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L'esprit d'orphelin  ( qui n'a pas son père ou sa mère ..) veut nous éloigner du corps de Christ

Publié le par Fils d'Abraham en Jésus mon sauveur

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 En hébreu, orphelin vient d'une racine qui a pour signification : être seul, être sans père. Cette définition ne s'applique pas spécialement à un enfant, mais à tout adulte qui vit en orphelin, c'est-à-dire qui est animé par esprit d’orphelin. Nous distinguons deux situations :

-1 Dans le naturel : Orphelin désigne tout enfant ou adulte qui n’a pas connu la présence d’un père ( ...ou de la mère ..) et qui vit dans les conséquences de cette situation tout en étant membre d'une assemblée, d’une famille même s'il est père de famille ou mère de famille.

Voici quelques causes qui peuvent conduire dans cette situation :

- le père qui est toujours absent  ou défaillant

-Le père qui est trop occupé

- le père qui ne tient pas ses promesses

- Le père qui ne m’aime pas.

- Le père qui ne veut pas de moi

- le père qui punit violemment, même parfois sans raisons.

-le père passif : il n’encourage pas, ne défend pas devant une situation d’injustice. Par exemple en cas de rejet de la mère.

- la mort du père

- la trahison du père

- L’athéisme du père

- 2 Dans le spirituel :

Orphelin désigne la  personne liée par un esprit dû au manque de père ou l’absence du père, est un esprit orphelin, ou d’illégitimité, cette personne peut être affectée  dans sa parole, par un esprit muet.

Cette personne aura de la difficulté dans la parole, et beaucoup de peine à parler à notre Père céleste, en particulier en public.

Cette situation peut conduire cette personne dans la mentalité d’orphelin. Elle devient  une habitude de vie ancrée dans son âme et peut conduire à la construction d’une forteresse dans son âme avec des schémas de pensées.

Nous ne la trouvons jamais dans le deuxième bouquet, pourtant elle y est appelée. Elle se situe plutôt dans de le premier bouquet. Elle peut-être ficelée à l’image de ce bouquet, dans sa situation, ou isolée dans la nature.

  Jésus dit à ses disciples, avant de retourner vers le Père :

  Je ne vous laisserai pas orphelin, je viendrai à vous.

                                                                                                                           Jean 14 -- 18

Par ces paroles, Jésus annonce la venue du Saint Esprit, pour que nous ne soyons pas seuls : c'est-à-dire isolés ou sans aide.

Et pourtant des chrétiens vivent avec un esprit et une mentalité d'orphelin. Ils se sentent isolés, ils ont des difficultés à s'implanter. De ce fait ils ont peu de racine. Cette situation, ou cette attitude les fragilise. Elle les rend prêt à recevoir l'offense et ses fruits : le rejet de Dieu et des hommes, la pitié de soi, l’amertume, la haine, le désir de propre justice, de vengeance, le rejet, la jalousie, la comparaison etc. Ils recherchent constamment à satisfaire leurs émotions, le « moi ». Nous  savons que le « moi » est insatiable. Jamais personne n'a pu le satisfaire, ni combler les désirs de la chair.

 La première personne animée par un esprit et une mentalité d'orphelin, que nous présente la Bible, c'est Caïn le premier enfant d'Adam et d’Eve.

Adam connut Eve, sa femme ; elle conçut, et enfanta Caïn et elle dit : J’ai acquis un homme de par l’Eternel. Elle enfanta encore son frère Abel. Abel fut berger, et Caïn fut laboureur.

Au bout de quelque temps, Caïn fit à l’Eternel une offrande des fruits de la terre ; et Abel, de son côté, en fit une des premiers nés de son troupeau et de leur graisse. L’Eternel porta un regard favorable sur Abel et sur son offrande ; mais il ne porta pas un regard favorable sur Caïn et sur son offrande. Caïn fut très irrité, et son visage fut abattu.

 Et l’Eternel dit à Caïn : Pourquoi es-tu irrité, et pourquoi ton visage est-il abattu ?

Certainement, si tu agis bien, tu relèveras ton visage, et si tu agis mal, le péché se couche à la porte, et ses désirs se portent vers toi : mais toi, domine sur lui.

Cependant, Caïn adressa la parole à son frère Abel ; mais, comme ils étaient dans les champs, Caïn se jeta sur son frère Abel, et le tua.

 L’Eternel dit à Caïn : Où est ton frère Abel ? Il répondit : Je ne sais pas ; suis-je le gardien de mon frère ?

 Et Dieu dit : Qu’as-tu fait ? La voix du sang de ton frère crie de la terre jusqu’à moi.

Maintenant, tu seras maudit de la terre qui a ouvert sa bouche pour recevoir de ta main le sang de ton frère.

Quand tu cultiveras le sol, il ne te donnera plus sa richesse. Tu seras errant et vagabond sur la terre.

Caïn dit à l’Eternel : Mon châtiment est trop grand pour être supporté.

 Voici, tu me chasses aujourd’hui de cette terre ; je serai caché loin de ta face, je serai errant et vagabond sur la terre, et quiconque me trouvera me tuera. L’Eternel lui dit : Si quelqu’un tuait Caïn, Caïn serait vengé sept fois. Et l’Eternel mit un signe sur Caïn pour que quiconque le trouverait ne le tue point. Puis, Caïn s’éloigna de la face de l’Eternel, et habita dans la terre de Nod, à l’orient d’Eden. Caïn connut sa femme ; elle conçut, et enfanta Hénoc. Il bâtit ensuite une ville, et il donna à cette ville le nom de son fils Hénoc.

Nod signifie : exil, fuite

  Là nous apprenons  que ses offrandes n'étaient pas agréables à Dieu. Et il a tué son frère Abel à cause de cela.

Pourquoi ?

Est-ce à cause de la nature des offrandes ?

 

 Abel offre ses agneaux premiers-nés, Caïn offre les fruits de la terre qu'il cultive. La réponse est non, car Dieu regarde le donateur et plus particulièrement le cœur du donateur, avant l'offrande : « Dieu porta un regard favorable sur Abel et son offrande. Il ne porta pas un regard favorable sur Caïn et sur son offrande. Nous constatons  que le regard de l’Eternel se porte d’abord sur Abel et Caïn avant leur offrande.

Dieu dit à Caïn : Le péché et tapi à ta porte, et toi domines sur lui. Par ces paroles Dieu, prévenait Caïn de la mauvaise voie sur laquelle il s’engageait. Au lieu d’écouter, Caïn, se rebella à cause de  l’orgueil qui était dans son cœur, comme celui qui le tentait, le diable. En réponse aux paroles de Dieu, Caïn ressenti de l'irritation envers son frère, de la jalousie qui le poussa au meurtre. Dans son cœur il accuse son frère d’être responsable de cette situation.

L’attitude de Dieu, face à Caïn est conforme à sa parole.

Caïn aurait du se repentir, chercher la volonté de Dieu, se remettre en cause et abandonner sa vaine manière de vivre. L’Eternel ne le rejetait pas. L’Eternel l’invitait à rentrer dans son chemin de sanctification afin de le bénir. L’Eternel l’invitait à changer l’état de son cœur, car son offrande reflétait l’état de son cœur, elle en était l’expression.

 À la fin de l’année, Caïn apporte quelques récoltes du champ. Il les offre au SEIGNEUR.

                                                                                                  Parole de vie Genèse 4 : 3

L’Eternel demande de lui apporter les prémices. Ce verset nous révèle l’esprit calculateur de Caïn et son manque de foi. Par ce choix il recherche avant tout la satisfaction de son « moi ». Il en de même pour toute personne dominée par l’esprit d’orphelin. Comme Caïn, l’orphelin ignore la conviction de péché.

La jalousie l’anime, derrière la jalousie se cache l’esprit de meurtre. Il vit en isolé comme une personne qui se croit abandonnée de tous, même de Dieu. Il est toujours prêt à accuser Dieu pour ses malheurs, suspectant les autres de vouloir le tuer. Il vit comme un vagabond, errant sur la terre. C’est ce que nous allons développer en plusieurs point :

-L’orphelin est affecté par l’esprit de comparaison et de jalousie

- L’orphelin face à l’adoration : exemple de Caïn

-l’orphelin ne vit pas et ne connaît pas la communion fraternelle

-L’orphelin n’accepte pas la correction, ni la sanctification, de ce fait il est difficile à enseigner.

-L’orphelin ne reçoit pas nouvelle identité que nous offre Jésus

-l’orphelin ne peut devenir un père : seul les fils deviennent des vrais pères,

Seul les fils connaissent le Père. Ils demeurent dans la maison du Père.

-L’orphelin risque de ne jamais rentrer dans le repos que Dieu réserve à ses élus. L’orphelin n’accomplit pas les œuvres préparées d’avance.

-L’orphelin ne vit pas et ne rentre pas dans la nouvelle alliance : son isolement le tient captif

-L’orphelin vit dans le rejet et en nomade. Il n’expérimente pas l’amour du Père.

-L’orphelin reste dans le chronos et ne rentre pas dans le kairos

-L’orphelin bâtit une ville, c'est-à-dire son  propre empire (ancêtre de Babylone) ou ses propres oeuvres

- L’orphelin n’est pas au bénéfice des 5 ministères

Regardons la conception de Caïn et l’influence qui va en résulter dans vie

 

 Adam connut Ève, sa femme, elle  conçut et enfanta Caïn, et elle dit : de par l'Eternel j'ai acquis un homme.

                                                                                                                            Genèse 4 --1

  La Bible le semeur dit : avec l'aide de l'Eternel j'ai formé un homme.

  La Bible en français courant dit : j'ai créé un homme grâce à l'Eternel. « J'ai acquis un homme » : acquérir signifie devenir possesseur par le travail, obtenir, gagner.

 Par ces paroles Ève semble rejeter l'intervention du père (Adam) lors de la conception de cet enfant. Elle dit qu'elle a conçu avec Dieu. C'est son œuvre avec Dieu. « J'ai formé un homme » elle ne dit pas j'ai donné la vie à un bébé, ou un enfant, mais « j'ai formé un homme ». Eve a comme soustrait Caïn à la présence du père, à l’influence du père et à son éducation.

Former signifie : façonner en donnant une forme déterminée, Dieu forma  ou créa l’homme à son image, Eve forma ou créa Caïn à son image, Eve à former Caïn selon sa conception féminine en révolte contre le père.

Où est Adam dans cette situation ? Où est le père ?

Ces paroles nous révèlent en quel état d'esprit, avec le père, Caïn est né et a grandi.

« J'ai formé un homme » ces paroles nous disent  que Caïn n'a pas eu de père pour modèle.  De plus le père était rejeté. Ses paroles sortent de la bouche d'Ève comme des paroles de rébellion, en réaction aux paroles de Dieu, adressé  à Ève après la chute :

 Tes désirs se porteront vers mon mari, mais il dominera sur toi.

                                                                                                                        Genèse 3 -- 16 

Dans ces conditions est-il étonnant que Caïn se soit comporté comme un orphelin. Lui, Caïn, a reporté cette rébellion et ce rejet du père, contre Dieu, l'image parfaite du Père. Donc obéir à Dieu lui était désagréable, voire insupportable.

Dieu lui rappelait trop son propre père, aussi a t’il cherché à le tromper constamment, à combler son « moi ». De même, il ne pouvait supporter son frère Abel, qui lui, était agréable à Dieu, c'est-à-dire au Père. De ce fait il était toujours insatisfait, errant de lieu en lieu, méfiant, craignant que les autres cherchent à le tuer. Il vivait comme un handicapé, il cultivait un terrain favorable pour recevoir l'offense. La persécution est rentrée dans sa vie. Ici nous  parlons de complexe de persécution.

1-Caïn : l’esprit de comparaison et de Jalousie

 

Souvent le chrétien touché par l'esprit et la mentalité d'orphelin se laisse dominer par l'esprit de comparaison. C'est ce qui est arrivé avec Caïn envers son frère.

Dieu l'avait prévenu avant que l'irréparable se produise, c'est-à-dire : tuer son frère. L'esprit de comparaison est lié à la jalousie. Dieu avait dit à Caïn : Le péché est tapi à ta porte, mais toi si tu agis bien domine sur lui.

 

Dieu lui a montré sa jalousie pour qu'il puisse la dépasser, la traiter. Il ne l'a pas fait et l'esprit de comparaison l’a poussé à la violence, à la destruction. L’esprit de comparaison va nous amener à nous renfermer sur nous-mêmes avec la jalousie dans le cœur. L'esprit de victime prend  place, il va nous pousser à détruire même nos plus proches qui pourront devenir nos ennemis.

 Ayons en horreur l'esprit et la mentalité d'orphelin. Considérons-le comme un vêtement souillé. Non seulement l'esprit et la mentalité d'orphelin, mais également tout ce qui s'y rattache : la jalousie, la possessivité, l'esprit de comparaison, l’envie et toutes les formes de destruction qui s'ensuivent. Le refuge dans la violence, dans l'esprit de victime, n’est pas l'attitude que Dieu attend de nous. Mais plutôt la repentance, détourne nous, rejetons, luttons, contre toutes ces choses, c'est le traitement de crise. Il existe aussi un traitement de fond qui consiste à vivre avec la grâce de Dieu premièrement, deuxièmement, ce traitement nous conduit à vivre dans l'amour de Dieu :

 Qui nous séparera de l'amour de Christ ? Sera-ce la tribulation, ou l'angoisse, ou la persécution, ou la faim, ou la nudité, ou le péril, ou l'épée ?

Selon qu'il est écrit : C'est à cause de toi qu'on nous met à mort tout le jour, qu'on nous regarde comme des brebis destinées à la boucherie. Mais dans toutes ces choses nous sommes plus que vainqueur par celui qui nous a aimés. Car j'ai l'assurance que ni la mort ni la vie, ni les anges ni les dominations, ni les choses présentes ni les choses à venir, ni les puissances, ni la hauteur, ni la profondeur, ni aucune autre créature ne nous séparera de l'amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ  notre Seigneur.

                                                                                                            Romains 8 – 35 à 39

Voici un test qui nous permettra de savoir d'où nous en sommes. Posons nous cette question en vérité : Est-ce que nous nous réjouissons-nous réellement quand quelqu'un d'autre est béni plus que nous ?

Spontanément nous allons répondre oui bien sûr. Mais dans le cœur est ce  qu’il n'y a pas un petit pincement, où nous arrive-t-il de dire ou de penser : pourtant celui-là je ne le sens pas, ou celle-là je ne la sens pas, ou des paroles équivalentes.

Il existe un refuge dans lequel nous nous engageons facilement et rapidement pour trouver la cause de nos problèmes : accuser les autres, les rendre responsables de ne pas nous comprendre. Par contre nous oublions facilement que par notre caractère dur, intransigeant, nous sommes une pierre d'achoppement pour les autres. Souvent ce que nous reprochons aux autres, vient de notre caractère qui a besoin d'être travaillé, assoupli et même parfois brisé. Par ce mauvais caractère nous nous opposons à l'œuvre de Dieu dans nos vies. Notre mauvais caractère  nous isole, les autres nous évitent et nous nous prenons pour des rejetés.

Pourtant dans ce cas il est inutile de chasser l'esprit de rejet ou se qui s'y apparente. Reconnaissons notre mauvais caractère avec humilité et demandons la grâce de Dieu pour qu'il le travaille. Ne soyons pas surpris s’il utilise notre époux ou notre épouse, ou nos enfants, c'est-à-dire ceux que l'on accuse d'être la source de nos problèmes. Dieu sait qui il rassemble et pourquoi.

Ajoutons que le chrétien  qui évolue avec une mentalité et un esprit orphelin à une mauvaise attitude face au pardon. L’orphelin éprouve des difficultés à pardonner.

Cet esprit de comparaison et de jalousie ouvre la porte à la malédiction dans la vie de Caïn

 

Ce que Caïn craignait le plus c'était d'être rejeté par Dieu. Il cherchait à gagner l'approbation de Dieu en offrant les produits du sol, à sa manière, quand il le voulait. Comme le fils ainé de la parabole cherchait une reconnaissance de son père en travaillant dur dans les champs.

Voici, il y a tant d’années que je te sers, sans avoir jamais transgressé tes ordres, et jamais tu ne m’as donné un chevreau pour que je me réjouisse avec mes amis.

 Et quand ton fils est arrivé, celui qui a mangé ton bien avec des prostituées, c’est pour lui que tu as tué le veau gras !

                                                                                                                  Luc 15 : 29 et 30

Caïn en tuant son frère, a fait couler le sang, il a amené la malédiction sur sa vie et sur la terre qui lui donnait ses fruits. Il en a détruit la source lui-même, c'est-à-dire la source de ses revenus et la source qui produisait ses offrandes. La terre dont il a détruit la capacité de produire, représente l’état de la terre de son cœur.

Cette situation représente l’état de la terre du cœur de tout homme ou femme vivant avec un esprit et une mentalité d’orphelin. Cette personne ne connaîtra pas le repos promis aux élus. Elle va piétiner les verts pâturages vers lesquels le bon berger désire la conduire. De même elle va souiller les eaux paisibles. Par nos paroles nous avons la capacité de réduire à l’état de désert les verts pâturages, c'est-à-dire de détruire les bénédictions de Dieu.

L’Eternel est mon berger : je ne manquerai de rien.

Il me fait reposer dans de verts pâturages, Il me dirige près des eaux paisibles.

                                                                                                              Psaumes 23 : 1 et 2

Souvenons-nous des Hébreux dans le désert, qui par leurs murmures, ont rendu amère la source d’eau désaltérante vers laquelle l’Eternel les conduisait.

 Dieu dit à Caïn après le meurtre de son frère 

Qu’as-tu fait ? La voix du sang de ton frère crie de la terre vers moi.

Maintenant tu seras maudit de la terre qui a ouvert sa bouche pour recevoir le sang de ton frère. Quand tu cultiveras le sol, il ne te donnera plus sa richesse. Tu seras vagabond sur la terre.

Caïn dit à l'Eternel mon châtiment est trop grand pour être supporté. Voici tu me chasse aujourd'hui de cette terre. Je serai caché loin de ta face. Je serai errant et vagabond sur la terre. Et quiconque ne trouvera me tuera.

  L'éternel lui dit : Si quelqu'un tue Caïn, Caïn sera vengé sept fois. Et l'Eternel mis sur Caïn un signe pour quiconque le trouvera  ne le tue point.

                                                                                                     Genèse 4 -- 10 à 12 et 15

 

Tout cela n'est pas intervenu par  hasard dans la vie de  Caïn. Dieu l'avait prévenu, comme un père normalement constitué le fait avec ses enfants :

Et l’Eternel dit à Caïn : Pourquoi es–tu irrité, et pourquoi ton visage est–il abattu ?

                                                                                                                     Genèse 4 : 6 et 7

Certainement, si tu agis bien, tu relèveras ton visage, et si tu agis mal, le péché se couche à la porte, et ses désirs se portent vers toi : mais toi, domine sur lui.

« Le péché est tapi à ta porte. Mais toi domine sur lui »cela signifie domine sur l'esprit et la mentalité d'orphelin.

2- l’adoration de Caïn ou d’un esprit d’orphelin

Tu adoreras le Seigneur ton Dieu

Adorer signifie : se prosterner devant… Non pas simplement sur le plan physique, mental, mais surtout dans notre cœur. Aimer d'un amour ou  d'une affection passionnée, rendre un culte à Dieu en esprit et en vérité.

Dès la Genèse, la Bible nous en donne un exemple avec deux types d’adorateurs, deux frères qui se nomment : Caïn et Abel

La Bible nous présente Caïn comme un homme qui adore l'Eternel selon ses principes, à sa manière : c'est-à-dire en offrant quelques légumes (peut-être des patates douces) quand cela lui fait plaisir. Même si elles sont douces, elles ne contiennent pas de sang. Le sang ne le précède pas dans son adoration. Dans la circonstance, sur le plan spirituel, les patates douces de Caïn symbolisent nos œuvres charnelles. Caïn pense que Dieu va s’en satisfaire. Il ne recherche pas  la volonté de l'Eternel et encore moins la manière dont il veut être adoré. Les conséquences sont les suivantes : l'Eternel rejette son adoration.

Caïn est un homme charnel, son adoration est également charnelle. Il ignore le péché et ses conséquences dans sa vie.

Abel, son frère, est un homme spirituel. Il craint l'Eternel. Son adoration reflète l'état de son cœur. Elle est comme un parfum agréable qui monte vers l'Eternel. Abel offrait, en holocauste, les premiers-nés des agneaux de son troupeau de brebis. De ce fait, quand il se présentait devant l'Eternel le sang de ses agneaux le précédait.

 

 C’est par la foi qu’Abel offrit à Dieu un sacrifice plus excellent que celui de Caïn ; c’est par elle qu’il fut déclaré juste, Dieu approuvant ses offrandes ; et c’est par elle qu’il parle encore, quoique mort.

                                                                                                                         Hébreux 11-4

Par contre Caïn voulait passer outre les principes divins. Il était animé par un esprit d'orphelin. Dans son cœur bouillonne l'irritation, la haine, la colère contre  l’Eternel et contre son frère, la propre justice, le désir de vengeance, le non pardon, l’amertume, le rejet,  l’esprit de comparaison, la jalousie  vont l'entraîner dans le meurtre de son frère.

 Cependant, Caïn adressa la parole à son frère Abel ; mais, comme ils étaient dans les champs, Caïn se jeta sur son frère Abel, et le tua.

 Pourtant Dieu l'avait prévenu pour l’inviter à changer d'attitude et l’inciter à lutter contre son péché.

                                                                                                                             Genèse 4-8

Genèse 4-7 : Certainement, si tu agis bien, tu relèveras ton visage, et si tu agis mal, le péché se couche à la porte, et ses désirs se portent vers toi : mais toi, domine sur lui.

Aujourd'hui, quand nous nous tenons dans l'attitude d'Abel, le sang de Jésus : l'Agneau de Dieu, Jésus nous précède devant le Père.

 

Maintenant posons nous la question : suis-je dans l'attitude d'Abel, avec le cœur d'Abel, c'est-à-dire que le sang de Jésus me précède dans mon adoration ?

 Si oui nous mon adoration  monte vers le Père et sera agréé.

 

Ou suis-je dans l'attitude de cœur de Caïn avec la haine, la jalousie contre mon frère, la vengeance, prononçant des paroles de mort ayant perdu tout contrôle dans mes paroles ?

 

Si oui le sang de Jésus ne m’ouvre pas le chemin vers le Père. Dans ce cas mon adoration, tout comme celle de Caïn ne reçoit pas un accueil favorable de la part du Père. Tout comme celle de Caïn il  ne peut pas l'accueillir.

Ce peuple m’honore du bout des lèvres, mais, au fond de son cœur, il est bien loin de moi !

Le culte qu’il me rend n’a aucune valeur, car les enseignements qu’il donne ne sont que des règles inventées par les hommes.

                                                                             Matthieu 15 : 8 et 9 Bible du Semeur

Dans ces circonstances que devient l’adoration de Caïn ou la notre ?

Elle est recueillie par Satan lui-même et ses démons. Elle leur donne de la nourriture, les fortifie et donne de l’extension au royaume des ténèbres. En définitive elle se retourne contre l’offrant.

 

Vraiment posons-nous la question : suis-je comme Abel ou comme Caïn ?

 

Si, honnêtement, je me reconnais dans l'attitude de cœur de Caïn, le Père ne me condamne pas. Mais il m’invite avec insistance à me repentir et à dominer sur les ténèbres qui m'animent. Le Père veut faire grâce à celui ou celle qui se reconnaît pécheur. Il est nécessaire de se présenter devant lui avec un cœur contrit, brisé et non avec un cœur dur, orgueilleux.

3- l’orphelin ne vit pas et ne connaît pas la communion fraternelle

Bien-aimés, le bien-être de tout le corps de Christ dépend d’abord de la qualité de la relation que chaque membre du Corps a pu établir avec la tête, qui est le Seigneur Jésus. La qualité de la relation entre les différents membres est également très importante. La première qualité qui nous est demandée consiste à nous tenir en vérité et dans l’amour les uns envers les autres.

Nous avons aussi besoin des autres pour exercer le ministère que Dieu nous a confié dans le Corps de Christ. Nous avons enfin besoin des autres pour bénéficier du ministère qu’ils ont eux-mêmes reçu du Seigneur. Car c’est la Vie de Christ qui s’exprime au travers de ces différents ministères.

Prenons l’exemple de chacun des membres de notre corps et leurs fonctions.

Aucun de nos pieds ne marche pour lui-même. Il marche pour tout notre corps. Nos yeux ne voient pas pour eux-mêmes, mais pour tout notre corps.     De même nos poumons ne respirent pas pour pas pour eux-mêmes, mais pour que tout notre corps soit oxygéné. Notre cœur ne bat pour lui-même, mais bien pour que tout notre corps irrigué, renouvelé par du sang  fraichement oxygéné. Chacun de nos membres mettent leur capacité au service de tout notre corps. En ce qui concerne l’amour des frères prenons un passage dans l’ancien testament.

Lévitique 19 : 17 et 18 : « Tu ne haïras pas ton frère dans ton cœur, tu auras soin de reprendre ton prochain, mais tu ne te chargeras point d’un péché à cause de lui.

Tu ne te vengeras point, et tu ne garderas point de rancune contre les enfants de ton peuple. Tu aimeras ton prochain comme toi même. Je suis l’Eternel. Vous observerez mes lois. »

 

 « Suis-je responsable de mon frère ? dit Caïn. » Oui, nous venons de le voir ! Tu auras soin de reprendre ton frère.

Maintenant regardons le nouveau testament, que nous dit-il ?.

Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta pensée et de toute ta force.

                                                                                                                           Marc 12 : 30

Voici le second : ton prochain comme toi même, il n’y a pas de plus grand commandement que ceux là. »

Dans l’ancien testament, il fallait obéir à une loi. Dans le Nouveau Testament:

Nous aimons parce que l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par le Saint-Esprit.

                                                                                                                         Romains 5 : 5

Dans sa grâce, Dieu nous en donne la capacité en nous donnant d’expérimenter son amour pour cela il nous faut demeurer dans sa parole.

 Celui qui dit : Je l’ai connu et qui ne garde pas ou ne pratique pas ses commandements est un menteur, et la vérité n’est point en lui. Mais l’Amour de Dieu est vraiment parfait en celui qui garde ou pratique sa parole, par cela nous savons que nous somme en lui. »

                                                                                                                    1 Jean 2 : 2 et 5

L’amour dont nous sommes aimé, et l’amour dont nous devons aimer croise un amour crucifié. Un amour dressé comme les deux bras de la croix. L’un vertical que représente l’amour de Dieu dans nos vies, et l’amour qui, de nos cœurs, monte vers Dieu.

Et le bras horizontal, qui symbolise l’amour pour les frères. Remarquons tout de suite que les bras de la croix, en un certain point, sont assemblés, incrustés l’un dans l’autre. La leçon à en retirer est celle ci : Mon amour pour les frères doit passer, être transformé, purifié par l’amour de Dieu ou la relation que j’ai avec Dieu. De même, l’amour de Dieu passe dans ma relation personnelle, mais aussi par le bras horizontal, c’est à dire l’amour des frères. Je ne peux pas aimer Dieu en vérité si je n’aime pas les frères. De même si je n’aime pas les frères en vérité, si je n’ai pas l’amour de Dieu. C'est-à-dire l’amour agapè. L’amour qui aime et se donne sans condition. Cet amour se vit dans le deuxième bouquet.

