent que sa mère ne se souvienne jamais des épisodes qui le marquent, les films, promenades dont il aime faire le récit, elle ne sait jamais de quoi il parle. Elle ne contient pas, son sac est vide, elle oublie le goûter, son attention est impossible à fixer sur l’enfant, en séance elle lui demande de se taire et de ne pas jouer bruyamment et s’il régresse, elle s’irrite, elle ne l’a pas en tête, même si elle est bienveillante.

80Dès le second entretien avec les parents, avant même que je ne reçoive Rémi, les terreurs nocturnes qui existaient depuis quatre ans ont cessé et ils ne sont plus inquiets d’en être responsables. Je suis devenue une figure de mère contenant les peurs de tout le monde et suscitant une grande ambivalence. Une fonction maternelle s’est remise en place, de pare-excitation, dans les retrouvailles pour la mère avec un objet qui ne soit pas un surmoi cruel.

81Rémi vit avec un compagnon imaginaire, un fantôme. Dès la première séance où il est seul avec moi, il dessine le fantôme, cet être ambigu « toujours dans le dos ». Depuis l’arrêt des terreurs nocturnes dont il n’a aucun souvenir, il a des cauchemars qu’il s’empresse de me dire. Je suis devenue confidente, double narcissique ; il est étonné de découvrir que je reçois d’autres personnes que lui, persuadé que ce sont des adultes qui eux aussi font des mauvais rêves.

82Il dessine des vagues intriquées, sortes de serpents assez informes qui remplissent la page avec deux points qui sont les yeux. C’est gris, triste, pénible, mais à la fin, un grand trait encercle le tout, et je dis que ça doit faire du bien d’être enveloppé par ce fantôme qui ne vous quitte jamais, avec qui on n’est jamais seul. Ça l’intéresse et il ajoute, dans un clivage organisateur, un côté pour les méchants fantômes qui ont une bouche et un autre pour les « non-méchants » qui ont des yeux et des oreilles attentives ; je dis « comme Anzieu qui t’écoute ». Il associe sur les coquillages ronds qu’il aime collectionner et je parle du plaisir de les coller à l’oreille pour écouter le « bruit de la mer », jouant sur « la mère » ce qu’il comprend aussitôt ; nous sommes dans les représentations du sein. Oui, dit-il, la musique c’est ce qui permet de retrouver maman dans les souvenirs, pas les bonbons car elle n’en donne pas et lui n’a jamais d’appétit. L’univers pulsionnel a repris ses droits. En quelques rencontres, nous aurons une complicité autour de la vie des fantômes, et ils vont disparaître. J’apprends alors que Rémi était allergique et souffrait d’eczéma depuis toujours, maladie qui a disparu avec les séances. Ce garçon trop sage, inhibé, anorexique, devient « libidinal », affamé, viril, joueur de foot, bruyant et joyeux.

83Quand il revient quelques années plus tard, sa première question est : « As-tu toujours le chien ? » car dans sa reconstruction après-coup de nos rencontres, il a toujours été accompagné d’un grand chien blanc très doux qui dormait à mes pieds, condensation des pulsions contenues et des retrouvailles sensuelles avec un objet maternel.

L’accès à l’Œdipe

84Le maternel est, dès l’origine, tissé de l’Œdipe de la mère, des relations toujours conflictuelles de la triangulation. Pour l’enfant, l’absence maternelle qui a suscité l’angoisse révèle le « non-mère », ce tiers qui fait disparaître la mère et qui va donner forme à l’image du père. Le père dans la tête de la mère se traduira par la capacité maternelle de lui laisser le champ libre, mais le père paternel joue aussi son rôle non seulement dans le soutien à la fonction maternelle et sa place d’amant, mais par ses propres qualités psychiques avec l’enfant.

85Le maternel qui permet l’accès à l’Œdipe peut être infiltré par les dé­boires des générations précédentes et leurs deuils ; c’est l’incestuel qui menace l’individuation du moi par l’unisson narcissique maintenu par la mère, l’attachement forcé réalisé par la séduction narcissique (Racamier P.-C., 1984). Seulement si le lien initial à l’objet maternel a été solidement constitué, la scène primitive a une valeur structurante, « une prolongation de la relation contenant contenu originelle » dit Ronald Britton (1999) ; la précarité de cette relation rendrait sinon la sexualité des parents menaçante d’exclusion mortelle.

Fonctions maternelles

86Aimer signifie investir sans trop exciter, se dévouer avec tendresse sans se laisser envahir par la haine inévitable, séduire et être séduite, savoir se laisser utiliser sans souffrir ou se venger. Un équilibre délicat du plaisir.

87Soigner, c’est offrir le soutien holding, un comportement physique et psychique adéquat aux besoins handling, être disponible au bon moment comme le bon sein idéal object-presenting, être fiable. C’est possible s’il y a empathie, identification, adaptation à la détresse sans trop de toute-puissance ni d’angoisse (Winnicott, 1970).

88Nourrir c’est savoir donner, mais aussi s’arrêter et accepter la frustration de ne pas être totalement indispensable, pour créer l’espace de l’absence.

89Contenir demande de supporter la tension de l’angoisse devant l’inconnu, d’accepter de recevoir les émois non organisés du bébé, de les transformer en pensées pour agir et calmer.

90Introduire à l’ordre symbolique se fait dès que la mère favorise le dégagement de la fusion initiale, révélant la place du tiers paternel, et pense un projet éducatif envisageant l’évolution dans le temps de l’enfant, quand elle accepte les séparations face à celui qui grandit.

91Fondamentalement économique et source de maintien du calme, la fonction maternelle est aussi la mise à feu de la sexualité infantile. Si la sexualité génitale de la première séductrice vient instiller de l’énigmatique dans la relation, il est cependant requis que la mère ait refoulé désirs et fantasmes érotiques afin de doser les soins donnés à l’enfant. Les explosions psychotiques du post-partum donnent parfois une lecture crue de cet enjeu. Le maternel peut ne pas être accessible à certains et certaines. Le narcissisme endommagé, les relations avec une imago maternelle terrifiante, les haines inconscientes créent un désastre lors de l’arrivée d’un enfant. Le maternel impossible, quand la capacité d’attention à l’autre dans sa réalité est impossible, éclaire combien le non-maternel est associé à la protection ultime d’un moi encore dépendant du soutien d’une maternel qui a été inaccessible (Anzieu-Premmereur C., 1985).

92Envisager le féminin en conflit avec le maternel démontre les enjeux du sexuel dans le maternel, mais c’est une dialectique plus complexe qui est en jeu, comme entre le masculin et le maternel. On le voit chez les pères aux prises avec leur identité masculine quand ils prennent le relais d’une mère indisponible ou quand ils offrent une zone de tendresse à l’enfant et développent avec bonheur ou avec angoisse un espace maternel qui s’appuie sur la bisexualité.

93Le féminin et le maternel opèrent ensemble une danse plus ou moins équilibrée où des jeux de rivalité et d’enrichissement mutuel sont possibles. L’écart entre le féminin et le maternel est parfois radical mais il existe aussi des clivages fonctionnels opérants. Les enjeux phalliques du féminin peuvent être satisfaits par la grossesse ou l’arrivée de l’enfant, par la découverte de la réceptivité maternelle. Le maternel qui s’actualise dans l’après-coup révèle les conflits primaires autour du féminin. Certaines femmes aux investissements phalliques « s’arrondissent » avec la maternité, d’autres sont confrontées avec l’horreur de la régression et le dégoût à l’égard du corps maternel et du nourrisson démuni. Certaines au narcissisme endommagé découvrent au contraire un support dans l’accès aux identifications maternelles qui leur offrent la possibilité de créer une fonction maternelle qui les soutiendra elles-mêmes (Anzieu A., 1993).

94La bisexualité des femmes et des hommes est source de transformation en étant rejouée sur une nouvelle scène quand le maternel est mis en action par l’arrivée d’un enfant ou une pratique de soins, professionnelle ou non.

95Enfin le maternel n’est pas que du registre sensoriel ou empathique, la mère oppose son refus à l’enfant, l’ouvre sur le monde, nomme toutes choses, étaye le langage. La qualité du lien initial à l’objet maternel donne à la scène primitive une valeur structurante, permet l’accès à l’Œdipe.

96La relation précoce est essentielle au système de représentation et de symbolisation. Les défaillances de la fonction maternelle fragilisent les identifications primaires de l’enfant, altèrent le processus hallucinatoire et activent des défenses antitraumatiques. Entre trop d’excitation et pas assez d’attention, le maternel se manifeste aussi avec les pathologies de l’intrusion et de la négligence.

97La discontinuité et l’absence de sécurité laissent des traces sérieuses dans le tissu psychique, des défenses paranoïdes aux défauts de représentation, de la quête constante d’un objet maîtrisable aux défenses primaires de maintien de soi par la protection autistique ou les secondes peaux et autres enveloppes pathologiques. Les patients chez lesquels un tissu représentatif nécessaire au travail mental ne peut se maintenir nous montrent combien les ruptures de la cohérence des productions mentales sont la conséquence des faillites de l’investissement maternel (Anzieu-Premmereur C., 1985).

