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"Tout" est énergie,

et c’est là tout ce qu’il y a à comprendre dans la vie.

Aligne-toi à la fréquence de la réalité que tu souhaites et cette réalité se manifestera.

Il ne peut en être autrement.

Ce n’est pas de la philosophie.

C’est de la physique"

– Albert Einstein -

 

 

 

Albert Einstein nous parle d’énergie pour aborder la vie, comme à mon sens tout est relié, j’ai trouvé stimulant de pouvoir rebondir sur sa vision et voir comment cette pensée pouvait être comprise et interprétée. Car le plus intéressant dans les idées émises, ce ne sont pas les idées elle-même, mais l’envie de communiquer qu’elles suscitent et, finalement, la mise en lien entre nous tous.

Pour ma part, je ne réduis l’humain ni à son physique, ni à son énergie, ni à sa pensée, car il s’agit de la même chose. Nous sommes des Êtres composés de molécules et d’atomes, et dans ce sens nous sommes un concentré d’énergie condensée sous forme de matière. Nous sommes donc les deux, à la fois énergie matière, indissociable l’une de l’autre, et nous sommes plus que cela, car cette matière n’est pas inerte. Nous « dégageons » des vibrations par notre corps et c’est, par conséquent, l’expression de l’Être que nous sommes. C’est notre « définition » non verbale !

Notre vibration énergétique va se modifier en fonction de nos pensées, de notre état intérieur, et émettre des ondes, comme des fréquences. Ces fréquences vont se connecter à des fréquences ayant des taux de vibratoires similaires. D’où l’importance de nos pensées, de notre attitude à la vie pour « attirer » ce que l’on souhaite vivre. En cela notre réalité est la résultante de nos croyances et de notre vision de la vie. De ce fait, chacun va voir la vie à travers son prisme et va, par son attitude, créer sa propre réalité.

Celui qui voit la vie comme une succession chronicité transformera chaque événement comme s’ils étaient empreints d’une certaine magie, comme si toutes les situations étaient en lien les unes avec les autres et de ce fait donnera du sens dans sa vie. Aucune connotation de biens ou de mal deviendra un tel événement. La poésie est le terme employé par un littéraire pouvoir la vie. Un scientifique parlera de la vie, peut-être, sous d’autres termes. Car nous parlons en fonction de notre centre, le d’où émanent nos sensations, nous parlons également en fonction de nos centres d’intérêt. Parler de la vie avec poésie, suppose donc pas qu’elles soient poétiques, mais que celui qui la voit, la voix sous cet angle et qu’il aimait une fréquence vibratoire pointée de cette réalité politique qui est la sienne. Ce sera pas sa vie qui sera poétique mais son regard sur sa vie. Celui qui n’est pas sensible à la poésie ne pourra pas voir, exprimait sa réalité, qu’à travers son prisme, sa réalité, son émanation énergétique.

De la conclusion, à nous de savoir quelle est la réalité que nous voulons dans notre vie.

Voulons-nous de la magie ? Voulons-nous accepter notre implication et notre responsabilité dans ce que nous vivons, pour y trouver un sens ? Voulons-nous entretenir la négativité ambiante, de nourrir de cette réalité négative, voire l’augmenter en l’entretenant par nos pensées ? Et finalement, nous approprier cette réalité « négative basée sur la peur » qui deviendra à terme notre propre réalité.

À nous de choisir, qu’en l’occurrence, cela commence par une prise de conscience.

Prendre conscience de nos pensées, de nos choix, et choisir ce que nous voulons entretenir ou pas.

Car

nos pensées sont aussi polluantes sur cette terre que des papiers gras jetés au sol. Les pensées polluantes créent une réalité de pollution qui se traduit par des comportements et des actes.

Nous sommes libres, car personne ne va contrôler nos pensées.

 

C’est

notre ENtre-intimité,

notre ENtrte-espace de liberté,

 

un

 

ENtre-espace d'

-ENTRE-

responsabilité

 

 

 

qui demande de la vigilance et aussi beaucoup de tolérance ! Qui peut s’enorgueillir d’avoir des pensées toujours limpides comme de source ! Sur ce, je vous souhaite des journées de légèreté et d’insouciance ! Avec les meilleures pensées du Monde.

 

Alice DURUZ –2019

Institut AURODAVIA

 Soins & beauté de l’Être

 

 

 

 
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CORRELATs

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Paul-Marie Couteaux reçoit pendant 1h30 Anne Coffinier pour évoquer son parcours et tout particulièrement une question qui lui tient à cœur, celle de l'enseignement.

 https://www.agoravox.tv/actualites/politique/article/les-conversations-avec-anne-93948

Le parti national est aujourd’hui défait, ce qui arriva souvent au long de notre Histoire. Mais il se relève toujours, tôt ou tard, par la grâce du renouvellement des générations, ou par les diverses voies de la transmission, grâce auxquelles le feu ne meurt pas. Constatant que l’Ecole, la plus puissantes de ces voies, se trouve aujourd’hui durablement grippée, Anne Coffinier, maître en histoire, ancienne élève de l'Ecole Normale Supérieure puis de l’ENA, enseignante et diplomate, a défriché depuis 20 ans les voies d’une Ecole nouvelle, vouée à la transmission des fondements de notre civilisation. En 2002, elle crée "Créer son Ecole", puis en 2008, la "Fondation pour l’école" (reconnue d’utilité publique) qui contribue puissamment à la rénovation du système éducatif français en développant la liberté scolaire, favorisant notamment la création d’écoles privées hors contrat, restaurant leurs programmes scolaires, aidant les écoles dites indépendantes, ou les Ecoles "privées hors contrat". Son succès est phénoménal. Cette femme, d’une énergie hors pair, qui a davantage fait à elle seule que n’importe quel ministre ou parti politique pour préserver les chances de la France, raconte ici un parcours, extraordinairement riche, semé d’embûches, mais qui a su redonner à notre civilisation l’une de ses plus sûres promesses de pérennité.

 

Tags : Education Enseignement

 

 

 

http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2022/05/11/l-internaute-en-tant-que-travailleur-le-marxisme-et-le-capit-6381471.html

 

Konrad Rekas*

Source: http://www.elespiadigital.com/index.php/tribuna-libre/37495-el-usuario-de-internet-como-trabajador-marxismo-y-capitalismo-del-siglo-xxi

Rosa Luxemburg, avec une certaine incrédulité, a un jour décrit le moment de la fin du capitalisme (plus précisément que Marx, qui n'a jamais traité de l'imagination romantique de l'effondrement du capitalisme, et plus correctement que Lénine, étant trop souvent le leader théorique). Le capitalisme prendra fin dans un moment d'accumulation totale, c'est-à-dire dans un monde divisé uniquement en capitalistes et prolétaires, où il n'y aura plus rien à répartir de l'extérieur.

Producteur ou consommateur ?

Attendez, dira quelqu'un, mais les travailleurs sont probablement presque partis, non? Eh bien, quelque part il y en a, des usines.... Mais en gros, il s'agit d'opérateurs d'équipement et de trucs avancés, et tout le reste, peut-être en Asie du Sud-Est, et certainement pas chez nous ! Qui que vous demandiez, personne ne s'identifie comme un travailleur.  Nous sommes davantage déterminés par le niveau et l'ampleur de la consommation, et non par le rapport au mode de production. La classe ouvrière a tellement disparu que même la gauche, organiquement issue d'elle, a abandonné ses vieilles habitudes et trouvé d'autres objets d'intérêt. Mais l'indice est que les travailleurs n'ont pas totalement disparu. Au contraire, nous sommes presque tous... eux maintenant. Je poste ce texte sur FB, vous le lisez et faites défiler le contenu publicitaire, votre fils adolescent jouant d'un côté du monde virtuel et votre femme préparant le dîner dans un monde réel. Nous sommes presque tous des travailleurs, comme dans un rêve luxembourgeois. Alors, le moment de l'effondrement est-il proche ? Ne tombons pas dans l'optimisme brouillon. Personne n'a jamais soutenu que le capitalisme s'effondrera de lui-même sans une organisation adéquate et sans travail investi dans ce domaine. Et le travail est toujours le domaine des travailleurs.

Chris Harman a estimé la taille mondiale de la classe ouvrière à deux milliards. Une partie importante de celle-ci se trouve à la périphérie. Certains travailleurs ne sont pas largement reconnus comme tels en raison de l'évolution du mode de production, et ne s'identifient pas non plus comme tels. Cela suit la distinction dialectique d'Intere (classe en soi et classe pour soi). Cela signifie que l'homme peut appartenir à la classe ouvrière même sans le savoir, car il s'agit d'une catégorie objective, définie par rapport au mode de production, tandis que la conscience est un état subjectif, de plus, elle implique une organisation, comme l'a dit György Lukács. Dans les réalités du capitalisme moderne, les entreprises elles-mêmes, en tant que ses sujets, ont un rôle de création de classe. Les rangs de la classe ouvrière sont ainsi gonflés par l'accumulation par dépossession, l'accaparement des terres et des espaces verts, déjà décrite par Luxemburg ; la paupérisation de la classe moyenne inférieure, qui, à son tour, correspond au moins en partie au concept de précarisation et est due à la financiarisation et à la marchandisation d'activités auparavant considérées comme non marchandes.

L'iPhonisation au lieu du fordisme

Même les partisans de Marx l'accusent parfois de ne pas s'intéresser suffisamment aux questions de progrès technologique. Cependant, Marx n'a pas eu à s'engager dans la casuistique, ni à se plonger dans le futurisme. Il a étudié et décrit les mécanismes sociaux qui, en règle générale, ne changent pas, car ils dépendent de la propriété et du mode de production, et non de l'évolution exacte des moyens de production. C'est pourquoi le marxisme est parfaitement à l'aise dans les réalités numériques, faisant œuvre de pionnier en y trouvant des relations typiques entre le travail et le capital, qui influencent des activités humaines qui n'étaient pas connues auparavant ou qui sont désormais réalisées différemment.

Pour comprendre comment le champ de l'exploitation s'est élargi, mais que ses principes n'ont pas changé, il convient de reconnaître le terme "accumulation flexible" proposé par David Harvey. Déjà dans les années 1970, on s'éloignait du fordisme comme voie dominante du développement capitaliste. Non seulement les nouvelles technologies ont été autorisées, mais de nouvelles tendances de consommation connexes ont commencé à prendre forme, ce qui a finalement conduit à l'émergence de nouveaux marchés. Finalement, le fordisme a été remplacé par l'"Appleisme" ou l'"iPhonisation". Les débuts du capitalisme ont été caractérisés par une séparation presque totale des positions du travailleur et du consommateur. Dans l'étape suivante, une synthèse travailleur-consommateur a été créée pour la survie du système. Aujourd'hui, les rôles du consommateur et du producteur/travailleur ne peuvent être clairement séparés dans un même but. En outre, le travailleur-consommateur est également devenu, en un sens, une partie de la marchandise échangée. Pour reconnaître ces processus, il était nécessaire de rappeler la définition marxiste de la valeur du travail et d'examiner comment comprendre l'aliénation, selon Marx, qui accompagne intrinsèquement l'exploitation.

L'heure des prosumers

Le début de cette approche a été la recherche sur la position de l'audience envers les médias de masse d'un point de vue économique, menée par Dallas Smythe, maintenant poursuivie notamment par Christian Fuchs et Vincent Mosco. Il est populaire de nos jours de dire que "si quelque chose est gratuit, cela signifie que vous êtes le produit". Il s'est avéré correct de reconnaître les caractéristiques des relations de la radio et de la télévision avec des téléspectateurs compris comme une ressource nécessaire pour obtenir une plus-value, par exemple par l'échange de messages publicitaires. L'émergence des réseaux sociaux a permis de conclure que leurs destinataires ne sont pas seulement une ressource, mais aussi une force de travail non rémunérée qui crée une plus-value, ce qui équivaut à une exploitation. Et comme les participants eux-mêmes ignorent en grande partie leur position dans le processus de production, ne possèdent pas les produits de leur travail et ne les reconnaissent même pas, nous pouvons appeler cela une aliénation presque parfaite.

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À quoi ressemble une telle synthèse dans la pratique : nous pouvons suivre l'exemple de Google, Facebook, Twitter, etc. Leurs utilisateurs sont les producteurs de leur contenu, créant ainsi une plus-value. Ils deviennent des prosumers. Partager des données directement par le biais de ces plateformes et être actif sur celles-ci, ce qui permet la collecte de données nous concernant: nous travaillons pour le capital qui a mis ces outils à disposition. Ceci a été confirmé par l'affaire Fraley v. Facebook, 2011, dans laquelle le tribunal a traité de la valeur des contributions des utilisateurs aux Sponsored Stories, étant un type de publicités distribuées par FB. Cependant, malgré ces manifestations de résistance, il ne sera pas possible de parler de l'émergence réelle de la conscience du prosommateur sans comprendre pleinement la nature de classe de cette lutte. La lutte, qui (pas seulement d'un point de vue marxiste ou de classe) doit être menée contre l'exploitation numérique, mais pas seulement et pas principalement de manière purement virtuelle. Car annoncer la soi-disant révolution uniquement sur Internet a la même dimension véritablement révolutionnaire que de faire du Che, de Marx et de Lénine uniquement des avatars de la vente croissante de marchandises qui multiplient les profits du capital...