 L’Amour me tire vers le haut, vers le bas, vers la droite et vers la gauche. Je deviens écartelé, crucifié à l’image de Christ sur la croix, c’est à dire ouvert et non refermé sur moi même ou positionner dans un état de contemplation sur moi-même ou refermer soi même. C’est sur la croix que Jésus a rendu son cœur accessible, sans défense. C’est pourquoi si je prétends aimer Dieu et que je n’aime pas les frères, la Bible me déclare menteur, et elle dit également que les menteurs n’entreront pas dans le royaume de Dieu car la vérité n’est point en eux.

 Dehors les chiens, les magiciens, les débauchés, les meurtriers, les idolâtres, et quiconque aime et pratique le mensonge. Dans le royaume de Dieu il n’y a de place que pour l’amour, la vérité, la lumière.

                                                                                                                Apocalypse 22-15

 Si nous disons que nous sommes en communion avec lui, et que nous marchions dans les ténèbres (ou pratiquons les œuvres des ténèbres) nous mentons, et nous ne pratiquons pas la vérité. Mais si nous marchons dans la lumière, comme il est lui-même dans la lumière, nous sommes mutuellement en communion, et le sang de Jésus son Fils nous purifie de tout péché.

                                                                                                                       1 Jean 1-6 et 7 

 Nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie (c’est à dire des ténèbres à la lumière) parce que nous aimons les frères. Celui qui n’aime pas demeure dans la mort.

                                                                                                                           1 Jean 3 : 14

1  Personne n’a jamais vu Dieu, si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous, et son amour est parfait en nous.

 

 Si quelqu’un dit : « j’aime Dieu et qu’il haïsse son frère, c’est un menteur, car celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, comment peut-il aimer Dieu qu’il ne voit pas ?

                                                                                                                            1 Jean 4 : Nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie, parce que nous aimons les frères. Celui qui n’aime pas demeure dans la mort.

 Quiconque hait son frère est un meurtrier, et vous savez qu’aucun meurtrier n’a la vie éternelle demeurant en lui.

 Nous avons connu l’amour, en ce qu’il a donné sa vie pour nous ; nous aussi, nous devons donner notre vie pour les frères.

                                                                                                                          1 Jean 3 : 15

Malgré cela Caïn demeure et reste quand même l’objet de la bonté de Dieu.

Genèse 4 : 15 : L’Eternel lui dit : Si quelqu’un tuait Caïn, Caïn serait vengé sept fois. Et l’Eternel mit un signe sur Caïn pour que quiconque le trouverait ne le tue point.

 En recevant l'offense, Caïn a brisé sa propre capacité à produire du fruit. Il a brisé sa source de production : la terre. Il l’a polluée, et rendue aride.

Jésus compare le cœur au sol dans la parabole du semeur. Par le sang de son frère qui crie justice, versé sur la terre, elle est devenue maudite, à l’image de son âme et de son cœur.  Son  âme est devenue aride, son cœur également.

Le sol du cœur d'une personne offensée ou qui reçoit l’offense sans pardonner, devient aride, empoisonné par l'amertume. Elle devient inapte à produire les fruits de l’Esprit dans sa vie. Son caractère ne va pas s’assouplir, au contraire, elle va s’endurcir et ses relations vont devenir de plus en plus difficiles. Cette personne va finir par s’isoler jusqu’au jour où elle acceptera de reconnaître ses erreurs, son péché, et prendra le chemin de la repentance et du pardon. Mais pendant tout ce temps elle va souffrir et faire souffrir son entourage.

Le sol d'un chrétien orphelin est empoisonné par l'amertume. Il pourra toujours vivre des miracles, recevoir des paroles de connaissance, entendre des prédications puissantes, recevoir des guérisons dans sa vie, vivre des délivrances. Mais il s'agit là de don de l'Esprit, et non de fruit, soit : l’amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, douceur, maîtrise de soi. Nous serons jugés en fonction des fruits que nous portons, et non de nos  dons.

Un don est donné. Le fruit est cultivé. Le fruit sera de même nature que le terrain qui le produit. Un caractère doux va produire comme fruit, la douceur. C’est une des facettes du fruit de l’Esprit, selon Galates 5- 22. Un caractère colérique, va produire comme fruit, la colère. C’est un fruit des œuvres de la chair, selon Galates 5-18 et 19.

  Jésus nous dit que nous reconnaissons l'arbre à ses fruits. Nous pouvons dire que nous reconnaissons la nature du terrain de nos cœurs à la nature du fruit produit : bon ou mauvais.

Un chrétien orphelin recherche sa propre satisfaction, la réussite de son ministère. Il est prêt à écarter, même à éliminer toute personne susceptible de lui faire de l'ombrage. Avec un tel comportement il lui est difficile de voir les domaines de sa vie qui ont besoin d'être transformés. Il s'isole de telle manière qu'il provoque les coups qu’il  reçoit. Un orphelin ne supporte pas la concurrence. Son objectif  sera de se donner totalement à son but, afin de se faire un nom, et de briller comme un sauveur et un homme ou une femme que l'on admire. Il veille à ce que l'on voit ce qu'il fait. Il cherche à être le plus près possible du pouvoir. Il ne se reconnaît jamais coupable, mais il se voit toujours victime. Il désire que les autres l’approuvent et il accuse les membres de son entourage d’être la cause de ses malheurs, de ses échecs.

  Bien sûr c'est un chrétien charnel. La conduite par le Saint Esprit ne le préoccupe pas, ou seulement, quand il peut en tirer profit. Il ne connaît pas ou ne reconnaît pas son identité en Christ. Il ne connaît pas la grâce de Dieu ou peu. La vie religieuse le satisfait. Il accomplit des rites et des œuvres qu’il juge bonne. Il y trouve sa satisfaction.

   Le chrétien vivant avec l'esprit et la mentalité d'orphelin ne connaît pas l'amour de Dieu dans sa vie. Il n'a pas l'amour agapè dans son cœur. Son amour le porte à rechercher ses propres satisfactions. Le véritable amour n'est pas envieux, c'est-à-dire qu'il ne recherche pas à se faire valoir. Il n'est pas jaloux ou ne développent pas de passion jalouse. Dans le véritable amour il n'y a pas de jalousie. Il ne connaît pas la jalousie.

  Envieux signifie : bouillir d’envie, soit de haine, de colère. La jalousie c'est une façon de trahir l'amour et c'est une façon de pervertir l'amour. La jalousie rend possessif.

  Elle peut se manifester dans l'amitié avec une personne. La jalousie porte à l'exclusivité. Voici un exemple : Pierrette a gagné l'amitié de Suzanne.  Un jour Pierrette apprend que Suzanne s’est liée d'amitié avec Brigitte. Maintenant quand Suzanne passe du temps avec Brigitte, sans elle, dans son cœur bouille l’envie. La jalousie pousse à la possession de l'autre. Alors que l'amour est plein de bonté.

Examinons nos cœurs et reconnaissons que souvent il y a de la jalousie. Ayons cette grande honnêteté de reconnaître  la jalousie qui nous motive. Le jaloux accuse les autres d'être jaloux de lui. Cette attitude lui cache sa propre jalousie qui peut-être matérielle, spirituelle, où se porter sur la réussite des autres.   

La jalousie qui est enracinée avec la frustration devient cruelle et d'une méchanceté terrible. Elle peut se transformer en agressivité envers les autres jusqu'à souhaiter la mort de ceux qui sont en paix, heureux.

  Parfois, il nous arrive d'entendre dire dans la bouche d’un papa ou d'une maman : si je dois disparaître dans un accident, je veux que toute ma famille disparaisse avec moi. C'est de la jalousie possessive, cruelle, méchante, agressive à cause de la frustration.

L'orphelin vit dans la frustration, dans  chronos et il risque d'y rester toute sa vie comme le fils aîné de la parabole, qui ne connaît pas les kairos de Dieu :

 Or, le fils aîné était dans les champs. Lorsqu’il revint et approcha de la  maison du Père, il entendit la musique et les danses.

                                                                                                                              Luc 15 : 25

Vit-il dans un des deux bouquets ? Certainement pas dans le deuxième, il présente toutes les caractéristiques du premier, mais il est trop indépendant pour vivre dans un groupe à moins que ce ne soit le sien, comme Caïn qui fonda sa propre ville.

L’orphelin, comme le fils ainé de la parabole ne rentre pas et ne vit pas dans une alliance. Même marié il se tient en dehors de l’alliance. Le père du fils prodigue en tuant le veau gras, lors du retour de son fils cadet, l’a fait rentrer dans une alliance de sang. Le Père nous invite à rentrer dans l’alliance de sang scellée avec le sang de Jésus. Le fils ainé ne le peut pas parce qu’il n’est pas fils. Seul les fils et les filles acceptent l’alliance de sang. L’orphelin refuse de se mettre sous la protection du Père et d’habiter dans la maison du Père. L’orphelin est comme fils aîné de la parabole, le Père lui offre de rentrer dans cette alliance, à cette invitation il répond par la colère. Il préfère l’alliance avec ses amis en sacrifiant un chevreau. En refusant l’alliance du Père, l’orphelin se met sous la coupe du père du mensonge.

 Puis, Caïn s’éloigna de la face de l’Eternel, et habita dans la terre de Nod, à l’orient d’Eden. Nod signifie : exil, fuite

                                                                                                                Genèse 4 : 16 et 17

 Caïn connut sa femme ; elle conçut, et enfanta Hénoc. Il bâtit ensuite une ville, et il donna à cette ville le nom de son fils Hénoc.

Comme Nimrod qui fonda Babylone : Nimrod représente le fils orphelin par excellence. Il épouse sa mère. De ce fait il ne sera jamais un fils ni un époux.

  L’orphelin risque de ne jamais être père. Pourquoi ?

 Pour être père, selon le cœur de Dieu, il est nécessaire d'être d'abord un fils, seuls les fils deviennent pères.

 Nous ne parlons pas de père biologique, mais bien de père selon le cœur de Dieu à qui il confie ses enfants spirituels  nouveau-nés.

Jésus s'est présenté à nous comme le modèle de fils qui accomplissait tout ce que le Père lui montrait, tout ce que le Père lui apprenait, tout ce que le Père lui disait

L’orphelin deviendra-t-il un époux pour son épouse dans le mariage ?

 Non il est trop indépendant. D'où la nécessité de passer d'abord par le stade de fils pour être un époux selon le cœur de Dieu. Jésus nous est présenté comme le fils parfait, la Bible nous le présente également comme l'Epoux parfait qui donne sa vie pour son Epouse afin de la rendre belle, sans tâche, semblables à lui-même.

 Pour faire paraître devant lui cette Eglise glorieuse, sans tache, ni ride, ni rien de semblable, mais sainte et irréprochable.

                                                                                                                     Ephésiens 5 : 27

  Comment deux êtres indépendants, animés par un esprit d'orphelin, une mentalité d'orphelin, deviendront-t-il une seule chair ?

La jalousie risque de naître entre eux. D’autre part l'orphelin ne vit pas dans la crainte de Dieu, le pardon lui est difficile. Par contre il craint toujours pour sa propre vie.

L’orphelin vit dans le mensonge, même avec Dieu il ne se reconnaît pas coupable.

 Cependant, Caïn adressa la parole à son frère Abel ; mais, comme ils étaient dans les champs, Caïn se jeta sur son frère Abel, et le tua. L’Eternel dit à Caïn : Où est ton frère Abel ? Il répondit : Je ne sais pas ; suis-je le gardien de mon frère ?

                                                                                                                  Genèse 4 : 8 et 9

L'orphelin, comme le fils aîné de la parabole, vivent sans l’identité de fils. Il ne recevra pas l'Esprit d'adoption, ne vivra pas dans l'esprit d'adoption que Jésus nous a acquis à la croix. Il ne recevra pas non plus la révélation de la parole de Dieu, que le Père réserve pour ses fils ou ses filles. Pour ceux qui demeurent de sa parole.

L'orphelin ne recherche pas la gloire du Père, il travaille son propre royaume ou plutôt son empire. La bible nous en présente un exemple avec Absalon qui a chassé son père, le roi David, de son trône pour se l'accaparer. Même il était prêt à tuer son père pour s’installer sur son trône.

L'orphelin vit comme un vagabond dans tous les sens du terme. Il est incapable d'aimer : il se sent rejeté, étranger, divisé dans ses pensées.

Le fils aîné de la parabole vit à côté du père, mais il est sans père c'est pourquoi il met son identité dans l'état de serviteur plutôt que de fils. Il voit dans le père un homme qui ne le remarque pas… Ne lui donne jamais de récompense  pour festoyer avec ses amis. Par contre il dédaigne la fête que le père organise lors du retour de son frère, même il se met en colère. Il juge son père.

 Et quand ton fils est arrivé, celui qui a mangé ton bien avec des prostituées, c’est pour lui que tu as tué le veau gras !

                                                                                                                              Luc 15 : 30

Jésus nous montre que nous devons recevoir l'identité de fils pour rentrer dans le service du père, par grâce.

L’orphelin vit avec un esprit de comparaison, il cherche à imiter, tout comme Caïn à rechercher la bénédiction du Père, c'est-à-dire de Dieu en imitant son frère Abel, mais Dieu ne bénit pas les photocopies, seulement les originaux.

  Développons encore un aspect de l'esprit et de la mentalité d'orphelin avec Caïn. Caïn avait le syndrome (association de plusieurs symptômes...) l'esprit de comparaison. L'esprit de comparaison amène la jalousie, ou la jalousie peut nous pousser à envier ce que les autres possèdent par l'esprit de comparaison.

Souvent le chrétien touché par l'esprit et la mentalité d'orphelin se laisse dominer par l'esprit de comparaison. C'est ce qui est arrivé avec Caïn envers son frère.

Dieu l'avait prévenu avant que l'irréparable se produise, c'est-à-dire : tuer son frère. L'esprit de comparaison est lié à la jalousie. Dieu avait dit à Caïn : « Le péché est tapi à ta porte, mais toi si tu agis bien domine sur lui. »

 

 Dieu lui a montré sa jalousie pour qu'il puisse la dépasser, la traiter. Il ne l'a pas fait et l'esprit de comparaison l’a poussé à la violence, à la destruction. L’esprit de comparaison va nous amener à nous renfermer sur nous-mêmes avec la jalousie dans le cœur. L'esprit de victime prend  place, il va nous pousser à détruire même nos plus proches qui pourront devenir nos ennemis.

 Ayons en horreur l'esprit et la mentalité d'orphelin. Considérons-le comme un vêtement souillé. Non seulement l'esprit et la mentalité d'orphelin, mais également tout ce qui s'y rattache : la jalousie, la possessivité, l'esprit de comparaison, l’envie et toutes les formes de destruction qui s'ensuivent.

 Le refuge dans la violence, dans l'esprit de victime, n’est pas l'attitude que Dieu attend de nous. Mais plutôt la repentance, détournons nous, rejetons, luttons, contre toutes ces choses, c'est le traitement de crise. Il existe aussi un traitement de fond qui consiste à vivre avec la grâce de Dieu premièrement, deuxièmement c'est de vivre dans l'amour de Dieu :

  Romains 8 – 35 à 39 : qui nous séparera de l'amour de Christ ? Sera-ce la tribulation, ou l'angoisse, ou la persécution, ou la faim, ou la nudité, ou le péril, ou l'épée ?

  Selon qu'il est écrit : C'est à cause de toi qu'on nous met à mort tout le jour, qu'on nous regarde comme des brebis destinées à la boucherie. Mais dans toutes ces choses nous sommes plus que vainqueur par celui qui nous a aimés. Car j'ai l'assurance que ni la mort ni la vie, ni les anges ni les dominations, ni les choses présentes ni les choses à venir, ni les puissances, ni la hauteur, ni la profondeur, ni aucune autre créature ne nous séparera de l'amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ  notre Seigneur.

Voici un test qui nous permettra de savoir d'où nous en sommes. Posons-nous cette question en vérité :

 Nous réjouissons-nous réellement quand quelqu'un d'autre est béni plus que nous ? Spontanément nous allons répondre oui bien sûr. Mais dans le cœur est ce  qu’il n'y a pas un petit pincement, où nous arrive-t-il de dire ou de penser : pourtant celui-là je ne le sens pas, ou celle-là je ne la sens pas, ou des paroles équivalentes.

  Il existe un refuge dans lequel nous nous engageons facilement et rapidement pour trouver la cause de nos problèmes : accuser les autres, les rendre responsables de ne pas nous comprendre. Par contre nous oublions facilement que par notre caractère dur, intransigeant, nous sommes une pierre d'achoppement pour les autres. Souvent ce que nous reprochons aux autres, vient de notre caractère qui a besoin d'être travaillé, assoupli et même parfois brisé. Par ce mauvais caractère nous nous opposons à l'œuvre de Dieu dans nos vies. Notre mauvais caractère  nous isole, les autres nous évitent et nous nous prenons pour des rejetés.

Pourtant dans ce cas il est inutile de chasser l'esprit de rejet ou se qui s'y apparente. Reconnaissons notre mauvais caractère avec humilité et demandons la grâce de Dieu pour qu'il le travaille. Ne soyons pas surpris s’il utilise notre époux ou notre épouse, ou nos enfants, c'est-à-dire ceux que l'on accuse d'être la source de nos problèmes. Dieu sait qui il rassemble et pourquoi.

Ajoutons que le chrétien  qui évolue avec une mentalité et un esprit orphelin à une mauvaise attitude face au pardon.

La sauterelle a dévoré la paternité dans la vie de nombreuses personnes, mais nous avons la promesse  qu’il  y aura une puissante effusion du Saint-Esprit et avec elle une libération de la voix de Dieu.

Publié dans Identité en Jésus

 

Tenter pourtant ici de parler d’amour, de l’écrire… Comment réussir à pouvoir le penser, puisqu’en ce monde, dès notre mise au jour ( hcq....dès notre conception ....), nous tous avons été saisi d’emblée au flux et reflux de cet émoi d’appel, de réception, d’échange, en nous développant peu à peu dans un lien d’un tout autre type que celui du charnel lien placentaire d’in utéro, celui relationnel d’une enveloppe évanescente entre des êtres qui, génératrice d’amour et de douleur, nous expose aux fluctuations de ses aléas tantôt bienfaisants et porteurs, tantôt délétères et disruptifs ?

 

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Résumé

 

Dans cet article l’auteure développe l’idée que « l’éprouvé d’aimer » s’originerait chez l’humain dans la métabolisation progressive d’« une émotion esthétique » de la première rencontre saisissante de l’infans avec la mère.
Décrit par Meltzer, cet éprouvé intense, médusant tout l’être, surgi par un « choc esthétique » d’amour énigmatique immanent et non-verbal, soulève un ressenti haineux de fort « conflit » interne, s’intégrant et se développant peu à peu au sein de l’évolution des relations mère/enfant qui génèrent un tissage de vécus particuliers « d’expériences émotionnelles esthétiques » plus ou moins ravivées en certains moments ultérieurs de la vie.
Ces expériences correspondent aux effets des corrélations des liens émotionnels fondamentaux d’Amour, (A) de Haine (H) et de Connaissance (C), ces trois passions qui animent ensemble la personnalité humaine (Bion).

Toutes les turbulences émotionnelles de la relation primordiale infantile qui en découlent, en leurs états non encore introjectés voire peu ou mal intégrés chez l’analysant comme chez le psychanalyste, se translatent, se reportent, se déplacent, se transfèrent dans le déroulement des cures qui en réaniment leurs différents effets entre les deux protagonistes ; il en est résumé de récentes avancées théorico-cliniques et fourni quelques exemples portés à la réflexion.
 
Plan de l'article
  1. Prologue
  2. Le « choc esthétique » et la naissance d’une émotion d’amour
  3. USER=Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.#s1n3">Le « conflit esthétique » et la montée de l’émotion de Haine
  4. USER=Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.#s1n4"> « L’expérience esthétique » dans le développement de l’émotion du Connaître
  5. USER=Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.#s1n5">Turbulences en émotions des transferts/contre-transferts dans les cures
    1. USER=Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.#s2n1">1 - L’évolution progressive des concepts
    2. USER=Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.#s2n2">2 - L’expérience émotionnelle des situations cliniques
  6. Vers des devenirs aux « éprouvés d’aimer »

 

Mots-clés

  • Expérience émotionnelle esthétique
  • Amour
  • Haine
  • Connaissance
  • identification projective
  • contre-identification projective
  • pulsion épistémophilique-

Prologue

« Voilà l’endroit où mon amour, en sa merci,
a dérobé mon cœur et, plus outre, ma vie.
Ici, de ses beaux yeux, il m’a promis son aide,
Puis, de ces mêmes yeux, il me l’a retirée.
Ici, il m’a lié, là il m’a délié ;
j’ai pleuré sur mon sort et, douleur infinie,
je l’ai vu s’éloigner de ce marbre, celui
qui m’a pris à moi-même et puis m’a rejeté. »
 
         
 
Michel-Ange, Poèmes, NRF Gallimard 2013, p 48.   .......     hcqs>>>>>lien écrits>>>>>>

Sculpteur du si fameux Moïse trônant désormais en majesté chez tant de psychanalystes, peintre aux fresques et tableaux universellement encensés, architecte autant qu’urbaniste en ce 16e siècle italien fortement agité, mais aussi poète aux publications posthumes à l’initiative de son neveu, Michel-Ange fut le cadet d’une famille de 5 enfants ; devenu orphelin de mère à 6 ans, son père le plaça alors en nourrice jusqu’à ses 10 ans dans une famille de tailleur de pierres.

Quoiqu’assez peu célébré pour ses écrits poétiques plus ou moins caviardés après sa mort et relégués en arrière-plan du fait de ses glorieuses œuvres plastiques, l’un de ses traducteurs contemporains, Pierre Leyris a souligné sa fascination inouïe pour la Beauté, habité qu’il était par l’émotion conjointe d’Amour extatique et par la douleur, elle-même associée à l’intensité de ses émotions esthétiques.

Ses biographes s’accordent à penser que c’est autour de la cinquantaine, vers le milieu de sa vie car il s’est éteint à 88 ans, qu’il tentera de sculpter cette fois en lui-même au sein des rocs massifs de nos mots familiers, les tourments ressentis à ses très grands émois, pour en transmettre parfois en des accents mystiques, l’écriture poétique à ses récipiendaires.

Après déjà tant de siècles de poésie, d’essais, de mythes, de contes et de romans, de philosophies et depuis près d’un siècle de théories psychanalytiques, après ainsi tant d’œuvres pour évoquer, célébrer, analyser, comprendre nos éprouvés d’amour, quel éclairage oser apporter encore, susceptible d’éclairer quelque obscur repli de ces puissants émois ? Et comment ?

Comment oser écrire davantage sur cet univers si vaste, si exaltant, si nourrissant et pourtant parfois si dévastateur ? Comment réussir à penser, comprendre, dire, analyser l’ineffable et merveilleux effroi du ressenti d’amour ?

Quel génie humain peut-il vraiment se prévaloir d’accéder à la Genèse de l’Amour ?

Tenter pourtant ici de parler d’amour, de l’écrire… Comment réussir à pouvoir le penser, puisqu’en ce monde, dès notre mise au jour, nous tous avons été saisi d’emblée au flux et reflux de cet émoi d’appel, de réception, d’échange, en nous développant peu à peu dans un lien d’un tout autre type que celui du charnel lien placentaire d’in utéro, celui relationnel d’une enveloppe évanescente entre des êtres qui, génératrice d’amour et de douleur, nous expose aux fluctuations de ses aléas tantôt bienfaisants et porteurs, tantôt délétères et disruptifs ?


Si on éclaire ce sujet à la lumière des dernières avancées théorico-cliniques de la psychanalyse et des observations relatives au développement de la personne et de la personnalité, d’où il ressort que toutes les émotions constituent des liens, il m’a paru intéressant de se pencher sur l’évolution de l’éprouvé d’aimer, au sein des liens passionnels mouvementés entre les émotions d’Amour, de Haine et de Connaissance dont les tissages intimes dans notre croissance mentale, conduisent à valoriser le rôle intérieur et social d’un autre lien primordial qui les rassemble tous, celui de l’émotion esthétique, le lien à la Beauté.

[2] Jacquelyne Poulain-Colombier, « Un quatrième lien :... de ce quatrième lien « Beauté » est décrite nécessaire à repérer et approfondir dans ses évolutions positive ou/et négative, car elle y rappelle que Bion et Meltzer soutiennent comment cette dimension Beauté habite toute l’évolution humaine et « l’atelier du psychanalyste ».


Reste à tenter de suivre le cheminement des effets psychiques de « l’émotion esthétique », de l‘éprouvé de Beauté, ce surgissement d’une catastrophe émotionnelle primordiale, après laquelle les transformations progressives des émotions originelles d’amour-élation fusionnels, de haine persécutrice et de curiosité intrusive pour connaître, peuvent évoluer dans leurs dimensions positives, pour ouvrir une quête d’éprouvé d’amour, bien proche de la plénitude et d’absolu.


Cheminement qui à mon avis, pourrait venir éclairer un certain nombre de versants mystiques de ces explorations d’émotions de pensées et de vécus, éprouvés comme une transcendance.

Le « choc esthétique » et la naissance d’une émotion d’amour

À l’intitulé du thème d’exploration sur « l’éprouvé d’aimer » qui m’a été proposé, a répondu aussitôt en moi cette forte émotion intime d’émerveillement, ressentie à certaines peintures, certains paysages, certaines envolées et stances poétiques, certaines musiques et voix chantées… Et aussi l’émoi à cet étonnant ressenti jailli de chants intérieurs venus d’intangibles secrets ombilics, soutenu d’une vibrance cénesthésique interne, un ressenti inouï de chants profonds chaque fois déjà réveillé dans mon être, lors de grandes rencontres avec l’amour et la splendeur.

Réminiscence d’un fugace antan révolu, enfoui, d’un éblouissement hors des remous de chairs mouvantes enchevêtrées dans leurs métamorphoses, et non accessibles encore aux vêtements des mots, mais hyper-sensitifs aux flux divers et aux cadences d’échanges d’élans de vie ?

Cette émotion intense provient-elle du choc d’une rencontre synchronique du monde du dehors avec le monde interne, une sorte de rencontre d’accordage avec une « expérience proto-esthétique commencée in utéro » [3] D. Meltzer- Meg Harris Williams (1988), L’Appréhension..., ou bien au contraire de son effet tout à fait opposé plus traumatique, générant d’emblée un conflit très énigmatique entre des ressentis ?

Touchons-nous ici à cette irruption subite d’un soudain « conflit esthétique » si brillamment décrit par Donald Meltzer, dans L’Appréhension de la Beauté[4] D. Meltzer- Meg Harris Williams, op cité., quand vient à surgir cette troublante émotion d’infans mis au monde, qui se trouve alors exposé à cet intangible espace aérien du dehors tellement étranger à celui du vécu aquatique de son corps, baignant dans l’humide, sombre et chaud enclos du dedans des chairs maternelles ? Emotion intense conjointe à son premier cri, premier son éruptif de voix, emplissant tout son corps d’un éther brûlant ses poumons et bousculant à la fois tout l’éprouvé de son dedans et de son dehors…

Plonger en pensée dans l’évocation de « l’éprouvé d’aimer » serait-il donc venu réanimer spontanément en moi, une sorte de lame de fond enfouie, peut-être comparable à cette saisissante force réminiscente d’une telle immense et fascinante « émotion esthétique » immergée au fond du temps de notre éclosion à la vie énigmatique de notre espèce humaine ?

Une émotion peut-être bien semblable à celle qui vient stupéfier, méduser, éblouir l’infans soudain plongé dans l’ouverture multi-sensorielle hyper-excitatrice du monde extra-utérin inconnu, lumineux, et exposé à la fois à ces imprévisibles bombardements sensoriels externes et internes et à l’instabilité des aléas plus ou moins accueillants de la capacité maternelle d’enveloppements du regard, de la voix, de nourrissage et de rêverie.