98Les dysfonctionnements des autoérotismes par défaut de présence de l’objet maternel sont observables dans les troubles de la petite enfance. Dans l’après-coup à l’âge adulte, cette pathologie de la sexualité infantile donne lieu à des manifestations sexuelles qui sont plus des procédés autocalmants dans la quête d’un objet inaccessible que la rencontre érotique avec un désir sexuel. Les pathologies borderline et leurs démonstrations sexuelles débordantes témoignent de la mystification qui donne lieu à tant de méprise : la quête d’un objet calmant tendre qui prend des allures bruyantes de désir génital.

99Le travail analytique nous confronte sans cesse aux apports et défauts du maternel, des abandons et carences aux empiétements et intrusions du fonctionnement psychique maternel.

Les origines de la capacité maternelle

100« De ma mère à moi au maternel chez moi : quel trajet ! Difficile mais nécessaire pour qu’il y ait vie psychique, mobilité interne, du jeu » (Pontalis J.-B.)

101Déesse maternelle de la Terre, Déméter est étroitement unie à la fille qu’elle a eue avec Zeus, Perséphone. Amoureux, son oncle Hadès l’enlève. Dès lors commence pour Déméter la quête angoissante de sa fille. Durant neuf jours et neuf nuits, sans se nourrir ni boire ni se laver, elle erre. Quand le soleil lui révèle le coupable, irritée, elle décide de ne plus retourner au ciel et abdique sa fonction divine. Son exil du ciel rendant la terre stérile, Zeus ordonne à Hadès de rendre Perséphone, mais elle a rompu le jeûne en avalant une graine de grenade qui la lie définitivement aux Enfers. Un compromis est trouvé : Déméter reprend sa place dans l’Olympe et Perséphone partage l’année entre les enfers en hiver où la terre reste stérile, et le printemps quand elle rejoint sa mère.

102Mère et fille comme modèle du maternel, de la transmission de la capacité de prolonger l’espèce humaine ? Au centre du mythe est la séparation impossible, forcée par l’homme. Identification primaire, intimité fusionnelle et capacité de se séparer sont au cœur du maternel.

103Toujours recouverts par le niveau œdipien, l’identification primaire à la mère, les failles ou les excès de l’objet maternel, donnent forme au transfert à travers les quêtes de retrouvailles avec un objet primaire. Évelyne Séchaud (2008) remarque combien la sensorialité maintient la trace de la relation au corps maternel. « Le désir de sa recherche anime le transfert narcissique primaire. Les représentations, notamment verbales, sont issues du deuil ultérieur de l’objet maternel et permettent l’évocation de l’objet maternel en son absence. »

104Claudine Geismann (1998) parle de « l’état de mère » depuis les rêves et cauchemars qui accompagnent la grossesse jusqu’à la capacité d’illusion qui doit se mettre en place à la naissance pour affronter cette séparation et permettre une unité avec l’enfant. « Un corps pour deux » écrit J. McDougall (1996). Le maternel consiste à pouvoir jouer sur les registres de la fusion et de l’investissement narcissique tout en tolérant les deuils toujours à refaire au cours des séparations répétées qui construisent l’histoire du sujet.

L’investissement narcissique de l’enfant

105Woody Allen l’a bien dit : « Mon amour, nous ne ferons qu’un… moi. »

106Freud, en 1910, décrit la relation d’amour première apportant « une satisfaction plénière » qui comble, « une des formes du bonheur », favorisant chez la mère une régression « à des désirs anciens refoulés et que l’on devrait qualifier de pervers ». Cette régression qui va permettre l’identification au nourrisson, réactive les expériences infantiles de la mère, d’avidité, de satisfaction et de frustration, d’image maternelle aimante ou menaçante, et de l’enfant comme destructeur ou menacé. Elle permet une maturation de la mère, de ses identifications et de ses mouvements œdipiens. Si le moi est débordé, le risque est grand de désorganisation et de souffrance du narcissisme. Les maladies du post-partum en témoignent.

107La folie maternelle primaire est cette capacité régressive de la femme qui peut s’identifier au bébé, éprouver physiquement et psychiquement qu’il est une partie d’elle à laquelle elle est totalement attentive. Cet amour est narcissique, la mère retrouve des gestes et attentions associés à des mouvements intérieurs primitifs, et le maternel est beaucoup plus une association de sensations, affects et pensées s’adressant à elle enfantine qu’à l’enfant réel. L’amour maternel est amour de soi-même transféré sur le bébé si celui-ci n’est pas trop différent de l’enfant rêvé et reste en bonne santé ; car alors il s’agit du devoir de prendre soin, parfois sans pouvoir aimer.

108Le dévouement maternel est une activité fondée sur un plaisir narcissique. Le bébé qui reçoit les soins maternels et l’amour se sent compris et choyé, mais cet amour fait aussi intrusion en lui. Il a besoin de satisfaction et de calme, il reçoit en plus le plaisir excitant et l’amour qui le contraint à faire l’expérience du réel dirait Lacan, du monde extérieur, dirait Winnicott.

109Meira Likierman (1988) décrit dans ses observations de nourrisson combien les mères manifestent un besoin intense que leurs actions les fassent se sentir bonnes, appréciées. Cette satisfaction narcissique renforce l’amour maternel et permet de recevoir et contenir l’angoisse en même temps que la haine inconsciente. Le bébé ne prend pas soin d’elle et attend une illusion de fusion dans laquelle ses besoins sont satisfaits quel que soit le prix pour celle qui donne. Le maternel intellectuel des devoirs surmoïques, associé à un vécu parfois dépressif, ne renvoie pas à l’enfant la qualité psychique vivante qui nourrit le bon objet. Les mères ont besoin des réponses de l’enfant pour confirmer qu’elles sont bonnes mères, que c’est un plaisir de les avoir comme mères. Le jeu de miroir est narcissique, mais pas seulement pour l’enfant. Le bébé est moins un objet qu’une partie du moi de la mère.

110L’amour dit inconditionnel est affaire de « jouissance ». L’enfant aime dans sa mère son désir à elle pour lui et pour elle-même. « La mère aime en son enfant sa splendeur phallique » écrit Franz Kaltenbeck (2003) citant Lacan (1975) : « Le rôle de la mère, c’est le désir de la mère. C’est capital. Le désir de la mère n’est pas quelque chose qu’on peut supporter comme ça, que cela vous soit indifférent. Ça entraîne toujours des dégâts. » C’est bien de ce premier amour que viennent à la fois le moteur libidinal et la créativité, autant que les dégâts, les troubles dépressifs et narcissiques.

111Le narcissisme de la mère souffre d’avoir à investir l’enfant qui l’empêche de vivre pour elle-même, la contraint à renoncer à une part de sa vie de femme. Si une mère peut être prête à donner sa vie pour son enfant, elle doit aussi contre-investir la violence pulsionnelle de ses propres mouvements d’autoconservation, son envie de faire disparaître cet enfant tyrannique, pour trouver la tendresse. Sans doute la réponse de l’enfant et des autres objets de la mère sont essentiels pour lui donner une assurance narcissique.

112C’est quand l’enfant grandit que les conflits se manifestent de façon bruyante, une mère contrôle moins bien son ambivalence quand le petit de deux ans s’enfuit sans l’écouter, refuse la propreté, fait des colères quand il la retrouve après une séparation. Margaret Mahler a décrit dans la phase de rapprochement combien les mères sont aux prises avec leur propre agressivité face aux jeunes enfants agités par un conflit d’ambivalence (1975).

113L’emprise maternelle trouve là sa possibilité d’action. Maintenir ce lien narcissique peut s’opérer en deçà de l’amour, c’est la « face obscure de la séduction maternelle » dont parle Françoise Couchard (2003), quand le dévouement se fait totalitaire, souvent dans la figure du sacrifice et de la douleur maternelle.

114« Sa majesté le Bébé » est rêvé par la mère, porteur de l’espoir d’accomplissement des rêves irréalisés. La fonction maternelle s’établit dans les rêves, qui seront « le berceau psychique du nouveau-né ». Le rétablissement de la fonction onirique de la mère dans les thérapies mère/nourrisson est toujours un moment essentiel de changement car l’enfant est apaisé par la protection retrouvée dans le pare-

excitation maternel.

115Une jeune mère de quatre enfants hurle en séance son désespoir à laisser son mari duquel elle divorce avoir les enfants des journées entières tandis qu’elle devra rester seule, elle qui se consacre à eux jour et nuit dans un dévouement total et jouissif. Enfants dont elle dit qu’ils sont l’étayage indispensable à sa fragilité narcissique et sa quête de sens. Sans fonctionnement maternel continu et souci pour ses propres enfants, elle s’effondre, elle dont la mère a été accaparée par une fille handicapée. Mère pour laquelle elle découvre en analyse une haine intense. Le clivage des objets internes idéaux et haïs apparaît à travers un transfert maternel et des exigences de toute-puissance qui donnent lieu à des affrontements autour du maintien du cadre : elle veut imposer des changements d’horaire de dernière minute autour des modifications de vie de ses enfants auxquelles elle se sent dans l’obligation de s’ajuster, avec un immense plaisir. Si j’étais pour elle une mère dévouée, alors nous serions toutes deux dans une similarité narcissique parfaite.