Pendant ce temps, les luttes ont lieu sur Internet, bien sûr dans les jeux, étant aussi une forme de travail pour le capital. Et pas nécessairement de manière inconsciente. Il y a quelques années, j'ai participé à une discussion dans une université écossaise sur les parcours professionnels des adolescents locaux. Plusieurs d'entre eux ont confirmé qu'ils voulaient devenir des joueurs professionnels. Et ils n'avaient aucun doute sur le fait que c'est du travail. Et il s'agit du travail au sens de l'emploi, et non de l'occupation, ou du travail concret de Marx, pour utiliser la distinction reconnue dans le discours. Et si, chez les personnes plus âgées, ces choix de jeunesse suscitent souvent quelque chose entre l'amusement et la pitié, l'intuition ne fait pas exactement défaut à ceux qui sont plus contemporains. Bien sûr, ils se considèrent comme des indépendants (qui ne comprennent pas non plus pleinement leur position sur le marché) ou même des "entrepreneurs du jeu", mais certainement pas comme des travailleurs ! Eh bien, vous savez, ce sont les aciéries, et en général, il n'y a plus de classes, avec un accent particulier sur la classe ouvrière, comme tout le monde le sait..... Parallèlement, la valeur que les joueurs apportent sous la forme de leur temps, de leur participation à des jeux en ligne, qui sont aussi des sortes de spectacles interactifs, où les participants achètent eux-mêmes des ressources et des moyens de production, de la génération directe de rustines, de modes, de la co-création de jeux virtuels, tout est financiarisé et maximise la plus-value pour le capital.

Capitalisme à domicile

Quoi qu'il en soit, comme pour les freelances, les participants à des projets d'économie collaborative, etc., nous avons été décrits de manière assez complète avec l'intérêt particulier de la question du précariat. Mais ce n'est pas du tout une nouvelle question. Le mécanisme lui-même a déjà été décrit par..... Engels.

Contrairement aux opinions populaires, dans la perspective marxiste, le précariat ne constitue pas une classe distincte, mais s'inscrit dans le concept d'une armée de réserve industrielle entretenue par le capital et représentant aujourd'hui environ 60 % de l'ensemble de la main-d'œuvre. Parmi les travailleurs salariés, 60 % supplémentaires sont employés à temps partiel, dans le cadre de contrats temporaires, et environ 22 % sont formellement indépendants, sans que leur position au sein de la classe ouvrière ne change. Plus d'un quart des travailleurs gagnent encore moins de 2 dollars par jour, et cette proportion est deux fois plus élevée dans les pays du Sud. Les licenciements et les lock-out sont une méthode reconnue pour augmenter la valeur et le rendement des actionnaires dans la théorie moderne de la gestion. Et parallèlement à la multiplication de la surpopulation relative et au changement de la structure de la classe ouvrière, son exploitation et son degré de subordination au capital augmentent également.

Aucune formule d'organisation d'une entreprise capitaliste, y compris l'économie collaborative, ne protège le travailleur de l'exploitation. Comme le montrent les exemples d'Airbnb, Uber, Deliveroo, DiDi, le travailleur ne doit plus être séparé de ses moyens de production. Comme pour les indépendants, leur situation est encore aggravée par la nécessité de financer ses propres moyens de production afin de maximiser la propre valeur ajoutée de l'employeur, ce qui ramène presque ces formes de travail prétendument modernes à la situation de l'accumulation primaire. En prenant l'équation de Marx de

taux de profit = plus-value / (capital constant + capital variable)

dans un tel système, il existe un déséquilibre encore plus net en faveur de la plus-value et du taux de profit, certains coûts étant transférés au travailleur lui-même. L'essence de l'utilisation de moyens de production appartenant à l'État est leur dépendance à l'égard de la plate-forme numérique. En outre, la situation du travailleur est encore aggravée par le système de rémunération à la pièce adopté, qui ne fait qu'augmenter la valeur ajoutée.

Les travailleurs culturels, le prolétariat journalistique et les Stepford Wives

Un appareil conceptuel similaire peut être utilisé pour tester la validité de l'analyse marxiste par rapport aux médias et à la culture financés par l'espace numérique.  Nicole S. Cohen l'a exprimé dans le parallèle parfait du "travailleur culturel" et du "prolétariat journalistique", exploités à la pièce.  L'enseignement universitaire est également devenu un maillon de la chaîne capitaliste depuis que la fourniture de connaissances est devenue une marchandise. L'aliénation du travailleur par rapport au produit tel qu'il est marchandisé s'applique également aux principales plates-formes d'accès aux publications universitaires, grâce auxquelles, entre autres, cet essai a été rédigé. Cette liste doit être complétée par d'autres objets d'exploitation, tels que les étudiants, les chômeurs ou les retraités, les femmes au foyer et toutes les personnes exerçant une activité reproductive non rémunérée.

Engels notait déjà les fondements économiques, et non biologiques, de la domination masculine sur les femmes, considérant les femmes dans les relations conjugales dans la position du prolétariat opprimé. En fait, le processus d'objectivation des femmes faisait partie d'une accumulation brutale et primitive, réalisée dans la continuité pour maintenir la domestication des femmes. L'élément patriarcal était également présent dans les autres formes d'accumulation primaire : la conquête coloniale, l'esclavage et la domination raciale. La dépossession des femmes a toujours lieu, comme Maria Mies l'a décrit en mettant en relation la question du genre avec les relations Nord-Sud, la question raciale, ainsi que d'autres conflits entre les sociétés du Nord. Nous avons donc la féminisation de l'étape productive de la chaîne d'approvisionnement mondiale, avec des travailleurs exploités de manière sexuée, racialisée et classée. Le capitalisme lui-même présuppose, crée et maintient la principale et la plus importante inégalité. Et les autres, également ceux qui présentent des caractéristiques non économiques, comme l'inégalité entre les sexes et les races, restent interdépendants du capital. Dans le même temps, nous sommes confrontés à la tentative de dissimuler la productivité réelle des femmes au sein de la reproduction sociale sous quelque chose comme le système "The Stepford Wives", ce que Mies appelait la "housewifisation". Ainsi, la reproduction sociale est financiarisée, mais la valeur du travail investi est par conséquent exclue du système salarial standard. Et pourtant, dans la conception marxiste, le salaire n'est pas la même chose que la valeur du travail, n'étant que son coût, alors que la valeur du travail des femmes au foyer, mesurée en temps consacré à la reproduction sociale, est indiscutable. Et une compréhension similaire est nécessaire pour leur subsidiarité actuelle vis-à-vis du capital qui surexploite également les travailleurs non rémunérés. Les anciennes divisions entre travail formel et informel, local ou mondial - dans le cadre de la mondialisation libérale - ont perdu leurs anciennes désignations. C'est pourquoi le contexte contemporain de la dichotomie entre travail productif et improductif doit être repensé.

COVID : assassinat de la société

La question du rôle reproductif des activités précédemment exclues de l'analyse de la relation travail-capital devient encore plus importante dans le contexte de la crise de la pandémie de COVID-19. Les critiques s'accordent à dire qu'elle a exposé de nombreuses faiblesses du système capitaliste et du marché libre, ainsi que l'inefficacité des États axés sur le capital. Cependant, les conclusions et les prévisions basées sur l'expérience de 2020-2022 diffèrent considérablement. Seuls quelques auteurs, au lieu de prédire la fin du capitalisme, compris peut-être à tort comme la dernière grande tentative d'assurer sa survie, ont examiné de plus près et plus profondément le cours de la pandémie. Bien qu'il ait averti (ou plus précisément, surestimé) la rupture de la chaîne d'approvisionnement capitaliste, exposant les faiblesses du système de soins, soumis à la financiarisation. Cependant, les effets de la pandémie au sens socio-économique sont répartis en fonction des inégalités dans les relations capital-travail, y compris les facteurs raciaux et de genre.

Les personnes de couleur font partie des travailleurs de première ligne les plus vulnérables qui n'ont pas pu bénéficier de la protection du travail à domicile ou des salaires d'abstention. L'inégalité globale s'est également renforcée.  La suspension temporaire d'une partie de l'activité de travail des sociétés du Nord est compensée par le travail acharné des travailleurs exploités du Sud pour maintenir l'approvisionnement en marchandises. En particulier aux États-Unis, les quelques boucliers contre le COVID-19 n'ont pas couvert la majorité des Noirs, des Latinos et des indigènes, notamment les femmes, qui doivent en plus assumer des tâches ménagères accrues, l'apprentissage en ligne, etc. Au Royaume-Uni, sous le nom de key workers, elle a simplement dissimulé le sacrifice de la vie des travailleurs faiblement rémunérés, le prolétariat moderne : les employés des maisons de retraite, les vendeurs des supermarchés, les nettoyeurs, les chauffeurs, les coursiers et bien d'autres. Il s'agit souvent de retraités, de personnes handicapées et d'immigrants. Leurs décès s'ajoutent à l'accumulation au fil du temps de la pandémie.

En termes de satisfaction des besoins vitaux, ces groupes ont été poussés encore plus bas qu'avant. Pendant ce temps, la fortune des 1% les plus riches continue de croître. Comme on peut le constater aujourd'hui, le travail est principalement effectué par des travailleurs sélectionnés en fonction de leur sexe et de leur race. La charge des travaux ménagers a augmenté de façon spectaculaire, surtout pour les femmes. Et le ralentissement périodique, voire la suspension de la croissance, ne peut être perçu comme un progrès permanent, surtout si l'on considère les tentatives de rétablir la production et de maintenir la consommation inchangée. La pandémie a rappelé que la politique du capital ne s'écarte jamais du "Sozialer Mord" (Meurtres sociaux) d'Engels comme méthode de survie et de consolidation du capitalisme.  Les profits gigantesques réalisés par Amazon ou les Tönnies et autres sont obtenus non seulement en augmentant l'exploitation mais aussi en risquant directement la vie des travailleurs.

Dans le même temps, la situation de nombreuses personnes transférées vers le travail à domicile doit être considérée comme un exemple supplémentaire de l'extension de la relation capital-travail à des activités auparavant improductives. Le travail à domicile dépasse imperceptiblement les heures de bureau. La valeur du travail est constamment transférée au capital, et la charge du travailleur augmente au détriment d'autres aspects de sa vie. La pandémie n'a fait qu'accélérer et renforcer la tendance des femmes à rester au foyer. La reproduction sociale est financiarisée et commercialisée, mais la valeur du travail investi est par conséquent exclue du système salarial standard. Et une compréhension similaire est nécessaire pour la subsidiarité actuelle des processus de reproduction sociale au capital qui surexploite les travailleurs non rémunérés. Les anciennes divisions entre travail formel et informel, local ou mondial dans le cadre de la mondialisation libérale ont perdu leurs anciennes désignations. C'est pourquoi le contexte contemporain de la dichotomie entre travail productif et improductif doit être repensé. En effet, une personne enchaînée à Facebook ou Netflix (ce qui était et est la quotidienneté intensifiée de la pandémie), devient sans le savoir un travailleur exploité du grand capital.

Et pourtant, selon Marx, l'état naturel de l'homme pour lequel il veut et aime travailler est... le loisir. En fait, nous vivons et fonctionnons à une époque où nos plaisirs sont devenus imperceptiblement addictifs et deviennent ainsi notre travail. Et ce qui est pire, un travailleur exploité. Prendre conscience de cet état est le premier pas vers l'organisation, et l'organisation est la base de la résistance. Cela sera malheureusement de plus en plus difficile, car Giorgio Agamben suppose à juste titre que la faiblesse supposée de l'État est en fait un paravent pour un changement de paradigme, mais dans la direction opposée à celle supposée par les illusionnistes. L'actuel "état d'exception" deviendrait désormais une formule permanente, accroissant les inégalités. Et puisque l'État néolibéral n'apparaît que comme un agent du capital, tout renforcement potentiel du gouvernement ne se ferait pas aux dépens du capital, mais à son profit.  Si quelque chose dure deux ans, ce n'est plus une "urgence" ou une "période de transition", mais une nouvelle normalité. La nouvelle normalité du vieux capitalisme, avec toujours le sang des travailleurs sur les mains.

*Journaliste et économiste polonais

 

 

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https://madame.lefigaro.fr/societe/chez-les-couples-non-cohabitants-les-roucoulades-s-arretent-au-pas-de-la-porte-etude-210519-165236

 

https://i.f1g.fr/media/madame/704x704/sites/default/files/img/2019/05/les-couples-non-cohabitants.jpg

Ils s'aiment, mais ne souhaitent pas faire boîte à lettres commune. iStock

Ils partagent une histoire d’amour mais pas les murs qui l’entourent. Passés la quarantaine et après avoir vécu une séparation, ces couples non-cohabitants, souvent déjà parents, refusent de vivre ensemble. Témoignages et éclairages.