N’est-ce pas au décours de l’un de ces temps inauguraux que se déploie l’expression extrême d’une fusion élationnelle, jusqu’à l’identification adhésive ?

N’est-ce pas aussi en cette plongée subite pour le nouveau-né dans le bain saisissant de ce nouveau monde relationnel en devenir, que le lien contenant de la rêverie maternelle avec ses soins, peut alors réussir à faire éclore et développer en confiance la sensation si surprenante d’un bon ressenti, d’un beau énigmatique et d’un éprouvé ineffable d’amour ?

Pourtant ce « coup de foudre » se révèle vite tout autant stimulant pour aimer et se transformer, que pour haïr et souffrir de blessures mortifiantes comme Rank a pu l’explorer sous l’angle du « traumatisme de la naissance ».

C’est une lune de miel ainsi plus ou moins éphémère qui, bien qu’engrammée déjà, -pour toujours- au plein cœur des chairs de l’être tout juste né, - lequel bien que nouvellement enrobé et nourri de la voix, de la peau, du souffle, des seins, du lait et regards de sa mère-, se trouve alors soumis encore à d’autres rythmes surprenants : ceux nycthéméraux du jour et de la nuit, et tous ceux issus des modulations complexes des odeurs, des sons, du goût, du toucher, de l’air et de bien d’autres événements imprévisibles de mises en relation avec cette mère-énigme et autres contacts inconnus.

Lune de miel d’empathie extatique encore espérée en secret -voire toujours quêtée- au cœur d’une vie adulte, bien que jamais retrouvable en sa nature originelle… car même « si de l’archaïque dépendance à la mère, la mère a pu être supplantée, la dépendance elle, n’a pu être abolie !… »[5] Jean Claude Lavie, L’amour est un crime parfait, 1997,...

Le « conflit esthétique » et la montée de l’émotion de Haine

Ce miel de la première rencontre infans/mère hors de la caverne maternelle, dans l’éblouissement énigmatique des sens et des sensations nouvelles, que - depuis Meltzer- on dénommera le « choc esthétique à la Beauté », s’éprouve, se produit, presqu’en simultané avec ce ressenti tragique -qu’on nommera plus tard Douleur-, d’irréfragable perte de la bien chaude capsule maternelle, demeure enveloppante escamotée désormais avec l’exiguïté comprimante de son obscur et gargouillant univers…

 En effet les incessants échanges de projections émotionnelles contraires, « projections identificatoires »[6] Le concept de « projection identificatoire » a été..., et introjections identifiantes successives se bousculent et interagissent alors au sein de ce permanent théâtre psychique de vécus fusionnels d’amour, de stupeur médusante, de cris et de fureurs déferlantes…

C’est un éprouvé vraiment très éprouvant que ce « conflit esthétique » entre des émotions primitives brutes violentes ; car c’est la première expérience conflictuelle dans l’éprouvé global du psychosoma ; un conflit surgi entre un senti tout neuf d’émerveillement et de découverte et un ressenti non moins déboussolant d’absence paniquante du premier abri éprouvé, cette poche alors toujours vibrante et tout soudain disparue… Vécu catastrophique inondé d’une tout autre humeur… car butant sur l’envers d’une brève lune de miel, celui de l’éprouvé mortifère d’une lune de fiels… Premier chemin vers la terreur de chute en abîme sans fond, qui peut pétrifier d’angoisse ou déclencher une explosion de haine rageuse de nouveau-né, luttant contre cette si étrange sensation de contours intermittents inconnus, qui se superpose au ressenti sidérant et stimulant de découverte d’un non moins étrange univers en expansion.

Le sentiment d’éprouvé d’amour émerveillé ne demeure donc ainsi pas isolé très longtemps ; plus ou moins fugace et/ou momentané, il est suivi ou précédé voire même parfois déjà accolé au vécu haineux d’une perte avérée de l’autre habitacle révolu, tellement différent du tout nouveau monde.

Se débarrasser du non-digérable, du non-gérable et du non-concevable, au dehors de soi, dans l’autre et le monde extérieur, est la réaction projective spontanée à la douleur à évacuer, tant qu’on n’a pas trouvé l’attention psychique d’une capacité maternelle assez contenante et rêvante pour transformer ces éléments bruts (Bêta) en un alphabet décryptable de ressentis digestibles et métabolisables, permettant de commencer à apprendre de l’expérience en apprivoisant la réalité. [7] W R Bion, (1962), « Une théorie de l’activité de pensée »,...

Le ressenti des émotions contradictoires d’amour et de haine au fondement de nos possibilités de croissance psychique humaine, baignent la respiration psychique de l’infans qui ressent son nouvel univers à la fois attirant et repoussant. L’adulte continue d’en être la proie ou le jouet ou l’acteur ou mieux le metteur en scène plus ou moins avisé s’il a pu développer sa soif d’investigation à comprendre et co(n)-naitre. Saluons ici au passage, la belle trouvaille langagière de Lacan pour signifier l’intrication et la co-habitation de ces éprouvés si opposés en l’humain, en appliquant à ceux-ci l’expression de « L’hainamoration » (l’énamoration), malheureusement d’une fonction signifiante seulement efficace à l’usage du français !…

 

« L’expérience esthétique » dans le développement de l’émotion du Connaître

Toutefois avec leurs impacts projectifs « Béta », l’émotion haineuse et l’émotion d’amour, reçoivent en retour leurs effets décryptés plus ou moins « alphaïsants » [8] Néologisme que j’utilise là où Antonino Ferro emploie... de la mère et de l’environnement ; par leurs rôles de contenant, d’interprète, et de rêverie, ces traductions maternelles jouent une fonction transformationnelle de premier ordre, mobilisée par les interactions des processus d’identification projective (projection identificatoire), puis d’identifications « corrélative »[9] Je fais l’hypothèse d’une brève expérience d’identification... et introjective. Ces processus interrelationnels bien complexes et permanents contribuent plus ou moins à développer chez l’infans une plus ou moins grande capacité à tolérer la frustration et la douleur inhérente à la vie en ce monde. Ces subtiles et tumultueuses étapes d’échanges interréactionnels contenu/contenant et relations identificatoires infans/mère stimulent ainsi en la psyché infantile, la soif de connaître, la curiosité d’apprendre par l’expérience et de sonder la réalité et ses inconnues.

Une telle fonction de « curiosité naturelle », notre pulsion épistémophilique, - quasiment envisagée en ébauche pré-conceptuelle prénatale chez Meltzer-explorée grâce à Mélanie Klein et particulièrement ensuite approfondie par W. Bion, est cet autre troisième moteur émotionnel essentiel en l’évolution humaine et ses civilisations. C’est cette sorte d’« instinct pour connaître » (co-naitre) qui soutient l’énergie reliante et corrélative avec les autres éprouvés d’amour et de haine pour apprendre de l’environnement. Ce lien d’émotion dit « Connaissance », en sa quête et ses multiples découvertes, retrouve alors parfois, un certain nombre d’« expériences esthétiques » intimes, contribuant fortement au développement global relationnel et somato-psychique.

A la différence de théorisations cloisonnant le développement psychique des passions humaines 10] Dans le “Prologue” de son ouvrage L’amour Lacan, (EPEL..., Bion introduit la Connaissance comme une fonction corrélante d’apprentissage indispensable à notre évolution psychique. Pour lui, ni le lien Aimer, ni le lien Haïr n’engendrent par eux-mêmes, de façon respective et unilatérale, le lien du Connaître. Car pour ces trois liens basiques de la vie émotionnelle en l’humain, c’est seulement à partir de leur propre expérience émotionnelle vécue et transformée peu à peu au cours des relations primordiales, des jeux d’identifications et de contenant/contenu, que peuvent se développer et s’exercer un processus de corrélation. C’est particulièrement grâce au lien du Connaître conduisant à apprendre de l’expérience, que la fonction de corrélation se déploie, car il dépend à la fois de la capacité de tolérance du sujet à l’expérience de la réalité, et de la capacité de l’environnement à lui transmettre le décryptement détoxiqué de ses ressentis, à travers le filtre des expériences et tolérances parentales acquises.

De sorte que si la corrélation apparaît dans l’expérience du Connaître en co-existence avec l’expérience émotionnelle d’aimer, l’être peut se développer dans une voie ouverte vers la compréhension et à la croissance psychique. Par contre si l’expérience du lien du Connaître est associée à l’émotion maintenue non transformée de haine et de violence, la quête risque de se cantonner à fonctionner essentiellement dans la cruauté et le clivage, voire dans une fusion destructive. [11] W.R. Bion, (1960), Aux sources de l’expérience, PUF 1979,...

Le désir de « connaître » en ses valences émotionnelles positives ou négatives avec ses liens d’amour et/ou de haine, habite aussi de ces faits, l’ensemble des relations du couple psychanalytique,

 

Turbulences en émotions des transferts/contre-transferts dans les cures

« L’incapacité d’utiliser l’expérience émotionnelle provoque un désastre de même ampleur dans le développement de la personnalité » que « l’incapacité de manger, de boire ou de respirer sur la vie elle-même »2] W.R. Bion, (1960), op cité, chap 14 p 59..


Là où l’une entraîne des effets désastreux et fatals pour la vie même du sujet, l’autre conduit à ces désastres pour la personnalité que sont les différents degrés de désordres et détériorations psychiques pouvant être décrits comme un état de quasi « mort de la personnalité ».

1 - L’évolution progressive des concepts


Analystes et analysants connaissent in vivo les turbulences de ces émotions en la cure, que Freud a appelé le Transfert du patient en y ajoutant ensuite tout en le réprouvant -voire en le diabolisant-, le Contre-transfert du psychanalyste, sur lequel Ferenczi poursuivra lui-même ses investigations passionnées 13] Yves Lugrin, Ferenczi sur le divan de Freud- une analyse....

Depuis les descriptions fondatrices de ces pionniers, eux-mêmes directement impliqués dans leurs inter-réactions fluctuantes et passionnelles, d’innombrables écrits ont été consacrés à ces mouvements anxiogènes, pour en compléter l’approche et l’origine. La plupart ont constaté qu’ils se rapportent en fait tous, au destin des premières turbulences infantiles dans la relation d’un infans à sa mère et à son environnement, lorsqu’elles viennent se transposer dans la cure sur l’analyste, récepteur (plus ou moins empathique) de l’analysant en souffrance et en attente d’élaboration interne.

L’évolution de la compréhension du Contre-Tranfert s’est surtout développée après 1950 avec les apports successifs de Paula Heiman et de Winnicott, de Racker, Balint, Grinberg, Searles, Rosenfeld, qui vont permettre d’intégrer ce ressenti de l’analyste comme cet autre moteur indispensable au travail dans la cure. Grâce aux avancées dans l’observation et la compréhension de l’évolution des relations du développement psychique du nourrisson (E. Bick) et de l’enfant avec son environnement (H.Segal ,W.Bion, D. Meltzer) l’approche analytique des transferts/contre-transferts s’est depuis lors, encore bien plus affinée

Impossible d’envisager un travail psychanalytique qui ne soit fondé sans l’élaboration de cette relation indissociable Transfert/Contretranfert qui soutient l’évolution de toute cure. (Guillaumin)

On devrait d’ailleurs selon moi, formaliser désormais une écriture générique de ce processus relationnel dont la fonction d’élaboration demeure essentielle en psychanalyse, en l’évoquant comme ce processus dynamique des « transferts <=> contre-transferts ». Dans la même perspective d’intégration des avancées théorico-cliniques en ce domaine, ne faudrait-il pas évoquer sous la forme au pluriel, ces éléments processuels, plutôt que d’accumuler de façon hétéroclite et désordonnée une multiplicité de qualificatifs, dont chacun révèle un de leurs aspects particuliers ?

De plus, « (…) selon que l’on se situe dans une perspective (…} freudienne, lacanienne, kleinienne, winnicotienne ou bionienne le terme de transfert ne recouvre pas les mêmes contenus. On ne se réfère pas aux mêmes contenus, ni au même traitement de ceux-ci, selon qu’il s’agit d’un transfert névrotique ou psychotique ou encore d’un transfert interne, intrapsychique au sujet lui-même » constate avec pertinence Radmila Zygouris [15] Radmila Zygouris, L’amour Paradoxal ou la Promesse....

La littérature psychanalytique démultiplie ainsi les terminologies de ces « bastions »[16] Yves Lugrin, opus cité. « transfert<=>contre-transfert », faute d’établir un consensus de base à propos des vécus émotionnels non transformés de l’infans.....17] Notons que la plupart s’attache surtout au dit « amour...

Il me semble que James Grotstein avance une synthèse simple des apports consensuels les plus récemment travaillés sur ce sujet : « L’identification projective est le dénominateur commun à tout transfert, qu’il s’agisse du déplacement des investissements d’un objet du passé ou d’identification projective de représentations mentales immédiates (…). Le contre-transfert [en est] le pendant obligatoire ; il comprend l’ensemble du répertoire de sentiments et d’émotions de l’analyste dans la situation analytique »[18] James S. Grotstein, (2007) Un rayon d’intense obscurité,... mais il est à différencier de la « rêverie », qui serait « une identification partielle » au patient.

Comme le transfert, le contre-transfert contient donc tous les avatars et variations évolutives émotionnelles des processus identificatoires et relationnels que l’analyste doit pouvoir repérer en lui-même en devenant une sorte d’« objet de transformation » (transforming object de Bollas).

 2 - L’expérience émotionnelle des situations cliniques

C’est le décours de l’évolution d’une cure avec ses temps de scansions émotionnelles et l’accès à son temps « final » d’élaboration continue et inachevable, qui déploie et révèle la dimension nouvelle, transformée de ces rencontres d’émotions originelles, « inédites » au regard des relations communes.

Le cadre limité de cet article ne peut permettre d’aborder les différents aspects d’une pré-conception de l’éprouvé d’aimer, siégeant dans les choix des patients de recourir à certains psychanalystes plutôt qu’à d’autres, et pour le psychanalyste d’accepter en cure certains patients plutôt que d’autres. Il n’est pas plus possible ici d’évoquer et analyser les mises à l’épreuve des éprouvés émotionnels dans les cures, dont en particulier, le devenir des éprouvés d’aimer dans et après la cure.

J’observerai à leur sujet que l’extrême focalisation sur le danger érotique et séducteur de « l’amour de transfert » a semblé depuis Freud, avoir pris une place fantasmatique exorbitante chez nombre de psychanalystes, au lieu qu’il soit traité et approfondi par exemple, comme une régression primaire fusionnelle à l’objet, grâce à l’analyse de processus psychiques d’identification projective massive, intrusive, et même adhésive, chez l’analysant en souffrance d’émotions à partager, voire peut-être chez un analyste, prisonnier potentiel d’une éventuelle contre-identification projective non encore élaborée.[19] Notons que dans son étude du contre-transfert Léon...

Je me limiterai à illustrer l’étroitesse des liens de l’éprouvé d’aimer revécu dans la cure avec l’émergence conjointe ou la réémergence (?) d’une émotion esthétique de Beauté avec deux exemples succincts.

  • Chez des patients adultes, cela se manifeste assez souvent au détour du suivi, avec la découverte bouleversante, d’une rencontre (film, musique, roman, rêve, ou autre événement particulier) qui ouvre en eux-mêmes une transformation progressive et pérenne de leurs investissements.

  • Deux brefs résumés de psychothérapies d’adolescents suivis en CMPP peuvent mettre en lumière le cheminement de l’éprouvé d’aimer dans le cours des « transferts<=>contre-transferts » et son aboutissement au moment de l’arrêt de traitement.

1) A. est un adolescent brillant qui ayant désinvesti la scolarité secondaire juste avant les 1ères épreuves du baccalauréat est venu pendant un peu plus de 2 ans à ses séances hebdomadaires de psychothérapie sur le souhait de sa famille angoissée de ses disparitions fugueuses par lesquelles il partait tagguer murs, camions, voitures et vitrines de la ville. Il manifestera son scepticisme et sa dérision à l’égard de sa psychothérapie avec moi en dessinant de sinistres mais remarquables bandes dessinées aux commentaires cruels et cyniques. Mes interventions utilisant ce champ privilégié pour m’impliquer à jouer avec lui dans ces psychodrames en croquis, ses BD parleront peu à peu de façon implicite de ses angoisses sexuelles et archaïques. Le plaisir partagé de ce mode d’échange constituant un contenant de ses émotions adolescentes, ses fugues pour tagguer s’espaceront au profit de l’investissement scolaire. Ayant brillamment gagné un concours de BD, et ensuite réussi son bac, il souhaitera arrêter son suivi en s’organisant pour devenir créateur de BD.

Ainsi le travail partagé autour de ses liens émotionnels A, H, C, complètement embrouillés pour lui lors de son arrivée, a pu rétablir avec la partie aimante et investigatrice de lui-même, un étayage clarifiant ses émotions avec une mise en relations créatives de leurs effets, dans le cadre de son mode privilégié de communication, fondé sur la représentation picturale soutenue d’interlocutions plus élaborées que des interjections.

2) Ayant annoncé huit mois avant mon départ à la retraite, notre future séparation à B. garçon de 14 ans suivi en psychothérapie en CMPP depuis ses 8 ans, pour hyperactivité et non-investissement scolaire suite au divorce parental du fait de violences paternelles, ce patient fort peu disert et en échec répété sur toute représentation dessinée et écrite, changera alors complètement son mode d’expression en séance. Alors qu’il lui fallait souvent passer un quart d’heure à s’exercer à des tirs et dribbles du ballon contre le mur du bureau, il deviendra soudain seulement concentré à dessiner ou écrire une histoire fantastique. Lors des six dernières séances, il s’appliquera à réaliser avec minutie le dessin d’un visage, tout en me dévisageant avec une attention soutenue. Il annoncera à l’avant-dernière séance, qu’il s’agissait du portrait de la Joconde en jubilant de découvrir sa propre capacité de représentation jamais imaginée possible ; j’y appris alors que sa mère co-dirigeante de son club de foot, assistait à tous ses entraînements et matchs… Après la première partie de notre dernière séance consacrée à la finition des couleurs du portrait, tout le reste du temps passa à s’interroger ensemble sur sa fascination pour ce portrait de la Joconde « qui ne l’avait pas quitté des yeux » lors de sa visite au Louvre, et auquel il pensait depuis très souvent. Tous ses ressentis intenses face à ce tableau en vinrent à être associés au regard de sa mère et au mien dans nos rencontres et lors de ses jeux d’adresse et de ballon, ainsi qu’à la découverte exaltante de sa toute nouvelle capacité à pouvoir se l’imaginer figurable par son dessin. En me quittant il m’indiquera qu’il m’enverrait « son portrait et le mien, et m’écrirait des lettres à mon adresse ». Je reçus ainsi pendant 4 à 5 ans de ses nouvelles lors des vœux de nouvelle année ; ce qui était un grand exploit vu son absence d’investissement antérieur de tout écrit.

En ce cas il paraît notable que la conjonction factuelle de notre prochaine séparation et de sa rencontre avec le tableau de La Joconde, a précipité un travail d’élaboration et d’investigation de son expérience émotionnelle esthétique, réanimant peut-être ici, mais en une autre dimension, son tout premier « choc esthétique ».

Comment ne pas songer ici à cette réflexion d’Adrian Stokes : « D’une manière presque tangible, [une grande œuvre d’art] reste « là-bas », et pourtant elle nous enveloppe. Nous ne l’absorbons pas, nous sommes nous-mêmes absorbés par elle. »20] Citation d’Adrian Stokes (1902-1972) dans l’Appréhension...

 

Vers des devenirs aux « éprouvés d’aimer » ?

Arrivons-nous toujours de nos voyages en émotions d’amour, de haine et du Connaître vers un éprouvé d’amour enrichi de toutes leurs communes pérégrinations intégrant leurs aventures émotionnelles qui nourrissent la personnalité, jusqu’à certains horizons de plénitude esthétique en une émotion de Beauté ?

« Un terme comme « amour » ne peut pas décrire quelque chose (…) [Des] images visuelles peuvent être utilisées pour parler de l’amour, même celui que nous imaginons être un amour mature, mais il y a une autre sorte d’amour qui est mature selon un critère absolu. Cet autre amour, vaguement ébauché, vaguement entrevu par le langage humain, est d’une nature totalement différente ; ce n’est pas seulement une différence quantitative de l’espèce d’amour qu’un animal a pour un autre ou que le bébé a pour le sein. C’est une extension supplémentaire jusqu’à l’« amour absolu » qui ne peut être décrit en termes de réalité ou d’expérience des sens. Pour cela il faut un langage de l’en-deçà et de l’en-delà des sens, quelque chose qui se trouve en dehors de l’expérience des sens et du langage articulé. On peut s’en approcher par des méthodes de communication qui ne relèvent pas seulement de sens». [21] Wilfred.R. Bion, (1992) Cogitations, In Press, 2005,...( hcq....de même de l'amour de la beauté ...de la voie, de la vérité, de la vie ;;;; de Dieu.....)

Ainsi l’« Amour », cet « éprouvé d’aimer » immanent non-verbal, le plus originel et sans possible retour, devenu imprégné des deux autres liens de Haine et du Connaître ne peut-il pas parfois se transmuer en un lien « Beauté » ineffable où, par la force de son ressenti le lien émotionnel du « co-naître » vient en exhausser l’approche toujours énigmatique ?



Bibliographie

  • Wilfred R Bion, (1960), Aux sources de l’expérience, PUF 1979, 137p.
  • W R Bion, (1962), « Une théorie de l’activité de pensée », in Réflexion faite (1967) PUF 1983, 191p.
  • W R Bion, (1992), Cogitations, in Press, 2005, 374p.
  • W R Bion, (1991) Un Mémoire du Temps à Venir-L’aurore de l’oubli Livre III, éd Du Hublot, 2010, 619p.
  • André Bolzinger, « Généalogie de la notion de transfert », in Les Lettres de la Société de psychanalyse freudienne, n° 8, 2002, p. 15-28.
  • Freud : « Observations sur l’amour de transfert » (1915) ; in La technique psychanalytique, Paris, PUF, 1953.
  • Florence Guignard, Quelle psychanalyse pour le xxie siècle ?, t. 1 Concepts psychanalytiques en mouvement, Paris, Ithaque, 2015 , 260p.
  • James S. Grotstein, Un rayon d’intense obscurité, Ce que Wilfred R . Bion a légué à la psychanalyse, (2007) éd Ithaque 2016, 477p.
  • Jean Guillaumin, Transfert/Contre-transfert 1998, L’Esprit du Temps 266p.
  • Jean-Claude Lavie, L’amour est un crime parfait, NRF Gallimard 1997, 213p
  • Yves Lugrin, Ferenczi sur le divan de Freud- une analyse finie ? Paris Campagne Première 2017, 266p.
  • Luis J. Martin Cabré, « La contribution de Ferenczi au concept de contre-transfert » (traduction Henriette Michaud) in Sandor Ferenczi revue Filigrane Printemps Montréal, 2000, pp 7-18 .
  • L’amour, Revue Tribune Psychanalytique, Lausanne N°11 2013, 279p.
  • Les voies du Contre-Transfert 1 et 2 , Revue Filigrane, Montréal vol 13 n°1 printemps 2004 et vol 13 n°2 automne 2004.
  • Donald Meltzer- Meg Harris Williams (1988), L’Appréhension de la Beauté- le Conflit Esthétique – Son rôle dans le développement, la violence, l’art - trad 2000 Larmor-Plage, éd Du Hublot, 254p.
  • Michel-Ange, Poèmes (trad Pierre Leyris), Poésie Gallimard, 2013, 142.
  • Jacquelyne Poulain-Colombier, « Un quatrième lien : +/- B (+/- beauté) », in Le mouvement
  • psychanalytique, vol IV, N°1, 2002.
  • Heinrich Racker, (1979), Études sur la technique psychanalytique- Transfert et contretransfert, Césura Lyon 1997, 259p.
  • Yves Thoret, « La dismorphophobie : comment s’approcher de la beauté », in Revue Evolution Psychiatrique, vol. 68, n° 4 (2003) (Exposé du 21 juin 2003 à la XVIIIème journée psychiatrique du Val de Loire, « La beauté, remède, maladie ou vérité », organisée par le Pr Jean-Bernard GARRE et l’AARP, Abbaye Royale de Fontevraud ; cf site : psychiatrie angevine.)
  • Terminer une cure analytique, SPP Institut de Psychanalyse, janv. 1998, XXXXème séminaire de perfectionnement.
  • Transferts d’amours, Revue Libres Cahiers pour la Psychanalyse éd In Press 2011- 1- N°23, 176p.
  • Radmila Zygouris, L’amour Paradoxal ou la Promesse de séparation, oct 1997, conférence de Sao Polo Rencontre Livraria Pulsional Textes de psychanalyse sur le site de l’auteur.
  • Jean Paul Valabréga, (1980), « Le transfert-contre-transfert et le transféré », Phantasme, mythe, corps et sens, Paris, Payot, 1980,1992.

Notes

 [1]

Michel-Ange, Poèmes, NRF Gallimard 2013, p 48.

 [2]

Jacquelyne Poulain-Colombier, « Un quatrième lien : +/- B (+/- beauté) », in Le mouvement psychanalytique, vol IV, N°1, 2002.

 [3]

D. Meltzer- Meg Harris Williams (1988), L’Appréhension de la Beauté- le Conflit Esthétique – Son rôle dans le développement, la violence, l’art - trad 2000 Larmor-Plage, éd Du Hublot, p 38.

 [4]

D. Meltzer- Meg Harris Williams, op cité.

 [5]

Jean Claude Lavie, L’amour est un crime parfait, 1997, p. 31.

 [6]

Le concept de « projection identificatoire » a été développé par Florence Guignard, pour remplacer le terme d’« identification projective » qui traduit mal la primauté de mouvement projectif sur celui de l’identification. Elle développe son analyse dans son dernier ouvrage : Quelle psychanalyse pour le xxie siècle ?, t. 1, Concepts psychanalytiques en mouvement, Paris, Ithaque, 2015.

 [7]

W R Bion, (1962), « Une théorie de l’activité de pensée », in Réflexion faite (1967) PUF 1983 pp 125-135, et (1960), Aux sources de l’expérience, PUF 1979.

 [8]

Néologisme que j’utilise là où Antonino Ferro emploie plutôt “alphabétisaiton”.

[9]

Je fais l’hypothèse d’une brève expérience d’identification “corrélative”, pour indiquer une identification à mi-chemin entre la « projection identificatoire » (cf supra) et la mise en route de l’introjection émotionnelle .

[10]

Dans le “Prologue” de son ouvrage L’amour Lacan, (EPEL Paris 2009) Jean Allouch rappelle les différences entre les théories des passions de Saint Augustin, Pascal, Scheler et Lacan, selon lesquelles la Connaissance est fondée par l’Amour chez Saint Augustin et Pascal, mais également aussi par la Haine chez Scheler, alors que chez Lacan ni l’un, ni l’autre ne peuvent en engendrer le chemin, de sorte que seules trois passions co-habitent isolément : l’amour, la haine et l’ignorance.

 [11]

W.R. Bion, (1960), Aux sources de l’expérience, PUF 1979, chap. 26-27-28.

 [12]

W.R. Bion, (1960), op cité, chap 14 p 59.

 [13]

Yves Lugrin, Ferenczi sur le divan de Freud- une analyse finie ? Paris Ed. Campagne Première 2017

[14]

Nous n’en développerons pas ici tous les apports et scansions historiques publiés dans une montagne de recherches.