L’identification à la mère et à ses idéaux

116Identifiée à une image idéalisée d’elle enfant qui aurait été l’objet d’amour total de ses parents, la mère soigne l’enfant comme elle aurait voulu être aimée, et son narcissisme est gratifié par les réactions que suscitent ses soins. La représentation des parents, les investissements œdipiens associent l’enfant au père et au père de la mère, conflictualisant la relation, d’autant plus que la réalité du bébé peut être source de déséquilibre pour cet investissement (Bydlowski M., 1978).

117Encore faut-il que le narcissisme de la femme s’investisse dans le maternel et l’objet bébé. L’ambivalence est plus vivide chez celles qui voient leurs propres enjeux narcissiques remis en cause par la maternité, leur corps déformé et source d’angoisse, leurs idéaux professionnels ou d’indépendance en conflit avec le dévouement nécessaire à l’enfant. Les mères qui ont fait un travail de deuil de leur fécondité et font appel à la médecine pour pouvoir procréer ont souvent une mobilisation narcissique puissante pour investir cet enfant qui pourtant n’a pas les qualités idéales de l’enfant imaginaire.

118La relation à l’enfant ne contient pas seulement les idéaux maternels, mais aussi les aspects négatifs et surmoïques de la relation de la mère avec ses parents, avec tous les conflits associés qui vont colorer la relation maternelle. Les défauts ou manques dans l’objet-enfant sont l’ombre de l’investissement maternel.

119L’identification à la fonction maternelle de la mère, la formation de la dyade est un espace clos de relation spéculaire, homosexuelle primaire en double. Si la femme souffre d’une fragilité narcissique, la fonction de maternage va l’exposer au besoin que ce soit l’enfant qui la fasse mère ; la précarité de sa position maternelle ne va pas faciliter « l’homéostase narcissique » dont parle J. McDougall, et l’angoisse vient à la place de l’amour (1996).

120La mère dévouée ordinaire a été ainsi qualifiée par Winnicott (1949) pour mettre en valeur les mouvements spontanés d’une mère qui s’adapte à son bébé. En faisant ce qu’elle sait « de façon naturelle », la mère se découvre maternelle et se transforme en actualisant des potentialités jusque-là silencieuses, et ce plaisir de la mère est pour l’enfant « comme le soleil qui se lève » Rien de sentimental dans cette histoire de dévouement et d’amour dans lequel Winnicott voit « un désir de possession, un appétit et même un élément équivalent à “vouloir envoyer l’enfant au diable” ». C’est la haine reconnue, la colère maternelle acceptée qui facilitent le plaisir du maternage. L’enfant est source de haine pour la mère, Winnicott l’a bien décrit, il envahit son espace intime et si la fusion est protectrice, elle est parfois de trop pour elle. Entre haine plus ou moins bien intégrée et passion amoureuse, le maternel est violent.

La maternalité

121En rappelant contrairement à Freud que l’amour maternel est ambivalent, Racamier (1984) met l’accent sur « le courant agressif naturel » qui renforce le sentiment de rejet de l’enfant-intrus sur lequel la mère a un pouvoir de mort. La puerpéralité est une période sensible pour ces enjeux qui vont constituer les qualités du maternel, elle « constitue en soi une phase du développement psychoaffectif d’une femme ».

122« Maternalité » est la notion qui regroupe, à la suite de Benedek et Bibring (1959), le processus de réactivation des conflits infantiles et des identifications à la mère avec la remise en cause des systèmes défensifs ; cette crise d’identité peut être maturative et s’associe à des périodes de labilité proches de la psychose. C’est la folie maternelle, transitoire dans les bons cas, mais qui peut achopper sur la peur de l’enfant fruit de désirs incestueux et la relation avec la mère du passé infantile. L’intensité associée à la tâche maternelle, la menace identitaire pour certaines, les retrouvailles avec angoisses impensables font du post-partum un moment de danger qui peut altérer les qualités maternelles (Raphael-Leff J., 1991).

123Ainsi une mère qui avait passé plusieurs années éprouvantes d’infertilité souffrait d’impulsions hallucinatoires à s’ouvrir les veines chaque fois qu’elle regardait le bébé dormir, dans le fantasme qu’il ne devienne un objet d’amour pour sa propre mère.

124La haine dans l’amour maternel se traduit par les phobies d’impulsion et les inhibitions du toucher qui peuvent laisser mère comme enfant dans un désert relationnel, ou par le retournement masochiste qui la rend hyperprotectrice communiquant à l’enfant une souffrance qui interdit l’agressivité. Le maintien d’une emprise symbiotique a été repéré par Stoller comme source des troubles de l’identité sexuelle.

125Les mères négligées dans leur première enfance et sans soutien autour de leur maternité n’entendent pas leur bébé pleurer, ne repèrent pas leurs signaux, comme l’a montré Selma Fraiberg (1980). Le maternel « naturel » doit avoir pris sa source dans un passé nourricier. Harold Searles (1979) a mis en évidence les enfants « thérapeutes symbiotiques » qui sont contraints à « un dévouement véritablement altruiste, à la nécessité de compléter le moi de la personne maternante… qui exige que l’enfant fasse constamment partie d’elle ».

126Enfin, l’enfant dans sa réalité influence la capacité maternelle ; s’il a des défauts physiques, des troubles ou un handicap, il ne donnera pas à la mère la possibilité de satisfactions réparatrices, et suscitera l’angoisse.

127M. Klein (1932) analyse le sadisme féminin, résultat des sentiments primitifs, comme source des conflits qui accueillent la naissance d’un enfant.

128

« Les vœux qu’elle forme pour sa croissance et son bonheur traduisent son secret désir de transformer rétrospectivement sa propre enfance malheureuse en un temps de félicité […]. En le mettant au monde, elle apporte le plus énergique démenti de la réalité aux craintes nourries par ses fantasmes sadiques […]. Avoir un enfant sain et vigoureux est une réfutation vivante de ses angoisses, autant les confirme un enfant anormal, maladif ou simplement qui laisse à désirer ; il finit même dans certains cas par devenir à ses yeux un ennemi, un persécuteur. »

La folie passionnelle maternelle

129C’est le « fonctionnement en double » de la mère qui garantit la transformation de l’excitation en activité représentative. Si, par sa distance, elle ne peut pas garantir l’illusion narcissique primaire, « l’amour illimité de soi », c’est l’hémorragie narcissique et les défauts de constitution du moi qui menacent l’enfant. Si elle l’étouffe parce qu’elle ne supporte pas perte et séparation, une indifférenciation mortifère le menace (Couvreur C., 1987). Le passage de l’enfant objet partiel à l’objet total pour la mère est celui de l’unité narcissique à la problématique de la castration. Le bébé entre dans une chaîne symbolique.

130La mère ne peut se permettre la « folie maternelle normale » que si elle peut contenir ses propres pulsions ; André Green (1980) a rappelé combien cette folie est indispensable, mais dangereuse, car reconnaître et contenir les pulsions pour les renvoyer acceptables à l’enfant requiert une capacité d’élaboration qui peut être débordée. L’amour maternel est « intuitif et spontané », mais soumis aux capacités psychiques de la femme. La folie maternelle est moins psychotique qu’état-limite. Si l’activité de liaison pulsionnelle est défectueuse, « le moi aura à faire à la double angoisse d’intrusion et de séparation ». Sinon c’est l’excitabilité hystérique qui dominera. L’élément essentiel de médiation entre mère et enfant est le père, celui qui peut limiter la folie maternelle « en tant que l’amour de l’enfant ne saurait à lui seul combler la mère ». S’il contient les angoisses de la mère et offre d’autres satisfactions, l’intensité pulsionnelle ne se déchargera pas sur l’enfant. Il prépare à la séparation et limite le danger de passivation qui menace l’individuation. « Le rôle des soins maternels passive l’enfant. Pour que la pulsion ne soit pas vécue comme dangereuse, il faut qu’il puisse compter sur l’objet ? »

131Exaltation narcissique, amour passionné pour le bébé, identification folle, tout dans le maternel paraît excès qu’il faut savoir contenir. Cet amour peut être désorganisateur pour elle et totalitaire pour l’enfant.

132C’est la gestion des affects et l’équipage défensif de la mère qui est en question ; sa capacité de penser en présence de l’enfant est au cœur de la régulation des émois archaïques : capacité de rêver, d’associer même dans le chaos de stimuli du post-partum, de transformer l’expérience émotionnelle par le fonctionnement alpha décrit par Bion (1979). Imagination et insight, déploiement de métaphores et d’images, la rêverie maternelle transforme les projections du bébé. Il en est alors délivré et reçoit la capacité préconsciente à organiser les ressentis. Le plaisir calme de la rêverie maternelle encadre les décharges pulsionnelles.

Deuils et séparations

133Dominique Guyomard (2006) parle de « pulsion au maternel » que seule la sublimation peut aménager. C’est dans le sevrage, les séparations organisatrices, la perte de l’objet qui fait naître le désir que l’espace tendre maternel peut devenir accueil et contenant.

134Le maternel est un mouvement d’investissement qui fait suite à un travail de deuil. « Le rôle d’une mère, c’est d’être là pour être quittée » a affirmé Anna Freud (1951). La disponibilité attentive consiste à pouvoir supporter d’être laissée, parfois rejetée, peinée malgré la joie d’avoir un enfant d’une indépendance croissante. Les mères souffrent de l’absence de cet objet-enfant tant investi, et leur capacité à laisser partir et trouver du plaisir ailleurs est la suite conflictuelle de leur dévouement, quel que soit le soulagement à retrouver une vie non maternelle. Blessure narcissique, vécu d’abandon ou d’agression vont rejaillir sur les possibilités de l’enfant de grandir sans être pris entre culpabilité et agressivité ; la capacité de penser les autres s’origine là, comme l’aptitude à être parent.