Tous les vendredis depuis dix-huit ans, Philippe, retraité de 63 ans, se réjouit de retrouver sa compagne le temps d'un week-end. La faute à une relation longue distance ? Un métier prenant ? Pas vraiment, puisque seuls 21 kilomètres les séparent. Comme 1,8 million de Français, selon une enquête de l'Ined et de l'Insee publiée mercredi dernier (1), les deux tourtereaux appartiennent au cercle très privé des couples non-cohabitants. Surnommées les LAT - Living appart together (ensemble mais séparés, NDLR) - dans les pays anglo-saxons, ces personnes s'aiment mais ne souhaitent pas faire boîte à lettres commune.

 

Aussi marginale soit-elle, cette nouvelle manière de roucouler progresse lentement, constate Arnaud Régnier-Loilier, sociologue en charge de cette étude sur les parcours individuels et conjugaux. "C'est plus fréquent qu'autrefois, car on se sépare plus tôt et on se remet en couple plus souvent", observe le chercheur. Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre, Jacques Dutronc et Françoise Hardy, Évelyne Bouix et Pierre Arditi, Tim Burton et Helena Bonham Carter en étaient les précurseurs. En 2019, si cette option conjugale séduit sans surprise les moins de 30 ans et les premières relations, elle revient tel un boomerang à partir de 45 ans. La plupart du temps après une séparation. À titre d'exemple, au bout de huit ans, 15 % des partenaires de 30 à 44 ans ne vivent pas ensemble contre 35 % pour des relations débutées entre 45 et 65 ans. Loin du toit, près du cœur ? On fait le point.

À lire aussi" S'aimer sans vivre ensemble : un couple sur deux ne passe pas le cap des 3 ans

Une vie amoureuse à la carte

Sandrine, 52 ans, auxiliaire de vie, a un péché mignon. Elle dévore des livres le soir, "parfois jusqu'à une heure du matin". Le lendemain, avant de sortir du lit, elle prolonge ce plaisir et reprend sa lecture pendant un quart d'heure. "Cela dérangeait mon ex-mari", se souvient-elle. Après deux séparations difficiles, dont un divorce, Sandrine refuse désormais de se contraindre avec son nouveau partenaire. "On ne partage plus l'ordinaire", affirme-t-elle. Sentiment réciproque pour Philippe : "Ma compagne trouve que je ronfle un peu fort la nuit, grâce à notre système, elle n'est pas obligé de supporter cela tous les soirs mais juste le week-end".

Outre le fait de s'éloigner des mauvaises habitudes, l'idée générale vantée par ces non-cohabitants consiste à se focaliser sur le moment partagé à 100%. "On s'efforce de remplir nos tâches ménagères chacun de notre côté pour laisser place au seul plaisir de se voir", relate Philippe. Oubliés donc les disputes pour une chaussette orpheline, un dentifrice pas rebouché ou une poubelle qui déborde. Et pour être émotionnellement présent, un ménage intérieur s'impose également. "Hier soir par exemple, mon mec a annulé car il était fatigué à cause du boulot, je ne lui en ai pas voulu car je ne souhaite pas qu'il ramène toute cette pression chez moi", confie Sandrine.

La peur d'un échec sentimental

Après une séparation, on se retrouve émotionnellement verrouillé

Élodie Cingal, psychologue et spécialiste des séparations.

Car souvent, tout mettre en commun reviendrait pour certains à faire mourir l'histoire d'amour, une seconde fois. "Mon couple avec mon ex-femme s'est usé au fil du temps et nos relations sexuelles se sont petit à petit raréfiées, raconte Philippe. Elle a fini par tomber amoureuse d'un autre et m'a quitté." Cette peur de la récidive et de l'échec sentimental se retrouve chez la plupart des couples non-cohabitants de plus de 45 ans, comme le révèle le sociologue Arnaud Régnier-Loilier. "Au moment de la redécouverte de l'amour, on se retrouve émotionnellement verrouillé et il peut être difficile pour la personne de s'engager", analyse Élodie Cingal, psychologue et spécialiste des séparations.

Les murs du logement deviennent alors une ceinture de sécurité, voire une roue de secours pour les couples en mauvaise passe. Après avoir emménagé deux fois ensemble et s'être séparé à plusieurs reprises depuis dix ans, Sabrina, communicante de 49 ans, retombe sur son ex à une soirée. "Avant d'être sûrs de reconstruire quelque chose, on s'est promis de se protéger en vivant chacun dans son appartement", assure-t-elle.

Parfois, cette période de test débouche sur un emménagement. "J'espère habiter avec mon amoureux d'ici deux à trois ans", rêve Sabrina. Pour d'autres, il s'agit de tirer un trait sur le passé conjugal et d'embrasser un nouveau mode de vie. "Après son divorce, mon conjoint a voulu vivre avec une autre femme, cela s'est soldé par un échec et depuis, il est vacciné", rapporte Stéphanie, 49 ans, manager. "Quel que soit le motif de la séparation, une cassure identitaire se produit, constate la psychologue. Au lieu de concentrer sur le positif, on va regarder le négatif et tout faire pour ne plus rien reproduire."

En vidéo, le pair-care est-il le nouveau secret de longévité du couple ?

 
 

Protéger les enfants d'abord

Plus que le passif conjugal, c'est la présence d'enfants qui freinerait surtout l'installation sous le même toit, selon le sociologue Arnaud Régnier-Loilier. À en croire l'étude de l'Ined, la probabilité de résider chacun chez soi après deux ans de relation atteint les 47 % si les deux partenaires sont déjà parents, contre 19 % quand il n'y a pas de progéniture. En particulier chez les mères qui bénéficient souvent de la garde après une séparation. "J'ai du mal à ce qu'un tiers éduque mes enfants, avoue Sandrine. Je me suis juré que je n'habiterais plus avec quelqu'un tant que ces derniers ne seraient pas indépendants." "Il s'agit de s'épargner d'éventuels conflits lié à une nouvelle configuration conjugale", traduit Arnaud Régnier-Loilier.

Dans son cabinet, la psychologue Élodie Cingal est confrontée aussi au désarroi des pères, qui ont du mal à faire "le deuil de la famille" : "Ils voient tellement peu leurs enfants qu'ils ne veulent pas faire rentrer un élément extérieur pour mettre en danger leur relation."

Dans le meilleur des cas, cette situation de non-cohabitation permet au parent de profiter de moments uniques avec ses enfants. "Depuis que mon conjoint et ses fils vivent ailleurs, j'ai récupéré mon intimité avec mes filles, sourit Sabrina. On fonctionne en vrai trio où chacune veille sur l'autre."

Une liberté salutaire

Et une fois les petits partis du nid, un vent de liberté souffle sur la vie de ces parents. "Sans nouveau projet d'enfant, la cohabitation ne devient plus nécessaire, notre expérience passé montre à la société qu'on savait y faire, détaille Arnaud Régnier-Loilier. Dès lors, ces couples se délestent de la pression sociale avec un immense soulagement. Après vingt-six ans de mariage, Véronique, 53 ans quitte époux, travail et enfants pour se reconstruire dans une autre ville : "J'ai été tour à tour la compagne, la mère et même la maîtresse d'un chien, sans jamais penser à moi. Aujourd'hui, j'expérimente une relation à distance avec mon amour de jeunesse et je dors en étoile dans mon lit… Bref je ne me culpabilise plus : je deviens égoïste !" "On a passé tellement de temps à se reconstruire que si on retourne vivre en couple, on risque de s'oublier à nouveau", souligne la psychologue Elodie Cingal.

Rester à l'écoute des sentiments du partenaire

Il faut toujours se demander si cette non-cohabitation est une "co-décision"

Élodie Cingal, psychologue et spécialiste des séparations.

Pour autant, tous l'admettent, le chemin de la non-cohabitation peut être semé d'embûches. "Même si j'aime mon autonomie, certains soirs je suis rattrapée par la réalité et j'ai envie d'un câlin. Pas forcément de sexe mais juste d'un câlin", confesse Véronique. Sabrina, quant à elle, avoue être envahi d'inquiétude : "Quand l'autre ne réponds pas chez lui, tu deviens parano et tu te fais des films. Surtout quand il y a un passif d'infidélité dans le couple."

Qui dit trousseau de clé séparé, dit aussi charges séparés. Loyer, prêt immobilier, billet de train, frais d'essence… ce mode de vie a un coût, qui n'est pas à la portée de toutes les bourses. "C'est une contrainte financière que je suis prête à accepter au profit de mon bonheur", soutient Sandrine. D'après les conclusions des travaux de l'Ined, les personnes issues de milieu modeste, moins diplômés et aux revenus plus faibles, emménagent plus facilement. Mais la différence ne se joue pas seulement sur des facteurs socio-économiques mais aussi culturels. "Les personnes moins diplômés ont une conception du couple plus traditionnelle que les plus diplômés, qui sont plus ouverts à des nouvelles formes de vie conjugale comme le PACS et désormais la non-cohabitation", note le sociologue Arnaud Régnier-Loilier.

"Dans tous les cas, il faut toujours se demander si cette non-cohabitation est une "co-décision" ou si c'est le partenaire qui nous impose sa volonté", conseille la psychologue Élodie Cingal. Consciente qu'elle a impulsé cette situation, Sandrine s'enquiert régulièrement de l'état d'esprit de son conjoint. "Cela peut paraître bête mais tous les deux à trois mois, je lui pose la question", rigole-t-elle Avant de se demander : "Est-ce que notre histoire d'amour serait aussi belle si on vivait ensemble ?" Et de répondre : "Je ne crois pas".

(1) L'enquête Épic a été mise en place par l'Ined et l'Insee en 2013-2014 en France métropolitaine auprès de 7 825 femmes et hommes âgés de 26 à 65 ans vivant en logement ordinaire (hors institution)

https://www.lefigaro.fr/actualite-france/a-force-d-executer-les-ordres-des-adultes-l-enfant-perd-son-enthousiasme-20220516

 

 

 

 

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Enfant ramassant des fleurs, 1922. Kolganova, Alexandra.

ENTRETIEN - André Stern, auteur-conférencier, se définit comme «un ambassadeur de l'enfance». Il estime que les enfants ne sont ni libres ni respectés dans notre société.

Dans Les rythmes et rituels de l'enfant (Marabout) André Stern, fils d'Arno Stern, s'emploie à déconstruire… à peu près tous les principes éducatifs occidentaux. Entretien avec un auteur qui n'est pas allé à l'école, dont les enfants ne vont pas à l'école, à l'enthousiasme contagieux et aux idées parfois déconcertantes.

 

Le Figaro. - Dans votre livre, vous déconstruisez la notion de caprice. Pour vous, il n'existe pas d'enfant pénible : un enfant qui hurle parce qu'on change le trajet entre l'école et la maison aurait, par exemple, toujours une bonne raison?

André Stern. - Il faut comprendre que le monde est un océan d'impermanences particulièrement vaste pour un enfant, et qu'au milieu de cet océan, nos rythmes et nos rituels sont les seuls îlots de permanence dont il dispose. Il en a besoin pour reprendre des forces et retourner affronter les obstacles. Un trajet rigoureusement identique ou encore la même histoire racontée dix soirs de suite sont des îlots face à l'anxiété pour un enfant.

En niant le caprice enfantin, vous vous opposez à la vision de l'enfant comme un être arbitraire. Les adultes ne sauraient pas mieux que lui «ce qu'il faut faire». Mais alors, vous ne pensez pas que l'être humain est voué en grandissant à gagner en sagesse, en connaissances? Qu'un adulte est supérieur à l'enfant en connaissances et que c'est pour ça qu'il éduque et que l'enfant est éduqué?

Je ne vois pas cela en termes de hiérarchies. Il n'y a pas de supériorité ou d'infériorité aux yeux de l'enfant, il n'y a que des complémentarités. L'enfant a besoin d'une grande personne pour atteindre les assiettes en haut du placard, mais l'adulte a besoin de l'enfant pour aller chercher des lunettes sous le lit. De plus, si on s'en tenait à la notion de supériorité et d'infériorité, on serait obligé de constater qu'il y a une infinité de domaines dans lesquels les enfants sont «supérieurs aux adultes». L'enthousiasme par exemple.

Donc un enfant naît avec toutes les qualités nécessaires et l'aptitude de les développer seul? Ses parents ne servent qu'à lui assurer une sécurité matérielle? Ils n'ont rien à lui enseigner?

On obsède les parents avec cette sécurité matérielle... Alors que le vrai danger vient de la précarité affective. Ce que l'enfant cherche, c'est un port d'attache émotionnel qui lui permette d'aller dans le vaste monde sans crainte. Lorsque nous avons donné ce port d'attache à nos enfants, nous avons fait ce qu'il y avait de plus important à faire en tant que parents. Mais l'enfant, bourré de dispositions spontanées, ne se développe jamais seul. Prenez l'exemple de la langue maternelle : elle ne nous est pas enseignée, nous l'apprenons selon une didactique, à un rythme, à un moment qui nous sont très personnels. Seuls, nous ne l'apprendrions jamais. Nous apprenons à parler parce que les personnes autour de nous parlent entre elles et nous parlent. Il en va de même pour tout le reste.