 [15]

Radmila Zygouris, L’amour Paradoxal ou la Promesse de séparation, oct 1997, conférence de Sao Polo Rencontre Livraria Pulsional -Textes de psychanalyse publiés sur le site de l’auteur. L’auteure précise aussi qu’il conviendrait de nommer la représentation projetée d’amour qui naît dans l’aire d’une demande d’un non-encore-advenu, comme « transfert paradoxal », étant donné qu’il est d’emblée « voué à une séparation obligée qui ne ressemble à aucune autre ». Car tout contrat analytique contient le paradoxe d’être à la fois promesse d’ouverture à la subjectivation et promesse de séparation. Double visée tout à fait essentielle dans la cure qu’elle définit comme « lien inédit ».

 [16]

Yves Lugrin, opus cité.

 [17]

Notons que la plupart s’attache surtout au dit « amour de transfert » (et fort peu aux contre-transferts). Dans la liste fort longue des re-définitions et/ou descriptions des phénomènes « transferts <=> contre-transferts ». on peut citer en vrac et de façon non exhaustive : le ‘symptôme transitoire’ (Ferenczi), ‘l’amour en transfert’, le ‘report d’affects’ ; le ‘tout contre-transfert’ ; le ’substitut d’amour’ ; le ‘mandataire d’amour’ ou ‘l’amour mandataire’ ; la ‘translation d’amour’ ; ‘l’amour transférentiel’, le ‘transport d’amour ‘, le ‘transmour’, le ‘transfert en identification projective’, le ’transfert paradoxal’…

[18]

James S. Grotstein, (2007) Un rayon d’intense obscurité, Ce que Wilfred R . Bion a légué à la psychanalyse, éd Ithaque 2016, p.244.

 [19]

Notons que dans son étude du contre-transfert Léon Grinberg a évoqué dès 1956, les effets de « la contre-identification projective » (cf traduction par Jean-Michel Assan en voie de parution, de ses textes relatifs à la contre-identification projective, (communication privée).

[20]

Citation d’Adrian Stokes (1902-1972) dans l’Appréhension de la Beauté, D.Meltzer et M.Harris, opus cité, p.197.

 [21]

Wilfred.R. Bion, (1992) Cogitations, In Press, 2005, p.340.

 

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 CORRELATs

 

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ARTICLE

 

« Dans quelques décennies, la vie sur terre deviendra impossible »

Entretien avec l'écrivain voyageur Emmanuel Hussenet par Matthieu Delaunay

- 28 juin 2018

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Emmanuel Hussenet, guide de raids et écrivain-voyageur, a mené plus de quinze expéditions dans le Grand Nord. Sa dernière échappée en solitaire et en kayak vers l’île Hans, entre le Groenland et le Canada, a donné lieu à un livre essentiel, Robinson des Glaces. Entretien. 

D’où vous vient cette passion pour l’Arctique ?

Quand je suis parti dans ces régions, j’avais 22 ans et je cherchais ma voie. J’avais du mal à m’adapter aux impératifs scolaires, trouvant que ce qu’on essayait de nous enseigner était suspect. Je cherchais du réel et je pensais déjà qu’il faisait trop chaud et que j’avais besoin de me rafraîchir l’esprit. Dans l’Arctique, j’ai trouvé un espace qui m’a permis d’exister et la glace et devenu une référence, un support pour m’élever.

Plus tard, la trentaine venue, en 1999, avec l’écrivain-voyageur et éditeur Émeric Fisset, vous découvrez la banquise pluriannuelle. Racontez-nous.

Nous étions partis sur les traces de l’explorateur Octave Pavy avec des moyens très faibles : un kayak et une pagaie. Là, j’ai découvert que nous ne maîtrisions plus rien, obligés en permanence de nous adapter à ce milieu, j’ai pris conscience de la force inouïe de cet élément. Dans cet environnement, la glace fait sept à huit mètres d’épaisseur et peut arrêter n’importe quel bateau. Cela m’a fasciné jusqu’à ce que j’apprenne que tout allait disparaître à cause du réchauffement climatique.

Vous êtes donc allez lire et apprendre sur ce phénomène…

J’étais persuadé que l’Arctique était suffisamment puissant pour mettre l’homme à l’écart. J’avais tort. En brûlant l’énergie du soleil qui a brillé il y a 200 millions d’années à travers les énergies fossiles, l’homme cause une acidification des océans telle que tout disparait. Même les banquises pluriannuelles ne peuvent résister à cette débâcle généralisée et nous assistons à des phénomènes météorologiques dramatiques. Les ouragans dans les Caraïbes l’hiver dernier n’étaient qu’un prélude. Pour les habitants de certaines régions, c’est déjà intenable avec seulement un degré supplémentaire dans les océans. Quand nous en serons aux deux ou trois degrés supplémentaires dans quelques décennies, la vie deviendra impossible, en tous cas pour la plupart d’entre nous. Ce que nous faisons est prométhéen, mais nous ne nous en apercevons même pas. Nous sommes en train de mettre fin à notre propre existence. Pourtant, la nature est franche, pas besoin d’être un grand scientifique pour comprendre ce qui se passe !

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En quoi est-il si important de comprendre la glace arctique?

Notre avenir est lié à celui des glaces. Qu’il y ait du froid au Pôle nord est vital, d’abord pour les océans. C’est le froid qui créé la limite de congélation de l’eau de mer dans l’océan glacial arctique. Le différentiel de température avec les eaux du Gulf Stream créé la dynamique des courants océaniques. Moins il y a de volume d’eau froide, plus le Gulf Stream ralentit et s’étale. Les eaux froides absorbent le plus de CO2 et permettent une oxygénation des océans. Sans cette dynamique globale entre l’Antarctique et l’Arctique, il y aurait beaucoup moins de faune dans les océans que ce qu’on en connait aujourd’hui, et elle est aussi en voie d’extinction. C’est parce que la Terre est dans une ère climatique froide depuis 14 millions d’années qu’on a autant de faune à la fois dans les océans et sur terre. S’il n’y a plus de glace, nous entrerons dans une phrase climatique que la terre n’a pas connu depuis très longtemps, quand l’être humain n’était même pas programmé. Il faisait plus chaud, il y avait beaucoup plus de CO2, une végétation beaucoup plus abondante, et ce n’était pas le règne des petits mammifères à fourrure ni d’oiseaux à sang chaud. Or, ce froid, on le fait disparaitre. On ne peut pas vivre à 40°C en permanence. En Afrique ou Asie du Sud-Est, il faut s’attendre à une désertification générale, à des phénomènes extrêmement lourds qui ne peuvent être contrecarrés que par la préservation d’une poche de froid dans l’Arctique.

Pourquoi l’Arctique est-il si peu connu du grand public?

Parce que c’est lointain et que ça ne fait pas envie ni rêver. Trop dur, trop froid, trop dangereux. Or, tous les fondamentaux des règles en application sur cette terre, partent des pôles. C’est pour cela que j’ai voulu gagner l’île Hans, territoire qui pourrait cristalliser toutes les problématiques actuelles. Ce n’est qu’un rocher de 100 km2, un caillou qui doit servir de symbole, de modèle et le lieu d’expérimentation. Ce caillou est revendiqué par le Danemark et le Canada alors qu’il ne s’agit plus de poser un intérêt privé ou étatique, mais de prendre conscience que nous avons une responsabilité vis-à-vis des écosystèmes et qu’il est temps de passer à une nouvelle façon de penser. Les COP 21 ou 23 ont été des moments pitoyables. Le plus triste, c’est de voir que les gouvernements n’osent pas le dire. Cette malhonnêteté foncière est liée à la malhonnêteté du système dans lequel nous nous sommes enfermés. On essaie de nous faire croire qu’on peut corriger les choses avec les moyens qui sont la cause du problème.

Tout en défendant la Nature, vous réhabilitez d’une certaine façon la notion de risque. Quelle place occupe a le risque dans votre démarche ?

C’est une philosophie de vie générale. Le problème des scientifiques, dont je respecte éminemment le travail, est qu’ils ne sont pas tout seuls et pas complètement libres parce qu’ils ont des pairs et qu’ils sont reconnus pour leurs travaux. Ils vivent en concurrence, ne serait-ce que par rapport au budget qu’ils doivent obtenir pour continuer de travailler. Si je me lance, c’est parce que j’ai la possibilité de le faire parce que je suis libre. Un scientifique ne peut dire les choses au même niveau que moi. Je n’ai plus peur parce que je suis allé suffisamment vers les glaces et que j’ai affronté les choses clairement. Aujourd’hui, j’ai fait mon deuil d’un certain nombre de choses. Ce qui compte pour moi, c’est l’expérience de vie. Mon livre essaie d’instiller un feu sacré.

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Dans quel but ?

Vous me demandez quoi faire ? Je ne crois pas que chaque petite chose compte, parce que ça ne compte pas les petites choses. On n’a besoin que de grandes choses et il n’y a pas suffisamment de grandes choses parce qu’il n’y a pas suffisamment de grands personnages. Pour en être un, il faut simplement vivre en accord avec ce qui brûle au fond de soi et se connaître suffisamment pour se laisser guider par sa passion. Beaucoup de personnes, du jour au lendemain, décident de quitter ce qu’ils font et d’entrer en contact avec eux-mêmes et de ne plus se raconter d’histoire. On se raconte beaucoup d’histoire. « Je vais faire un peu de ceci ou cela, trier mes déchets, fermer l’eau du robinet, éteindre la lumière…’ ». Ce sont des contributions symboliques. Le symbole a une certaine valeur mais aujourd’hui ça ne suffit plus. Il faut aller au-delà d’un choix de vie et faire le choix de la Vie. Le reste, c’est la mort. Les COP 21 ou 23 sont une mise en scène d’un accompagnement de la mort. Si on croit ‘’ces gens-là’’, on va vers la mort. Il faut aller dans le sens de cette énergie qui nous habite pour ne plus aller dans le compromis. Quitter la ville, pratiquer la permaculture pour reprendre la maitrise de sa sécurité alimentaire, est une dynamique cohérente et l’avenir est là. Je pense que ces valeurs reviendront, quand l’individu sera confronté au réel. Nous avons perdu des choses élémentaires, je n’invente absolument rien, c’est le monde qui a tout oublié. Mes expéditions ne sont rien d’autres que l’effort personnel d’une personne qui cherche à être confrontée au réel pour retrouver la réalité.

 

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Real News for Real Peopel..... Who OWNs the WORLD

 

 

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© Vigilant Citizen, merci à Yohann pour la traduction!

Les médias de masse sont l’outil le plus puissant utilisé par la classe dirigeante pour manipuler les masses. Ils forment et modèlent les attitudes, les opinions et définissent ce qui est normal et acceptable. Cet article examine le fonctionnement des médias de masse à travers les théories de leurs penseurs majeurs, leur structure d’influence, et les techniques qu’ils utilisent, afin de comprendre leur véritable rôle dans la société.

 

Source de l’image deesillustration.com

Beaucoup d’articles de ce site [vigilantcitizen, ndlr] parlent de symbolisme occulte trouvé dans des objets de la culture populaire. De ces articles émergent beaucoup de questions légitimes liées à l’objectif de ces symboles et aux intentions de ceux qui les placent ici, mais il est impossible pour moi de fournir des réponses satisfaisantes à ces questions sans mentionner de nombreux autres faits et concepts. Par conséquent j’ai décidé d’écrire cet article autant pour étayer les fondements théoriques et méthodologiques des analyses présentées sur ce site que pour présenter les principaux spécialistes du monde de la communication de masse. Des gens lisent mes articles et pensent que je dis : « Lady Gaga veut contrôler nos esprits ». Or ce n’est pas le cas. Elle est simplement une petite partie de l’énorme système que sont les médias de masse.

La programmation via les médias de masse

Les médias de mass (« mass media ») sont des formes de médias conçues pour toucher la plus large audience possible. Cela inclut la télévision, les films, la radio, les journaux, les magazines, les livres, les chansons, les jeux vidéos et Internet. De nombreuses études ont été conduites au siècle passé pour mesurer les effets des médias de masse sur la population afin de découvrir les meilleures techniques pour l’influencer. De ces études a émergé la science des communications, qui est utilisée dans le marketing, les relations publiques et la politique : la communication de masse est un outil nécessaire pour assurer le fonctionnement d’une vaste démocratie ; c’est aussi un outil nécessaire pour une dictature. Tout dépend de son usage.

Dans la préface de son Meilleur des Mondes de 1958, Aldous Huxley peint un portrait plutôt sombre de la société. Il croit qu’elle est contrôlée par une « force impersonnelle », une élite dirigeante, qui manipule la population par des méthodes variées.

« Les forces impersonnelles sur lesquelles nous n’avions presque aucun contrôle semblent tous nous pousser en direction du cauchemar Meilleur-mondiste ; et cette poussée impersonnelle est en train d’être sciemment accélérée par les représentants des organisations politiques et commerciales qui ont développé un certain nombre de techniques pour manipuler, dans l’intérêt d’une certaine minorité, les pensées et sentiments des masses. »
– Aldous Huxley, préface du Meilleur des mondes.

Sa sombre perspective n’est pas qu’une simple hypothèse ou une illusion de paranoïaque. C’est un fait certifié, présent dans les plus importantes études mondiales sur les médias de masse. En voici quelques unes :

Les penseurs de l’élite

Walter Lippmann

Walter Lippmann, intellectuel américain, écrivain qui a gagné à deux reprises le prix Pulitzer, a donné naissance à un des premiers travaux à propos de l’usage des médias de masse. Dans Opinion publique (1922), Lippmann compare la masse à une « grosse bête » et à « un troupeau perplexe » qui avait besoin d’être guidé par un classe gouvernante. Il a décrit l’élite dominante comme « une classe spécialisée dont les intérêts se portent au-delà du local ». Cette classe est composée d’experts, de spécialistes et de bureaucrates. Selon Lippmann, les experts, à qui ont fait souvent référence comme « l’élite », seront sous peu une machine de la connaissance qui circonvient au principal défaut de la démocratie, l’idéal impossible d’un « citoyen omnipotent ». Le « troupeau perplexe » rugissant et piétinant a sa fonction : être « le spectateur désintéressé de l’action », c-à-d pas un participant. La participation est le devoir de « l’homme responsable », qui n’est pas le citoyen ordinaire.

Les médias de masse et la propagande sont par conséquent des outils qui doivent être utilisés par l’élite pour diriger le public sans correction physique. Un concept important présenté par Lippmann est la « fabrication du consentement » qui est, en gros, la manipulation de l’opinion publique pour accepter le programme de l’élite. A l’avis de Lippmann, le public en général n’est pas en mesure de raisonner et de trancher les questions importantes. Il est donc important pour l’élite de décider « pour son propre bien » et ensuite vendre ces décisions aux masses.

« Que cette fabrication du consentement soit capable de grandes améliorations personne, je pense, personne ne le nie. Le procédé par lequel les opinions publiques se présentent n’est certainement pas moins subtil qu’il l’est apparu dans ses pages, et les opportunités de manipulation qui s’ouvrent à quiconque comprend le procédé sont suffisamment claires… Comme un résultat de recherches psychologiques alliées avec les moyens de communication modernes, la pratique de la démocratie a pris un tournant. Une révolution se produit, infiniment plus significative que toutes les variations du pouvoir économique… Sous l’impact de la propagande, pas nécessairement au sens péjoratif du mot, les vieilles constantes de notre pensée sont devenues variables. Il n’est plus possible, par exemple, de croire au dogme initial de la démocratie ; que la connaissance nécessaire à la gestion des affaires humaines sort spontanément du cœur humain. Lorsqu’on agit selon cette théorie on s’expose à l’autodéception, et à des formes de conviction que nous ne pouvons vérifier. Il a été démontré que nous ne pouvons pas compter sur l’intuition, la conscience, ou les accidents de l’opinion faite à la va-vite pour traiter avec le monde au-delà de notre portée. »
– Walter Lippmann, « Opinion publique »

Il peut être intéressant de remarquer que Lippmann est un des pères fondateurs du CFR (« Council of Foreign Relations », soit « le conseil des relations étrangères »), le club de réflexion en politique étrangère le plus influent du monde. Ce fait devrait vous donner un petit indice sur l’état d’esprit de l’élite concernant l’utilisation des médias.

« Le pouvoir politique et économique aux Etats-Unis est concentré entre les mains d’une « élite dirigeante » qui contrôle la plupart des corporations multinationales, les principaux médias, les fondations les plus influentes, les universités privées les plus importantes et la plupart des services publics basés aux E-U. Fondé en 1921, le Council of Foreign Relations est le lien-clé entre les grosses corporations et le gouvernement fédéral. On l’appelait « l’école des hommes d’Etats » et « ce qui se rapproche d’un organe de ce que C. Wright Mills appelait l’Elite du Pouvoir – un groupe d’hommes aux intérêts et modes de pensée similaires façonnant les évènements depuis des positions invulnérables dans les coulisses. La création des Nations Unies était le projet du CFR, tout comme le Fond Monétaire International et la Banque Mondiale. »
– Steve Jacobson, « Contrôle mental aux Etats-Unis »

Parmi les membres actuels du CFR se trouvent David Rockefeller, Dick Cheney, Barack Obama, Hilary Clinton, le pasteur d’une méga-église Rick Warren, les PDG de corporations importantes telles que CBS, Nike, Coca-Cola et Visa.

Carl Jung

 

Carl Jung est le fondateur de la psychologie analytique (aussi connue sous le nom de « psychologie jungienne ») qui met l’accent sur la compréhension de la psyché en explorant les rêves, l’art, la mythologie, la religion, les symboles et la philosophie. Le thérapeute suisse est à l’origine de nombreux concepts psychologiques utilisés aujourd’hui tels que l’Archétype, le Complexe, la Personne, l’Introverti/Extraverti et la Synchronicité. Il a été hautement influencé par le milieu occulte de sa famille. Carl Gustav, son grand-père, était un fervent Franc-maçon (il était Grand-Maître) et Jung lui-même découvrit que certains de ses ancêtres étaient rosicruciens. Cela pourrait expliquer son grand intérêt pour la philosophie Occidentale et Orientale, l’alchimie, l’astrologie et le symbolisme. Un de ses plus importants concepts (et un des plus mal compris) était celui d’Inconscient collectif.

« Ma thèse, donc, est comme suit : en plus de notre conscience immédiate, qui est d’une nature tout à fait personnelle et que nous croyons être le seul psychisme empirique (même si nous ajoutons l’inconscient personnel en appendice), il existe un second système psychique d’une nature collective, universelle et impersonnelle qui est indentique à tous les individus. Cet inconscient collectif ne se développe pas individuellement, mais on en hérite. Il consiste en formes préexistantes, les archétypes, qui peuvent seulement devenir conscientes de manière secondaire, et qui donnent une forme définie à certains contenus psychiques. »
– Carl Jung, « le Concept d’inconscient collectif ».

L’inconscient collectif ressort à travers l’existence de symboles similaires et de personnages mythologiques dans différentes civilisations. Les symboles archétypaux semblent être ancrés dans notre subconscient collectif et, lorsque nous y sommes exposés, nous démontrons une fascination et une attraction naturelles. Les symboles occultes peuvent donc exercer un impact conséquent sur les gens, même si beaucoup d’individus n’ont jamais été personnellement confronté au sens ésotérique du symbole. Les penseurs des médias de masse, comme Edward D. Bernays, a trouvé dans ce concept un excellent moyen de manipuler l’inconscient collectif et personnel du public.


La couverture du Time Magazine de 1955, avec Carl Jung. On dirait un peu Avatar, non ?

Edward Bernays

 

Edward Benays est considéré comme le « père des relations publiques » et a utilisé des concepts découverts par son oncle Sigmund Freud pour manipuler le public en utilisant le subconscient. Il partageait la vision de Walter Lippmann concernant la population en général, la considérant irrationnelle et sujette au « mouvement de troupeau ».

« La manipulation consciente et intelligente des habitudes et opinions organisées des masses est un élément important d’une société démocratique. Ceux qui manipulent ce mécanisme invisible de la société constituent un gouvernement invisible qui est la vraie force dirigeante du pays.

Nous sommes gouvernés, nos esprits sont façonnés, nos goûts formés, nos idées suggérées, en grande partie par des hommes dont on n’a jamais entendu parler. C’est un résultat logique de la manière dont notre société démocratique est organisée. Un vaste nombre d’êtres humains doivent coopérer de cette manière s’ ils veulent sous peu vivre ensemble dans une société qui fonctionne sans difficultés.

Nos gouvernants invisibles sont, dans beaucoup de cas, inconscients de l’identité de leurs collègues dans le cercle fermé. »
– Edward Bernays, « Propagande ».

Les campagnes marketing novatrices de Barneys ont profondément changé le fonctionnement de la société américaine. Il a pratiquement créé le « consumérisme » en créant une culture dans laquelle les Américains achètent pour le plaisir et non pour la survie. Pour cette raison, il est considéré par Life Magazine comme étant dans le Top 100 des Américains les plus influents du XXème siècle.

Harold Lasswell

 

En 1939-1940, l’Université de Chicago fut l’hôte d’une série de séminaires secrets sur les communications. Ces clubs de réflexion furent fondés par la fondation Rockfeller et comprenait les chercheurs les plus importants dans les domaines de la communication et des études sociologiques. Un de ses érudits était Harold Lasswell, un scientifique politique et théoricien en communication de premier plan, spécialisé dans l’analyse de la propagande. Il partageait aussi l’opinion selon laquelle la démocratie, un gouvernement dirigé par les gens, ne pouvait pas se maintenir sans une élite spécialisée formant et façonnant l’opinion publique à travers la propagande.

Dans son Encyclopédie des Sciences sociales, Lasswell explique que lorsqu’il manque aux élites la force requise pour l’obéissance contrainte, les managers sociaux doivent se tourner vers « une toute nouvelle technique de contrôle, en grande partie par la propagande ». Il y ajouta la justification conventionnelle : « l’ignorance et la stupidité [des]… masses et ne pas succomber aux dogmatismes démocratiques comme quoi les hommes seraient les meilleurs juges de leurs propres intérêts. »

 

Lasswell a considérablement étudié le domaine de l’analyse de contenu pour comprendre l’efficacité des différents types de propagande. Dans son essai Les contenus de la communication, Lasswell explique que, afin de comprendre la signification d’un message (c-à-d un livre, un discours, un film etc), on doit prendre en compte la fréquence à laquelle certains symboles apparaissent dans le message, la direction dans laquelle ces symboles essaient de guider l’opinion de l’audience, et l’intensité des symboles utilisés.

Lasswell était célèbre pour son analyse des médias basée sur ceci :

« Qui (dit) Quoi (à) Qui (par) Quel Moyen (avec) Quel Effet »

Via ce modèle, Lasswell indique que pour analyser correctement un produit médiatique, il nous faut regarder à qui l’a produit (les gens qui ont ordonné sa création), à qui il est destiné (l’audience-cible) et quels sont les effets désirés du produit (informer, convaincre, vendre, etc) sur l’audience.

Voilà quelle serait l’analyse d’une vidéo de Rihanna par exemple : QUI A PRODUIT : Vivendi Universal ; QUOI : l’artiste pop Rihanna ; A QUI : les consommateurs âgés de 9 à 25 ans ; QUEL MOYEN : vidéoclip ; et QUEL EFFET : vendre l’artiste, sa chanson, son image, et son message.

L’analyse de films et de vidéos sur The Vigilant Citizen donne une grande importance à « qui est derrière » les messages communiqués au public. Le terme « Illuminati » est souvent utilisé pour décrire un petit groupe formant une élite dirigeant secrètement les masses. Bien que le terme sonne assez caricatural et conspirateur, il décrit judicieusement les affinités de l’élite avec des sociétés secrètes et un savoir occulte. Cependant, je déteste personnellement utiliser le terme de « théorie du complot » pour décrire ce qui se passe dans les médias de masse. Si tous les faits concernant la nature élitiste de l’industrie sont facilement disponibles au public, est-ce qu’on peut encore appeler ça une « théorie du complot » ?

Il y avait avant une variété de points de vue, idées et opinions dans la culture populaire. La consolidation des corporations médiatiques a cependant produit une standardisation de l’industrie culturelle. Vous ne vous êtes jamais demandé pourquoi toutes les musiques récentes sonnent pareilles et tous les films récents ont l’air pareils ? la réponse se trouve dans la partie suivante :

Possession des médias


Le nombre de corporations qui contrôlent la majorité des médias aux Etats-Unis : (journaux, magazines, stations de radio, chaînes télé, livres, musiques, films, fournisseurs d’accès et agences de photographie)

Comme il est représenté sur le graphique ci-dessus, le nombre de corporations possédant la majorité des organes de presse aux E-U est passé de 50 à 5 en moins de 20 ans. Voici le top des corporations en évolution autour du monde et les capitaux actifs qu’elles possèdent :

 

« Une liste des propriétés contrôlées par AOL Time Warner prendrait dix pages dactylographiées qui listeraient 292 compagnies séparées et filiales. Parmi elles, 22 sont des sociétés en participation avec d’autres majors impliquées à divers degrés en opérations médiatiques. Ces partenaires incluent 3Com, eBay, Hewlett-Packard, Citygroup, Ticketmaster, American Express, Homestore, Sony, Viva, Berterlsmann, Polygram, et Amazon.com. Quelques une des propriétés plus familières détenues à 100% par AOL Time Warner : Book-of-the-Month Club : Little Brown éditeurs ; HBO et ses sept chaînes ; CNN ; sept chaînes spécialisées et en langues étrangères ; « Bip-Bip et Vil Coyote » ; les studios Warner Bros ; Popular Science et 52 autres labels de disques différents. »
– Ben Bagdikan, « le Nouveau monopole des Médias. »

AOL Time Warner possède :
– 64 magazines, dont Time, Life, People, MAD Magazine et DC Comics.
Waner Bros, New Line et Fine Line Features dans le cinéma.
– Plus de 40 labels musicaux dont Warner Bros, Atlantic et Electra.
– Beaucoup de « networks » télévisuels tels que AB Network, HBO, Cinemax, TNT, Cartoon Network et CNN.
– Madonna, Sean Paul, les Whites Stripes…

 

Viacom possède :
CBS, MTV, MTV2, UPN, VH1, Showtime, Nickelodeon, Comedy Central, TNN, CMT et BET
Paramount Pictures, Nickelodeon Movies, MTV Films
Blockbuster Videos
– 1800 écrans de cinéma à travers Famous Players

 

« La propriété de Disney d’une équipe de hockey appelés les Mighty Ducks d’Anaheim ne suffit pas à décrire l’immensité de son royaume. Hollywood reste son cœur symbolique, avec huit studios de productions et distributeurs : Wall Disney Pictures, Touchstone Pictures, Miramax, Buena Vista Home Video, Buena Vista Home Entertainment, Buena Vista International, Hollywood Pictures et Caravan Pictures.

La compagnie Walt Disney contrôle huit maisons d’édition sous Walt Disney Company Book Publishing et ABC Publishing Book ; 17 magazines ; ABC Television Network avec ses dix stations qu’elle possède et qu’elle fait fonctionner y compris dans le top 5 du marché ; 30 stations de radio, dont toutes les plus grosses du marché; 11 chaînes câblées dont Disney, ESPN (conjointement) ; A&E et la chaîne Histoire ; 13 chaînes de diffusion internationale qui vont de l’Australie au Brésil ; 17 unités sportives et unités de production autour du monde ; et 17 sites Internet, ce qui inclut le groupe ABC, ESPN.sportzone, NFL.com, NBAZ.com et NASCAR.com. Ses cinq groupes musicaux incluent la Buena Vista, Lyric Street et les labels Disney, et des productions cinématographiques « vivantes » d’où sont sortis des films comme Le Roi Lion, la Belle et la Bête, et le Roi David… »
– Ibid.