135De la position dépressive au souci pour l’objet, les mères puis leurs enfants font l’expérience de la capacité d’être seul, sans reproche. Les enjeux autour de la perte et de la sollicitude pour l’objet se rejouent de façon intense avec la parentalité. Les vœux incestueux matricides de l’enfance de la mère lui rendent difficile d’affronter ces temps de séparation. La mère de la mère est toujours en arrière-plan. « La relation mère-enfant nécessairement incestueuse » écrit André Green (2001), évoquant un inceste homosexuel et narcissique qui se rejoue quand la fille devient mère à son tour. Mais le maternel, justement, implique que cette transgression ne soit pas franchie. « La fonction maternelle comme limite, comme inceste impossible » écrit Nathalie Zaltzman (2001). La relation corps à corps du bébé avec la mère laisse cette trace incestueuse, devenue interdit du toucher à l’âge œdipien, et c’est cette limite qui permet de garder la force érotique des investissements amoureux de l’âge adulte.

Le féminin maternel primaire

136La dépendance absolue des débuts ne peut pas être reconnue, ni par les hommes ni par les femmes, et donne lieu à la peur de la femme qui, dit Winnicott, « est la mère non reconnue des premiers mois de la vie » et dont la figure de la sorcière reste emblématique.

137Il faut se remettre de la perte de l’objet, et le rejet du féminin maternel, qui dans l’après-coup génital s’associe à la castration, en est une solution. Le féminin maternel, primaire plus que sexuel, est réceptivité, capacité de contenir et de donner, des qualités en creux d’un objet partiel (Begoin-Guignard F., 1987). L’enfant s’identifie à cette « matrice psychique » selon le modèle décrit par André Green (2001). Qu’il soit garçon ou fille, le bébé introjecte le féminin maternel. L’identification à la mère objet total, à la féminité génitale de la mère, est secondaire chez la fille, associée à l’identification au père, l’autre de l’objet.

138Les maladies du narcissisme, entre destructivité et dépressivité, angoisse de séparation et angoisse d’intrusion, les cas limite donc, témoignent de l’échec de l’expérience primaire d’être ; le moi est fragile, l’effondrement menace. L’attente toujours passionnelle d’amour de l’objet est sans limite. Amour narcissique avec recherche de l’identique, rêve d’enfantement parthénogénétique, cet enchevêtrement mère-fille rappelle les sculptures de Louise Bourgeois, araignées géantes enveloppantes figurant « l’informe maternel arachnoïde » (Fedida P., 1999). La violence de la passion maternelle qui la fait encore nommer instinct, se manifeste d’autant plus avec la fille.

139Julia Kristeva (2005) articule passion maternelle et sublimation, dans le jeu passion-déprise de la passion qui constitue l’évolution de la relation à l’enfant. Différenciée de l’enfant, la mère lui laisse l’espace de la créativité. La transformation de la libido opérée chez la mère permet à la fois le courant tendre et « un cycle sublimatoire » dans l’échange de signifiants entre mère et enfant : « Retrait pulsionnel de la mère attentive à la seule réaction de l’enfant […], la mère obtient en retour une jouissance encore plus grande à la suite de la réponse de l’enfant qu’elle magnifie et encourage, favorisant le plaisir de penser […]. La suffisamment bonne mère serait celle qui sait s’absenter pour céder la place au plaisir, pour l’enfant, de la penser. Une sorte de matricide symbolique s’opère ainsi. »

Le maternel dans le travail analytique

140Les conséquences des dysfonctionnements du maternel primaire mènent l’analyste à ajuster sa technique. La place de l’actuel et des défauts de symbolisation mène à un travail autour du silence, de la primauté du contre-transfert et de la transitionnalité.

Le cadre

141Comme la présence maternelle des débuts de la vie, le cadre n’est perceptible que lorsqu’il disparaît. Avec la neutralité de l’analyste, le cadre est constant, fiable, d’une qualité silencieuse évidente et assurée. Explicité par l’analyste comme un interdit paternel de la relation incestueuse, il devient la garantie d’une relation « tenant lieu de l’amour maternel ». Le cadre, support de l’ancienne symbiose, est « incarnation des limites du corps, corps du sujet, corps unique de la mère et de l’enfant à l’intérieur duquel doit naître cette cloison qui règle leurs échanges » (Donnet J.-L., 1975).

142Depuis la notion d’analyse transitionnelle de Didier Anzieu (1984) et les travaux de René Roussillon (2008), le cadre est défini par la souplesse dans les analyses de patients limite, avec le maintien solide du cadre interne de l’analyste.

143Si l’on retient le maternel comme pare-excitation, alors la temporalité rythmée des séances, la qualité de la présence de l’analyste, l’attention à la dimension sensorielle de la rencontre, toujours reprise par le langage, incarnent le maternel de l’analyste : la gestion de l’économie de la séance, entre silence et interventions, investissement-désinvestissement, excitation et angoisse. Les traitements de patients cas limites et surtout psychotiques, les thérapies de petits enfants, se passent dans le registre de la dépendance et, comme Winnicott l’a montré, l’analyste y devient l’objet, il n’en est plus le représentant.

144Émilie a cinq ans, adoptée à la naissance. Elle a des accès de rage destructive qui rendent difficile la vie familiale. Elle arrive en séance désorganisée, je l’entends depuis la rue tant ses hurlements sont stridents. Ses parents sont démunis, et je vais la chercher devant la porte de l’immeuble pour maintenir le cadre à l’intérieur de mon bureau. J’aide le parent à la contenir en disant combien c’est important d’être solidement tenue par lui qu’elle frappe de toutes ses forces ; elle finit par être déposée dans mon bureau hurlante, en sueur, et toute parole de ma part entraîne des coups, je lui offre de rester seule dans un coin. Elle choisit le placard, assise serrée entre des piles de livres et elle se calme. Nous pouvons alors commencer la séance où elle me dit sa haine de l’obliger à venir, qu’elle déteste sa mère qui refuse toutes ses demandes et qui reste en arrière-plan dévaluée car stérile, incapa

ble de la porter ni dans son ventre ni dans sa tête. Je lui fais remarquer que sa colère n’a pas détruit notre relation ni celle avec ses parents, et je parle de sa douleur et de son insécurité.

145Le travail avec les parents en parallèle avec la thérapie va porter ses fruits. Émilie leur fait peur, ils ont le fantasme d’avoir adopté une psychotique. Mais cette petite fille intelligente a une volonté de changement et s’est engouffrée dans l’analyse. Quand l’enfant est devenue tendre, sa mère va se révéler réconfortante alors qu’Émilie avait été pour elle un reproche vivant, comme est sa propre mère. Emboîtées dans les projections de mauvais objet, elles restaient collées dans la haine.

146Émilie fait en pâte à modeler des cœurs, des maisons où nous créons ensemble des habitants dont nous prenons soin avec minutie, nous sommes maternelles ensemble. Elle est émue par les retrouvailles avec les couleurs de mon bureau, l’odeur de la pâte qu’elle hume avec délice, la douceur des coussins où elle s’enroule quand elle est triste. Je lui dis qu’elle retrouve chez moi ses souvenirs de bébé tenu dans les bras de sa maman, combien elles ont été contentes mais embarrassées d’avoir à apprendre à se connaître dans l’orphelinat. Elle va trouver un nom pour ces moments de régression contenue : la sérénité, mot découvert dès l’entrée au cp car elle veut trouver les mots pour dire son ressenti. Les séances sont alors très silencieuses, je suis juste là, disponible et attentive, sans risquer une parole qui ait une valeur intrusive. Dans le transfert, je suis passée d’une figure punitive à un double narcissique puis un objet maternel idéalisé, enfin à une imago grand maternelle qui va contenir ensemble mère et fille : « Tu es vieille, dit-elle depuis qu’elle est entrée dans l’ère œdipienne, à la fois rivale et pleine de souci maternel à son tour, alors tu peux aider ma maman aussi. »

147Harold Searles (1979) nomme symbiose de transfert les situations avec des patients psychotiques où le thérapeute assume « les attributs de la mère perçus très tôt », dans la relation préobjectale, et doit identifier en lui les mouvements de haine, emprise, rejet induit par le système dans lequel il est englobé, pour « parvenir au noyau narcissique de la répétition traumatique » écrit Pierre Fédida (1999). Le dégagement de cette emprise ouvre sur un autre mode d’être et de relation nouveau avec l’objet.

L’analyste-mère dans la version winnicottienne

148Les qualités de l’environnement Winnicottien font écho au cadre analytique dans sa fonction de maintien et de limite. Le cadre, extension du corps maternel, fonctionne comme une enveloppe sur le mode du moi-peau. Le retour périodique des séances a la continuité du support maternel, tout comme la voix de l’analyste peut être éprouvée comme flux sonore avant d’être signification.