Pour vous, il faut laisser l'enfant tranquille, ne pas chercher à lui faire apprendre des choses. Vos enfants ne vont pas à l'école et vous ne leur faites pas l'école à la maison!

Penser qu'on doit stimuler un enfant, c'est une vexation faite à l'enfance et son courage intrinsèque. On a besoin de stimuler un enfant quand il a été éteint. L'enfant est naturellement enthousiaste! Il va dans le vaste monde, absorbe la diversité des personnes et des métiers, s'intéresse à ce que fait l'éboueur, l'astronaute... Si l'on sort d'une certaine posture et que l'on arrête de vouloir lui faire avaler des choses, alors on peut voir ce qui sort de lui naturellement. On arrive à une relation de confiance.

Si j'ai envie de lire un livre à mon enfant tout petit, pourquoi pas? Mais ne négligeons pas ce que l'enfant, lui, va apporter, et qui comptera autant. Notre monde a développé un culte de l'effort à partir du moment où il a tourné le dos aux enthousiasmes individuels.

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192 pages, 17,90€ Marabout.

Je vais vous donner un exemple. Mon fils aîné Antonin a déclaré que son enthousiasme était le sport automobile. Un jour où il pleuvait des torrents, il participait à une course. Dans ces voitures, on est complètement exposé. Après la première manche, il était déjà trempé. Quand j'ai ouvert sa combinaison, un litre d'eau en est sorti. Je lui ai dit «tu ne vas pas remettre ça» et je suis parti chercher une solution. Quand je suis revenu deux minutes plus tard, il avait remis sa combinaison. L'enthousiasme est ce qui nous permet de surmonter, sans stimulation extérieure, tous les obstacles. Si vous n'avez pas envie de faire votre solfège, c'est que votre intérêt n'est sans doute pas très activé par cette activité. Vous risquez d'abandonner la musique assez tôt.

Cet appétit naturel pour l'apprentissage de nouvelles connaissances n'est peut-être pas si répandu. Il existe peut-être des êtres plus curieux de nature, d'autres plus mous?

Il faut absolument se débarrasser de l'idée selon laquelle les gens naissent avec une nature! Nos enfants deviennent comme nous les voyons et changent au cours de leur vie. Un tel n'est pas un timide, il est intimidé par une situation en particulier. Personne n'est nul en maths, ceux qui n'y arrivent pas n'ont simplement pas d'intérêt pour le sujet. Nous avons tous en nous des potentiels latents qui attendent d'être allumés ! Un enfant ne naît pas paresseux mais peut se désintéresser de tout à force d'être interrompu dans ses jeux, dans ses rituels, à force de suivre les ordres des adultes. Chaque enfant à qui l'on pose la question «qu'est-ce qui t'enthousiasme ?» va présenter un sujet différent et, si on lui fait confiance, développera des compétences.

Vous êtes un rousseauiste ? Vous estimez que l'homme naît bon et que la société le pervertit ?

Je ne crois pas à un caractère natif (bon ou mauvais) d'une personne ou d'une société. Ce que nous montrent les travaux de scientifiques actuels comme J.M. Delassus, c'est que l'enfant, qui «débarque» d'un monde prénatal absolument homogène (où il n'y a, par exemple, ni chaud ni froid, mais une seule température), n'est pas «bon» en naissant : il n'est ni bon, ni mauvais.

Donc vous n'encouragez pas vos enfants à faire tel ou tel geste, vous ne leur faites pas de discours sur vos valeurs, vous ne leur expliquez pas le bien, le mal?

Je ne le fais pas sous forme de discours. Parce que c'est prendre la nature de l'enfant à rebrousse-poil et que ça ne fonctionne pas. Je vis mes valeurs devant eux, sans fard, mon enthousiasme, mes faiblesses. Comme Antonin vit son enthousiasme pour la course automobile devant moi et m'apprend des notions sur le sujet. Les enfants qui sont des imitateurs-nés nous voient faire la cuisine, lire, chanter, réparer des choses, faire des erreurs, gérer le bien et le mal : ils observent, et prennent des notes mentales !

Il n'y a pas de règle chez vous ?

Il y a des rythmes et rituels familiaux. On prend les repas en commun à heures fixes. Pour ce qui est de la politesse, ils l'ont apprise parce qu'on était polis devant eux et avec eux. Il y a une structure née de la vie commune. C'était déjà comme ça dans mon enfance. Mon heure de coucher était 8h30 et ce n'était pas une heure arbitrairement fixée mais une heure qui s'était cristallisée dans notre vie commune comme étant celle de mon coucher. Si je ne voulais pas y aller immédiatement, c'est parce que je voulais finir un jeu. Comme je savais que je pouvais finir le jeu le lendemain, je cédais facilement.

Comment les parents pourraient éduquer leurs enfants avec une telle confiance alors qu'ils ont aussi le devoir, la pression, de leur donner des chances pour s'intégrer dans la société?

Je sais qu'on vit dans un monde de pression où le devoir nous submerge, où les parents se croient obligés de répéter ce qu'ils ont eux-mêmes entendu : si tu n'écoutes pas bien, tu n'auras pas de bonnes notes, si tu n'as pas de bonnes notes, tu n'auras pas de bon diplôme... Mais on change de monde et aujourd'hui, les entreprises reconnaissent les compétences avant les qualifications. Les gens brillants dans leur domaine, car enthousiastes, car intéressés, les entreprises viennent les chercher. Alors on peut s'autoriser à dire à son enfant : je t'aime, parce que tu es comme tu es et si tu restes enthousiaste, rien ne t'empêchera de devenir indispensable au monde.


Sujets

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https://www.lefigaro.fr/flash-eco/marche-de-l-art-nouveau-record-a-new-york-avec-la-vente-de-la-collection-macklowe-20220517

 

 

 

https://i.f1g.fr/media/cms/320x395/2022/05/17/626ea9508a40dd196633de0e9ec12b5f62360844c5ee53f987ce5b102a076297.jpg

Parmi les ventes à succès de la soirée, le tableau Untitled de Mark Rothko parti pour 48 millions de dollars. TIMOTHY A. CLARY / AFP

Avec un «total de 922,2 millions de dollars», cela en fait «la collection la plus chère jamais vendue aux enchères», s'est félicité Sotheby's.

L'hyper dynamique marché des ventes aux enchères d'œuvres d'art à New York a encore battu un record revendiqué par la maison Sotheby's: 922 millions de dollars pour la très réputée collection Macklowe vendue en deux fois, en novembre dernier et lundi 16 mai au soir.

Sotheby's, qui a déménagé de Londres à New York et appartient depuis 2019 au magnat franco israélien des télécoms Patrick Drahi, avait dominé la saison d'automne en novembre en totalisant 676,1 millions de dollars de ventes en une seule soirée, rien qu'avec le premier lot de 35 œuvres de cette collection Macklowe. Lundi soir, les 30 autres pièces de Macklowe ont été vendues en 90 minutes pour 246,1 millions de dollars. Avec un «total de 922,2 millions de dollars», cela en fait «la collection la plus chère jamais vendue aux enchères», s'est félicité Sotheby's.

Celle-ci a été mise sur le marché en deux lots à la suite du divorce du richissime couple formé par Harry Macklowe, un promoteur immobilier, et Linda Burg, une administratrice honoraire du Metropolitan Museum of Art (Met) à New York. Parmi les ventes à succès de la soirée, le tableau Untitled de Mark Rothko parti pour 48 millions de dollars, le Seestück de Gerhard Richter vendu 30,2 millions de dollars et le Self Portrait d'Andy Warhol qui a atteint 18,7 millions de dollars, selon Sotheby's.

En novembre, Le Nez d'Alberto Giacometti, impressionnant bronze suspendu sur lequel le sculpteur avait commencé à travailler en 1947 avait été vendu 78,4 millions de dollars , N°7, peinture minimaliste de Mark Rothko, 82,4 millions et Number 17, 1951 de Jackson Pollock vendu 61,1 millions de dollars.

Le marché de l'art se porte à merveille à New York. La saison des ventes de printemps a commencé le 9 mai chez la concurrente de Sotheby's, Christie's (propriété de la très grande fortune française François Pinault), qui a vendu un portrait de Marilyn Monroe Shot Sage Blue Marilyn d'Andy Warhol pour 195 millions de dollars. L'œuvre d'art du XXe siècle la plus chère jamais vendue lors d'enchères publiques.

Jeudi soir, Christie's avait aussi vendu pour 831 millions de dollars d'œuvres, dont la sculpture en bronze Petite danseuse de quatorze ans, d'Edgar Degas, partie à 41,6 millions de dollars, le plus haut jamais atteint aux enchères pour l'artiste français. Et le Raptor, un squelette d'un dinosaure Deinonychus antirrhopus, constitué de 126 os fossilisés et mesurant plus de trois mètres de long, a été adjugé pour 12,4 millions de dollars.

Sujets

 

https://www.lefigaro.fr/vox/societe/regis-debray-sylvain-tesson-faut-il-changer-le-monde-ou-le-contempler-20220515

 

 

 

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Sylvain Tesson, Vincent Tremolet de Villers et Régis Debray, lundi dernier, salle Gaveau, à Paris. François BOUCHON/Le Figaro

GRAND ENTRETIEN - Invités des Rencontres du Figaro, les deux écrivains ont confronté leurs points de vue sur l’engagement, la littérature, l’histoire et la géographie, la nature et la culture, la force de la nostalgie et les promesses du progrès.

Tout oppose et tout réunit Régis Debray et Sylvain Tesson. Entre eux, ce n’est pas la rose et le réséda, celui qui croit au ciel et celui qui n’y croit pas. Mais celui qui crut en l’histoire et celui qui fuit dans la géographie. Le normalien et l’alpiniste, l’activiste et l’aventurier, Sartre contre Homère, les maquis d’Amérique du Sud et les steppes d’Asie. Ce qui les réunit? Une langue claire et vive, une prose où se mêle sans cesse le vécu et l’analyse, un culte du bon mot et de la saillie. Une forme d’antimodernisme, snobisme des cimes pour l’un, scepticisme de celui qui a tout vécu pour l’autre.

 

Ils ont tous deux frôlé l’abîme, la chute pour Tesson, l’AVC pour Debray. Ils en ont tiré, pour l’un, une forme nouvelle de gravité, pour l’autre, au contraire, un goût renouvelé pour la légèreté. Le 9 mai, lors d’une soirée exceptionnelle, Salle Gaveau, Le Figaro a reçu les deux écrivains. Lors d’un passionnant dialogue, animé par Vincent Trémolet de Villers, ces deux illustres représentants de l’esprit français ont parlé d’histoire et de géographie, de nature et de culture, de politique et de littérature… Nous publions de larges extraits de leur conversation.

LE FIGARO.- La première séparation qui existe entre vous est celle du temps: trente ans vous séparent. Si vous êtes enfants du même siècle, êtes-vous enfants de la même époque?

Régis DEBRAY. - Pas sûr du tout. Trente ans, à de certains tournants, c’est assez embêtant, car on n’est plus sur le même versant des choses. Il y a une ligne de faille. Quand on est né en 1940, on vient du monde d’avant. On porte les valises du XIXe. Quand on a la malchance de trop traîner ses guêtres sous les préaux, on garde Marx et Auguste Comte sur la table. Vous voyez la difficulté, pour un survivant du temps passé, de se retrouver face à Sylvain Tesson qui est un héros de notre temps. Mais ça n’a pas que des inconvénients, d’être un has been. Ça vous donne un petit côté ptérodactyle, rescapé du Jurassique supérieur. On est à cheval sur deux époques, la moderne et la postmoderne. Ça donne du relief aux choses et aux gens, parce que pour goûter, il faut toujours comparer.

Et c’est tout de même assez drôle et instructif de se retrouver au milieu des digital natives, des followers, de Netflix, quand vous êtes rentré dans le film en faisant du latin grec huit heures par jour et en lisant Chateaubriand. Disons que ça suscite une certaine difficulté d’être. Celle d’avoir vu toutes les valeurs se renverser, au cours d’une vie: ce qui était en bas se retrouver en haut, le féminin prendre le pas sur le masculin, l’image prendre le pas sur l’écrit, l’économie sur le politique, le présentisme sur le passéisme et la géographie sur l’histoire. On se fait à tout, vous me direz. Ça pousse même à la réflexion. J’ai connu un pays ou les églises le dimanche matin étaient pleines, et où le Parti communiste était le premier parti de France. Dans ce qui n’était pas encore la start-up nation, le but n’était pas du tout de gagner du fric ou de parler globish convenablement, c’était de faire son salut. Pour moi, ex-catho reconverti en assistant des damnés de la terre, c’était de suivre Frantz Fanon en combattant l’impérialisme.