La Walt Disney Company possède :
ABC, Disney Channel, ESPN, A&E, History Channel
Walt Disney Pictures, Touchstone Pictures, Hollywood Pictures, Miramax Film Corp., Dimension et Buena Vista International
– Miley Cyrus/ Hannah Montana, Selena Gomez, les Jonas Brothers.

 

Vivendi Universal possède:
– 27% des ventes de musique aux Etats-Unis, ses labels comprennent: Interscope, Geffen, A&M, Island, Def Jam, MCA, Mercury, Motown et Universal
Universal Studios, Studio Canal, Polygram Films, Canal +
– De nombreuses compagnies téléphoniques et Internet,
– Lady Gaga, The Black Eyed Peas, Lil Wayne, Rihanna, Mariah Carey, Jay-Z

 

Sony possède:
Columbia Pictures, Screen Gems, Sony Pictures Classics
– 15% des ventes de musique aux Etats-Unis, ses labels comprennent : Columbia, Epic, Sony, Arista, Jive et RCA Records
– Beyonce, Shakira, Michael Jackson, Alicia Keys, Christina Aguilera

Un nombre limité d’acteurs dans l’industrie culturel signifie un nombre limité de points de vue et d’idées qui font leur chemin jusqu’au grand public. Cela signifie aussi qu’une seule idée peut facilement saturer toutes les plateformes médiatiques pour générer le consentement (par exemple : « il y a des armes de destruction massive en Irak »).

La standardisation de la pensée humaine

 

 

La fusion des compagnies médiatiques lors des dernières décennies a engendré une petite oligarchie de conglomérats médiatiques. Les shows télé que nous suivons, la musique que nous écoutons, les films que nous regardons et les journaux que nous lisons sont tous produits par CINQ corporations. Les propriétaires de ces conglomérats ont des liens étroits avec l’élite mondiale et, de bien des façons, ils SONT l’élite. En possédant tous les points de vente disponible qui ont le potentiel d’atteindre les masses, ces conglomérats ont le pouvoir de créer, dans l’esprit des gens, une seule et cohérente vision du monde, engendrant une « standardisation de la pensée humaine. »

Mêmes les mouvements et les styles considérés marginaux sont, en fait, des extensions de la pensée principale. Les médias de masse produisent leurs propres rebelles qui ont bel et bien l’air de faire partie et qui continuent de faire partie de l’ordre établi et de n’en rien contester. Les artistes, les créations et les idées qui ne correspondent pas au mode de pensée principale sont oubliés et rejetés sans merci par les conglomérats, qui à leur tour les font virtuellement disparaître de la société elle-même. Cependant, les idées qui sont estimées valides et désirables pour être acceptées par la société sont adroitement commercialisées aux masses dans le but de les transformer en normes qui vont de soi.

En 1928, Edward Barnays avait déjà vu l’immense potentiel du cinéma pour standardiser les pensées :

« Le cinéma américain est le plus grand transporteur inconscient de propagande dans le monde aujourd’hui. C’est un grand distributeur d’idées et d’opinions. Le cinéma peut standardiser les idées et habitudes d’une nation. Parce que les images sont faites pour satisfaire les demandes du marché, elles reflètent, soulignent, et même exagèrent les grandes tendances populaires, plutôt que de stimuler de nouvelles idées et opinions. Le cinéma use des idées et des faits qui sont en vogue. Tandis que les journaux cherchent à offrir les faits, il [le cinéma] cherche à offrir du divertissement. »

– Edward Bernays, Propagande.

Ces faits ont été marqués comme des dangers à la liberté humaine dans les années 1930 par les penseurs de l’école de Frankfort tels que Theodor Adorno et Herbert Marcuse. Ils ont identifié trois problèmes principaux avec l’industrie culturelle. L’industrie peut :

1. Réduire les êtres humains au statut de « masse » en entravant le développement d’individus émancipés, qui sont capables de prendre des décisions rationnelles

2. Remplacer le dynamisme légitime vers l’autonomie et la conscience de soi par la paresse sécurisante du conformisme et de la passivité ; et

3. Valider l’idée que les hommes cherchent bien à s’échapper du monde absurde et cruel dans lequel ils vivent en se perdant dans un état hypnotique de satisfaction personnelle.

La notion d’évasion est encore plus pertinente aujourd’hui avec l’avènement des jeux vidéo en ligne, des films en 3d et des home cinémas. Les masses, cherchant le divertissement dernier cri, vont avoir recours à des produits à gros budget qui peuvent seulement être produits par les plus grosses corporations médiatiques mondiales. Ces produits contiennent des messages et symboles délibérément placés avec attention qui ne sont ni plus ni moins que de la propagande divertissante. Le public a été entraîné à AIMER cette propagande, au point de dépenser son argent difficilement gagné pour y être exposé.

« En ce qui concerne la propagande, les premiers défenseurs de l’alphabétisation universelle et de la presse libre envisagèrent deux possibilités : la propagande peut être vraie, ou elle peut être fausse. Ils n’ont pas prévu ce qui est en fait arrivé, surtout dans nos démocraties capitalistes occidentales – le développement d’une vaste industrie de consommation de masse, concernée dans l’absolu ni par le vrai ni par le faux, mais par l’irréel, le plus ou moins totalement dénué de pertinence. En un mot, ils ont échoué à prendre en compte l’appétit presque infini de l’Homme pour la distraction. »

– Aldous Huxley, préface du « Meilleur des mondes ».

Un seul extrait d’un média n’a souvent pas un effet durable sur la psyché humaine. Les médias de masse cependant, par leur nature omniprésente, créent un environnement vivant dans lequel on évolue sur des bases journalières. Ils définissent la norme et excluent l’indésirable. De la même manière que les chevaux de trait portent des oeillières afin de ne voir que ce qui est devant eux, les masses ne peuvent voir que là où elles sont supposées voir.

« C’est l’émergence des médias de masse qui rend possible l’utilisation de techniques de propagande à échelle sociétale. L’orchestration de la presse, de la radio et de la télévision pour créer un environnement continuel, durable et total rend l’influence de la propagande virtuellement insoupçonnée précisément parce que ça crée un environnement constant. Les médias de masse fournissent le lien essentiel entre l’individu et les exigences de la société technologique. »

– Jacques Ellul

Une des raisons pour lesquelles les médias de masse influencent avec succès la société industrielle, on la doit à la quantité considérable de recherches sur les sciences cognitives et la nature humaine qui y a été appliquée…

Techniques de manipulation

« La publicité est une tentative délibérée pour contrôler la perception qu’a le public d’un sujet. Parmi les sujets de la pub se trouvent des gens (par exemple des politiciens ou des artistes en train de jouer), des biens et des services, des organisations de tous les types, des œuvres d’art et de divertissement. »

L’effort pour vendre produits et idées aux masses a conduit à un nombre de recherches sans précédent sur le comportement humain et la psyché humaine. Sciences cognitives, psychologie, sociologie, sémiotique, linguistique et d’autres domaines qui leur sont liées étaient et sont encore considérablement recherchés par les études bien financées.

« Aucun groupe de sociologistes ne peut se rapprocher des équipes publicitaires en ce qui concerne le rassemblement et le traitement de données sociales. Les équipes publicitaires ont des milliards par an à dépenser dans les recherches et tests de réactions, et leurs produits sont de magnifiques accumulations de substance concernant les sentiments et expériences vécues par la communauté entière. »

– Marshall Mcluhan, « les Extensions de l’Homme »

Les résultats de ces études sont appliqués aux publicités, aux films, aux clips et à d’autres médias dans le but de les rendres aussi influents que possible. L’art du marketing est hautement scientifique et calculé parce qu’il doit atteindre à la fois l’insconscient collectif et individuel. En ce qui concerne les produits culturels à gros budget, une vidéo n’est jamais « une simple vidéo ». Les images, les symboles et les significations sont placées stratégiquement dans le but d’obtenir un effet désiré.

« C’est aussi bien avec la connaissance de l’être humain, de ses tendances, de ses désirs, de ses besoins, de son mécanisme psychique, de ses automatismes que celle de la psychologie sociale et de la psychologie analytique que la propagande peut affiner ses techniques. »

– Jacques Ellul.

La propagande d’aujourd’hui n’utilise quasiment jamais d’arguments logiques ou rationnels. Elle va directement puiser dans les besoins et instincts humains les plus primaires afin de générer une réponse émotionnelle et irrationnelle. Si nous pensions de manière rationnelle, il est probable que nous n’achèterions pas 50% de ce que nous avons. On peut trouver constamment des bébés et des enfants dans les pubs qui ciblent les femmes pour une raison spécifique : les études ont montré que les images d’enfants déclenchent chez les femmes un besoin instinctif de nourrir, de prendre soin et de protéger, ce qui conduit au bout du compte un parti-pris de sympathie envers la publicité.


Veille pub bizarre de 7up, utilisant le côté mignon des bébés.

Le sexe est omniprésent dans les médias de masse, puisque cela attire et maintient l’attention du spectateur. Cela se met immédiatement en communication avec notre instinct de perpétuer l’espèce, de nous reproduire, et quand il est déclenché, cet instinct peut éclipser toute autre pensée rationnelle de notre cerveau.

Perception subliminale

Et si les messages décrits ci-dessus étaient capables d’atteindre directement l’inconscient des spectateurs, sans mêmes que ceux-ci s’apperçoivent de ce qui se passe ? C’est le but de la perception subliminale. Le terme « publicité subliminale » fut inventé en 1957 par le spécialiste en études de marché américain James Vicary, qui disait qu’il pouvait faire « boire du Coca-Cola » et « manger du pop-corn » aux gens qui allaient au cinéma en faisant apparaître ces messages à l’écran par flashes assez courts pour que les spectateurs n’en soient pas conscients.

« La perception subliminale est un processus délibéré créé par les techniciens en communication par lequel vous recevez des informations, des instructions et y répondez sans en avoir conscience. »

– Steve Jacobson, « Contrôle de l’esprit aux Etats-Unis. »

Cette technique est souvent utilisée en marketing et on sait tous que le sexe fait vendre.

Bien que certaines sources prétendent que la publicité subliminale est inefficace ou même que c’est une légende urbaine, l’utilisation documentée de cette technique dans les médias de masse prouvent que ses créateurs croient en son pouvoir. Les études récentes ont aussi prouvé son efficacité, particulièrement lorsque le message est négatif.

« Une équipe de l’University College de Londres, financée par le Wellcome Trust, a découvert qu’elle [la perception subliminale] était particulièrement bonne à inculquer des pensées négatives. « Il y a eu beaucoup de spéculations pour savoir si les gens pouvaient traiter inconsciemment l’information émotionnelle, par exemple des images, des visages et des mots », a dit le professeur Nill Lavie, qui a conduit la recherche. « Nous avons montré que les gens peuvent percevoir la valeur émotionnelle des messages subliminaux et avons démontré de façon concluante que les gens sont beaucoup plus à l’écoute des mots négatifs. »

Source

Un exemple célèbre de message subliminal en communication politique est dans la publicité de George Bush contre Al Gore en 2000.

 

Juste après que le nom « Gore » est mentionné, la fin du mot « bureaucrats » – « rats » – flashe à l’écran pendant une fraction de seconde.

 

La découverte de cette ruse a causé pas mal de remous, même s’il n’y a aucun loi contre les messages subliminaux aux E-U, la publicité a été retirée des chaînes.

Comme on peut le voir dans beaucoup d’articles sur Vigilant Citizen, les messages subliminaux et semi-subliminaux sont souvent utilisés dans les films et les clips pour communiquer des idées et des messages aux spectateurs.

Désensibilisation

Par le passé, lorsque des changements étaient imposés aux populations, elles descendaient dans la rue, protestaient, voire déclenchaient des émeutes. La principale raison de ces affrontements était dûe au fait que les changements étaient clairement annoncés par les dirigeants et compris par la population. C’était soudain, et les effets pouvaient être clairement analysés et évalués. Aujourd’hui, lorsque l’élite a besoin que le public comprenne une partie de son programme, elle le fait à travers la désensibilisation. Le programme, qui peut aller à l’encontre des meilleurs intérêts du public, est lentement, peu à peu et à maintes reprises présenté au monde à travers les films (en l’impliquant dans l’intrigue) des clips (qui le rendent cool et sexy) ou les nouvelles (qui le présentent comme une solution aux problèmes actuels). Après plusieurs années d’exposition des masses à un programme particulier, l’élite expose ouvertement son projet au monde et, à cause de la programmation mentale, il est accueilli dans l’indifférence générale, et passivement accepté. Cette technique vient de la psychothérapie.

« Ces techniques de psychothérapie, largement pratiquées et acceptées comme un moyen de guérir les désordres psychologiques, sont aussi des méthodes pour contrôler les gens. Elles peuvent être systématiquement utilisées pour influencer les attitudes et les comportements. La désensibilisation systématique est une méthode utilisée pour faire disparaître l’anxiété afin que le patient (le public) ne soit plus troublé par une peur spécifique, la peur de la violence par exemple. […] Les gens s’adaptent aux situations effrayantes s’ils y sont suffisamment exposés. »

– Steve Jacobson, « Contrôle de l’esprit aux Etats-Unis »

On peut souvent trouver de la programmation prédictive dans le genre de la science-fiction. Elle représente une image spécifique du futur – celui qui est désiré par l’élite – qui devient au bout du compte inévitable dans l’esprit des hommes. Il y a dix ans, le public a été désensibilisé à la guerre contre le monde arabe. Aujourd’hui, le public est petit à petit exposé à l’existence du contrôle de l’esprit, au transhumanisme et à l’existence d’une élite Illuminati. Emergant de l’ombre, ces concepts sont à présent partout dans la culture populaire. C’est ce qu’Alice Bailey décrit sous le nom d’ « externalisation de la hiérarchie » : ceux qui dirigent dans l’ombre se révèlent lentement…

Symbolisme occulte dans la culture populaire


Metropolis – Un film de l’élite pour l’élite ?Contrairement aux informations présentées ci-dessus, la documentation sur le symbolisme occulte est plutôt difficile à trouver. Cela ne doit pas se révéler surprenant, puisque le terme « occulte » signifie littérallement « caché ». Cela veut dire aussi « réservé à ceux qui savent » puisqu’il est seulement communiqué à ceux qui sont considérés dignes de ce savoir. Il n’est ni enseigné dans les écoles ni discuté par les médias. Il est donc considéré marginal voire ridicule par la population en générale.

Le savoir occulte n’est cependant PAS considéré comme ridicule dans les cercles occultes. Il est considéré intemporel et sacré. Il y a une longue tradition de savoir hermétique et occulte qui s’enseigne à travers les sociétés secrètes qui viennent de l’Egypte Ancienne, aux Mystiques Orientaux, aux chevaliers Templiers jusqu’aux Francs-Maçons des temps modernes. Même si la nature et l’étendue et ce savoir a très probablement été modifié, altéré à travers les siècles, les écoles de l’occulte ont gardé leurs principales caractéristiques, qui sont hautement symboliques, ritualistes et métaphysiques. Ces caractéristiques, qui étaient une part complexe des anciennes civilisations, ont totalement été évacuées de la société moderne pour être remplacées par un pragmatisme matérialiste. Pour cette raison il existe un fossé de compréhension important entre la personne lambda et l’institution ritualiste.

« Si cette doctrine ésotérique a toujours été dissimulée aux masses, pour qui un code plus simple a été partitionné, n’est-il pas hautement probable que les représentants de chaque aspect de la civilisation moderne – philosophique, éthique et scientifique – soient ignorants de la vraie signification de ces théories et principes mêmes sur lesquels leurs croyances sont fondées ? Est-ce que les arts et les sciences que la race a héritées de nations plus anciennes dissimulent derrière leure jolie façade un mystère si grand dont seuls les intellectuels les plus illuminés peuvent comprendre la portée ? C’est très certainement le cas. »

– Manly P. Hall, « Enseignements secrets de tous les âges ».

Le « code plus simple » partitionné pour les masses avait pour habitude d’être les religions organisées. Maintenant, c’est devenu le Temple des Médias de Masse et il prêche quotidiennement le matérialisme extrême, la vacuité spirituelle et une existence individualiste, tournée vers soi. C’est exactement le contraire des attributs requis pour devenir un homme réellement libre, comme c’est enseigné par les grandes écoles de pensée. Est-ce qu’une population abêtie est plus facile à tromper et à manipuler ?

« On dit à ces esclaves aveugles qu’ils sont « libres » et « bien éduqués », même quand ils marchent au pas derrière des signes qui feraient s’enfuir d’eux paniqué et en criant n’importe quel paysan du Moyen-Age. Les symboles que l’homme moderne embrasse avec la confiance naïve d’un enfant équivaudraient à cet écriteau sur une pancarte : « Direction votre mort et l’esclavage », comme le comprendrait un paysan de l’antiquité ».

– Michael A. Hoffman II, « Sociétés secrètes et guerre psychologique ».

En conclusion

Cet article a porté un regard sur les penseurs majeurs dans le domaine des médias de masse, la structure d’influence des médias, et les techniques utilisées pour manipuler les masses. Je crois que cette information est vitale pour la compréhension du « pourquoi » dans les sujets débattus sur The Vigilent Citizen. La dichotomie entre la « masse de la population » contre « l’élite dirigeante » décrite dans nombre d’articles n’est pas une « théorie de la conspiration » (encore une fois je déteste ce terme), mais une réalité qui a été précisément indiquée dans les travaux de quelques uns des hommes les plus influents du XXème siècle.

Lippmann, Bernays et Lasswell ont tous déclaré que le public n’était pas à même de décider de son propre destin, qui est le but inhérent à la démocratie. A la place, ils en ont appelé à une « cryptocratie », un gouvernement caché, une classe dirigeante en charge du « troupeau perplexe ». Au fur et à mesure que leurs idées continuent d’être appliquées à la société, il est de plus en plus visible qu’une population ignorante n’est pas un obstacle dont les dirigeants doivent s’occuper : c’est quelque chose de DESIRABLE, et, en effet, nécessaire pour assurer un leadership total. Une population ignorante ne cherche pas ses droits, ne cherche pas une plus grande compréhension des problèmes, ne questionne pas l’autorité. Elle suit simplement la tendance. La culture populaire pourvoit aux besoins de l’ignorance et la nourrit en servant continuellement du divertissement asphyxiant le cerveau et en mettant en lumière des célébrités dégénérées pour qu’elles soient idolatrées. Beaucoup de gens me demandent : « est-ce qu’il y a un moyen d’arrêter ça ? ». Oui, il y en a un. ARRETEZ D’ACHETER LEURS SALOPERIES ET LISEZ UN LIVRE.

« Si une nation espère être ignorante et libre, elle espère ce qui n’a jamais été et ce qui ne sera jamais. »

– Thomas Jefferson

 

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Hervé Juvin : «Le totalitarisme de l'individu est la plus grande menace qui pèse sur notre condition humaine»

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FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - Dans un grand entretien au rythme haletant et mené sans langue de bois, Hervé Juvin passe en revue tous les combats politiques qui attendent la France. Par leur intensité et leurs enjeux, ils annoncent selon lui la venue d'un moment décisif de notre histoire.

 


- Crédits photo : éd. du Rocher

Hervé Juvin est un écrivain et essayiste français. Il est par ailleurs associé d'Eurogroup Consulting. Il vient de publier France, le moment politique. Manifeste écologique et anti-libéral (éd. du Rocher, avril 2018).


FIGAROVOX.- «Pour la première fois, l'existence de la France semble aussi directement menacée en temps de paix qu'elle a pu l'être en temps de guerre». N'exagérez-vous pas? Qu'est-ce qui vous conduit à formuler un constat aussi alarmiste?

Hervé JUVIN.- Le cardinal de Richelieu l'avait dit: «l'Église a l'éternité devant elle, la survie de la France est un combat de chaque jour.» Nous l'avons oublié. Ce combat, depuis trop d'années, n'a pas été mené. Tout a été dit, fait, assumé, comme si la France pouvait tout subir, tout payer, tout accepter. Tout a été affirmé, géré, décidé, comme si la France était le problème, comme si l'identité française était un gros mot, comme si défendre la France était coupable, honteux, et condamnable. Qu'il s'agisse des dérives anti-démocratiques de l'Union européenne, qui entend punir les peuples qui votent mal et les nations qui ne veulent pas se dissoudre dans le grand tout du droit et des Droits, qu'il s'agisse des migrations et de l'intégration de populations étrangères, qui condamnent la France si elle n'est pas fière, forte et sûre d'elle-même, qu'il s'agisse du marché du droit qui entend subordonner les lois, les États et les Nations à l'intérêt du capital à travers la privatisation de la justice, qu'il s'agisse du totalitarisme de l'individu qui détruit implacablement les sociétés les plus soucieuses du respect de la personne humaine, tout ce qui fait la France, tout ce qu'il y a de français en France et dans le monde a été réduit, bafoué, ou détruit. Qui ose encore prononcer la devise: liberté, égalité, fraternité?

La France n'est pas le problème, elle est notre chance, à nous Français, et à eux, si nombreux dans le monde, qui rêvent de la France et qui attendent qu'elle redevienne ce qu'elle est - la France libre, la France championne des non-alignés, la plus grande France! La France est ce que nous avons de meilleur.

Voilà pourquoi nous allons vivre un moment politique ; le moment où l'arrangement entre la nature, l'identité et la société va prendre le pas sur l'abandon au droit, au marché et à la croissance, dont les promesses ne sont pas tenues, et qui ne peuvent plus être identifiées au progrès.

Vous insistez dans votre livre sur la politique étrangère de la France. Quel doit être le fil conducteur de cette politique? Comment jugez-vous l'action diplomatique d'Emmanuel Macron depuis son élection?

Quels sont les intérêts de la France? Comment les affirmer, comment faire la France plus forte, plus écoutée, comment protéger les Français et garantir leur liberté?

Tout Français ne peut que souhaiter la réussite du Président Emmanuel Macron ; il y va de notre intérêt à tous, de la paix et de la guerre, il y va de la France! Mais force est de constater que sur ces sujets, comme sur bien d'autres, nous attendons encore qu'il exprime sa vision et qu'il nous explique ses choix. Il a su ranimer des symboles utiles ; réception à Versailles, solennité républicaine, et jusqu'au culte du héros, en la personne du gendarme Beltrame. C'est bien.

Mais les effets de ses vœux européens se font attendre. L'Allemagne n'a pas bougé. Mais les résultats politiques de la participation française à l'opération de bombardement en Syrie ont été nuls ; Donald Trump n'a pas bougé dans sa décision de sortir de l'accord sur le nucléaire iranien, et l'Union européenne a été renvoyée à son insignifiance géopolitique. Mais les déclarations d'intention contre la soumission aux sanctions américaines et à l'extraterritorialité de leurs embargos ne trompent personne ; les entreprises françaises se verront soumises à l'ordre américain, faute d'une politique étrangère claire, qui fixe les lignes rouges, désigne l'ennemi, et fasse passer l'intérêt national avant tout. C'est bien d'en appeler au multilatéralisme, mais comment ne pas constater, avec Donald Trump ou Israël, les perversions d'un système onusien qui avait donné à un représentant de la Libye la présidence d'une commission sur les droits des femmes? C'est bien de défendre les accords commerciaux, mais comment ne pas voir que le libre-échange a fait une poignée de milliardaires, des millions de chômeurs, la mort de nos villages et de nos villes moyennes, pillés par la grande distribution, et la ruine de nos territoires, abandonnés par les métropoles qui se rêvent virtuelles?

L'avenir est à la réconciliation de l'homme avec toutes les formes de vie.

Trois idées doivent conduire notre politique. D'abord, une initiative de civilisation qui travaille à réunir les rameaux dispersés d'un tronc commun qui va de Jérusalem à Byzance, en passant par Athènes et Rome. La construction de la Russie comme ennemi est suicidaire, quand le monde européen rencontre des mondes chinois, indiens et demain, africains, qui lui contesteront son existence même. Ensuite, le renouveau de la liberté française, ce non-alignement autorisé par l'indépendance nucléaire, qui doit faire de la France la voix de tous ceux qui refusent un monde soumis aux nouveaux empires qui s'avancent sous le manteau de la multipolarité. Ni Américains, ni Chinois, ni Russes, mais Français! Enfin, un choix politique qui cherche la paix et l'ordre mondial ailleurs que dans l'universalisme et l'impérialisme, ailleurs que dans un développement forcé et une croissance désaccordée du progrès, dans l'harmonie née de la diversité des systèmes politiques et sociaux, des cultures, et des choix de production et de consommation.

Vous prônez une véritable «révolution écologique» dont la France pourrait être la figure de proue. Quelle forme doit prendre cette révolution et pourquoi la France vous paraît avoir tous les atouts pour la mener?

L'avenir est à la réconciliation de l'homme avec toutes les formes de vie, ou bien notre survie sera en jeu. C'est bien d'une révolution dont il s'agit, que j'hésite à qualifier d'écologique tant les mots ont été piégés par le hold-up réussi de l'ultra gauche sur les sujets environnementaux ; associer écologie et ouverture des frontières, quand tout être vivant dépend de sa capacité à réguler ses échanges avec son milieu, à capter ce qui le nourrit et à rejeter ce qui lui nuit, il fallait oser! C'est surtout la clé du moment politique actuel ; tout projet politique sera jugé à l'aune de la survie de la France, d'abord, et ensuite de sa capacité à préserver ce trésor français qu'est la beauté des paysages, la générosité de ses terres, la diversité des formes qu'y a pris la vie. Et le sujet est actuel. La France subit d'intenses pressions pour faire de ses terres un actif comme un autre, que le capital mondial puisse acheter, exploiter et vendre comme il le veut. La France subit l'appropriation de ses semences, des ressources génétiques des espèces vivantes sur son territoire, qui devront être payées aux banquiers du vivant, les nouveaux usuriers. La France voit grandir les menaces sur ses appellations territoriales, que les géants de l'agroalimentaire et de la nourriture industrielle veulent détruire pour les remplacer par leurs marques commerciales ; après les hommes hors sol, il faut fabriquer de la viande, des légumes, des fruits, de nulle part! Et la France voit ses biens communs se réduire sous l'appétit conjoint des promoteurs immobiliers pour son littoral, des capitaux nomades pour ses infrastructures et ses services collectifs, des pillards numériques pour les données personnelles des Français, leur sécurité et leurs souvenirs!

Voilà pourquoi toute politique sera une politique de la vie. Voilà pourquoi rien n'est plus urgent que de travailler à une réponse de société au projet de civilisation écologique chinoise, tel que le Président Xi Jin Ping l'a formulé, tel que le philosophe Zhao Ting Yang vient de le préciser dans son livre programme «Tianxia, tout sous un même ciel». Depuis trente ans, la France n'est plus ce foyer universel d'idées, de modèles, de systèmes, qu'elle a été avec les existentialistes, les structuralistes, comme avec les philosophes de la déconstruction. Qu'elle le redevienne sur le sujet majeur de tout dialogue de civilisation qu'est le sacré de la vie, le savoir des limites et la coopération de tous les êtres vivants!

Vous êtes un fervent défenseur de la diversité culturelle des peuples et critiquez notamment les politiques de développement. Mais le risque, en renonçant à l'universalisme, n'est-il pas de tomber dans le relativisme culturel qui fait le jeu du multiculturalisme?

La diversité est l'effet indépassable de notre liberté politique. Les sottises émises avec autorité par ceux qui voient dans l‘unification du monde le moyen d'asseoir leur domination universelle, ou leur prétention à l'élection divine, oublient cette réalité bien connue des ethnologues ; placez deux groupes humains dans les mêmes conditions climatiques, naturelles, historiques, et ils produiront deux sociétés différentes! Le totalitarisme de l'individu est la plus grande menace qui pèse sur notre condition humaine, car il tend à détruire la liberté des sociétés à se donner leurs lois, à décider de leurs mœurs et à affirmer leurs croyances! La vraie diversité est collective, elle est bafouée au nom des droits illimités de tout individu à détruire la société qui honore ses droits, et pourtant cette diversité est un bien supérieur à tout autre ; si tous désirent la même chose, nous nous battrons jusqu'au dernier pour l'obtenir! C'est la dimension suicidaire de la globalisation.