149Le risque est de transformer l’analyse en technique de maternage désexualisé, ou de pédagogie, quand l’analyste joue le rôle d’une mère qui nourrit ses patients de ses interprétations. C’est une critique souvent adressée à Winnicott. Mais il a décrit les qualités nécessaires au Freudian setting pour permettre régression et travail analytique (Abram J., 1996). Depuis l’école hongroise, le trauma précoce est envisagé comme la source des fragmentations du moi, et demande une intervention où la qualité réelle de la présence est essentielle pour l’intégrité psychique. Si l’on suit Ferenczi (1932), le narcissisme se construit avec l’intérêt positif, l’amour du monde externe, et ce sont « les mouvements positifs du transfert qui fournissent, en quelque sorte après coup, le contre-investissement qui n’a pas pu se constituer au moment du trauma » (cité par Press J., 2001). Winnicott (1954) parle de régression à la dépendance, aux besoins du moi, et de l’attention que doit y porter l’analyste car corriger les dégâts du passé serait alors possible. Verbaliser ce qui a manqué dans le passé et ce que l’analyste lui aussi peut ignorer par ses défaillances fait partie de l’attitude active requise pour les patients limite.

150L’analyste doit être « transformable ». C’est un travail de métaphorisation, de verbalisation qui demande de fournir des représentations à partir d’un contre-transfert proche de la chimère « quand l’ambiance régressive s’aggrave d’un sentiment grandissant de compréhension affective des phénomènes psychiques » (de M’Uzan, 2008).

151La qualité du fonctionnement psychique du patient affecte celle de l’analyste et certains patients rendent difficile la permanence de l’investissement, la régularité de la pensée et la capacité de rêverie de l’analyste sont atteintes.

Féminité et réceptivité : enjeux de la bisexualité

152La mère dans l’analyste serait d’emblée attentive au transfert négatif, la mauvaise mère projetée ou la bonne mère détruite.

153La capacité de rêverie de l’analyste, d’associer sans se précipiter à interpréter, de se laisser aller au « partage d’affect », relève du féminin de l’analyste. Il s’agit moins de sollicitude, de représentations maternelles de soins psychiques que de capacité à supporter l’inconnu et l’irreprésentable. L’attention flottante à contenir l’affect et l’intervention pour le transformer sans heurter sont qualités maternelles, recevoir, accueillir, savoir attendre, comme l’a montré Janine Chasseguet (1988).

154Quel que soit son sexe, l’analyste joue avec ses identifications féminines maternelles, couplées avec ses qualités phalliques, sa règle interne, et peut se laisser « passiver » pour analyser les projections du patient. Ne pas se précipiter à des interprétations de contenu, écouter le mouvement et ses ruptures dans le flot verbal, attendre en silence – sans laisser le patient dans le vide – respecte l’association libre et l’élaboration silencieuse.

155Trop de maternel sur le mode réparateur des manques primitifs fait disparaître le désir et la sexualité. On le voit dans certains mouvements analytiques où le rêve et la sexualité on disparu au profit d’un modèle normatif.

156Laisser agir l’autre en soi, mettre à l’écart les mouvements pulsionnels, œuvrer à un langage commun où les affects peuvent être partagés, en particulier avec les patients psychotiques, favorise l’émergence de l’Être, de la continuité du sentiment d’exister sans lacune, et nourrit la capacité de faire des liens (Press J., 2001).

Capacité de rêverie et transitionnalité

157Green (1983) décrit le syndrome de désertification psychique des patients qui ne peuvent supporter le cadre et ressentent une vacuité angoissante. L’unité du moi est en danger, et le face-à-face offrant le regard et la présence physique de l’analyste permet au moi de surmonter la détresse. Les atteintes précoces du moi, leurs conséquences économiques autant que structurales, imposent des changements dans le travail analytique. Le trouble est compris comme la conséquence de la qualité de l’environnement primaire et le soin est pensé en accord : le cadre et la personne de l’analyste recomposent un environnement qui doit fournir des qualités telles que le transfert fera revivre un reflet des relations primitives.

158Appuyé sur la rêverie de l’analyste et son attention à la destructivité comprise comme un enjeu du négatif, le patient rencontre un écho à sa souffrance et une limite à ses attaques : les expériences précoces d’attente vaine de l’objet et leur cortège de réactions destructives de la pensée sont associés aux failles de l’analyste et reprises dans la tiercéité. Remettre en route des mouvements libidinaux est lutte contre le vide, André Green (2001) rappelle l’influence de la relation maternelle fusionnelle sur la libido « plus libre que liée ».

159La transitionnalité est essentielle, jouant sur le paradoxe d’être et de n’être pas, du semblable et du différent. L’espace transitionnel doit être continuellement récréé, et si l’espace de jeu est rétréci par la perte de confiance dans l’imago maternelle, l’analyse doit être le « pont jeté vers le monde » comme le dessine Lore Schacht, et qui réanime l’espace potentiel de créativité.

Fonction de contenant

160Le maternel est un fonctionnement inconscient de la personne maternelle qui maintient l’équilibre économique chez celui qui est démuni. La capacité maternelle, c’est une identification à un autre différent de soi et investi narcissiquement avec le désir de porter remède aux besoins de cet autre : ce soutien à un moi pas encore constitué ou défaillant est du registre préconscient. Le besoin essentiel de pare-excitation fonctionne en enveloppes : la personne maternelle doit s’appuyer sur les fonctions maternelles de son propre fonctionnement psychique et sur un environnement familial ou thérapeutique, pour faire fonctionner sa propre capacité maternelle.

161L’analyste avec sa capacité à se laisser gagner par la folie de son patient, à recevoir le désordre parfois chaotique de ses associations, met en route une fonction maternelle préconsciente. Le soutien fondamental au narcissisme du patient et le maintien du cadre font écho au maternel inconscient.

162La quête d’un objet pare-excitant a mobilisé Sylvie à chercher un analyste, et m’a confrontée moi même au travail de contenir ses affects désorganisés avant de pouvoir analyser le contenu de ses fantasmes, et surtout de contenir mes propres débordements de façon à pouvoir penser et garder une possibilité d’attention flottante. « Comment faites-vous pour garder votre calme ? » a-t-elle demandé dès le premier récit de ses relations dramatiques avec la maternité.

163C’est de la fonction maternelle de l’analyste qu’il s’agit ici. La part des événements de la réalité a été centrale dès le début de nos rencontres et n’a fait que s’accentuer pendant l’année où cette jeune femme était enceinte puis a donné naissance. Je me suis trouvée en situation de tenir compte des besoins réels tant somatiques que très concrets de cette patiente, comme une mère le fait en cherchant à s’ajuster au mieux aux besoins de son enfant fragile ; tout en poursuivant bien sur un travail analytique, c’est-à-dire analyser autant mes propres fantasmes que les siens car mon contre-transfert était bousculé au point que parfois je ne savais plus où en étaient les limites. J’ai pensé la relation plutôt en termes économiques au début de nos rencontres.

164Sylvie va retrouver sa capacité de rêver quand je vais arrêter de me concentrer sur les aspects actuels du traumatisme et retrouver ma capacité de rêverie en séance, quand l’écoute flottante sera accessible et que j’aurais enfin dépassé mon contre-transfert maternel plein de souci pour elle et son bébé. Dans la force traumatique des événements autour de la grossesse et l’attente avide la patiente d’être entendue et contenue, un mouvement transférentiel, avec mes réactions jumelles en écho, a permis une emprise qui paralysait ma pensée. L’analité agressive mise en jeu par les emboîtements maternels – elle enceinte et affolée à l’idée de perdre le bébé, moi anxieuse de son état somatique, partageant la haine pour la figure de la mère borderline de la patiente – cette agressivité n’a cédé que lorsque j’ai relâché ma vigilance et subi un moment contre-transférentiel quasi hallucinatoire.

165Sylvie est enceinte de quatre mois quand je fais sa connaissance. Elle est insomniaque, désorganisée, elle a peur de devenir folle. Une répétition morbide d’événements traumatiques, autant médicaux que familiaux, avait mis cette jeune femme en grande vulnérabilité psychosomatique et psychique, car elle avait traversé un épisode de dépersonnalisation. (Pour les détails cliniques, on peut se référer au texte du rapport sur la maternel : Christine Anzieu-Premmereur, 2011.)

166Devant le déluge d’expériences d’effroi rapportées par Sylvie, je me suis sentie comme une mère épuisée qui berce un nourrisson en train de se désorganiser, sans vraiment comprendre mais en faisant l’effort de le calmer. La crainte d’un malaise somatique durant les séances et mon souci pour le bébé ne faisaient qu’aggraver mon impression d’être dans une collusion narcissique entre femmes, une symbiose comme Sylvie avec sa mère. Cette mère est une femme anxieuse qui envahit sa fille de fantasmes destructeurs. En séance, j’associe sur l’expérience de perte des limites, elle rapporte un souvenir, les migraines de sa mère qui l’ont rendue indisponible. Je lui dis que son vécu d’abandon et sa rage à l’égard d’un médecin indisponible pouvaient être un écho du passé. Elle réagit en demandant comment je peux faire des liens et pas elle. Dans la séance suivante elle va essayer, de façon volontaire, suivant mon « modèle », de retrouver des éléments de son enfance. Elle est très contente de venir en séance, c’est le seul moment de la journée où je pense, dit-elle. Le travail en double fonctionne.