Sylvain TESSON. - En quelque sorte, vous me demandez si je suis déjà un vieux con. La question de la génération et de l’époque n’est peut-être pas essentielle. S’impose-t-elle entre Régis Debray et moi? Premièrement, on n’est pas forcé de se sentir de sa génération. On peut se considérer davantage proche des grands anciens que des contemporains. J’ai plus d’affection pour un chevalier de la «matière de Bretagne» qui erre dans les forêts du monde armoricain que pour un jeune programmateur de système cyber-global de mon époque. Je ne suis pas sûr qu’on soit d’une génération différente Régis Debray et moi. Trente ou quarante ans après sa naissance et dix ou vingt ans après la mienne a eu lieu la révolution numérique qui est une rupture anthropologique inédite. Nous sommes tous deux des hommes d’avant cette mutation. Elle a transformé notre rapport au temps, à l’espace, à la langue, à l’autre, à nous-mêmes, à la vie, à la mort. Je me demande si ce n’est pas moi le plus vieux de nous deux. Je m’intéresse à ce qui demeure et à ce qui revient, c’est-à-dire aux pierres et aux saisons, à la géographie, au substrat, aux couches géologiques et aux phénomènes cosmiques. Lui s’est intéressé à ce qui progresse, s’améliore et avance.

Dans ce qui n’était pas encore la start-up nation, le but n’était pas du tout de gagner du fric ou de parler globish convenablement, c’était de faire son salut

Régis Debray

La littérature vous réunit, mais vous avez des généalogies philosophique et littéraire très différentes. Sylvain Tesson, est-ce qu’on peut dire que vous êtes le fils d’Ulysse et de Jean Raspail?

Sylvain TESSON. - Oui, pourquoi pas. Ulysse, très bien: la tension de la nostalgie et de l’aventure, de la curiosité et du retour. Raspail, bien sûr pour la mélancolie, la géographie du crépuscule et de la désolation. Je veux bien de cette ascendance-là. Il y a une distinction entre les races d’écrivains qu’élabore Julien Gracq dans ses Entretiens. Il considère les écrivains myopes et les écrivains presbytes. Les écrivains myopes, ceux qui ne voient pas de loin, s’intéressent aux détails, au chatoiement, aux reflets, au minuscule, à l’atomisation des choses, aux insectes, aux trésors de la terre, aux mécanismes et aux rouages. Les écrivains du panorama, les presbytes qui ne voient pas ce qui est près, regardent les grands ensembles et tracent comme des peintres, leurs fresques au rouleau, leurs récits à la brosse et leur analyse à grands traits. Moi, je suis myope. J’ai fait de mon affection physiologique un blason intellectuel. Je m’intéresse aux herbiers et aux pierres: fragments et facettes. Je m’appelle d’ailleurs Sylvain Tesson. Tesson évoque le débris, la miette quand on casse un verre. Sylvain ramène à la forêt, c’est-à-dire un espace fermé dans lequel les animaux n’ont pas besoin de voir loin. J’appartiens à la race d’écrivains de la proximité et du détail. Julien Gracq, Ernst Jünger, Roger Caillois sont maîtres des petites échelles.

C’est aussi la poésie de Rimbaud dans Les Illuminations où il moissonne et collecte les minuscules chatoiements du réel, force des serrures très petites qui ouvrent sur une vision universelle, derrière la porte. Tout cela, hélas, fait une culture de brocanteur. Mon bagage culturel est plein de poésie, de mandragore et d’histoires de pirates. C’est l’esprit de Marcel Schwob, Léon-Paul Fargue, Paul Fort. J’aime Alexandre Vialatte, les écrivains bizarres, la bimbeloterie. Tout cela ne fait pas un système. Ce n’est pas avec ces textes qu’on fait la révolution. Quand j’entends le mot chenille, je ne suis pas comme Régis Debray, je ne pense pas à des tanks, je pense aux papillons. Petit, je faisais des collections de fossiles sur mes étagères. Je n’avais pas les œuvres complètes de Lénine. Les Émaux et Camés, c’est moins utile à la conquête du pouvoir, que Derrida, Deleuze ou Bourdieu. Du point de vue des références, il y a tout de même quelque chose qui me lie à Régis Debray. Je voue une admiration à son humour noir, ses coups de fouet, et ses saillies. Je pourrais tuer tout ce que j’aime pour un bon mot. Je trouve que ça serait un très bon motif pour commettre l’irréparable. Quand je lis Churchill dire de De Gaulle «On aurait cru une femelle girafe sortie du bain», je trouve que c’est un mot qui vaut toutes les descriptions. Je retrouve Régis Debray dans ce goût du calembour supérieur. Comment les intellectuels de gauche - si graves et si sérieux - ont-ils pu lui pardonner traits d’esprit et saillies drolatiques.

J’ai plus d’affection pour un chevalier de la « matière de Bretagne » qui erre dans les forêts du monde armoricain que pour un jeune programmateur de système cyber-global de mon époque

Sylvain Tesson

Régis Debray, êtes-vous vous aussi l’enfant d’un couple baroque? Celui composé de Sartre et Victor Hugo?

Régis DEBRAY. - Sylvain parle d’or. Mais tout de même, le débris, il est dans mon nom et de mon côté, j’ai de quoi revendiquer. Je suis d’accord avec lui sur l’humour comme politesse du désespoir. Ça empêche de se jeter dans la Seine. Sartre? C’était une obligation professionnelle quand il fallait passer les concours de philosophie. Je sais qu’il a mauvaise presse aujourd’hui. Camus lui a piqué la place, celle du contemporain capital. Entre nous, quand on préparait l’agrég, Camus, ça ne faisait pas très sérieux, il y avait un côté, selon la formule un peu cruelle et sans doute très injuste, «philosophe pour classes terminales». En tout cas, c’est vrai, je ne vais pas plaider coupable: Sartre, ça a compté pour moi. Mais vous savez, quand on est à Normale Sup dans les années 1960, on a comme directeur de l’école Jean Hyppolite, traducteur de Hegel, et comme directeur des études Louis Althusser, traducteur de Marx. Ça fait deux philosophes de l’histoire. Pas de chance, parce que l’histoire, à ce moment-là, elle fout le camp. On était en train d’en sortir en France si ce n’était déjà fait, mais ça résonnait encore dans la tête comme une corne de brume au fond de la cour. Quant à Hugo, c’est un devoir citoyen, difficile d’y échapper. Qui est notre écrivain national, notre Shakespeare, notre Dante, notre Tolstoï? Hugo, bien entendu. Je crois que son grand rival est Stendhal. Il a beaucoup rajeuni. Il y a même une promotion de l’ENA qui porte son nom. C’est devenu un alibi, un passe-partout. D’ailleurs, l’actuel président avait Stendhal sur son bureau sur sa photo officielle.

 

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Régis Debray. François BOUCHON/Le Figaro

On veut tous être Fabrice del Dongo. Mais enfin, le génie national, c’est tout de même Victor Hugo. Je sais que les fines bouches ne sont pas d’accord. Le barbu est un peu barbant. Il y a le mot de Valéry que j’aime beaucoup: «Un milliardaire, Hugo, mais pas un prince.» C’est joli, un peu vache. Enfin, tout de même Les Misérables, Notre-Dame de Paris, c’est la grande taille. Disons que Stendhal réduit l’homme à l’individu. Hugo voit l’humanité à travers chaque individu. Enfin, pour moi, le patron, ça ne se discute pas, c’est Julien Gracq. Une convergence de plus avec Sylvain. J’ai eu la chance de l’avoir pour ami. C’est lui qui m’a tout appris ou plutôt réappris, malheureusement un peu tard. Le devoir de précision dans la langue, le goût de la frontière, le pressentiment des effondrements historiques, comme dans Le Rivage des Syrtes. Ajoutez à cela un sens de l’humour dévastateur, une infinie gentillesse sous des dehors un peu revêches. Vous vous rappelez son mot sur l’Académie française: «Il n’y a aucune raison d’être contre - il suffit d’être, bien entendu, dehors. On peut s’amuser de la parade de la relève à Buckingham Palace sans vouloir pour autant s’engager dans les horse-guards.» Quand on reviendra vous solliciter. Sylvain - le facteur sonne toujours trois fois - ça pourra vous servir. Ça ne vous empêchera pas de poursuivre votre ascension, mais il y a d’autres cimes que l’Académie. Chacun son genre…

Sylvain TESSON. - Non mais bien sûr, mon genre… c’est le siège éjectable plus que le fauteuil.

Après la littérature vient la question de l’histoire. Régis Debray, vous l’avez traversée avec la volonté d’exercer une influence sur le mouvement du monde. Cette tentative était-elle une illusion?

Régis DEBRAY. - En ce qui me concerne: oui, complètement. Je dois avouer qu’il m’a traversé l’esprit à un moment d’avoir un jour de l’influence. Après tout, c’est le but et la fonction de l’intellectuel, d’aspirer à être un leader d’opinion, comme on dit, de peser sur l’esprit du public et par ce biais, sur le gouvernement. En ce qui me concerne, j’ai fait des efforts, mais ça n’a pas marché. J’ai mis un certain temps à me rendre compte que je n’avais pas les compétences. Et que c’était finalement aussi bien. Il y a un mot de Gracq encore: «Tant de mains pour transformer le monde, si peu de regards pour le contempler.» Il y a d’un côté l’Homo historicus, celui qui attend toujours quelque chose, mais quelque chose qui le plus souvent fait faux bond. Et puis il y a l’Homo spectator, qui, lui, n’attend rien et qui regarde. Il fait des relevés, des croquis, il laisse tomber les généralités et les majuscules, il se réconcilie avec les minuscules. J’en suis là pour le moment.

Mais vous, Sylvain, vous l’avez fait depuis le début et vous êtes quelqu’un de notre temps, un temps qui préfère le particulier à l’universel. L’historicus pouvait parfois prendre les armes, mais il oubliait la carte de géographie. Il ne regardait pas trop autour de lui. Aujourd’hui faire l’histoire n’est plus dans nos moyens, mais on a toujours assez d’argent pour acheter une carte Michelin et un sac de couchage. Sylvain a fait le bon choix qui est le choix de la géographie. Moi j’ai fait l’autre. L’histoire, sans la géo, ça ne marche pas. C’est même assez casse-gueule. Je pense à Che Guevara qui s’intéressait très peu à la géographie, mais beaucoup à l’histoire. Figurez-vous qu’il m’avait demandé de lui ramener au campement Vie et mort de l’Empire romain de Gibbon. Mais il n’avait pas demandé de cartes, et Dieu sait si j’en ai récolté. La géographie a été décisive dans son malheur. Il a atterri dans des coins complètement dépeuplés ou il n’y avait pas de repères. Ça lui a coûté la vie. En somme, le temps sans l’espace, ça peut tourner funèbre.

Sylvain TESSON. - La géologie, la géographie sont des sciences rassurantes. Elles touchent à des objets qui sont là depuis des centaines de millions d’années, des milliards même. Quand on est étreint et angoissé par l’éphémère de l’existence (c’est-à-dire quand on est normalement constitué), on se demande: comment faire pour rester et imprimer sa marque? Péguy dans la Présentation de la Beauce à Notre-Dame de Chartres propose un double enracinement par la foi et l’agriculture. «Deux mille ans de labeur ontfaitde cette terre/ Un réservoir sans fond pour les âges nouveaux./ Mille ans de votre grâce ont fait de ces travaux/ Un reposoir sans fin pour l’âme solitaire.» Contre le tempus fugit, on peut construire une cathédrale, cultiver son champ de blé, faire des enfants, remplir une bibliothèque de ses propres livres, laisser une statue à son effigie, produire un corpus, des lois, une politique, ou conduire la révolution des institutions. C’est l’option historique: on pèse sur le temps. Il y a une autre solution, celle que j’ai choisie: c’est l’usage du monde.

C’est choisir non pas de s’inscrire dans les Temps (puisque de toute façon, rien ne survivra), mais de capter les chatoiements, les bonheurs de la vie. De rafler, de moissonner ce qu’on peut. D’accumuler des sensations et des souvenirs plutôt que des lauriers, des expériences plutôt que des récompenses. D’être un promeneur plutôt qu’un meneur, un rôdeur des confins plutôt qu’un stratège. Voilà, je crois la ligne qui sépare celui qui se donne les illusions de l’histoire et celui qui choisit la fuite dans la géographie. Comme le dit le poète américain Walt Whitman: «Je n’ai rien à voir avec ce système, pas même assez pour m’y opposer.» Est-ce qu’on veut changer le monde ou est-ce qu’on veut le contempler? C’est la question du 9 chant de L’Odyssée. Quand Ulysse descend aux enfers et rencontre Achille, il lui dit «tu dois être heureux, tu es le plus glorieux des Grecs. Tu es passé à la postérité». Achille lui répond «non, j’aurais préféré être le berger qui jouit de la lumière du matin, au seuil de sa cabane». Terrible vérité d’Achille: la postérité ne sert à rien. Il aurait mieux fait de jouir du réel que d’essayer de rester dans les mémoires.

À force de faire l’éloge de l’homme, de la nature on finit par oublier que la nature de l’homme est de contredire la nature et on court le risque de retourner à la case steppes et forêts

Régis Debray

Il y a entre vous l’opposition entre la géographie et l’histoire, mais aussi, peut-être, entre la nature et la culture?