Les plus grands malheurs du monde viennent de l'ingérence de ceux qui prétendent détenir le Bien dans les affaires de leur voisin.

Concrètement, la diversité sera préservée par la souveraineté nationale et par l'intelligence de la séparation. Nous n'en avons pas fini avec la terre qui est sous nos pieds! C'est la frontière qui pacifie la diversité et qui permet cette fantastique expression du génie humain qu'est la diversité des cultures et des civilisations! Les plus grands malheurs du monde viennent de l'ingérence de ceux qui prétendent détenir le Bien dans les affaires de leur voisin. Les plus grands crimes ont été commis au nom du devoir d'ingérence, de la responsabilité de protéger, et autres subterfuges de l'Empire du Bien. Je n'irais pas me mêler des lois, des mœurs et des pratiques religieuses de l'Arabie Saoudite, même si je peux avoir mon jugement sur eux. Je n'entends pas que l'Arabie Saoudite se mêle des lois, des mœurs et des pratiques religieuses en France. Voilà la politique réaliste de la diversité, qui est l'autre nom de l'écologie humaine, et la seule voie de la paix entre les peuples.

Vous constatez que «le monde se ferme, que l'actualité est aux murs, aux frontières, et que les illusions de l'individu hors-sol s'éloignent dans un horizon sinistre». Est-ce la fin de la mondialisation et le retour des États-nations?

Ce n'est pas la fin c'est le dépassement! Nous vivons dans un monde globalisé. La mondialisation est là, déjà là, c'est déjà un fait du passé ; l'avenir se joue ailleurs. Il n'est plus de brousse, de jungle ou de désert où ne règne pas le téléphone portable! C'est fait. Ce qui vient, c'est que des cultures disparaissent, faute de s'emparer des nouveaux outils, tandis que d'autres, certaines parmi les plus archaïques ou les plus étrangères à l'ordre de la technique, s'en emparent et en font leurs armes ; voyez l'hindouisme actuel en plein renouveau, voyez surtout l'Islam radical et la puissance qu'a pu avoir l'État islamique sur les réseaux! La vague d'uniformisation est passée ; les sottises sur la démocratie planétaire sont loin derrière nous. La diffusion mondiale des singularités et l'affirmation dans la globalisation des identités les plus fortes, des cultures les plus spécifiques, est devant nous. Elle l'est d'autant plus que les murs, les barrières, les péages se multiplient, tandis que les vitesses de déplacement se réduisent partout, sur nos routes comme dans les airs. L'avenir est aux communautés dotées d'une identité forte, aux entreprises porteuses de singularités territoriales, culturelles, marquantes, aux peuples riches de biens communs hors marché. Voilà pourquoi la France doit retrouver une affirmation forte d'elle-même. C'est la condition pour qu'elle soit gagnante dans le monde d'après la mondialisation.

L'un des défis majeurs des prochaines années est l'immigration africaine. A-t-on les moyens d'empêcher la «ruée vers l'Europe» (Stephen Smith) que prédisent implacablement les courbes démographiques? Ne faut-il pas se résoudre à voir l'Europe s'africaniser?

Il est clair qu'en matière de pression migratoire, nous n'avons encore rien vu, surtout si ses ennemis continuent d'imposer à l'Europe des idées et des pratiques qui détruisent son unité et implantent sur son sol tous les conflits du monde! Dans ce domaine, subir n'est pas de mise. Il faut anticiper, il faut défendre, et il faut proposer.

Le problème n'est pas l'Afrique, c'est la France! C'est l'absence d'une politique africaine digne de ce nom, qu'a illustrée la désastreuse destruction du verrou libyen, qu'illustre l'enlisement au Sahel et en Centrafrique! Et c'est l'absence d'une politique de population qui ose dire son nom, comme condition de la paix civile, de l'unité nationale, et de la sécurité des Français. Il y a urgence à la définir! D'abord parce que, depuis l'abandon de l'Union de son devoir de protéger les Européens, il revient à la France, et à elle seule, de tenir ses frontières et de n'admettre sur son territoire que celles et eux qu'elle choisit. Comme l'a rappelé Donald Trump, une nation qui ne tient pas ses frontières n'existe plus. Ensuite, parce que l'Afrique peut être une chance pour la France, la chance notamment que le français redevienne une langue mondiale, la troisième par le nombre de ses locuteurs.

Le problème n'est pas l'Afrique, c'est la France et c'est l'absence d'une politique africaine digne de ce nom !

La chance aussi que les modèles, les systèmes, les approches français, retrouvent par l'Afrique une dynamique d'expansion et un rayonnement qu'ils sont largement perdus. Enfin, parce que la France a des amis, des alliés et des cousins en Afrique. La France peut et doit leur dire que c'est en Afrique qu'ils trouveront leur voie, pas dans l'importation désastreuse des mœurs et des lois américaines, pas dans la néo-colonisation chinoise ou indienne, pas dans les migrations en masse, mais dans l'affirmation des singularités, des identités et de la diversité africaine. Libérer l'Afrique des entreprises qui pillent ses ressources, des trafiquants d'êtres humains qui vendent ses talents et ses intelligences au plus offrant, des accapareurs de terres comme des sectes qui veulent s'emparer de son âme, voilà un projet pour la France en Afrique!

Ici encore, le moment est politique, et c'est le moment où la France doit en finir avec l'abandon mou aux préceptes venus du dehors, le moment où renouer avec les pays d'Afrique des relations de franchise, de responsabilité et de respect mutuel, le moment où entre une Europe qui n'a pas le choix de tourner le dos à l'Afrique, et une Afrique qui ne colonisera pas l'Europe, la France peut être un intermédiaire essentiel.

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... du « Bienvieillir » l’exacerbe. Répétitive, lancinante, harcelante, elle tente de conjurer le mauvais ...Créé le 5 avril 20208. µµµµµ%%%..... Y'A QUE ..... l' " ENtre-combat EN DOUBLE pour LA vie... au ...
Créé le 12 novembre 2022
17. µµµµµ%%%%%% ...... La grande guerre sainte du sujet radical
(Articles accès Registered)
...  le respect des autres et de leurs droits est affirmé. Effet neurophysiologique primaire : montée d'adrénaline avec réponse positive au stimulus primaire de combat/voltige. Détermination Aspects anthropologique ...
Créé le 3 novembre 2022
18. µµµµµ%%%..... Dromocratie. la vitesse comme puissance
(Articles Publique)
... des communications par satellite, du temps de transmission des coordonnées de l’ennemi, de la mobilité des unités de combat et de la rapidité de la communication des ordres à l’exécutant. De toute évidence, ...
Créé le 3 novembre 2022
19. µµµµµ%%%%..... Wikipédia, attention les débats
(Articles Publique)
... numéro d’octobre de la Revue du crieur (éditions la Découverte-Mediapart), Sihame Assbague, figure clivante du combat contre les violences policières, dénonce le traitement réservé sur l’encyclopédie aux ...
Créé le 31 octobre 2022
20. µµµµµ%%%%.....Wikipédia, attention les débats
(Articles accès Registered)
... numéro d’octobre de la Revue du crieur (éditions la Découverte-Mediapart), Sihame Assbague, figure clivante du combat contre les violences policières, dénonce le traitement réservé sur l’encyclopédie aux ...
Créé le 31 octobre 2022
21. µµµµµ%%%%.....
(Articles accès Registered)
... numéro d’octobre de la Revue du crieur (éditions la Découverte-Mediapart), Sihame Assbague, figure clivante du combat contre les violences policières, dénonce le traitement réservé sur l’encyclopédie aux ...
Créé le 31 octobre 2022
22. MEs livres
(Articles Publique)
...    AU Michel Houellebecq Anéantir ess   AU Michel Houellebecq La Possibilite D'une Ile     AU Michel Houellebecq Poésie : Rester vivant ; Le sens du combat ; La poursuite ...
Créé le 29 octobre 2022
23. µµµµµ%%%%..... «La franc-maçonnerie vise à accoucher les esprits, elle pose les questions sans donner les réponses.» ....Eddy Mottaz/Le Temps
(Articles Publique)
... proie à de violents combats. Parti avec les troupes sanitaires, où il est instructeur, il effectue un rapport pour l’ONU. Lire encore: Un soir par semaine pour construire le temple idéal En 2002, après ...
Créé le 25 octobre 2022
24. µµµµµ14.10.22.....La guerre d’indépendance algérienne, sujet sensible à l’école de part et d’autre
(Articles Publique)
... de l’immigration algérienne, descendants de harkis ou de combattants du FLN. Mais aussi ceux dont les grands-parents ont été appelés pour combattre du côté de l’armée française. «Pour certains élèves, ...
Créé le 14 octobre 2022
25. µµµµµ*03.10.22 .....« The Woman King » : « Cet héroïsme féminin noir a bien existé dans l’histoire africaine »
(Articles Publique)
... à nos abonnés Au Bénin, Françoise N’Thépé construit un écrin pour les Amazones et les rois du Dahomey Les archives britanniques comptent d’importants témoignages d’époque sur la férocité des combats ...
Créé le 3 octobre 2022
26. µµµµµµ...Et alors ..... EN MêMe tENps .....mon ENtre-revue-de-PRESSE .......
(Articles Publique)
...  à leur rencontre car je voudrais savoir pourquoi je ne suis pas comme eux . » Les chemins de la mort Philippe Tesson, un combat au quotidien Les meilleures citations de Philippe Tesson 30.01.2 ...
Créé le 12 septembre 2022
27. µµµµµ***03.10.22 ..... de l'ART de VIVRE ....
(Articles Publique)
... considérer autrement que comme des créatures constamment débordées par leur désir sexuel. Le combat des femmes contre le plafond de verre aura des conséquences sur les représentations. Comment pensez-vous ...
Créé le 7 septembre 2022
28. COMPOSANTES de mes "PERSPECTIVEs int/extérieur de mon Âme " ..... ENracinement .....de mon JOURN'ANALYTIQUE ...... ...
(Articles Publique)
... scrupule explique au provincial ambitieux qu’est Rastignac comment faire promptement fortune. Il ne sert à rien de travailler, glisse-t-il d’emblée au jeune étudiant en droit : au terme d’un combat épuisant ...
Créé le 13 août 2022
29. µµµµµ%%%%..... COMPOSANTEs de "mon ENtre-DEUX-agité.fr".....fondements à MON JOURn'ANALYTIQ
(Articles Publique)
... 2015 avait choqué, renvoyant les manifestants à une forme d’automatisme de classe bourgeoise, voire d’islamophobie. Cette fois-ci, celui qui aime jouer les Cassandre – «je n’ai que des combats perdus», ...
Créé le 9 août 2022
30. >>>>> 09.07.22 ..... « En l’an 70, la start-up Jésus aurait pu disparaître »
(Articles accès Registered)
... contre les Grecs (175 à 140 avant notre ère). A cette époque, il s’agissait de comprendre comment quelqu’un qui respecte les lois de Dieu peut perdre le combat et mourir. L’idée d’une vie éternelle, d’une ...
Créé le 9 juillet 2022
31. >>>>>03.07.22*** ..... Mali : les Touaregs s'unissent contre le terrorism
(Articles Publique)
... mettre un terme à des décennies de rébellions par la mise en œuvre d'un ambitieux programme de régionalisation, de développement du nord et d'intégration des combattants dans l'armée régulière.    ...
Créé le 3 juillet 2022
32. µµµµµ%%%%......SANTEs "de ma petite / forte voix intérieure".....de MON JOURN'ANALYTIQ
(Articles Publique)
... t des combats spirituels»  https://www.lefigaro.fr/actualite-france/le-pape-francois-met-au-ban-la-messe-en-latin-20220629 https://www.liberation.fr/societe/familles/changement-de-nom-une-remise-en-question-dun-modele-patriarcal-de-la-famille-20220630_PCDFX4Z4BZGVZA4SDCHZORTM2 ...
Créé le 30 juin 2022
33. >>>>> 16.05.22***..... Régis Debray-Sylvain Tesson: «Faut-il changer le monde ou le contempler?»
(Articles Publique)
... Frantz Fanon en combattant l’impérialisme. Sylvain TESSON. - En quelque sorte, vous me demandez si je suis déjà un vieux con. La question de la génération et de l’époque n’est peut-être pas essentielle. ...
Créé le 16 mai 2022
34. >>>>> 13.05.22 ..... Henri Guaino: «Nous marchons vers la guerre comme des somnambules»
(Articles Publique)
... toujours par emporter malgré eux les combattants comme les dirigeants. Ni Churchill, ni Roosevelt, n’avaient pensé qu’un jour ils ordonneraient de bombarder massivement les villes allemandes pour casser ...
Créé le 13 mai 2022
35. >>>> > 02.05.22 ..... L'OTAN et la manipulation politique de la jeunesse occidental
(Articles Publique)
...  Deux mois après le début de l'opération spéciale de la Russie en Ukraine, nous commençons à voir de quoi il retourne vraiment. Le combat sous-jacent concerne en réalité l'OTAN contre la Russie, un différend ...
Créé le 2 mai 2022
36. >>>>>>>>>>>> 26.04.2022.......« Le slavophile que je suis est malheureux » par Sylvain Tesson
(Articles accès Registered)
... russisant sans être poutinophile. Je m’étonne de voir qu’il y a des amalgames qu’il ne faut pas amalgamer au combat contre l’amalgame. La conduite du monde par impulsion cybernétique marche à très haute ...
Créé le 27 avril 2022
37. µµµµµ%%%% ..... Le couple et l'amour : sommes-nous trop exigeants
(Articles Publique)
...    ou     .. pour réussir SA vie..* ...Créé le 3 avril 202035. ... Y'A QUE ..... l' " ENtre-combat" pour LA vie... au jour-LE-JOUR ....... en DOUBLE ... (Articles Publique) ...  homOcoques.fr Et alors? .. ...
Créé le 1 janvier 2021
38. Michel Onfray: «Sortir de la déploration, de la logique de la haine de soi»
(Articles accès Registered)
... de trésorerie de son affaire avec un banquier. Le concept est darwinien, les moins adaptés jartent, les gagnants du combat de la lutte pour l’existence et du triomphe des plus adaptés à la jungle deviennent ...
Créé le 27 décembre 2020
39. FRIGO PageS d'accuei
(Articles accès Registered)
... autrement»           12.04   ...au nom de "paule&robert" veuf, notre-petit-alsacien-aux-racines-chrétiennes ... vois-là ... le "dévoilement-des-ENtre-CombatS" des "ENtre-DavidS contre les ...
Créé le 25 mai 2020
40. µµµµµ%%% ....Narcissisme et capitalisme ...Dans La société autophage par Anselm Jappe (2017) .....
(Articles accès Registered)
... qu’un autre marxiste lui donne une telle leçon de radicalisme, lui reprochant d’avoir fait exactement ce qu’il affirmait avoir toujours combattu : l’adaptation de la psychanalyse à un contexte répressif, ...
Créé le 7 mars 2020
41. µµµµµ*** .... Pourquoi les Français sont révolutionnaires ......
(Articles accès Registered)
... les camarades soviétiques pour leur manque de combativité face aux socialistes lors de la réunion de création du Kominform, Staline en personne recommanda la prudence à Duclos. L’ouvrage se clôt sur Mai ...
Créé le 24 février 2020
42. >>>>> 08.05.22 *** ..... l'HERMENEUTIQUE .... Paul RICOEUR .... "quête" via le "lire&comprendre" d'UN seul phénomène: "l'humain ...
(Articles Publique)
     Le combat entre sédentaires et nomades prend désormais une forme inédite et intense. Brexit, Trump: les sédentaires relèvent la tête. Sous le mépris et les insultes moralisatrices des nomades. ...
Créé le 23 février 2020
43. µµµµµ*** .... À ceux qui voient monter les périls de la guerre civile (à droite) ou de l’autocratie (à gauche), on objectera que le seul antidote connu est la libre conversation et la vive controverse ...
(Articles Publique)
... à tous. Toute demande de financement de programme ou de «missions» est un parcours du combattant aléatoire qui se paye en journées ou parfois en semaines de travail, avant que ne s’enclenchent de complexes ...
Créé le 23 janvier 2020
44. µµµµµ%%%%%% .... " éducation ouverte à la vie " ....
(Articles Publique)
... philosophique (Articles) ... collectivement trompés. » ·      « Je mènerai une lutte intraitable contre la haine envers les LGBTI. » ·      « Ce combat contre la haine envers les LGBTI aura pour fer de ...
Créé le 21 janvier 2020
45. µµµµµ* .... peu de gens me demandent si je vais bien. Mais ce que je traverse actuellement, MA VIE de jeune mariée et de mère d’un jeune enfant — c’est très réel et ça se joue dans les coulisses» ...MEGHAN ...
(Articles Publique)
... d’un jeune enfant — c’est très réel et ça se joue dans les coulisses», avait répondu la duchesse de Sussex. «Par conséquent, peut-on dire que c’est un combat?», avait alors demandé Bradby. «Oui», avait ...
Créé le 19 janvier 2020
46. µµµµµ*.... Villejuif : ce tweet d’Emmanuel Macron toujours plus déconnecté du réel…
(Articles Publique)
... Nous poursuivons avec détermination la lutte contre la violence aveugle et notre combat pour la sécurité de tous les Français.” C’est à se demander qui est le plus aveugle dans tout ça … Et nous allons ...
Créé le 5 janvier 2020
47. VVVVVVVVVVV " LE MONOcoq",... à ce qui est artificielle il faut des espaces " CLOS * ........
(Articles Publique)
... combat en faveur de l'égalité hommes-femmes se poursuit. Le gouvernement de centre-gauche a ainsi annoncé, le mercredi 5 février, que le congé paternité indemnisé durerait désormais sept mois - autant que ...
Créé le 21 décembre 2019
48. µµµµµ%%%%%..... je nous accuse de non assistance à l'espèce humaine en cours de destruction ... à l’accession du capital à sa domination réelle sur la société..... ...
(Articles Publique)
... royaumes combattants en Chine, les moments de la décomposition de la communauté féodale à la suite de la surpopulation provoquant des difficultés agraires qui sont à la base des peurs de l’an mille, des ...
Créé le 3 décembre 2019
49. µµµµµ* .... science et foi ... convergence ....UNi-cité ....
(Articles Publique)
... pour 2012 >>>>    traces du combat des dieux   ..   IMAGES ou Photos    ....toute proposition d'images sera bienvenue ...voici une sélection ...
Créé le 7 novembre 201

 

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EXCLUSIF - Dans un entretien au Figaro, l'auteur du récent livre Zéro de conduite, se livre personnellement et rappelle son rapport existentiel aux grands textes philosophiques ainsi qu'à la poésie. Confidences d'un athée social, moine agnostique, homme de gauche conservateur.

LE FIGARO. - Vous avez été victime d'un AVC au mois de janvier. Quels philosophes vous ont accompagné en ces temps d'inquiétude, de fragilité, de fatigue?

Michel ONFRAY. - Il n'y en a pas eu beaucoup et je suis naturellement revenu à Marc-Aurèle, qui m'accompagne depuis longtemps dans les moments de tempête de mon existence, de mon service militaire dans l'infanterie de marine au cancer et à la mort de ma compagne en passant par mes pépins de santé, un infarctus et deux AVC! Car, n'en déplaise à quelques danseurs de salon de la discipline, la philosophie aide à vivre. Sinon, elle ne mérite pas une heure de peine… J'ai donc relu et médité Marc-Aurèle et avec lui les philosophes stoïciens. Les romains, que j'aime depuis si longtemps… J'avais embarqué avec moi une biographie de Caton que j'étais en train de lire dans le train peu avant le collapsus, un personnage que j'aime beaucoup, mais la fatigue m'a empêché une lecture suivie. La forme fragmentaire de Marc-Aurèle convenait mieux. Mais il est vrai que, dans les premiers jours qui ont été de très grosse fatigue, je me suis même contenté d'écouter les yeux fermés un enregistrement des Pensées pour moi-même récupéré sur mon iPhone…

Vous avez frôlé la mort à deux reprises. En quoi cela influence-t-il votre art de vivre?

Je sais que je suis mortel depuis bien longtemps puisque, fils d'un père qui le fut tardivement, j'ai toujours craint cette mort d'un père aimé parce que son âge me donnait l'impression qu'il était plus proche du trépas que les parents de mes copains d'école qui étaient plus jeunes. Voilà pourquoi, sourions un peu, je témoigne de la fausseté du complexe d'Œdipe qui n'a rien d'universel: je n'ai jamais désiré la mort de mon père et encore moins coucher avec ma mère… Dès lors, quand Horace invite à cueillir dès aujourd'hui les roses de la vie parce qu'elle est brève, je sais depuis que j'ai une dizaine d'années qu'il dit vrai. Seule la conscience aiguë de la mort fonde le tragique d'un être qui lui et lui seul peut être hédoniste. Sans le tragique, l'hédonisme est une posture, une imposture. Il est l'avers d'une médaille dont le revers est la mort.

Vous avez publié dans Le Pointun remarquable récit à la Trappe. Avec ou sans la foi, le monachisme (silence, étude, délicatesse, travail manuel) est-il un des derniers refuges de civilisation?

Le monachisme est une lumière dans la tempête, une lueur dans les ténèbres, il est un signe qu'une âme veille, sereine, calme, en paix, tranquille et forte. Adolescent, la vie monacale m'intéressait, et je la souhaitais rude, celle des chartreux par exemple ou des bénédictins qui, eux, laissent une place à l'érudition, mais il me manquait pour cela l'essentiel qui est… la foi - ou la grâce, c'est comme vous voudrez… Mais ma vie depuis quatre décennies est tout entière consacrée à une quête spirituelle qui a exigé un renoncement à ce qui fait beaucoup de la vie dans le monde: le mariage, la paternité, les mondanités, et, disons-le dans un mot qui exigerait de longs développements, les futilités. J'ai renoncé à tout cela avec facilité… Je ne suis pas bien éloigné que ça de mon idéal de jeunesse: une vie tout entière consacrée à obtenir la juste articulation entre la pensée et l'action, la méditation et la pratique, les livres et la vie, la lecture et le quotidien. Est-ce un des derniers refuges de la civilisation? Je ne sais… Du moins c'est l'un des derniers refuges de ce qui fit notre civilisation.

«L'écriture et la lecture… sont constitutives de mon être. Je vis pour écrire ; j'écris pour vivre ; et il me faut lire pour écrire, donc pour vivre.»

Michel Onfray

Cours, publications régulières, interventions médiatiques... votre emploi du temps est impressionnant. Ne craignez-vous pas que vos lecteurs même les plus captifs aient du mal à suivre votre rythme?

Oui, j'en ai bien conscience. J'ai bien conscience aussi que je mets mes éditeurs à la torture… Mais je n'écris pas pour les lecteurs… Si d'aventure, faisons un peu de casuistique, je ne devais plus jamais publier quoi que ce soit à cause d'une cabale des éditeurs, j'écrirais tout de même. L'écriture me permet de mettre de l'ordre dans mes pensées. C'est une diététique existentielle et non une performance culturelle doublée d'une logique marchande… Tout chez moi va, part, revient, converge vers un livre. Je vais fêter mon centième livre en fin d'année, mais je sais que, s'il le fallait, je n'en sauverais sans état d'âme que trois ou quatre, qui sont d'ailleurs des recueils de poésie publiés chez Michel Delorme aux Éditions Galilée - un éditeur rare et précieux…

«Il me semble que si cet AVC m'avait rendu aveugle (et c'est passé pas bien loin de la zone en question…), je me serais jeté du haut de mon cinquième étage sans état d'âme côté cour pour éviter d'entraîner un passant dans ma mort côté rue… Ne plus pouvoir ni lire ni écrire, ça aurait été pour moi ne plus pouvoir vivre.»

Michel Onfray

On vous connaît combatif mais moins contemplatif, pourtant de Cosmos en recueil de poèmes, vous ne perdez rien de la beauté du monde. Avez-vous parfois la tentation de la cabane comme votre cher Thoreau?

J'ai cette tentation depuis très longtemps… Je crois aux idées que je défends et c'est ce qui justifie chez moi une activité que je dirais militante depuis des années et dont vous venez de souligner à juste titre le caractère frénétique: je ne souhaite pas laisser le monopole d'une vision du monde faire la loi contre les gens les plus modestes à l'ère des médias de masse qui endoctrinent à tout-va et des réseaux sociaux qui disent n'importe quoi… Je crois au beau projet de Condorcet qui proposait de «rendre la raison populaire», qui plus est dans une époque folle qui aime tellement rendre la déraison populaire… C'est, à mes yeux, ce qui justifie l'activité philosophique: porter la raison sur les lieux même de la déraison.

Mais j'ai beaucoup donné pour réaliser ce projet depuis des années et, l'expérience aidant, je ne sais que trop qu'il faut toujours payer un jour le bien qu'on fait, parce que le don crée un appel de contre-don chez qui ne sait pas recevoir. Dès lors, ce contre-don devient une dette dont beaucoup croient pouvoir s'acquitter par la méchanceté qui fomente les ruptures avec lesquelles il devient facile de mettre formellement fin à la dette…

L'AVC a été l'occasion pour moi de compter les gens qui m'ont accompagné dans ce moment qui m'a fait longer dangereusement le gouffre pendant quelques jours - une escapade qui a d'ailleurs laissé des traces neuronales dont d'anciens amis ne se sont pas souciés depuis, alors que de récents ennemis retrouvaient mes coordonnées afin de s'offrir ces plaisirs de bord de tombe qui désignent à coup sûr certains détraqués… Pour compter ceux qui auront été là, vraiment, on peut alors disposer d'une seule main qui peut même être mutilée… Un double remerciement au passage, si vous me permettez ce message personnel, pour un texto reçu de Pascal Bruckner sur mon lit d'hôpital, et un autre que je n'oublierai jamais, pour son émouvant contenu, de Régis Debray

Fort de ces nouveaux progrès dans la sagesse, celle des moralistes français que j'aime tant, je suis en train de réaliser concrètement ces jours-ci le projet ancien d'une cabane qui aurait tout de la cellule monacale - mais avec vue sur une mer chaude, au pied d'un volcan…

Que trouvez-vous dans l'écriture: une fièvre, un apaisement, une consolation?

Tout cela… Un plaisir sans nom, une jubilation à nulle autre pareille, un hédonisme sans les déceptions qui l'accompagnent si souvent, un sentiment de plénitude, une occasion de sculpture de soi, une ascèse intellectuelle, ontologique, existentielle s'il me faut sortir les gros mots… L'écriture et la lecture… sont constitutives de mon être. Je vis pour écrire ; j'écris pour vivre ; et il me faut lire pour écrire, donc pour vivre.

Il me semble que si cet AVC m'avait rendu aveugle (et c'est passé pas bien loin de la zone en question…), je me serais jeté du haut de mon cinquième étage sans état d'âme - côté cour pour éviter d'entraîner un passant dans ma mort côté rue… Ne plus pouvoir ni lire ni écrire, ça aurait été pour moi ne plus pouvoir vivre. Il faudra à mes ennemis patienter encore un peu pour qu'ils obtiennent que je me taise totalement…

«Je suis pour qu'on lise Céline et Aragon, Brasillach et Éluard, Maurras et Lénine, Alain et… Sartre ou Beauvoir ! Il nous faut des historiens, pas des épurateurs»

Michel Onfray

Votre essai sur Alain en témoigne, tout comme les polémiques Maurras ou Céline: les zones d'ombre d'écrivains ou de penseurs (Alain dans son journal montre des sympathies hitlériennes et antisémites) épargnent très peu d'entre eux. Comment trouver le point d'équilibre entre l'inventaire biographique légitime, le tri des textes tout aussi légitime et la tentation d'une forme de puritanisme littéraire?