167Mais sa mère fait intrusion dans notre enveloppe à qualité homosexuelle. Elle lui a raconté un cauchemar et Sylvie se sent empoisonnée, se dit que sa mère détruit ses capacités maternelles, elle ne peut plus s’arrêter de revoir les images du rêve de sa mère. Elle est étonnée que je ne prenne pas position pour dire que sa mère est une mauvaise mère ; je vais parler de rivalité entre femmes, c’est la première fois qu’elle a ce genre de pensée. C’est mon calme qui l’intéresse, et elle décide que pour garder le sien, elle doit interrompre le téléphone avec sa mère. Les mouvements d’envie entre femmes s’ouvrent sur l’imitation-identification à contenir les affects.

168Introduire un tiers a été un exercice répétitif jusqu’au point où le mari de Sylvie a commencé à exister dans les séances.

Contre-transfert en « double »

169Durant une séance particulièrement tendue où elle rapporte ses propres cauchemars d’arrachage de peau, c’est moi qui commence à aller mal : durant la séance, je ressens un malaise physique, je me demande si je vais pouvoir rester et je me sens saigner. C’est mon identification à Bion qui m’a fait reprendre mes esprits. J’ai pensé que je n’avais plus l’âge de saigner ainsi, que c’était un fantasme associé aux traumas de la patiente, je pense que nous vivons la même expérience, qu’il s’agit d’une hémorragie narcissique. Je lui dis qu’elle répète la perte d’une partie d’elle-même. Elle se tait longuement.

170La séance suivante, elle annonce que son trouble psychosomatique est réglé. Elle l’attribue à l’interprétation, « après ce que vous m’avez dit la dernière fois, j’ai senti que je me détendais » mais je ne me suis plus souvenue de ce que j’avais dit à la fin de la séance. On parle du modèle digestif de Bion, cette fois, c’était vraiment une expérience de digestion des émotions de la patiente ! La transformation des sensations en mots était un jeu d’identification avec elle enceinte et de contre-transfert maternel.

171Un bébé en bonne santé est né, mais elle ne pouvait le laisser dormir, tout à la pensée que l’attention maternelle devait être constante, et que dès qu’elle déclinait, il allait mourir. Elle vivait une hallucination négative, ne voyant plus l’enfant dans son lit le soir ; en état de panique, elle ne pouvait quitter la chambre de l’enfant qu’elle finissait par réveiller ; seuls les cris du bébé lui redonnaient la preuve qu’il était vivant.

172Elle décida de venir avec le bébé pour une séance où je pourrais évaluer l’état de l’enfant. Le petit garçon de cinq mois était un bébé tranquille. Après un moment de perplexité, regardant sa mère, il sourit, se mit à babiller, suçant ses doigts, curieux du monde extérieur dès que le regard de sa mère lui confirmait qu’elle faisait attention à lui. La qualité de leur relation et des jeux autoérotiques de l’enfant m’a permis d’intervenir pour dire ma surprise qu’elle puisse penser qu’un enfant aussi solide et aimant la vie puisse se laisser étouffer sans réagir. J’ai affirmé que ce bébé intéressé par le monde extérieur avait un plaisir à vivre qui lui appartenait en propre et ne dépendait pas complètement d’elle. Pour Sylvie, ce fut une nouvelle façon de penser : ils n’étaient pas tous deux en symbiose et elle pouvait lui faire confiance. L’enfant avait pu être « montré » quand il avait acquis un statut d’objet libidinal plus que narcissique. Les symptômes disparurent. Elle rapportera combien l’aspect non verbal de cette séance avait été intense pour elle, mes regards, surtout le rythme des paroles.

173Une mère en difficulté garde ou retrouve une capacité maternelle si l’environnement familial ou professionnel la soutient et la requalifie dans son identité en mettant en valeur sa position contenante pour l’enfant. Le maternel s’emboîte toujours sur une autre capacité maternelle. Les identifications paternelles et maternelles de l’analyste ou des soignants permettent un jeu émotionnel qui facilite un féminin maternel à l’abri de l’incestuel et de la capture narcissique. Quand le bébé a acquis son propre fonctionnement transitionnel, Sylvie s’est dégagée de ses retrouvailles envahissantes avec le passé. Elle joue avec les mots, parlant de la distance établie avec ses parents : « Ce n’est pas la mer à boire. »

174La créativité de l’analyste est essentielle dans ces cas difficiles, comme une réponse maternelle qui permet le dégagement de la pulsion, l’apaisement des enjeux de perte, car le maternel c’est savoir jouer (Schacht L., 2001). Fonction d’intrication des pulsions, de la destructivité, le maternel manifeste métaphoriquement chez l’analyste le holding, par un fonctionnement en double indispensable au passage du sensoriel à l’activité de représentation. Être en empathie, faire sien l’autre, construire la structure encadrante, mais jouer avec la perte et l’absence, font travailler la bisexualité de l’analyste dans son désir d’apporter un mode maternel à sa présence : créer des liens, manifester une présence étayante. Les enfants en détresse comme les patients états limite manifestent l’intensité des atteintes précoces du narcissisme. L’importance de la relation à l’objet primaire maternel se rejoue dans le transfert et la temporalité de l’après-coup permet parfois la reprise d’un processus de symbolisation (Green A., 2010).

Pour conclure

175Freud a prôné le primat du paternel et de la pensée sur le sensoriel et le maternel. Il a nommé le rôle central des conflits internes comme organisateur des mouvements psychiques et de la névrose. L’école anglaise a mis l’accent sur la fonction primaire de l’objet maternel et les processus archaïques.

176La pensée analytique contemporaine, confrontée à la difficulté de traiter les patients limites, s’est tournée vers la place de l’objet externe, l’influence de l’environnement, le poids de la réalité dans le développement psychique.

177Le maternel revient alors sur le devant de la scène, avec son cortège d’excès et de manques. La puissance de l’investissement narcissique, le souci pris à cette partie de soi qu’est l’enfant, biologique ou non, créent la passion amoureuse maternelle. La perméabilité à l’autre qui favorise les soins adéquats met en danger le moi du parent qui s’y engage. Cette fusion étayante peut pêcher par excès, se faire intrusive ou empiétement, entamant la construction du self, ou c’est la carence, l’absence de réponse au besoin, qui laisse une effraction indélébile, une amputation de soi. Le fonctionnement psychique des parents a alors pris le pas sur la dynamique interne du sujet.

178Les défaillances du maternel et les déceptions déstructurantes qui s’ensuivent nous confrontent à l’extension du champ du travail analytique. Troubles identitaires, maladies du narcissisme, pathologies du comportement et de l’addiction mènent les analystes à repenser théories et pratiques hors du cadre classique. Maternel et paternel sont indissociables, tous deux aussi facilement violents et destructeurs que structurants et sources d’énergie créatrice. Nous conjuguons les deux dans le travail analytique, et il ne faut pas craindre d’étendre le champ d’investigation et d’intervention du psychanalyste.

179Pour construire un appareil psychique propre à analyser, l’analyste fait appel aux traces infantiles de cette disposition maternelle à entendre l’autre, à maintenir sans effroi cette relation d’étrangeté. Comme le montre Jean Guillaumin (2000), c’est de la solidité et la plasticité des enveloppes personnelles de l’analyste qu’il s’agit, qui comme toute fonction maternelle, doit être entretenue en s’étayant sur les identifications avec l’entourage.

180Appuyé sur sa propre assise maternelle, l’analyste contient, rêve, pense, fait face aux enjeux difficiles des troubles du narcissisme endommagé. Il bénéficie de la connaissance du rôle de ce fondement archaïque qu’il doit rejouer avec les patients, sans faire la mère réparatrice toute puissante, pour permettre une mobilité psychique, transmettre ses capacités tant maternelles que paternelles. Le maternel est une matrice énergétique, pour reprendre la belle expression de Guy Lavallée (2007).

181C’est dans le plaisir de jouer grâce au lien interne conservé avec l’enfance que

l’analyste, comme l’artiste, puise sa créativité.

 
Mis en ligne sur Cairn.info le 02/02/2012
https://doi.org/10.3917/rfp.755.1449
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Dans son dernier ouvrage, « Vivre avec nos morts », la rabbine, voix du judaïsme libéral, livre une réflexion sur la mort et sur ce que la conscience de notre vulnérabilité peut apporter à nos vies.

Propos recueillis par

Publié le 14 mars 2021
https://www.lemonde.fr/le-monde-des-religions/article/2021/03/14/delphine-horvilleur-la-laicite-est-une-forme-de-transcendance-une-promesse-d-infini_6073040_6038514.html

Entretien. Voilà un ouvrage sur la mort que l’on se surprend à lire le sourire aux lèvres. Malgré la gravité apparente du sujet, Vivre avec nos morts (Grasset, 234 p., 19,50 euros) est en réalité un puissant hymne à la vie. Il aurait pu tout aussi bien s’appeler LeH’ayim ! – « A la vie ! », en hébreu –, expression qui ponctue régulièrement ce récit plein de sensibilité et de finesse.

Si Delphine Horvilleur prend pour point de départ la narration de vies interrompues, inconnues ou célèbres – la psychanalyste Elsa Cayat, Simone Veil, Marceline Loridan-Ivens –, elle la prolonge d’une réflexion sur la manière de donner sens à cette mort, sans pathos. Pour la première fois, la rabbine se dévoile également de manière plus intime sur sa propre histoire, ses « propres fantômes ». Puisant dans les textes sacrés et, de manière plus inattendue mais tellement savoureuse, dans les objets les plus profanes du quotidien – Lego inclus –, la rabbine Delphine Horvilleur nous offre ici les enseignements d’une sagesse lumineuse et riante.