Régis DEBRAY. - Je constate qu’en amant de la nature, notre ami a beaucoup de culture. Ce n’est pas contradictoire. D’ailleurs, la nature sans la culture, ça n’existe pas en dehors du pôle Nord ou du pôle Sud. J’ai une sérieuse divergence avec Sylvain. Il aime vivre à moto, mais donne parfois l’impression de mépriser le carburateur, c’est-à-dire de mépriser le fait technique, d’oublier que pour écrire des livres, il faut des imprimeurs, des typos, des libraires, il faut même des postiers. On doit se mettre à deux pour faire un enfant. Il faut de l’histoire et de la géographie. D’ailleurs, une nation fait les deux, des routes et des monuments, et puis on construit un État par-dessus. Ça a fait la France par exemple. Ce serait dommage de passer de la grande histoire au Grand Pan. En somme, d’échanger la grande hache contre le couteau scout.

À force de faire l’éloge de l’homme, de la nature on finit par oublier que la nature de l’homme est de contredire la nature et on court le risque de retourner à la case steppes et forêts. Ce ne serait pas vraiment un progrès. Sylvain est un étonnant arpenteur de l’espace. Mais l’espace, ce n’est pas l’Europe. L’Europe, c’est le temps. L’espace, c’est l’Amérique. C’est vrai qu’on a tous tendance à s’américaniser la tête. Les villes se fragmentent en ghettos, les nations en régions. C’est ce qu’on appelle le spatial turn. Et je ne voudrais pas que Sylvain accompagne ça. Deux choses menacent le monde, disait Valéry, l’ordre et le désordre. On pourrait dire aussi, deux choses menacent le monde, le «tout-géo» et le «tout-histoire». Essayons de faire un hybride. Vous le faites bien d’ailleurs, comme un moraliste à moto, un janséniste en crampons.

Sylvain TESSON. - La distinction entre la nature et la culture, je suis comme vous, j’aimerais ne pas la faire. Bien sûr, je déplore que l’une des deux matières l’emporte sur l’autre, et je ne suis ni pour la brute campée sur son terroir ni pour l’espèce d’ectoplasme hologrammique qui ferait complètement l’économie du substrat. Évidemment, dans un monde idéal, il n’y aurait que des agrégés permanents d’histoire et de géographie. Dans L’Odyssée et L’Iliade, Homère n’a pas fait la distinction. Il n’y a pas un chant où il n’use d’une allégorie géographique pour expliquer les affaires des hommes - la guerre, l’amour, la cuisine, la cité. Il y a toujours une référence à la nature. Je plaide pour cela, une écologie qui expliquerait la permanence et la continuité des temps. Une écologie qui serait conservatrice, c’est-à-dire une tentative à la grecque et non pas à l’américaine, de s’inspirer des équilibres naturels. Une écologie qui aurait à la fois un goût pour les frontons baroques et pour les salamandres, pour les marécages et pour les musées. Pour la mélancolie et pour les ancolies.

Je plaide pour une écologie qui aurait à la fois un goût pour les frontons baroques et pour les salamandres, pour les marécages et pour les musées. Pour la mélancolie et pour les ancolies

Sylvain Tesson

Vous dites que tout lieu possède son histoire. Ce n’est pas tout à fait vrai. Il y a des espaces intouchés, que les Américains appellent wilderness de wild le sauvage, mot que nous n’avons pas en français car nous n’avons pas la chose. L’Europe est un jardin potager dont la France est l’extrémité occidentale. Il n’y a pas un pouce carré de notre territoire, pour notre plus grand bonheur, qui n’ait son inscription poétique, musicale, architecturale et qui n’ait été anthropisé, pensé et aménagé, battu par les armées, fécondé par les paysans, embelli par les architectes, dévasté aujourd’hui par les aménageurs du territoire. Tout a été pris en main. Tout a été regardé, recomposé. Il reste quand même quelques pays, quelques endroits, parfois même souterrains, des grottes, des cavernes, des océans qui ont échappé à l’histoire. Je m’intéresse à ces substrats intouchés («pré-adamiques» disait-on au XIXe).

 

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Sylvain Tesson. François BOUCHON/Le Figaro

Vous incarnez deux «figures» très différentes. On dirait facilement de Régis Debray qu’il a été un être politique, un activiste, un militant. Et Sylvain Tesson, on vous qualifie souvent d’aventurier…

Sylvain TESSON. - Si on compare la figure de l’aventurier à celle du militant, je préfère évidemment celui qui prend la poudre d’escampette plutôt que celui qui use de la poudre à canon. J’ai toujours marqué la distance avec le penchant révolutionnaire. Le révolutionnaire finit toujours par devenir le bourgeois qu’il a voulu abattre. La révolution est un changement de propriétaire. Le révolutionnaire et le bourgeois ont un autre point commun: ils savent qu’ils ont raison. L’un veut conserver ce qu’il a et l’autre veut conserver ce qu’il veut. Les deux veulent arriver à leurs fins. Anthropologiquement, ce sont les mêmes. Deux faces d’une même médaille à la fine tranche. Les deux veulent leur succès, leur propagation, leur prospérité et leur continuation. Et d’ailleurs, en général, le révolutionnaire, quand il accède à ce qu’il voulait, c’est-à-dire au pouvoir, devient le satrape qui aurait donné à celui qu’il était à 20 ans les raisons de le destituer.

L’aventurier serait la troisième voie entre le bourgeois et le révolutionnaire. Celui qui choisit la traverse, l’échappée, l’issue de secours, la contrescarpe, l’absence de tout principe de responsabilité. Ce sont des gens qui ne rentrent pas dans les livres d’histoire, mais font parfois des Mémoires sympathiques. Il y a une autre différence entre ces deux figures, l’engagé et le désengagé. Le militant a un programme pour tous les hommes. Il croit à la dimension universelle de la condition humaine. Écoutons Novalis, ce Rimbaud germanique: «Nous cherchons partout l’absolu, nous ne trouvons que des choses.» Eh bien, le révolutionnaire, le militant cherche l’absolu. Il l’a trouvé et il veut l’appliquer, mais il se casse les dents sur les choses. Il cherche à imposer la loi universelle, mais rencontre la vérité des tribus. L’un a des os dans le nez, l’autre a des plumes sur la tête, le troisième un pagne. L’universel se prend pour une vague qui se brise sur le récif du particulier.

Régis DEBRAY. - Vous dites des choses très pertinentes: par exemple, que le révolutionnaire qui réussit tourne au bourgeois. Mais s’il échoue, il est mort. Saumâtre alternative. Il y a un vieux livre Portrait de l’aventurier, de Roger Stéphane, qui évoque Malraux, Lawrence d’Arabie et von Salomon. Sartre avait fait la préface où il oppose en duo l’aventurier et le militant, qui était à son époque encore une figure d’actualité. Mais cet archéo n’a pas survécu. À cette époque, on pouvait se choisir des appartenances ou des familles, indépendamment de son origine. On pouvait se choisir une couleur qui n’était ni ethnique, ni tribale, ni héréditaire. On pouvait s’inventer, si j’ose dire, sa tribu, un nous, une communauté. On commençait par construire un parti. On passait des années, des décennies à enfiler des congrès et des motions, et, finalement, on accédait au pouvoir un peu blanchi sous le harnais, un peu comme Mitterrand ou Blum. Aujourd’hui, un brillant individu prend le pouvoir à la hussarde et ensuite, une fois que c’est fait, il bricole un petit parti. Les militants d’ailleurs n’existent plus, car ils appartenaient à l’ère du nous. On est dans la phase du «moi je , du tout à l’ego. Chacun pour soi, comme dans un naufrage, disait Marcel Duchamp. Et on patauge dans ce naufrage.

Il n’y plus de nous, chacun se met à son compte. Le coude-à-coude n’est plus indispensable pour faire carrière. J’estime qu’il y a une troisième voie. On peut faire bande à part, mais tout de même bande, ça peut aller, disons, de l’équipe au commando, en passant par le «faisons clan» de Madame Verdurin. Au fond, c’est la solution que j’ai toujours préférée. Pas la moto, mais le covoiturage. On est plusieurs, mais pas trop. Le minibus. C’est ce que Keynes appelait la divine camaraderie. Je dois avouer que j’aime bien le mot «camarade». Et par-dessus tout, les manigances bien intentionnées. Et ça, ça se fait à plusieurs. Je continue à croire au moment Fraternité, au vrai le meilleur de tous. Après, malheureusement, vient le moment «responsabilité». Le meilleur moment, disait Clemenceau, c’est quand on monte l’escalier. Ce n’est pas vrai seulement dans les bordels, mais aussi dans les palais, c’est-à-dire pendant la campagne électorale, le petit complot de quelques-uns. Et puis, malheureusement, le candidat bientôt élu, il devient président de la République. Alors arrivent les croche-pieds, les bisbilles, la hiérarchie, les coups sous la table. C’est à ce moment-là qu’il faut rentrer chez soi.

Régis Debray, vos engagements, de Guevara à Mitterrand, sont ceux d’un homme de gauche. Votre œuvre, pourtant, est traversée d’un scepticisme qui vous rapproche des conservateurs. Sylvain Tesson, vous ne partagez aucune des illusions progressistes…

Sylvain TESSON. - Vous permettez que je vous donne ma définition de la droite et de la gauche. Moi, j’aime davantage ce qui est que ce qui pourrait advenir. J’aime mieux les choses que leurs représentations. J’aime mieux l’alpinisme que le ski. J’aime mieux monter en me frottant à l’âpreté du réel que de glisser dans l’incertain. J’aime infiniment quelques dizaines de personnes, mais pas plus. Je suis un petit transformateur qui n’arrive pas à prendre beaucoup d’ampérage. Je suis archilimité, je n’ai pas la capacité d’absorption de Régis Debray. De surcroît, j’ai été traumatisé dans mon enfance par un professeur de mathématiques qui m’a dégoûté des «ensembles bases». C’est pour ça que je suis allé vers les insectes et non pas vers les nuages. Je ne crois pas que les ensembles aient une existence ontologique. Je ne crois pas qu’il y ait «les pauvres», «le peuple», «les riches», «les bons», «les méchants», «les Slaves», «les sociaux-démocrates». Je ne crois strictement qu’aux individus. En politique, il y a un point de convergence entre la gauche et la droite qui n’est pas le «en même temps» mais qui est la médiocrité spirituelle, la désaffiliation culturelle et la nullité langagière des membres des partis. Voilà ce qui fait le dénominateur commun de tout le personnel politique. C’est un lissage de toutes les divergences politiques par une communauté de défaut. Je me suis demandé pourquoi Régis Debray était progressiste. J’ai une tentative d’explication.

Il y a évidemment des raisons très rationnelles. Il y a chez vous cette fraternité, ce sens de l’autre, cette bonté, cet évangélisme peut-être, sans le côté curé. Mais je crois que dans la formation idéologique des gens, il y a en dernière instance une matière plus intangible qui est l’empreinte de la jeunesse, la photographie de ce qu’on a vécu à l’âge ou l’on se forme, un décor qui vous imprègne et fonde votre personnalité. Pour vous, ce décor, ça a été la rue d’Ulm, la librairie Maspero où l’on tombe amoureux de filles qui ont plus l’air de Gitanes que de Versaillaises. Et puis il y a un autre clivage, celui qui sépare les technos des organos, ceux qui viennent de la technocratie et ceux qui connaissent la valeur de l’existence organique des choses. On peut aussi appeler ça les anywhere et les somewhere, ceux qui mangent des sushis et ceux qui mangent de la tête de veau. En gros, ceux qui savent user d’une clé à molette (parce que je sais quand même réparer mon carburateur) et ceux qui ne savent user que d’une clé USB. Ceux qui ont vécu leur vie. Ceux qui ne vivent que leurs idées. Cette ligne de fracture rassemble de part et d’autre la gauche mêlée à la droite. Elle brouille les cartes. Un «cavalier de la porte de l’Ouest» de Jean Raspail et un Monsieur Teste avec un col Mao ont beaucoup de choses à dire. Ils s’entendent si leur ennemi commun est un techno cyber-abstrait. La seule question, ce n’est pas pour qui on vote, mais c’est: avec qui a-t-on envie d’aller dîner?

Régis DEBRAY. - Oui, on peut aimer dîner avec des copains en se fichant de leur vote. Je crois que la balance gauche-droite, passée de mode ces derniers temps, avait une utilité. Elle permettait au corps social de respirer. L’alternance, ça fait du vent dans la voilure. Quand on est un homme de tradition comme moi, on reste ce qu’on est, c’est-à-dire un gaulliste d’extrême gauche. Après, il y a un problème pour l’homme de gauche, qui est lié à l’âge. EN vieillissant, on sent plus finement tout. Voilà qu’un monsieur officiellement progressiste dans son âge mûr en vient souvent et sans trop se l’avouer, à se rapprocher de l’autre bord. Je pense à François Mitterrand. C’était une bonne plume de droite, plutôt allergique aux intellectuels de gauche. Ce n’est pas pour rien qu’il a invité Jean d’Ormesson à partager ses derniers moments à l’Élysée. On a des retours de jeunesse sur ses vieux jours. La force propulsive des idées se tasse avec les années, disons que les promesses de l’aube s’effilochent au crépuscule.