J'avais donné une conférence sur Alain, il y a un quart de siècle maintenant, aux Amis d'Alain à Mortagne dans l'Orne. J'avais utilisé pour ce faire des extraits de son Journal inédit cités dans la biographie qu'André Sernin venait de faire paraître: Alain. Un sage dans la cité. On y lisait des choses terribles, notamment qu'Alain préférait une paix obtenue par une hitlérisation de l'Europe à une guerre antinazie conduite par le général de Gaulle! Les thuriféraires d'Alain m'ont longtemps reproché d'avoir extrait des phrases, de les avoir sorties de leur contexte et d'avoir sali leur héros. Je n'attendais que l'occasion d'une publication de ce Journal alors invisible pour juger du contexte et, s'il y avait lieu, pour rectifier le tir et dire que je m'étais trompé. J'ai beaucoup parlé de ce Journal inédit à des éditeurs avant que l'un d'entre eux ne se décide à le publier. Il m'a proposé une préface, j'ai lu les sept cents pages avec consternation: c'était bien pire que ce que les extraits nous apprenaient. J'ai fait cette préface que l'éditeur a refusée… C'est donc devenu un livre à part entière.

Pour autant, je ne suis pas des néo-épurateurs qui se font une virginité à peu de frais en invitant à de nouveaux bûchers - qui supposent en passant qu'on débaptise des rues: je serai le premier à me battre pour que la rue Alain de Paris reste une rue Alain, idem avec une rue Aragon ou Éluard, eux aussi coupables de complaisances avec le nazisme - je vous rappelle le pacte germano-soviétique… Je suis pour qu'on lise Céline et Aragon, Brasillach et Éluard, Maurras et Lénine, Alain et… Sartre ou Beauvoir! Il nous faut des historiens, pas des épurateurs - même si je n'ignore pas qu'il existe aussi des historiens épurateurs, qui tiennent d'ailleurs le haut du pavé institutionnel… Des contextualisations (de Céline et d'Aragon, d'Alain et de Maurras, etc.) et non des essentialisations (le Collaborateur, l'Antisémite, le Bolchevique, le Pacifiste, etc.). Le néopuritanisme qui sévit actuellement n'aspire qu'à brûler des bibliothèques afin de ne plus autoriser que la lecture de tracts rédigés dans le volapuk de l'écriture inclusive, du genre: Martin.e chez les étudiant.e.s.

» LIRE AUSSI - Michel Onfray: «Alain et Céline ont fait les mêmes erreurs»

Votre dernier livre, Zéro de conduite, décrit le «nouveau monde» comme un monde où la politique serait évacuée. Selon vous, il s'agit d'un théâtre. Est-il pour vous fastidieux ou divertissant?

Tragique… Désespérément tragique… Fin de règne et triomphe du nihilisme. Lors de la libération de Tolbiac, j'ai pu lire (en regardant un journal télévisé) l'un des slogans qui avait été tagué sur toute la longueur d'un amphi: «Le nihilisme plutôt que le capitalisme!» Quand le nihilisme est revendiqué comme bel et bon, nous atteignons son acmé. Or, après le nihilisme, ça n'est plus rien, c'est moins que rien - ce qui, convenons-en, est peu au regard de ce que fut notre civilisation…

 

CORRELATs

 

Le déclin de l'intelligence et l'appauvrissement du langage

 

...... qu’est-ce qui peut nous pousser à aller contre nos intérêts de privilégiés ? ....Le deuxième tome de «Révolution», BD historique à succès, courant de 1789 à 1795, vient de paraître.

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On croit aujourd’hui mon pays divisé contre lui-même. Il ne l’est qu’à l’égard des mystiques qu’on prétend lui imposer du dehors et qui répugnent à sa tradition et à son génie, mais qu’il s’efforce, malgré cela, d’assimiler, ou du moins de rendre intelligibles, parce que sa vocation est de tout comprendre, de tout risquer pour comprendre. Notre honneur, et aussi notre malheur, est que nous restons sincères parmi les menteurs, humbles parmi les orgueilleux, raisonnables parmi les fous.

On nous accuse de douter de nous. Mais il faut plaindre davantage les peuples qui, pour croire en eux-mêmes, ont besoin de s’exciter jusqu’à la frénésie, qui ne se trouvent qu’à la limite du délire collectif et qui redeviendront des esclaves dès qu’ils cesseront de se proclamer des dieux au roulement de cent mille tambours. […]

« En avant ! en avant ! Une humiliation ne se répare pas, elle se venge. »

Je souhaite que la France ne perde pas trop de temps à combler cette espèce d’orifice ouvert dans son histoire et d’où monte une odeur sinistre. Qu’elle jette une planche dessus et qu’elle passe outre. En avant ! en avant ! Une humiliation ne se répare pas, elle se venge.

Il est facile de trouver des excuses à notre défaillance, nous préférons mille fois qu’on ne lui en cherche aucune, nous refusons de plaider pour la déroute. C’est la propagande ennemie qui commence à se charger de ce soin, inspire çà et là de timides réserves contre un jugement trop hâtif, trop dur, nous invite sournoisement à rejeter sur un petit nombre d’hommes le poids du désastre de la nation, comme si la France n’était pas assez grande pour l’assumer. Je dis la France, la France de quarante rois, de deux empires, de trois révolutions, la France de la Marne et de Verdun. Prennent-ils donc la plus vieille chrétienté d’Europe pour un enfant mineur, victime de mauvaises fréquentations, et en faveur duquel l’avocat plaide l’irresponsabilité ?

Il est honteux de voir de jeunes Français bien intentionnés je suppose, mais sans doute justement inquiets pour leur génération du jugement de l’histoire, lier leur cause à celle du pays. « En faisant douter de nous, disent-ils, vous allez faire douter de la France. » Et ils s’efforcent de dresser un bilan favorable des efforts d’avant-guerre, de ces diverses « Renaissances » — littéraires, sportives, morales, religieuses — dont ils avaient si soigneusement jadis établi les plans sur le papier. Ils versent ces pièces précieuses au dossier. Hé bien la France ne veut pas de dossier ! Il ne saurait être question pour elle de s’en remettre à son banquier, à son avocat, ou même à son confesseur, dans une affaire où son honneur est engagé.

Quelle que soit, en effet, l’opinion qu’on ait sur l’armistice, un fait est certain, indiscutable : nos armées ont été dispersées, Paris rendu, notre territoire conquis de la Meuse aux Pyrénées en un peu plus de vingt jours. Le caractère foudroyant d’une telle catastrophe a quelque chose de suspect. La France ne peut supporter d’être soupçonnée d’une sorte de faillite frauduleuse, ce soupçon fût-il injuste. C’est ce que comprendront sans peine mes plus déterminés contradicteurs, et parmi eux mon distingué confrère, M. le Directeur du Meio-Dia (l), car, si loin que nous entraîne parfois le démon de la polémique, ce proverbe de mon pays est toujours vrai qu’entre honnêtes gens, n’est-ce pas ? On finit toujours par s’entendre.

Bref, au risque de renier ce qu’elle doit, la France préfère celui de payer ce qu’elle ne doit pas. Des deux hypothèses qui se proposent à sa conscience, elle admet la pire, elle signe au monde un chèque en blanc. Après tout, elle devait à ce monde une victoire, elle lui a donné une défaite, elle n’en discutera pas les causes. Une nation de son rang ne supporte pas de décevoir, fût-ce le plus humble de ceux qui ont cru en elle — et celui-là moins qu’un autre. Il se peut que notre défaite soit honorable, il se peut que notre honneur soit sauf, mais ce n’est pas assez qu’il se puisse, il faudrait que ce fût évident, que cette évidence s’imposât du premier coup à tout homme de bonne foi. Dans le doute, la France préfère répondre de la déroute, et nous avec elle.

Car enfin, la défaite, c’est nous. Jeune ou vieux, tout Français aujourd’hui vivant doit accepter sa part de honte. Les anciens services rendus, les sacrifices consentis, les maux soufferts, ne comptent plus. Que les jeunes Français acceptent de jeter dans la fosse sans gloire leurs « Renaissances » ratées, leurs ambitions déçues, leurs bonnes intentions, d’autrefois, inutilisables maintenant, nous y jetons bien, nous les vieux, nos vies usées, nos pauvres lauriers de l’avant-dernière guerre. La France choisira plus tard, beaucoup plus tard, entre ces reliques poussiéreuses, ce qui lui paraîtra pouvoir encore servir. Aujourd’hui nous ne pouvons rien, nous nous reconnaissons insolvables, voilà tout. Il faut que notre pays réponde, pour ses fils prodigues. La France avait tiré une traite sur nous, et sous prétexte que nous avons laissé passer l’échéance, elle ne laissera pas protester sa signature. Elle ne regarde même pas le tas de papier qui s’accumule à ses pieds depuis trois mois, elle dédaigne d’en vérifier le compte, elle regarde le monde en face — amis ou ennemis — et elle dit simplement : « Je paierai tout ! »

« Je reste debout non par orgueil, comme ils vont faire semblant de le croire, non pour les défier eux-mêmes, mais parce que je ne puis parler que debout, c’est une position qui m’est naturelle, et d’ailleurs je ne parle qu’aux hommes debout ! »

Les jeunes réalistes peuvent bien croire que ce que j’écris ici, c’est de la littérature. Leur jugement m’importait peu hier, il m’importe encore moins aujourd’hui. La France dont je parle n’est pas un mythe, une image poétique, elle existe réellement. C’est même la seule qui compte, car c’est celle qu’on aime, l’amour la fait vivante, mille fois plus réelle et plus vivante que celle qui négocie, épargne, spécule, fabrique. Toutes ces Frances-là ne seraient rien sans elle, car c’est à elle qu’on croit. Pour me mettre à la portée des jeunes réalistes, je dirai que notre crédit lui-même, en dernière analyse, se fonde moins sur l’or de nos coffres que sur le juste renom de l’honneur français. […]

Les ennemis de mon pays m’accusent probablement d’orgueil, et je n’ai jamais été moins orgueilleux qu’aujourd’hui, j’ai ressenti jusqu’aux moelles l’humiliation de mon pays et, doutant parfois de lui — non de son passé, certes ! mais de son avenir —, je ne suis que trop tenté de désespérer de moi-même, de mes livres, de tout ce que j’ai fait. Je reste debout non par orgueil, comme ils vont faire semblant de le croire, non pour les défier eux-mêmes — car je ne les méprise nullement, et peut-être nous aimerions-nous si nous nous connaissions mieux —, mais parce que je ne puis parler que debout, c’est une position qui m’est naturelle, et d’ailleurs je ne parle qu’aux hommes debout ! Oui, le geste naturel de ma race devant Dieu, c’est de se lever, de se mettre debout, d’attendre ainsi ses ordres, ce n’est pas de se coucher par terre, en frappant le sol du front, comme on fait ailleurs.

Un chrétien français ne devrait se coucher que pour mourir.

Nous n’ignorons pas, et je n’ignore moins que personne, quelle faute nous venons de commettre, quelle déception nous avons donnée. Notre seule manière d’en demander pardon est de nous lever pour les réparer. Nous les réparerons à notre manière, nous les réparerons « à la française ». Nous sommes la chrétienté de France. Nous ne dédaignons pas les autres chrétientés. Nous savons qu’elles ont chacune leur vocation particulière, et que toutes ces vocations particulières retourneront un jour à leur source, qui est la Sainte Charité de Jésus-Christ. Mais sous prétexte de repentir ou d’humilité, nous n’inclinerons pas devant d’autres traditions historiquement moins glorieuses et moins pures que la nôtre, la tradition des aïeux. […]

Il est si facile d’avoir raison contre la France ! On pourrait presque écrire que notre histoire est l’histoire de nos fautes, ou du moins elle parait telle au regard des hommes graves, des hommes sérieux, et en général de toute espèce d’animaux à sang froid. Les hommes graves voient les fautes, en calculent les conséquences, mais ils ne vivent jamais assez longtemps pour reconnaître qu’ils se sont trompés dans leurs calculs, que les mêmes erreurs qui eussent consommé leur ruine n’ont ralenti qu’un moment l’élan de notre peuple, ou plutôt ne l’ont ralenti qu’en apparence, car le rythme de la vie française n’est pas celui de leur propre vie.

Un homme même grave, même conservé par l’ennui, ne dure pas beaucoup plus d’un demi-siècle, et dix siècles, pour une nation, ce n’est rien. D’ailleurs, on n’a jamais vu une nation mourir de vieillesse ou de maladie, les nations sont moins fragiles que les races, parce qu’elles sont riches d’hérédités diverses, parfois contradictoires, elles ont plus de nerfs que de muscles, au lieu que les races réservent aux historiens les mêmes déceptions que les colosses aux médecins.

« Croyez-vous qu’un pauvre bonhomme, en vingt ans d’expériences de bibliothèques […], puisse comprendre quelque chose au destin d’une nation qui a un millénaire derrière elle, et plusieurs millénaires par-devant, pour qui les siècles sont des jours ? »

Les mêmes femmes qui bien portantes font la fortune des pharmaciens triomphent d’affections aiguës dont la moindre mènerait au cimetière un champion. Je sais bien que ce que je vais dire ne me vaudra pas l’estime des lecteurs qui ont soif de vérités surprenantes, paradoxales, mais, sincèrement, croyez-vous qu’un pauvre bonhomme, en vingt ans d’expériences de bibliothèques — sans parler du temps qu’il donne à ses petites affaires, au bridge, à l’Académie, à d’autres soins plus frivoles encore —, puisse comprendre quelque chose au destin d’une nation qui a un millénaire derrière elle, et plusieurs millénaires par-devant, pour qui les siècles sont des jours ?

Oh ! sans doute, ils passent pour s’instruire les uns les autres, d’âge en âge, on dit qu’ils se transmettent le flambeau. Il faut donc que ce flambeau n’éclaire jamais le même pan d’ombre, car ces Messieurs ne s’accordent pas du tout entre eux sur ce qu’ils voient, sur ce qu’ils ont vu. C’est peut-être qu’ils ne regardent vraiment qu’eux-mêmes. Ils attendent de l’histoire de France qu’elle les justifie d’être ce qu’ils sont, de penser ce qu’ils pensent. Ils voudraient que cette histoire fût aussi sérieuse, aussi ennuyeuse que la leur, on les étonnerait bien en leur disant qu’elle ressemble beaucoup plus à la vie d’une femme passionnée qu’à l’honorable et studieuse carrière d’un membre de l’Institut. Les événements ne leur apprennent rien, parce qu’ils s’efforcent de les relier entre eux par la même logique arbitraire qui gouverne leur destin, ils refusent de croire à ces réactions spontanées, imprévisibles, foudroyantes, qui font tout le mystère des grandes âmes et des grands peuples.

L’histoire est un perpétuel recommencement, disent-ils. Quelle erreur ! C’est eux qui recommencent toujours, c’est eux qui ne changent jamais. On voit ainsi, dans mon doux pays de Provence, les vieux « retraités », chauffant leurs rhumatismes au soleil, assis gravement côte à côte sur les bancs de la petite place. Ils regardent jouer les enfants, mais ils ne comprennent plus rien à leurs jeux. Ils regardent passer les amants, mais ils ne comprennent plus rien à l’amour. Parce qu’ils ne comprennent plus rien au jeu ni à l’amour, ils se croient sages, ils remâchent amèrement leur sagesse, haussent les épaules, branlent la tête, jusqu’au jour où leur place est vide, aussitôt remplie par un autre vieux qui leur ressemble comme un frère, qui reprendra la même vaine méditation au point où l’autre l’aura laissée, avant d’aller bientôt le rejoindre au cimetière.

« Je me suis toujours efforcé de comprendre la France, parce qu’elle m’est toujours apparue depuis l’enfance ainsi qu’un être vivant, vraiment vivant, c’est-à-dire capable d’aimer. »

Je ne souhaitais pas seulement de l’aimer, comme si mon amour était un don précieux, volontaire, qu’elle dût accepter avec gratitude. Je désirais de tout mon cœur (hcqs ... du plus profond de mon coeur..) qu’elle m’aimât, qu’elle me comprît, qu’elle me reconnût pour l’un des siens, que son regard se posât sur moi, ne fût-ce qu’un moment, qu’elle se révélât le temps d’un éclair, une fois, une seule fois, comme le bon Dieu daigne se révéler aux saints.

Et pour voir se réaliser ce souhait magnifique, je ne comptais nullement sur la chance d’une carrière heureuse, ou glorieuse, qui m’imposât un jour à son attention, car je savais déjà, je sais encore aujourd’hui, que la grandeur et les honneurs sont peu de chose à ses yeux, que nous ne devons rien attendre que de son royal bon plaisir, de son libre et gracieux choix. Je me suis toujours efforcé de comprendre la France, mais à présent il me faut la comprendre coûte que coûte, je ne puis plus me passer de la comprendre, rien ne m’importe plus que de la comprendre. Jamais je ne l’ai sentie si loin de moi, et c’est peut-être qu’elle n’a jamais été plus proche, qu’elle m’impose la suprême épreuve non de souffrir pour elle, comme il y a vingt ans, mais de souffrir par elle, de ne plus reconnaître son visage humilié.

Notre peuple a été vaincu, il est aujourd’hui tenté. On ne doit traiter à la légère ni la tentation, ni le tentateur. Nous n’ignorons rien des fautes du passé, ni des arguments qu’elles peuvent fournir aux agents de l’ennemi. L’ennemi fait beaucoup de promesses, et peut-être en tiendra-t-il quelques-unes, peut-être ne refusera-t-il pas quelques menues faveurs à sa belle proie pourvu que, se prosternant, elle l’adore. Le Maître nous tend sa main à baiser, « Baisez-la, qu’importe » murmurent les entremetteurs et les casuistes, les intellectuels pourris, les vieillards macérés dans l’impuissance et la rancune comme un cadavre dans les aromates.

Ainsi parlaient-ils déjà, voilà bien des siècles, à l’oreille de Jeanne d’Arc. Elle était seule devant eux, les mains nues. Et ils avaient tout. Ils avaient la force, la science, le prestige du ministère sacré. Ils argumentaient au nom du bon sens, de la raison, de la foi catholique, de Dieu même. La seule chose qu’ils ne pouvaient faire, c’était de parler au nom de l’honneur. L’honneur de la France était dans ces mains nues, innocentes. Hé bien ! il y est encore aujourd’hui. Les frêles doigts, les doigts enfantins que toute la force de la puissante Angleterre des Plantagenêts n’a pu réussir à desserrer, ne s’ouvriront pas aujourd’hui entre les mains d’un rustre allemand. […]

« Il est consternant d’observer que des écrivains illustres, de renommée universelle, et dont le caractère est certainement égal au talent, se sont laissé gagner par la contagion, cédant ainsi au désir de toucher, de séduire, de secouer les nerfs du public. »

Pour être tout à fait sincère, il ne suffit pas, comme le pensent tant de bienheureux et de bienheureuses formés par les casuistes, de s’abstenir de mentir. Il est nécessaire de s’avancer avec toute la part de vérité dont on dispose, part qui, si modeste soit-elle, est presque toujours beaucoup plus précieuse qu’on ne le pense soi-même : car il nous est difficile de jauger d’emblée la valeur de ce qui nous a coûté tant d’efforts et que nous avons dû attendre si longtemps, au-dedans de nous-mêmes. C’est pourquoi, chaque fois que je vous parle de mon pays, je reste consterné en faisant le compte du petit nombre de choses que j’ai à vous dire, une fois que j’ai achevé la tâche d’écarter toutes celles qui ne me paraissent pas nécessaires.

Il serait évidemment plus avantageux pour moi de ne pas me montrer aussi sévère dans ce choix, et cela flatterait la vanité d’un certain nombre de lecteurs, qui probablement ne se sont jamais donné la peine de comprendre la France, mais se donnent beaucoup de mal pour garder l’illusion qu’ils l’ont comprise ; il accueillent évidemment les recettes fournies par des intellectuels dont le rôle se ramène à transporter de livre en livre et de capitale en capitale quelques idées sommaires et brillantes, faciles à placer, comme ils transporteraient des échantillons dans une valise. Tous les pays possèdent de tels parasites, mais, conformément au proverbe « corruptio optimi pessima », les exemplaires les plus ridicules de cette espèce sont fournis par quelques artistes et écrivains français, devenus fournisseurs attitrés de pacotille destinée à l’exportation.

Je ne prétends aucunement que de tels individus soient des imbéciles, bien au contraire. Ils seraient très capables d’exercer une autre profession, mais ils ont choisi celle-là comme étant mieux accordée à leur nature, comme s’ils étaient venus au monde pour ce genre de succès. Ils connaissent admirablement les points faibles du public et s’entendent à lui épargner tout effort de discernement, à substituer à l’idée vraie une banalité prétentieuse, au sentiment sincère le jeu sentimental. Il est consternant d’observer que des écrivains illustres, de renommée universelle, et dont le caractère est certainement égal au talent, se sont laissé gagner par la contagion, cédant ainsi au désir de toucher, de séduire, de secouer les nerfs du public. […]

L’effort désintéressé d’un homme pour comprendre la France est un acte qui va bien au delà de la simple littérature et qui a, à mes yeux, un caractère sacré, presque religieux. Si humble que soit cet homme, si étranger que je le suppose à notre race, et sa peau fût-elle de couleur très foncée, je ne puis tolérer qu’il soit mystifié par des intrigants et des pédants, ou que la noble passion qui l’anime tourne à ce conformisme dont justement l’esprit français a horreur, étant donné que sa mission est de le briser sans cesse, à mesure qu’il se reforme, comme un bateau brise-glaces passe et repasse à travers les banquises, afin d’ouvrir une voie libre à la mer.

« Si vous aimez la France et son esprit, n’en attendez pas la définition, car cette définition n’existe pas. »

Chers amis, cette fois encore, l’idée que je vous offre est très simple : pourtant je ne la traiterai pas à la légère, car elle est de celles qu’un Français préfère à toutes les autres, parce qu’elles mettent d’accord l’intelligence et le cœur. Il n’y a qu’un moyen de servir réellement la France, c’est de l’aimer. Et il n’y a qu’un moyen de l’aimer, c’est de la comprendre, je veux dire de chercher à la comprendre, car c’est en vertu de cette volonté et de l’effort qu’elle exige que vous vous trouverez associés à son aventure millénaire, à l’immense déroulement de son histoire, l’histoire d’un peuple dont le génie tendre, lucide et douloureux est le génie de la sympathie.

Si vous aimez la France et son esprit, n’en attendez pas la définition, car cette définition n’existe pas. Mon pays est plein de contradictions, comme n’importe quelle créature humaine, comme la vie elle-même ; la raison seule ne saurait résoudre ces contradictions, il y faut absolument la clairvoyance de l’amour, que le christianisme a divinisée sous le nom de charité. On parle beaucoup de son génie équilibré ; on pourrait bien mieux parler de sa flamme, de la ferveur sacrée qui la jette sans cesse d’expérience en expérience, de risque en risque.

Cette contradiction, comme les autres, est à peine apparente, car l’équilibre est une condition du mouvement, et si le danseur de corde voltige à cinquante mètres au-dessus du sol comme un oiseau ou comme une flamme, c’est qu’il a le sens de l’équilibre dont il paraît défier les lois. Oh ! je sais très bien que beaucoup d’entre vous, en lisant ces phrases, me feront peut-être l’honneur de les trouver harmonieuses, émouvantes, poétiques, mais l’instant d’après les oublieront. Ah! il n’y a qu’un moyen d’aimer et de comprendre la France, mais de même, pour elle, il n’y a qu’un moyen de se faire aimer et comprendre, c’est d’agir, de s’élancer en avant, de montrer la voie.

Il suffit qu’elle s’arrête, ou simplement qu’elle ralentisse son ardent élan historique, pour que les parasites intellectuels qui foisonnent partout sur le monde comme les poux dans la fourrure d’un animal malade, se jettent sur elle comme sur leur proie. Ils sophistiquent sa pensée, à l’imitation des Pharisiens qui sophistiquent l’Évangile, et ils mettent la pensée française hors de la portée des esprits droits et des cœurs simples pour lesquels Dieu l’a faite.

Lorsque j’affirme que la France est révoltée par l’imposture, qu’elle a pour l’imposture, et particulièrement pour les formes supérieures de l’imposture — celles de l’esprit —, une espèce de répulsion nerveuse, capable de la porter à des actes extrêmes, de la faire passer brusquement de l’agitation de la colère à la prostration du désespoir, le moindre petit licencié d’histoire m’accusera de tomber dans un anthropomorphisme enfantin ; mais j’aime mieux être d’accord sur ce point avec Michelet et Péguy qu’avec n’importe quel petit licencié d’histoire.

Car en écrivant que notre peuple est le moins pharisien du monde, c’est-à-dire le peuple qui compte le moins grand nombre de Pharisiens, chez qui le pharisaïsme prospère mal, l’auteur du Mystère de Jeanne d’Arc nous a définis essentiellement, substantiellement, puisque notre horreur naturelle du pharisaïsme explique à la fois nos vertus et nos vices, cette horreur a fait nos héros comme nos anarchistes, des êtres d’une droiture et d’une loyauté incomparables, mais aussi des cyniques et des débauchés. Elle explique également certaines contradictions apparentes de notre histoire, certains retournements prodigieux.

« La France est capable de se résigner à bien des injustices, mais elle ne saurait tolérer […] cette espèce d’injustice qui prétend s’exercer au nom de la justice. »

La France est capable de se résigner à bien des injustices, mais elle ne saurait tolérer — au sens exact, j’oserai dire au sens médical de ce mot — cette espèce d’injustice qui prétend s’exercer au nom de la justice. Ainsi, par exemple, l’Inquisition, introduite chez nous par les moines fanatiques d’Espagne, et dont le but principal semble bien avoir été d’enrichir, par les confiscations, le clergé simoniaque d’Italie, nous rendit anticléricaux pour des siècles. Il ne serait pas moins vrai d’affirmer que la féroce hypocrisie des princes protestants du XVIe siècle, qui pillaient l’Eglise sous prétexte de la réformer, nous détourna à jamais du protestantisme.

C’est face à une imposture de ce genre que le grand Drumont disait : « Cela me rend physiquement malade. » Et c’est bien une imposture de cette sorte qui rend la France malade, qui l’intoxique, qui l’empoisonne. Comme je le disais naguère, il arrive alors que le venin lui monte à la tête et la jette au paroxysme de la fureur. Mais il se peut aussi que les nerfs lâchent et que la révolte de l’âme nationale s’exprime par l’ironie douloureuse, le scepticisme, et même la stupeur. […]

Je ne me suis jamais senti plus d’estime pour les masses de gauche que pour les masses de droite, et la raison en est bien simple- Il y a eu autrefois des idéalistes de gauche et des idéalistes de droite, mais les méprisables dégénérés qui se recommandent aujourd’hui d’eux ne mériteraient que leur mépris. Comment d’ailleurs les reconnaître ? L’homme jadis flétri par les révolutionnaires sous le nom d’homme d’ordre ne serait pas aujourd’hui Cavaignac, mais M. Thorez. Les gens de droite dénoncés par moi dans les Grands Cimetières utilisaient contre leurs adversaires des méthodes qu’ils n’avaient cessé de flétrir.