 
 

Qu’est-ce qui vous a incitée à écrire sur la mort, thème souvent jugé repoussoir ?

Si ce thème peut effectivement sembler un peu pesant, j’ai cherché au contraire à offrir des récits qui, face au surgissement de la mort, font gagner la vie et ne lui laissent pas le dernier mot. Quand les gens meurent, ce n’est jamais de leur fin ou de leur tragédie qu’il faut parler, mais de la vie et la façon dont ils l’ont célébrée. D’où le titre du livre, Vivre avec nos morts.

L’idée de cet ouvrage est beaucoup plus ancienne que l’actualité liée à la pandémie, qui a fait surgir la mort de manière visible autour de nous. Depuis des années, je passe un temps considérable dans les cimetières et les maisons des endeuillés. Je savais que je devrais un jour explorer cette question qui me hantait, mais j’appréhendais de le faire. J’avais conscience que cela m’obligerait à faire un travail très personnel pour explorer mon propre rapport à la mort, mes propres fantômes. Mes précédents ouvrages étaient des essais, format qui n’impose pas de se mettre à nu. Ici, je me livre de manière beaucoup plus forte.

Pourquoi étiez-vous, jusqu’alors, réticente à le faire ?

Comme toutes les femmes qui ont été amenées à investir des fonctions longtemps masculines, je voulais sans doute inscrire mon rabbinat dans le sérieux de mon rapport au texte, la neutralité de ma fonction et tenir à distance l’affect. Il me semble qu’il m’a fallu, pendant un temps, surjouer un peu l’exemplarité « cérébrale ». Mais aujourd’hui, du temps a passé, et une certaine reconnaissance me permet peut-être de prendre un peu plus de liberté. Je crois toujours à la quête de l’excellence et du sérieux intellectuel, mais il me semble que je suis prête à dévoiler davantage mes propres vulnérabilités, et à parler à la première personne du singulier.

Je sais qu’au sein du monde juif, certaines personnes ne verront jamais en moi un rabbin. Elles considèrent que leur vision du judaïsme est la vraie, et que la mienne ne l’est pas. La différence entre elles et moi, c’est que je considère pour ma part que ni la leur ni la mienne n’est la vraie – ce sont juste deux façons de vivre une tradition. J’ai gagné suffisamment en sérénité pour ne plus avoir besoin de leur approbation. Des gens cheminent à mes côtés et je tente simplement de les accompagner le mieux possible, de trouver les mots justes pour tisser la tradition juive à l’épreuve qu’ils traversent.

Vous racontez dans votre livre la terreur qui s’est emparée de vous lorsque, à 10 ans, vous avez pris conscience de votre mortalité. Le fait de côtoyer si souvent la mort, en tant que rabbine, a-t-il permis de calmer cette angoisse ?

Cela n’a rien changé, si ce n’est que je regarde avec plus de lucidité et de tendresse la petite fille de 10 ans terrorisée, qui fait face à l’idée de la mort pour la première fois. Cette petite fille est toujours là. Mais j’ai compris avec les années que s’il y a un monde que la mort ne peut pas toucher, c’est celui des mots. Le propre de la mort est qu’elle ne se raconte pas. Ce qu’on peut raconter, c’est la vie. Quand quelqu’un meurt et qu’on sait raconter sa vie, on fait un sacré pied de nez à la mort. Le seul pouvoir dont je dispose face à cette obscurité qui se tenait devant la petite fille de 10 ans, c’est celui des mots.

Quelle est votre vision de l’après-vie ?

Cette question est très complexe sachant que, contrairement à d’autres traditions religieuses, le judaïsme ne propose pas de dogme sur l’après-vie mais une multitude de discours très protéiformes. Certains défendent l’idée de la résurrection des morts à l’heure où le Messie viendra ; d’autres, celle d’une forme de réincarnation – dans la mystique juive –, l’idée de repos au jardin d’Eden, celle que l’âme survit au corps et rejoint le créateur dans les sphères célestes… Toutes ces idées existent et cohabitent même parfois dans certaines prières, comme celle du El Maleh Rah’Amim que l’on récite au cimetière.

Si ce discours volontairement polyphonique peut déstabiliser certains fidèles, il me convient bien car il montre que la mort est un domaine où le langage n’a pas sa place. D’ailleurs, la Bible nomme l’après-vie le shéol, terme qui signifie « la question ». Quand on meurt, on tombe dans la question. Des tas de gens aimeraient qu’on leur dise qu’on s’élève ensuite vers la réponse, mais cette certitude n’est jamais formulée ainsi.

« Le métier qui se rapproche le plus du mien, c’est celui de conteur »

La pensée rabbinique est marquée par une mise en garde omniprésente contre la fascination que la mort peut exercer sur nous, laquelle risque de nous empêcher de vivre. C’est comme si les rabbins avaient cherché à bâtir une contre-pyramide, un anti-mausolée : pas question d’encenser la mort, de l’embellir, de la sculpter, ni même de fleurir la tombe – lors des funérailles, on n’apporte pas de couronne de fleurs mais on fait souvent un don à une cause chère au défunt. C’est la vie qui mérite un investissement, un narratif et une réflexion.

Portrait : Delphine Horvilleur, madame la rabbin

Vous dites qu’« être rabbin, c’est raconter des histoires », être « conteur ». Ce type de définition ne risque-t-il pas de décrédibiliser la fonction ?

Je comprends très bien que certains attendent de la religion et de ses « leaders » un discours de vérité exclusive. Cependant, à mes yeux, ce n’est pas du tout conforme à ce qu’un rabbin devrait être. Le métier qui se rapproche le plus du mien, c’est effectivement celui de conteur. Cette formulation est tout sauf une profanation de la fonction. C’est même le contraire : une tentative d’élever ce rôle à la hauteur de celui qui raconte des récits.

On a longtemps pensé que le propre de l’homme était le langage, le rire ou les rites funéraires, or il n’en est rien. Au bout du compte, il me semble que le propre de l’homme est sa capacité de raconter des histoires et se raconter des histoires. Si certains tournent cela en ridicule, je pense à l’inverse que la force des humains tient à cette capacité à construire des mondes, et à avoir une action politique dans le monde en partageant des récits qui leur permettent d’agir ensemble.

Si nos traditions religieuses, chacune par le biais de ses propres narratifs, se révèlent porteuses d’histoires de vie, elles peuvent apporter quelque chose de l’ordre d’une bénédiction pour nos sociétés. Quand elles se font porteuses de récits de mort – comme elles l’ont souvent fait dans l’histoire, et particulièrement ces dernières années –, alors elles sont une malédiction. Car les assassins du Bataclan se racontaient eux aussi des histoires qui, de leur point de vue, étaient sacrées. De ce travail de conteur, on peut faire le meilleur comme le pire.

A ce titre, les histoires constituent une arme de destruction ou de construction massive dans le monde. Mais quand la mort surgit, la puissance de ces récits est décuplée. Face à la dévastation, soit vous la laissez s’emparer de vous, soit vous agissez avec vos mots pour la contrer.

A plusieurs reprises, vous parlez de « métier » pour faire référence au rabbinat quand, souvent, les religieux emploient volontiers les termes de « vocation », de « service », « d’appel ». Etre rabbin est-il, à vos yeux, un « métier » comme les autres ?

En entendant le mot « métier », me vient à l’esprit l’origine de ce mot, la référence au métier de tailleur, au fait de « remettre l’ouvrage sur le métier ». Dans chacun de mes livres, je m’attache à mettre en exergue le lien très fort entre mon engagement et le travail du couturier : la question des liens à retisser, des fils, du texte et du textile est très présente dans le judaïsme et dans l’exercice des rabbins.

Pour moi, mon métier est un travail de tissage. Je suis donc un peu une conteuse et un peu une couturière. Leur point commun est qu’il s’agit – face au texte pour le conteur, face au textile pour le tailleur – de rapiécer, dénouer, renouer. Voilà le cœur de ma mission, qui est d’autant plus un métier que le judaïsme ne perçoit pas le rabbinat comme un clergé.

Vous reconnaissez-vous dans l’expression, au demeurant antinomique, de « rabbin laïc » par laquelle la sœur d’Elsa Cayat, membre de la rédaction de « Charlie Hebdo », vous avait désignée lors de ses funérailles après l’attentat de janvier 2015 ?

En entendant la sœur d’Elsa me présenter comme un « rabbin laïc », j’ai tout d’abord sursauté. Qu’entendait-elle par là ? Mais très vite, rien n’a sonné plus juste dans ma vie que ce « baptême » de « rabbin laïc » qu’elle m’offrait. Dans ce moment très particulier où tant de gens voulaient mettre notre nation endeuillée en posture d’affrontement – répartir le monde entre ceux qui croient et ceux qui ne croient pas, ceux qui chérissent la laïcité et ceux qui n’en veulent plus –, je sentais dans ce cimetière qu’on ne pouvait laisser la nation en lambeaux et qu’on pouvait ensemble recoudre. Rapiécer n’est pas si difficile, mais cela implique de pouvoir entendre le langage de l’autre.