Ça ne change rien au fait que pour moi, il y a un casting dans l’humanité, même si Sylvain n’est pas d’accord. Je dirais qu’il y a le gobe-mouches à gauche et le rabat-joie à droite. Il y a celui qui met les verbes à l’imparfait, celui qui les met au futur. Celui qui fait dans le pathétique ou celui qui fait dans le prophétique. C’est deux tempéraments. Quand on est de droite, on est résigné au moindre mal, quand on est de gauche on soupire après un «toujours mieux». Il y a des formules de compromis. On peut être plutôt à gauche le matin et plutôt à droite le soir. Jouer à la fois côté cour et côté jardin, être moitié guelfe et gibelin. Au début de sa vie on est volontiers parano, sur le thème «mort aux salauds», à la fin on devient un peu schizo, c’est-à-dire, en fait, tolérant, un peu goguenard, accro au plaisir toujours vif de déplaire. Et puis il y a l’envie de se promener, de baguenauder. Disons qu’on n’est pas sérieux quand on a 18 ans, mais qu’on l’est encore moins quand on en a 80. Au fond, qu’est-ce que ça donne? Ça donne un type un peu à droite dans son for intérieur, mais, question forum, à gauche toute, invariablement.

Que diriez-vous à un jeune français de 20 ans?

Sylvain TESSON.- Je lui livrerais quelques apophtegmes. Apprenez à orthographier correctement le mot dysphorie de genre avant de vous en croire atteint. Courez le monde avant de le changer. Soyez amoureux d’un seul de vos semblables avant de vouloir les sauver tous. Reformez-vous vous-même avant de penser au grand soir pour les autres. Commencez tout de suite à lire Régis Debray, mais par les livres de la fin.

Régis DEBRAY.- C’est toujours un peu cucul les conseils du vieux con en partance aux nouveaux arrivants. Je lui conseillerais d’abord de ficher le camp de chez lui le plus vite et le plus loin possible, sans filer aux United States comme tout le monde pour pouvoir parler l’anglais sans accent. Commencer par se dépayser vraiment et apprendre à se méfier de ses petites certitudes. Deuxième étape, découvrir l’infini plaisir de rentrer à la maison. J’ajouterais tout de même, conseil final: ne pas oublier de lire Sylvain Tesson, les livres du début y compris.


PODCAST - Faut-il changer ses désirs plutôt que l’ordre du monde? [Descartes]

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 https://www.lefigaro.fr/culture/notre-dame-de-paris-futur-disneyland-20211208

 

 

DÉCRYPTAGE - Le projet d’aménagement intérieur de Notre-Dame de Paris a été présenté le 9 décembre. Il est loin de faire l’unanimité.

Après la controverse sur la flèche de Notre-Dame de Paris, c’est au tour de l’aménagement intérieur de la cathédrale, ravagée par les flammes en avril 2019, de susciter la polémique. Le 9 décembre, le diocèse de Paris a présenté son projet à la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture (CNPA). Dans ce que l’on sait de ses grandes orientations comme de ses détails, il ne fait pas l’unanimité, tant au sein du clergé que des fidèles dont beaucoup s’inquiètent de ne plus reconnaître leur cathédrale lors de sa réouverture au public en 2024. Confié par Mgr Michel Aupetit, archevêque de Paris (qui vient de démissionner de ses fonctions), au père Gilles Drouin, curé du diocèse d’Évry - Corbeil-Essonnes et directeur de l’Institut supérieur de liturgie à l’université catholique de Paris, le sujet cristallise les tensions. Un article du Daily Telegraph a mis le feu aux poudres: Notre-Dame de Paris, édifice majeur de la chrétienté serait en passe, d’après le quotidien britannique, de devenir une sorte de «Disneyland politiquement correct», son aménagement intérieur faisant la part belle à la scénographie, aux expérimentations hasardeuses, aux effets sonores et aux jeux de lumière. «C’est comme si Disney entrait à Notre-Dame», a expliqué au Daily Telegraph l’architecte, urbaniste et critique Maurice Culot, après avoir vu les plans. Ce qu’ils proposent de faire à Notre-Dame ne serait jamais fait à l’abbaye de Westminster ou à Saint-Pierre de Rome. C’est une sorte de parc à thème, très enfantin et trivial compte tenu de la grandeur du lieu.»


L’objectif est de transmettre le message de l’Église du XXIe siècle d’une façon moderne, pédagogique, accessible au plus grand nombre et notamment aux 12 millions de visiteurs annuels de la cathédrale parmi lesquels les étrangers sont nombreux. À cet effet, «des phrases bibliques ou de tradition spirituelle chrétienne» seront projetées en différentes langues, y compris en mandarin, sur les murs des 14 chapelles. Celles-ci, remodelées en 1862 par Eugène Viollet-le-Duc, devraient faire l’objet de profonds bouleversements. Six ou sept d’entre elles se verront privées de leurs confessionnaux, remisés dans les tribunes. Les autels conçus par Viollet-le-Duc resteront certes en place, mais ils devraient être intégralement délestés de leurs ostensoirs et candélabres, de même que des sculptures dessinées par l’architecte. «Les chapelles des bas-côtés seront ainsi dépouillées des derniers éléments dus à Viollet-le-Duc, à l’exception des vitraux de l’atelier Gérente, regrette Didier Rykner, fondateur du magazine en ligne La Tribune de l’art. Mais leur aménagement ira plus loin: la plupart d’entre elles se verront dotées, en pendant d’une œuvre ancienne, dont certains des Mays encore conservés dans la cathédrale, d’œuvres contemporaines dont on ne sait rien sinon qu’il faudra faire confiance au génie des artistes si ce n’est à celui du clergé.»

Des artistes contemporains

Des œuvres d’Ernest Pignon-Ernest, pape français du street art, Anselm Kiefer ou encore Louise Bourgeois pourraient ainsi «dialoguer» avec celles de maîtres anciens comme les frères Le Nain ou Charles Le Brun. Sculptrice et plasticienne décédée en 2010, Louise Bourgeois n’avait-elle pas imaginé le mobilier d’une chapelle à Bonnieux (dans le Luberon), inaugurée en 2004 par Jack Lang et baptisée Couvent d’Ô? Outre une Vierge à l’Enfant, on peut y voir une singulière croix, avec des mains qui se tendent ; ou un bénitier au fond duquel des seins de femmes ont été sculptés dans la pierre. Prière… de comprendre le message. Mais il faudra aussi faire preuve d’une certaine perspicacité pour se repérer dans la future scénographie des chapelles de Notre-Dame de Paris, rebaptisées de façon thématique «Foi et raison», «la Mystique», «la Charité», «l’Espérance», «la Mission», ou encore «la Création réconciliée» en référence à l’encyclique du pape François Laudato Si’ . Et les fidèles, dans tout cela? Exit les chaises séculaires inconfortables. Place à des bancs à roulettes - équipés de lumignons - qui pourront disparaître à volonté à l’aide d’un monte-charge. Direction: la crypte, dont il faudra pour cela amputer une partie des voûtes médiévales. Quant à l’éclairage de la nef, il devrait réserver quelques surprises. Il variera selon les jours. On n’arrête pas le progrès, dit-on. Mais tous ces artifices conduiront-ils les âmes vers Dieu?

 

 

 

https://www.cairn.info/revue-la-revue-lacanienne-2015-1-page-21.htm

 

Si, pendant longtemps, psychanalyse de l’enfant et topologie ont évolué selon des axes parallèles dont la rencontre semblait improbable, cela fait maintenant quelques années que nous observons que la clinique infantile s’intéresse à l’usage de la topologie, et plus particulièrement à la topologie des nœuds. En effet, plusieurs collègues ont produit ces dernières années des travaux conséquents en relation avec cette topologie. On peut citer les travaux de Marc Darmon sur la question de la mise en place du nœud dans l’enfance [1][1]M. Darmon « Ça se noue dans l’enfance », exposé à l’epep le 28…, ceux d’A. Vorcaro sur la lecture des temps logiques de la mise en place du sujet sur la tresse borroméenne [2][2]A. Vorcaro, « Topologie de l’effet sujet », exposé au séminaire…, ceux de M.C. Laznik sur les tresses en relation avec l’autisme et la psychose infantile, ou encore ceux d’E.M.Golder sur une écriture en forme de tresse des premiers entretiens avec l’enfant et ses proches. Notre travail tente de s’inscrire dans cette direction.

2C’est devenu un lieu commun de faire remarquer que dans notre social post-moderne, les situations familiales se sont considérablement modifiées, entraînant avec elles une perte d’appui concernant le Nom du père, l’index phallique et l’œdipe entre autres. Pour citer un exemple, nos collègues brésiliens disent volontiers à propos de leurs jeunes patients qu’ils sont « des orphelins de parents vivants ». Pour notre part, nous avons choisi de considérer que cette perte d’appui était peut-être – à quelque chose malheur est bon – l’occasion de tenter de nous appuyer sur la topologie pour conduire le travail avec un enfant. La topologie nous ouvre en effet, nous semble-t-il, à une lecture autre, peut-être plus simple, en tout cas renouvelée de la cure.

3Plutôt que d’agiter le spectre des déclins du Nom du père, tout à fait réel au demeurant, ou encore de pointer la disparition de l’autorité symbolique et la mise à l’écart du sexuel, tout aussi réels, nous considérons que c’est là l’occasion de prendre les choses autrement.

4Nous partons de l’hypothèse selon laquelle une lecture correcte des symptômes ne peut se faire qu’en prenant appui sur les trois catégories introduites par Lacan du Réel, du Symbolique et de l’Imaginaire, ainsi que sur leur nouage ou leur dénouage. Ces trois catégories qui sont, dit Lacan, les trois dit-mensions du langage, comment pourrions-nous les appréhender dans la clinique avec l’enfant ?

5Nous recevons dans nombre de nos consultations des enfants dont les parents ont divorcé quand les enfants étaient très jeunes (de 1 an à 3 ans) et qui vivent depuis leur plus jeune âge en garde alternée. Ces enfants n’ont bien sûr aucun souvenir d’avoir vu leur parents ensemble sous le même toit.

6Nous les recevons souvent plusieurs années après la séparation et ce qui domine chez eux est une tonalité dépressive, dont nous découvrons rapidement qu’elle est présente à bas bruit depuis la séparation. Remarquons que la clinique de ces enfants n’est pas sans évoquer la problématique des enfants adoptés… avec cette question qu’ils ont au bord des lèvres : « De qui suis je l’enfant ? » Ils n’ont en effet à leur disposition aucune représentation du couple parental, et donc la question du sexuel qui pourrait s’énoncer : « De quel désir suis-je issu ? » reste de côté et du coup avec elle toute la problématique de l’identification.

7Dès 1960, Lacan soulignait au colloque de Royaumont [3][3]Repris dans « Subversion du sujet et dialectique du désir »,… que « l’œdipe ne saurait tenir indéfiniment l’affiche ». Mais en 1975, Lacan proposa : « Le Nom du Père c’est le nœud borroméen. »

8Avec l’introduction du nœud borroméen c’est à un véritable basculement épistémologique que nous assistons, dont le résultat est un déplacement que l’on peut résumer ainsi : à la fonction métaphorique (qu’elle concerne la fonction du Nom du Père, ou la forclusion du Nom du père) vient se substituer le nouage.

9De plus, avec le nouage des trois catégories R.S.I., ce qui est central dans la structure n’est plus le référent phallique mais l’objet a. Ce dernier point est fondamental dans la clinique en général mais plus encore dans la clinique infantile où tout symptôme est traditionnellement abordé sur le plan d’une défaillance phallique dyslexie, dysorthographie, dyscalculie, etc On peut remarquer qu’avec le nœud borroméen nous nous écartons de la référence à la métaphore, mais aussi du coup des catégories qui lui sont rattachées comme le refoulement, le déni, ou la forclusion.

10La topologie des nœuds – Lacan l’a maintes fois souligné – n’est pas un modèle tentant de rendre compte de l’inconscient R.S.I. c’est la structure, et c’est une structure à trois. Le nœud borroméen se noue à trois et donc nous nous dégageons de la chaîne S1 S2 : pas de couple possible, on travaille d’emblée avec du trois. De plus, le nœud borroméen permet, si on le souhaite d’aborder du même mouvement la psychose et la névrose. Du coté de la psychose nous usons plus volontiers des mises en continuité des registres, ou alors des erreurs dessus dessous. Du côté de la névrose, nous considérons plutôt que nous avons affaire à un nœud bien constitué mais où sont possibles dans le cours de la cure des glissements sans chirurgie.

11Quelques mots encore à propos de R.S.I. et des enfants adoptés ou séparés très jeunes du couple parental, car c’est au cours du travail analytique avec les enfants adoptés que nous avons trouvé l’usage de R.S.I. et de la topologie des nœuds particulièrement précieux. En effet, nous appréhendons que même si nous le souhaitions nous ne pouvons prendre appui sur les repères freudiens habituels ; l’œdipe et le père, sauf à vouloir « forcer » l’enfant adopté à intégrer un ancêtre commun à lui et à sa famille adoptive. Ce qui en général a les pires effets.

12L’adoption nous confronte à R.S.I. puisque le Réel de la conception de l’enfant se trouve, du fait de l’adoption, disjointe du Symbolique puisque ce dernier consiste à devoir s’inscrire dans une nouvelle filiation par la nomination par un autre nom de famille (et bien souvent un autre prénom). Quant à l’imaginaire (la couleur de la peau par exemple)lui aussi est dénoué. Il y a un nouage au départ, ronds noués, superposés, mais pour la plupart de ces enfants, il y a un travail d’écriture et donc de nouage à faire.

13Le travail de la cure va être de réinscrire cet enfant dans le sexuel, c’est-à-dire de lui donner la possibilité de dire : « Je viens de là, je suis issu d’un désir entre mes parents mais ils n’ont pu m’élever. » C’est un enfant hors sexe pour les parents adoptifs mais pas hors sexuel.

14Pour les enfants dont les parents se sont séparés quand ils étaient très jeunes, lui aussi doit réécrire son nœud puisqu’il a une question lui aussi, qui est : « De quel désir suis-je issu ? » Plus même que les querelles parentales, c’est plutôt l’absence de représentation qui entraîne cette tonalité dépressive.

 

 

 

15Nous nous proposons à présent d’illustrer ce qui précède à l’aide de deux vignettes cliniques.

Stéphane

16Stéphane, âgé de 7 ans, est en hôpital de jour et vient consulter au cmp pour des troubles du comportement majeurs : une grande agitation avec des injures à caractère sexuel, des passages à l’acte sur lui-même et sur les autres, des vols ou plus exactement des rapts d’objets. L’inadaptation sociale et scolaire qui en résulte a entraîné son entrée à l’hôpital de jour où il suit une scolarité.

17Un élément biographique est d’importance pour lui : une sœur de Stéphane, née avant lui, est décédée deux ans avant sa naissance. Un frère et deux sœurs sont nés après lui. La sœur décédée n’a été reconnue que par la mère de Stéphane et ne portait pas le même patronyme que lui. Elle s’appelait Marie D. alors que lui et ses frères et sœurs portent le patronyme paternel G.

18Pour Stéphane, la sœur décédée Marie figure dans toutes les « bulles familiales » et Stéphane continue à la faire vivre sous le même patronyme que lui :

19Lors d’une séance, il dit :

20« Tu sais, ma sœur qui est morte elle s’appelle Marie G. »

21« Ma sœur qui est morte elle a 11 ans et moi 9 ans. »

22« Est-ce que je suis l’aîné ? »

23« Je ne suis pas l’aîné, elle est l’aînée, je suis le premier. »

24« J’ai deux frères » (il se compte deux fois : comme « Je » et comme frère).

25« On est deux frères » (il se compte, mais s’efface en tant que sujet de l’énonciation).

26« Ben oui, je compte moi hein/un. »

27Durant cette même séance, il prit des feutres pouvant s’emboîter les uns dans les autres. Il les prit les uns après les autres, d’abord celui du dessous pour le remettre dessus dans un mouvement sans fin en disant : « C’est le premier, non c’est le premier, non c’est le premier », etc.

28Il passa ainsi quelques séances à travailler autour de cette question : être l’aîné, être le premier, se compter, question centrale pour lui. Par la suite, cette sœur ne devait plus été évoquée et la question d’être l’aîné non plus. Deux conséquences : il a voulu quitter l’école des « fous » pour l’école normale. Les objets n’ont plus été systématiquement raptés.

29Il est passé il me semble dans le temps de cette question : « Est-ce que je suis l’aîné, de ma sœur est morte ? » à faire mourir la sœur pour pouvoir se poser de ce fait la question de sa place dans la lignée. Lien aussi de la mort à une position subjective. Est-ce que je suis l’aîné ? Il peut envisager une perte, celle de cette sœur, perte qui lui permet de compter dans l’ordinal donc aussi dans sa place de garçon. L’ordinal c’est pour les garçons.

30« J’ai deux frères. »

31« On est deux frères. »

32« Je compte moi. »

33Du fait qu’il a fait « mourir » la sœur, celle-ci est passée dans les dessous, a fait l’objet d’un refoulement alors qu’auparavant, avant cette question, les choses figuraient sur le dessus : le deuil que la mère n’avait pu faire pour cette enfant la rendait présente dans la figuration familiale.

34Comment rendre compte topologiquement de ce qui s’est passé pour Stéphane ? Il nous semble que la figure [4][4]Nous remercions Jean Brini pour l’aide qu’il nous apportée dans… ci-dessous permet d’articuler quelques éléments de ce qui a pu s’opérer dans le cadre du transfert et de la cure de Stéphane.

35Tentons de lire cette figure.

figure im1

36Au début de sa cure, Stéphane n’a pas accès au bord symbolique de la jouissance phallique, mais seulement à un enlacement entre Réel et Imaginaire. Dans cette position du nœud, le registre du Réel surmonte une partie du champ imaginaire, ce que nous lisons comme une figuration du deuil non effectué concernant la sœur. Au gré des fluctuations de position du Symbolique, les champs de l’objet a et de la jouissance Autre, qui ne sont pas coincés par un triskel peuvent s’échanger librement, cela rendant compte à notre sens de l’extrême agitation du sujet, ainsi que des rapt d’objets, de même que de la réduction du champ de l’inhibition.

37Nous pouvons aussi lire sur la figure que le travail de la cure a consisté essentiellement à accompagner le sujet dans une récupération de la possibilité d’une jouissance phallique « de plein emploi », par un travail d’énonciation sur les questions fondamentales concernant sa sœur, et la façon correcte d’ordonner sa lignée. Nous associons ce travail au mouvement de Reidemeister [5][5]Les mouvements de Reidemeister sont les mouvements de… de type Ω3 qui restitue à la jouissance phallique son bord réel.

38Une fois ce travail effectué, un mouvement de Reidemeister de type Ω2 permet à ce qui du Réel surmontait l’Imaginaire, cette sœur toujours vivante, d’être soustrait au champ Imaginaire.

Christine

39Christine a 4 ans et demi quand je la reçois au cmp. Elle est placée dans une famille d’accueil depuis un an. C’était une petite fille qui présentait un trouble de l’articulation majeure, tenait des propos incompréhensibles (mais pas délirants), un jargon (phonèmes tronqués, dysarthrie) mais comprenait parfaitement ce qui était dit.

40Elle présentait par ailleurs une hypotonie importante. Elle se laissait glisser le long de la jambe de son interlocuteur. Un problème de verticalité dû probablement au fait qu’elle n’avait pu être investie phalliquement par sa mère.

41C’est une enfant qui a été élevée jusqu’à l’âge de 15 mois par sa mère et son père qui n’était pas son géniteur mais qui a reconnu Christine à sa naissance. Sa mère présentait une psychose et des troubles neurologiques graves avec des absences. Cette mère m’avait expliqué qu’elle avait soigné sa fille, lui avait parlé mais avec des blancs dans la parole, dans le visuel et dans l’acte. Christine présentait donc un jargon mais dans lequel on pouvait reconnaître un phrasé musical avec des scansions, des intonations, une ponctuation, comme si la construction de la phrase était présente mais incompréhensible dans son énoncé. Mon intervention a consisté ici à articuler à haute voix en sa présence ce que j’avais pu lire de son dossier, en l’obligeant à regarder sur mes lèvres ce que je disais. À la suite de cette intervention, le jargon s’est pratiquement arrêté et Christine a retrouvé de la verticalité. Au début de sa cure, je n’avais pu rencontrer ni son père ni sa mère et je n’avais pourtant à ma disposition que quelques bribes de son histoire rassemblées dans un dossier de l’ase.

42L’analyste en lisant le dossier à haute voix s’est inscrit au lieu d’une langue refoulante avec de la discontinuité dans la chaîne signifiante par le biais de l’oral, du scopique et de l’invocant.

43L’écart de réel (les blancs de la mère) est passé au symbolique.

44Tout s’est passé comme si la découpe signifiante n’avait pu opérer que du fait d’un tressage de plusieurs pulsions. Donc un nouage, un tressage qui a pu s’inscrire du fait du transfert par l’énonciation du dossier. Ce n’est que bien plus tard que j’ai pu rencontrer le père de Christine. Celui-ci m’a confié qu’il n’était pas le géniteur de Christine, mais qu’il avait voulu la reconnaître peu de temps après sa naissance lorsqu’il avait réalisé que sa mère ne pourrait pas l’élever. De plus, il avait souhaité qu’elle porte un prénom comportant les deux premières lettres de son prénom à lui : Charles, C H d’où Christine.

45Pour rendre compte topologiquement de ce cas, nous remarquerons d’abord que là encore, la fonction phallique est profondément altérée, puisque Christine nous livre une énonciation privée de sens pour son interlocuteur. Nous proposons par conséquent une écriture (figure ci-après) comportant ces deux éléments : altération de la jouissance phallique et altération du sens. Au gré des fluctuations du registre du Réel, le sens s’échange librement avec l’objet a au sein du champ de l’Imaginaire, ce qui nous semble une figuration plausible de la présence du jargon.

figure im2

46L’absence de bord réel pour la jouissance phallique nous semble également pouvoir rendre compte de l’hypotonie importante affectant la posture du sujet.

47Nous proposons alors de considérer la lecture du dossier à travers l’intrication des pulsions orale, scopique et invocante, comme une action éminemment symbolique figurée par le mouvement Ω3. La lecture à haute voix a ainsi permis un déploiement du champ Imaginaire, a eu une fonction de restitution du sens de son image pour le sujet. Mais pour qu’il y ait véritablement nouage, il y fallait le préalable du réel de la lettre (ch), qui assurait déjà la stabilité des ronds imaginaires et symboliques avant l’intervention de l’analyste. Deux glissements nodaux se sont donc produits, l’un lié au transfert et l’autre à l’écriture de la lettre. Mais le nouage du transfert n’a pu se faire que du fait de cette inscription première.

48Remarquons que cette tentative d’écriture n’est nullement univoque. Un autre point de départ pourrait en effet être la profonde altération de l’accès au sens du sujet. On pourrait alors partir de la figure suivante, qui conduirait à une autre lecture.

49On le voit sur ces deux exemples, l’écriture borroméenne n’est nullement pour nous un préalable qui piloterait notre appréhension de la clinique. Il s’agit plutôt a posteriori d’inscrire quelque chose de transmissible [6][6]C’est Lacan qui martèle tout au long de son enseignements que… qui puisse répondre à cette question jamais close malgré sa simplicité : que s’est-il passé ? Avec l’enfant, nous intervenons au point de la constitution du nouage, quelquefois pour le faire, pour nouer R.S.I., d’autres fois, comme ici, pour serrer autrement R.S.I.. Et c’est à chaque fois d’un travail sur la lettre qu’il s’agit.

figure im3
 

Notes

  • [1]
    M. Darmon « Ça se noue dans l’enfance », exposé à l’epep le 28 mars 2012.
  • [2]
    A. Vorcaro, « Topologie de l’effet sujet », exposé au séminaire d’été 2013 de l’ali.
  • [3]
    Repris dans « Subversion du sujet et dialectique du désir », dans Écrits, Paris, Le Seuil, 1966, p. 813.
  • [4]
    Nous remercions Jean Brini pour l’aide qu’il nous apportée dans le tracé des figures.
  • [5]
    Les mouvements de Reidemeister sont les mouvements de glissement, au nombre de trois, qui permettent de changer la mise à plat d’un nœud sans en affecter la structure. On en trouve la description par exemple sur la page : http://a-l-i.org/freud/Data/pdf/Fins_de_partie.pdf
  • [6]
    C’est Lacan qui martèle tout au long de son enseignements que seul le mathème se transmet. Nous considérons ces écritures comme des mathèmes, précisément.
 
Mis en ligne sur Cairn.info le 04/06/2015
https://doi.org/10.3917/lrl.151.0021
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« ... Quand, seuls au milieu des mots, nous sommes hors d’état de leur communiquer la moindre

..... Vibrations *

&-ENtre-&

                          Vibrations .... *^*.

et qu’ils nous paraissent aussi secs, aussi dégradés que nous, quand le silence de l’esprit est plus pesant que celui des objets, nous descendons jusqu’au point où l’effroi de notre inhumanité nous saisit. Désancrés, loin de nos évidences, nous connaissons soudain cette horreur du langage qui nous précipite dans le mutisme ..... »  ..... le néant..........

Cioran, Cahier de l’Herne*

 

 

 

 

 

l'homocoques

robert, l'alsacien vésigondin, la grande gueule ....

.. entré en sa 9ième décade ...

va arrêter le développement de son site

 

...et va essayer de se consacrer à la " trans-MISSIONs à ses proches" de " fragments EN mémoire" de ...

 

 

 

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..... d'octobre 1931 (année de ma conception) ....

......à  .....la "sur-vie" ...                                    

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"Tout est énergie, et c’est là tout ce qu’il y a à comprendre dans la vie.

Aligne-toi à la fréquence de la réalité que tu souhaites et cette réalité se manifestera.

Il ne peut en être autrement. Ce n’est pas de la philosophie. C’est de la physique"

– Albert Einstein -

 

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