« De la même manière que je fais dialoguer en moi rationalité et pensée magique, j’ai besoin dans ma vie que dialoguent la profondeur et la légèreté »

Quand la sœur d’Elsa emploie ces termes antinomiques, je vois très vite ce qu’elle veut dire, et que c’est ce que j’aspire à faire moi aussi : montrer pourquoi la laïcité me permet d’être la rabbine que je veux être, pourquoi la laïcité est la bénédiction qui me permet d’exercer ma fonction d’accompagnante dans un langage très particulier qui est celui du judaïsme, mais qui est là pour raconter quelque chose d’universel. La laïcité est pour moi un cadre qui ne sature pas, qui promet que l’espace autour de nous restera non saturé des convictions ou des certitudes des uns et des autres. Parce que c’est un cadre plus grand que ce que je crois, la laïcité est une forme de transcendance, une promesse d’infini.

Dans la préface du livre d’Amos Oz, « Jésus et Judas » (Grasset, 96 pages, 8 euros), vous vous définissez comme une « traîtresse à la tradition » ; vous ne cachez pas non plus votre rapport compliqué au sionisme. Faut-il faire le deuil d’une identité sereine, même quand on est rabbin ?

Je ne crois pas que la tradition juive offre à aucun moment la possibilité d’un rapport apaisé, sédentarisé, à l’identité. Le judaïsme chérit toujours les mises en route et se méfie toujours des installations ; ce n’est pas un hasard si la Torah s’arrête aux pieds de la Terre promise. Ce qui ne veut pas dire qu’on n’a pas le droit de s’installer.

Si je me sens très sioniste, je ne me retrouve simplement pas toujours dans la définition que certains donnent du sionisme aujourd’hui : le sionisme de l’assassin de Yitzhak Rabin (1922-1995) et le mien n’ont rien à voir. Le philosophe Jacques Derrida disait que le propre de l’identité juive, c’est « une sorte d’inadéquation entre soi et soi », une certaine façon de ne pas savoir dire qui on est et de ne pas être complètement sûr de soi quand on l’énonce.

Parce que l’identité juive échappe à toute définition, elle échappe aussi à toute finition, c’est toujours un mouvement. D’ailleurs le mot « hébreu », dans cette langue, signifie « en passant », et le verbe « être » ne connaît aucune conjugaison au présent : on peut avoir été, devenir, mais on ne peut pas dire « je suis ». Il n’y a pas d’identité au présent fixée une fois pour toutes.

« Nous sommes dans un temps de violence messianique »

L’identité mère du judaïsme est donc une identité de passage, qui refuse l’immobilité, d’où la haine qu’il peut susciter – surgissant dans des temps d’obsession identitaire, le discours antisémite ne supporte pas l’identité mouvante que le juif incarne très bien. Ma non-sérénité de juive ou de rabbine est donc, pour moi, une fidélité à la tradition. J’appartiens à une religion où il a souvent été question de trahir la tradition au nom de la tradition. Dès lors, est-on fidèle à la tradition quand on cesse de l’interroger ?

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Vous citez Gershom Scholem : « Ne risquerions-nous pas de voir un jour la puissance religieuse de ce langage [l’hébreu, langue sacrée] se retourner violemment contre ceux qui le parlent ? » N’est-ce pas d’une certaine manière, transposé à la culture occidentale, ce que nous traversons actuellement : à force de refouler le sacré, ne nous revient-il pas aujourd’hui violemment en pleine face ?

Nous sommes en effet dans un temps de violence messianique comme il y a en a eu souvent à travers l’histoire, ces temps où des personnes surgissent en prétendant avoir le tout de la réponse ou détenir, si j’ose dire, une « solution finale ». Le Messie est arrivé – il ne s’agit d’ailleurs pas toujours d’un messianisme religieux, ce peut être une idée, une idéologie, mais le danger reste le même. Aujourd’hui, comme à toutes les périodes où l’humanité en crise cherche des solutions, d’aucuns pensent qu’ils détiennent une vérité déjà aboutie. Ils croient pouvoir effacer la question.

Il y a, dites-vous, quelque chose de blasphématoire dans la vision que le judaïsme développe de Dieu, avec l’idée de le tenir à distance, voire de le remettre à sa place. Vous-même, pourrait-on vous demander de manière un peu provocatrice, croyez-vous en Dieu ?

Quand les gens me demandent de parler de Dieu, j’ai souvent l’impression qu’il y a un malentendu, ne serait-ce que dans les termes. Dans la tradition juive, Dieu n’est pas un nom, c’est un mot ineffable. Le fameux tétragramme (YHWH) auquel les juifs croient est un terme qu’ils ne savent pas prononcer, un au-delà du langage, une forme verbale plus qu’un mot.

Je crois en un transcendant qui a quelque chose à voir avec de l’indicible, qui échappe radicalement, y compris au langage. Le problème, lorsqu’on parle de Dieu, est qu’on se trouve toujours au bord de l’idolâtrie, du blasphème. Les mots le réduisent : à partir du moment où vous dites qu’il est quelque chose, vous sous-entendez qu’il n’est pas autre chose.

« Je ne crois pas en un Dieu qui agirait dans le monde, qui aurait les propriétés de la lampe d’Aladin »

Mais s’il m’est difficile de parler du Dieu auquel je crois, je peux en revanche vous parler du Dieu auquel je ne crois pas. Je ne crois pas en un Dieu qui agirait dans le monde, qui aurait les propriétés de la lampe d’Aladin, ni en toutes ces images que notre culture populaire véhicule sous la forme d’une sorte de Père Noël ou de Père Fouettard. Dire ce qu’il est le définit, et ce qui le définit le finit. Or, Dieu est de l’ordre de l’infini.

Vous avez une approche très intellectuelle de la religion. Y a-t-il une place dans votre vie pour la pensée magique, les superstitions ?

Absolument. Je fais dialoguer en moi des moments de rationalité et des moments de pensée magique. Lorsque les pensées magiques se manifestent, c’est souvent l’enfant en nous qui parle. Je laisse cette enfant parler en moi en mettant au point des rituels qui me sont propres. Par exemple, je ne rentre jamais directement chez moi après être allée au cimetière ; il me faut un « sas » de décontamination de la mort, aller dans un café, un magasin…

Il a beaucoup été question, ces temps-ci, de la notion d’essentiel et de non-essentiel. Qu’est-ce qui est essentiel pour vous ? Ce qui est superficiel peut-il être essentiel ?

De la même manière que je fais dialoguer en moi rationalité et pensée magique, j’ai besoin dans ma vie que dialoguent la profondeur et la légèreté. Je suis quelqu’un qui place beaucoup de légèreté dans sa vie – j’ai une passion pour le karaoké, la danse. Pourquoi faudrait-il être cohérent dans la vie ? Il faut simplement laisser les différentes voix parler en soi.

Ce qui est essentiel, à mes yeux, c’est de voyager hors de soi, de trouver des ponts qui nous relient à plus grand que nous. C’est toujours, au fond, la question de la transcendance. Ce qui est essentiel, c’est de savoir qu’il y a plus grand que soi, plus grand que son histoire, que les temps de sa vie, que sa compréhension d’un mot, que notre croyance. La littérature nous fait toucher cela du doigt, parce qu’elle nous plonge dans le monde d’un autre qu’on ne comprend pas.

Cette rencontre de son monde et du mien est la condition du dialogue, un ressort d’empathie. D’où, pour moi, l’absurdité du débat actuel sur qui doit traduire la poétesse Amanda Gorman. Tout l’objet de la traduction, c’est précisément qu’elle doit être faite par quelqu’un qui n’est pas vous. C’est la rencontre entre son monde et le vôtre qui crée la possibilité d’un voyage entre deux univers.

Vous posez à la fin du livre la question : « Que laisserons-nous à notre tour, sur cette Terre où nous ne faisons que passer ? » Vous-même, qu’aimeriez-vous laisser ?

On sait bien que, dans nos existences, on ne crée rien ex nihilo : nous héritons d’un langage et d’une histoire, et nous réinterprétons, pour un temps inédit, des choses qui nous ont été transmises. J’aimerais sentir que je me suis inscrite dans une chaîne de transmission qui a rendu possible le fait que quelque chose perdure – quitte parfois à passer, peut-être, par une forme de trahison.

Au bout du compte, ce qui perdure vraiment dans l’histoire, c’est toujours ce qui se sait vulnérable, et non ce qui se croit solide. Sur cela, le judaïsme a beaucoup à enseigner. Car dans son impuissance politique, à travers ses histoires, le judaïsme du Talmud – qui a été sous domination hellénique – est toujours là, alors que les empires grec et romain ne le sont plus.

Quand on traverse une crise comme la nôtre, on peut se réconcilier avec l’impermanent en voyant dans cette cassure, peut-être, la possibilité de notre survie. C’est là une leçon universelle à méditer : la conscience de notre vulnérabilité est, paradoxalement, la condition de notre durabilité.

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Rabbine de Judaïsme en mouvement, Delphine Horvilleur dirige la rédaction de la revue Tenou’a. Elle est notamment l’autrice de En tenue d’Eve. Féminin, pudeur et judaïsme (Grasset, 2013), Réflexions sur la question antisémite (Grasset, 2019), et de Vivre avec nos morts, Grasset, 2021, 234 p., 19,50 euros.