Mais les gens de gauche tout au long du XIXe siècle n’ont cessé d’exalter ces méthodes. « La Révolution est un bloc », déclarait G. Clemenceau solidarisant ainsi les combattants de l’armée du Rhin avec les égorgeurs de septembre. Il est certainement ignoble d’entendre un prêtre approuver l’épuration sans jugement des suspects, mais il n’est pas seulement ignoble, il est comique de voir un homme de gauche prétendre être traité par la Gestapo avec des égards que ses ancêtres et ses modèles n’ont jamais eus pour leurs compatriotes « ci-devant ».

Je parle naturellement ici de la masse des gens de gauche et des gens de droite. Il y a dix ans, j’ai pu essayer de me faire illusion sur ces masses de gauche par dégoût pour les masses d’une droite avilie. Je ne vois plus là maintenant qu’une tentation du désespoir. La paix au moins a démontré l’impuissance de ces gens-là, leur hypocrisie au moins égale à celle de leurs adversaires. On dit que la Résistance a eu le cœur à gauche. Que veut-on prouver par là ? Elle l’aurait eu à droite et non à gauche en cas d’occupation par les Russes.

Je le demande à tout lecteur de bon sens et de bonne foi. Si nous pouvions faire exactement le compte des hommes qui se sont prononcés contre Munich, Rethondes et Montoire sans aucune arrière-pensée de haine politique ou de préjugé social, c’est-à-dire inspirés par l’unique souci de leur propre honneur et de l’honneur de la nation, quel en serait le nombre ? Il ne saurait être assurément que très petit. Le chiffre une fois fixé, qui oserait se prétendre absolument sûr que dans cette sélection des sélections les gens de droite seraient moins nombreux que les gens de gauche ! […]

« La vocation de la France est de démasquer l’imposture. Vous trouvez peut-être une telle formule un peu simpliste ? Tant pis pour vous ! »

Oh ! certainement, une fois de plus, il y a, grâce à Dieu, des hommes libres un peu partout. Non pas de ceux qui se disent libres parce que la démocratie leur donne cette étiquette, mais réellement libres, et qui le seraient n’importe où et n’importe comment, dans la richesse ou dans la pauvreté, la santé ou la maladie, qui le seraient même dans les chaînes, s’ils vivaient sous un tyran. De tels hommes, je le répète, se trouvent partout. Peut-être, pourtant, eussent-ils été naguère dans mon pays plus simplement, plus naturellement, plus ingénument libres qu’ailleurs, sans rien de prétentieux, d’affecté, de recherché, de tourmenté ; libres presque malgré eux et à leur insu, parce que leur liberté avait pour principe une espèce de liberté intérieure, dont ils n’éprouvaient pas le besoin de refaire l’expérience à tout instant, de même qu’un vrai chrétien ne met pas à tout moment sa foi à l’épreuve.

On les jugeait parfois conformistes, parce qu’ils s’efforçaient de n’attirer l’attention de personne. On les disait conformistes, et ils Tétaient, en effet, dans les circonstances futiles et familières de la vie. Ils étaient conformistes comme ils étaient pacifiques, c’est-à-dire jusqu’à un certain point, et, passé ce point, rien n’aurait pu les faire reculer, sinon la certitude — ou l’illusion — d’avoir accompli leur tâche, de pouvoir revenir sans remords au conformisme et à la paix. […]

Pour définir la vocation spirituelle de la France, je n’ai nullement besoin d’être docteur en théologie, j’ose même dire que Jeanne d’Arc en savait beaucoup plus long sur un tel sujet que saint Anselme ou saint Thomas d’Aquin. La vocation spirituelle de la France est de démasquer l’imposture, et l’une des plus grotesques impostures de ce temps est la prétention des intellectuels catholiques à s’ériger en perpétuels censeurs du désordre de la société moderne, alors qu’ils lui donnent précisément l’exemple d’une anarchie spirituelle qui passe toute mesure, parce qu’on s’efforce de la masquer sous des formules vagues qui, condamnant tout le monde, dispensent de juger personne.

La vocation de la France est de démasquer l’imposture. Vous trouvez peut-être une telle formule un peu simpliste ? Tant pis pour vous ! Elle résume merveilleusement au contraire toute une philosophie pratique de la vie. Dois-je faire remarquer une fois de plus que ce livre n’est pas une apologie de mon pays ? Lorsque j’écris qu’il hait l’imposture, je ne veux nullement dire qu’il la hait seulement par vertu, qu’il est plus vertueux que les autres. Mon pays n’a pas choisi sa vocation, elle lui a été donnée ; s’il se déshonore en y manquant, on ne saurait lui faire un grand mérite de suivre la voie où la Providence l’a engagé il y a des siècles, et qu’il n’a jamais quittée sans payer sa faute d’épreuves effroyables. Pourquoi sa haine de l’imposture ne serait-elle pas devenue, à la longue, une sorte de réflexe héréditaire, une des formes de l’instinct de conservation ?

Mais d’abord de quelle espèce d’imposture s’agit-il ?

Je réponds sans hésitation : des impostures de l’Esprit.

 

..et .l'hcqs d'ajouter ..... via la PAROLE .. le parler vraiMENT*

 

 
(1) Journal brésilien de Rio de Janeiro.

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 L’amour... on peut se demander s’il s’agit d’un concept proprement psychanalytique et non pas plutôt d’un thème relevant de la psychologie, voire de la philosophie – « les philosophes, ils ne parlent que de ça », affirmait en tout cas Lacan.

2

Si on ouvre le bien connu Vocabulaire de la psychanalyse de Laplanche et Pontalis, on constate qu’il n’y a pas d’entrée « amour ». Si on veut entendre parler d’amour, il faut se reporter à l’entrée « objet » pour voir apparaître l’amour, l’amour pour l’objet dans la « relation d’objet ».

3

La « relation d’objet », le « choix d’objet », c’est en effet, en ces années 1950 où Lacan commence son enseignement, dans ce langage que se dit la relation – d’amour – du sujet avec l’autre. On se référait à cette œuvre centrale de Freud, « Pour introduire le narcissisme », où l’on pouvait lire : « L’homme n’a que deux objets primitifs : lui-même et la femme qui s’occupe de lui. » Ce qui ne lui laisse que quatre types de fixation. Les trois premiers sont tournés vers lui-même. On aime : ce qu’on est soi-même ; ce qu’on a été ; ce qu’on voudrait être. Le quatrième type de choix concerne le choix d’objet extérieur : on aime la personne qui a été une partie de son propre moi – c’est l’amour de type narcissique – ; ou on aime la femme qui nourrit et l’homme qui protège – c’est l’amour par étayage (dit aussi anaclitique) mais qui reste en réalité encore une des formes de l’amour narcissique.

4

Quant au mot qu’utilise Freud pour parler de cet amour pour l’objet, on note que, à de très rares exceptions près, il met de côté le mot le plus usuel de la langue allemande, Liebe, au profit du mot Verliebtheit, qu’on peut traduire par « énamoration » – que Lacan écrira un jour « hainamoration ». De Liebe, Freud dit que c’est bien en effet ce que l’on pourrait appeler l’amour « normal », mais c’est pour ajouter tout aussitôt que ce supposé normal ne correspond à rien d’autre qu’à la croyance en la fable poétique du mythe d’Aristophane, ce partage de l’être humain en deux moitiés, homme et femme, qui cherchent désespérément dans l’amour à retrouver leur unité perdue. Mais l’amour ordinaire, celui aux feux duquel nous brûlons tous un jour ou l’autre, nous les bons névrosés, c’est : Verliebtheit… et c’est nettement moins idyllique !

5

Lacan, lui, sera beaucoup plus occupé, ou préoccupé, par la question de l’amour en tant que tel. Mais la question qui se posera peut-être à la fin sera de savoir s’il est parvenu à faire de l’amour un concept, comme on peut le dire du « désir » ou de la « jouissance ». Quoi qu’il en soit, même si l’amour n’a pas cette consistance du concept, il a en tout cas une histoire dans le parcours de Lacan, et c’est de cette histoire que je voudrais vous entretenir ici.

6

On peut constater une chose curieuse : de l’amour, Lacan parle beaucoup pendant dix ans, des années 1950 aux années 1960 (du premier séminaire à celui sur Le transfert). Puis, une grande syncope, dix ans de quasi-silence sur l’amour – par silence, j’entends qu’aucune formulation de nature à renouveler la question ne voit le jour. Au bout de ces dix ans, c’est le flamboyant séminaire Encore, le bien-nommé, où l’amour renaîtra de ses cendres. Enfin, dans les années 1976 et 1977 (Encore est de 1972-1973), une sorte de coda, comme on dirait en musique, un dernier sursaut pour tenter – non sans mal ! – d’arracher l’amour à son statut d’illusion pour le penser comme « touchant au réel » – nous verrons alors ce que Lacan entend par là.

7

Dans l’espoir d’éclairer la partition que je vais dérouler devant vous – restons dans la métaphore musicale –, je vais dire tout de suite les mouvements successifs que je distingue dans l’approche lacanienne de l’amour. Cela va sans doute être un peu resserré, mais fera office de plan pour ce que je voudrais développer. Ce sera également l’occasion de mettre en perspective les différents concepts lacaniens que nous aurons besoin de visiter, concepts que j’expliciterai, dans la mesure du possible, les uns après les autres dans le déroulement de mon exposé. Il est sans doute utile de les situer d’emblée dans la logique de leur enchaînement.

8

Il y a donc d’abord le groupe des dix premiers séminaires qui seront féconds en propositions sur l’amour. Dans cet ensemble, je vois trois mouvements. En premier lieu, un abord que l’on peut qualifier de plutôt dénigrant sur l’amour, réduit à l’amour passion (traduction lacanienne de la Verliebtheit freudienne). Puis, deuxième mouvement, un sursaut résolu pour, j’ai envie de dire, sauver l’amour, affirmer qu’il y a une dimension autre que celle de l’amour narcissique : Lacan le nomme alors « l’amour dans sa forme achevée ». Un troisième mouvement enfin où Lacan conclut que l’idée de la recherche de l’autre comme un complément laisse inéluctablement l’amour du côté de la représentation mythique. À la recherche par le sujet d’un complément sexuel, Lacan substitue maintenant une recherche différente, celle qu’on ne peut nommer, pour l’instant, que recherche d’« autre chose ». Construction, donc, d’un objet d’une tout autre nature, qui va de pair, ou plus exactement qui est la conséquence immédiate d’une toute nouvelle conception du sujet, à entendre comme sujet de l’inconscient. Nouvelle conception en ce sens que le sujet se trouve dès lors défini par rapport à sa prise dans le langage. Ce faisant, on assistera à ce qu’on peut appeler un changement de coordonnées : ce qui se disait en termes d’amour va se dire maintenant en termes de désir.

9

Vient alors le groupe des dix années où Lacan ne s’intéresse plus à l’amour mais approfondit le champ du désir. Dans ces années, je distinguerai maintenant deux mouvements :

  • un premier où, la construction de ce que j’appelais à l’instant « autre chose » ayant abouti – c’est ce qui est connu sous le nom d’objet a –, Lacan en poursuit l’élaboration en y désignant ce qui fait, dans le fantasme, marcher le désir. Mais cela impliquera de développer la dialectique des rapports que cet objet a entretient avec ce que la psychanalyse nomme « phallus ». En dérivera le dernier concept dont nous aurons à nous occuper, celui de « jouissance » ;

  • un deuxième mouvement où, à partir de cette notion de jouissance, Lacan est conduit à questionner ce que l’on désigne comme « différence des sexes », et tout particulièrement ce qu’il en est de la jouissance féminine. Pour aboutir à la conclusion qu’entre les sexes ça ne marche pas, ça dysfonctionne, c’est de l’ordre du « ratage »… et pourtant, ça fait courir le monde.

Nous arrivons au bout de ces dix ans où il n’était plus question d’amour. Or, devant la constatation de cette dimension de ratage du côté du sexuel qu’il lit dans le rapport entre les sexes, c’est, de façon assez inattendue, vers l’amour que Lacan se tourne de nouveau. Amour qu’il conçoit maintenant comme une suppléance, une suppléance à ce que le rapport sexuel échoue à faire : qu’à deux, ça fasse Un.

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J’ai enfin parlé d’une sorte de coda : il s’agit d’une dernière tentative de sortir l’amour du registre de l’illusion qui, bien qu’il parvienne à faire suppléance, est malgré tout resté le sien. Lacan équivoquera alors sur l’écriture de l’amour, en se référant au jeu d’origine antique de la mourre pour tenter de montrer que la suppléance comme « pur événement de rencontre » excède l’illusion pour, comme il dit, « toucher au réel » – ce qu’il faudra expliquer.

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Nous allons essayer de déplier tout cela. Mais il est peut-être utile qu’auparavant je résume les séquences que je vois dans ma lecture de l’amour chez Lacan :

  1. Une phase de dénigrement de l’amour avec l’amour narcissique ;

  2. Une tentative de sauver l’amour comme amour dans son achèvement ;

  3. Une substitution du champ du désir à celui de l’amour – avec la question de la jouissance qui vient s’interposer ;

  4. Un ratage de ce qui serait le « rapport sexuel » ;

  5. Une suppléance à ce ratage par l’amour ;

  6. Une tentative de dépasser l’illusoire de cette suppléance au profit du réel de la rencontre.

Je vais être amené à faire quelques citations. Elles seront assez rares mais je les pense nécessaires pour que le style de Lacan ait quelque présence ici, ce style qu’on qualifie volontiers d’hermétique ou de gongorique. Mais le style, c’est l’homme, affirmait-il avec Buffon…

L’amour narcissique

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Il faut imaginer Lacan au début de son enseignement. La Société de psychanalyse de Paris vient de faire scission et Lagache a fondé une nouvelle société, la Société de psychanalyse française. Lacan le rejoint et ouvre un séminaire public. Un séminaire, Lacan en tenait déjà un depuis deux ans, mais chez lui, et quand il commence son séminaire public en 1953, il a déjà élaboré une arme avec laquelle il se propose de relire Freud et de lui apporter un nouvel éclairage.

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Son souci est maintenant de faire connaître et de mettre à l’épreuve d’un auditoire élargi ce qu’il a commencé à élaborer en petit comité : une nouvelle grille pour déchiffrer les phénomènes psychiques. Freud se contentait de l’opposition formelle entre imaginaire et réel, Lacan, lui, propose un système à trois termes, où une nouvelle instance, le symbolique, vient s’adjoindre à l’imaginaire, en face du réel : c’est le ternaire symbolique-imaginaire-réel (dit S.I.R.).

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Du côté de l’imaginaire, il laisse tout ce qui est de l’ordre des représentations – représentations qui concernent l’image de soi d’une part (c’est ce que Lacan a déjà défriché dès cette époque avec son « stade du miroir ») et l’image de l’autre d’autre part.

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Le symbolique, quant à lui, ce sera tout ce qui concerne la parole, la parole conçue comme ce qui tout à la fois fonde la subjectivité et assure la médiation à l’autre. La parole, c’est ce qui permet d’abord de nous unir à l’autre.

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Le réel, enfin : la place que lui donne Lacan ne cessera pas d’évoluer. Disons que, à ces débuts, il est à distinguer de la réalité. Le réel n’est jamais donné immédiatement, il ne se définit que par rapport aux deux premières instances : il se trouve comme expulsé de la réalité par le symbolique, en tant que ce qui, de cette réalité, n’est jamais complètement symbolisable.

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Dès les premiers temps de son séminaire, Lacan va être amené à parler de l’amour. Il va y être amené parce qu’une des premières questions qu’il se pose est celle-ci : qu’en est-il de la parole dans le transfert ?

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« Au commencement de l’expérience analytique fut l’amour », affirmera-t-il quand, quelques années plus tard, il reviendra sur le transfert. Car, après Freud, parler de transfert, c’est parler d’amour, de ce fameux amour de transfert qu’on voit la plupart du temps se produire, sous une forme plus ou moins avérée ou plus ou moins secrète, dès qu’un sujet se met à parler sans réserve à un autre qui l’écoute, dès qu’une analyse se met « pour de bon » en route. J’ai dit : la plupart du temps, parce qu’il arrive qu’au lieu que ce soit un lien d’amour qui se tresse dans le transfert (dit alors « positif »), c’est un lien d’une autre nature qu’on voit naître, plus tourné vers la haine (on parle dans ce cas de transfert négatif).

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Lacan reprend la question au point même où Freud l’avait laissée, à savoir qu’il y a une véritable équivalence entre le transfert et l’amour, mais qu’il s’agit, souligne-t-il à son tour, de l’amour passion, de la Verliebheit freudienne. D’où la nécessité, si l’on veut comprendre quelque chose au transfert, d’élaborer cette notion d’amour en général, dans ses aspects positifs comme dans ses aspects négatifs. Lacan insiste : il s’agit non pas de l’amour en tant qu’Éros, mais de l’amour passion tel qu’il est vécu par le sujet comme une véritable catastrophe psychologique.

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L’« amour en tant qu’Éros » est tout de suite mis de côté, il est défini très généralement comme une fonction unifiante, la « présence universelle d’un pouvoir de lien entre les sujets ». De fait, quand Lacan parle de « l’élaboration analytique de la notion d’amour », il n’est question que de la relation narcissique telle que Freud a pu la dégager dans « Pour introduire le narcissisme » et que j’ai déjà citée.

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Lacan en fait alors une lecture minutieuse, mais sur un ton étonnamment caustique. Il était en effet assez difficile, à cette époque, de ne pas avoir le sentiment d’un discrédit porté sur l’amour tant la verve de Lacan se donnait libre cours. Il faisait de l’amour « le sentiment qui est au centre de tout comique » (et il enfonce le clou avec une insistance répétitive : l’affirmation de la dimension fondamentalement comique de l’amour sera reprise de séminaire en séminaire – ce sera encore dit une dernière fois dans le vingt-quatrième de ses vingt-six séminaires –). Manière peut-être d’en laisser entrevoir la dimension en vérité tragique ?

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Toujours est-il que mettre l’amour au centre du comique ne l’empêche pas, pour autant, de le décrire par ailleurs comme une « catastrophe psychologique », un « phénomène imaginaire provocant une véritable subduction du symbolique », et, plus radicalement, de le situer du côté de la pulsion de mort. Il va jusqu’à affirmer : « Nous sommes bien tous d’accord que l’amour est une forme de suicide. »

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Sur cet amour narcissique ou amour passion, je ne vais pas m’étendre trop longtemps. Je me contenterai ici d’essayer de dénuder le ressort de la relecture lacanienne, ses manifestations cliniques n’étant – faut-il dire : hélas ! – que trop familières à tout un chacun.

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On peut définir son point de départ dans ce moment auquel j’ai déjà fait allusion, ce qu’on appelle le « stade du miroir ». J’en rappelle les données : cela se passe entre 6 et 18 mois, et c’est ce moment où l’enfant, devant le miroir, réalise brusquement que ce qu’il a devant les yeux, « c’est lui ». Mais toute la question est dans ce « c’est lui », car il ignore que l’image qu’il a sous les yeux et dans laquelle il se reconnaît est un objet extérieur à lui.

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Il est dans l’ignorance qu’il a affaire à une image, image qui va avoir pour lui une fonction primordiale : il s’y reconnaît, on l’a dit, mais il serait plus juste de dire qu’il s’y intentionnalise et que c’est grâce à elle qu’il anticipe son unité future, et qu’il prend place dans le monde. C’est aussi avec elle qu’il pense son être : il investit cette image, dans une identification primordiale, comme si elle était lui-même, ou plus exactement comme si elle était son être même.

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Il est important de bien saisir la double fonction, ou la fonction à double face, de cette image immobilisée, éternisée sous les yeux de l’enfant : d’un côté, l’enfant « se prend pour elle », peut-on dire, et c’est le noyau de son moi ; mais d’un autre, cette image, il l’aimera d’amour. Soulignons que cette opération se fait dans la méconnaissance (ce qu’il prend pour son moi n’est qu’une image) et l’aliénation (cette image dans laquelle il est pris est en dehors de lui, dans une position d’altérité).

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Mais Lacan ne laisse pas le sujet englué dans ce moment qui est, on l’a compris, de pur imaginaire. C’est ici en effet qu’intervient le tiers, le parent qui accompagne l’enfant : l’enfant se tourne vers lui et le prend à témoin dans un mouvement de jubilation. C’est la fonction de ce tiers, à ce moment-là, de nommer, d’entériner et de valider ladite image, ce qui fait alors basculer l’opération vers le symbolique.

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Si je me suis attardé un moment sur ce stade du miroir, c’est que la conséquence de cette captivation par l’image est fondamentale, puisque c’est précisément dans l’amour que le narcissisme va trouver sa suite logique : dans l’état amoureux, l’objet est aimé comme si le sujet le mettait à la place de cette image, c’est-à-dire de son propre moi. Et on peut dire que c’est littéralement son propre moi que le sujet aime dans « l’autre » de l’amour.

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Il y a une autre possibilité : il peut encore rencontrer l’autre en le voyant comme s’il voyait son propre moi réalisé idéalement en face de lui au niveau imaginaire. La passion amoureuse, pour Lacan, est l’expression même de cette confusion entre image de soi et image de l’autre ; c’est ce qui explique, conclut-il, ce fait bien connu que « l’amour rend fou ». Quelqu’un le disait en chanson (je crois que c’était Moustaki) : « Je ne sais plus où tu commences, je ne sais plus où je finis » – à moins que ce ne soit l’inverse !

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Les dégâts de l’amour ne s’arrêtent pas là : dans la position d’idéalité où il est élevé, l’autre devient pour le sujet la caution de sa propre valeur. Mais par un mouvement bien particulier : comme le sujet ne peut pas s’enrichir en incluant les qualités de l’être aimé, à la place, il immole son propre moi aux pieds de l’autre. Cela rejoint ce que Freud disait en son temps : l’amour est un état spécifique où le moi s’appauvrit progressivement au profit de l’objet aimé. Lacan dit encore que l’amour est une tentative de capturer l’autre dans soi-même. L’amour rend fou, l’amour est un véritable suicide, l’amour est du côté de la pulsion de mort.

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Pour éclairer cette dernière dimension, je vais être amené à faire une parenthèse pour dire quelques mots d’un des termes que j’ai annoncés dans mon introduction : le phallus. On rencontre certains sujets qui ne peuvent s’estimer dignes d’être aimés que dans la mesure où, dans leur être, ils réalisent la perfection. Or, la perfection ne peut se concevoir pour eux que dans un rapport bien particulier au phallus.

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Sur le phallus, contentons-nous de ceci pour l’instant : c’est un objet imaginaire que tout petit d’homme (fille comme garçon) prendra, pour un temps, comme l’indice de la toute-puissance. Cet objet s’inscrit dans le psychisme en référence à la vision réelle et précoce de deux catégories d’humains, ceux qui ont et ceux qui n’ont pas le pénis. On part donc de la réalité, mais, de l’emprunt à cette réalité, le sujet tirera des conclusions qui, elles, relèveront du champ de l’imaginaire. En fait, à son insu, il aura à faire un choix entre deux conclusions antinomiques : il peut rester certes dans la croyance imaginaire en cet objet glorieux, celui que j’évoquais à l’instant comme indice de la toute-puissance ; mais il peut aussi y entrevoir le paradigme de la dimension de la perte et du manque.

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Il y a donc tout un chemin à faire pour renoncer à l’idée de voir dans le phallus imaginaire (qui n’a désormais, n’est-ce pas, plus rien à voir avec le pénis) la garantie de la toute-puissance. Bien au contraire faudra-t-il y saisir, dans une sorte de retournement, ce qui fait limite à cette prétention à la toute-puissance. Disons au passage que cette reconnaissance de la limite une fois acquise, on parle non plus de phallus imaginaire, mais de phallus symbolique, et que ce renoncement, dont nous aurons à reparler, est ce qu’on appelle la castration symbolique.

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Or, pour revenir à l’amour et à ces sujets qui nous ont conduits à introduire le phallus, l’acceptation de cette limite constituera une butée insurmontable : ils ne s’estimeront dignes d’être aimés que dans la mesure où, dans leur être, ils penseront réaliser la perfection. Et cette perfection, ils ne peuvent la concevoir qu’en se mesurant au phallus tel que nous venons de le définir, cet objet imaginaire marqué du sceau de l’absolu – avec pour seule visée, bien entendu, ce seul vœu : l’égaler, ce phallus.

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Autrement dit, c’est un « choix » qui se présente sous la forme d’une alternative : ne pas être, sauf à être le phallus. Qu’on pense à la question d’Hamlet « être ou ne pas être » : comment ne pas l’entendre comme une passion de l’être définie comme « être… le phallus » ? Mais être ainsi accroché à un phallus paré de toutes les perfections indique un refus radical de la perte et ne permet aucune véritable (re)mise en jeu, ne permet pas de vivre tout court, et pousse à la mort au point de parfois chercher à la réaliser, et c’est alors le suicide :

  • soit parce que c’est une passion d’un tel absolu qu’elle en devient impossible – cette passion de l’être prend alors l’accent du fameux ?? ????? d’Œdipe, « plutôt ne pas être né » ;

  • soit encore parce que la mort en vient à se présenter comme condition même de la jouissance et à être souhaitée comme telle – ce qu’évoque l’image du pendu en érection.

On entend là comment la passion de l’être est tout autant passion de mort. À ne se référer déjà qu’au mythe de Narcisse, on saisit qu’à trop serrer de près son image, à trop vouloir la rejoindre, on s’y perd, on perd sa vie.

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Lacan illustre encore le rapport intime que l’amour peut entretenir avec la pulsion de mort par le coup de foudre, le bien-nommé, en nous rappelant le personnage de Werther. Souvenons-nous de la rencontre de Werther et de Charlotte qui, orpheline de mère, remplace celle-ci auprès de ses petits frères et sœurs : Werther tombe sur elle alors qu’elle leur coupe du pain. « Ô spectacle idéal d’amour et d’innocence », s’écrie-t-il. Et c’est le coup de foudre, « l’attachement mortel », dit Lacan. « Mortel », c’est encore le mot qu’il utilise à propos de Gide et de son amour pour sa cousine Madeleine : il parle alors de « dépendance mortelle ».

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Qu’est-ce qui distingue Werther de Gide ? Rappelons-nous les deux types d’amour que distinguait Freud. On aime, disait-il, la personne qui a été une partie de son propre moi : c’est le type narcissique. Ou bien on aime la femme qui nourrit et l’homme qui protège, et c’est l’amour par étayage.

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Werther comme Gide relèvent de l’amour par étayage, mais chacun est l’envers de l’autre. Werther succombe au coup de foudre pour la femme qui nourrit et qui protège, tandis que nous voyons Gide, dit Lacan, « dans un sommet d’ivresse, d’enthousiasme, d’amour, de détresse et de dévotion », se consacrer à « protéger cet enfant », selon les mots de Gide lui-même. Lui, c’est en tant que protecteur qu’il s’aime lui-même.

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Pour ce qui concerne Werther, on connaît la suite : Charlotte est promise à Albert et reste fidèle à son devoir, malgré un certain penchant – ou un penchant certain ? – pour Werther. Lequel, envoûté par l’image à la fois maternelle et virginale, sombre dans le désespoir et se suicide. Quant à Gide, si Lacan parlait à son propos de dépendance mortelle, Gide lui-même parlait nostalgiquement de son amour pour Madeleine en employant une expression terrible : un « amour embaumé ». « C’est ça l’amour, conclut Lacan. C’est son propre moi qu’on aime dans l’amour, son propre moi réalisé au niveau imaginaire ».

L’amour dans son achèvement

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On peut se demander maintenant comment il va être possible d’extraire l’amour de sa prise en masse dans le narcissisme…

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Il n’avait pas échappé à Lacan lui-même que son ironie sur l’amour – qui était au fond dans la droite ligne du pessimisme de Freud – n’était pas sans avoir eu des effets quelque peu ravageurs dans son école. Je peux en témoigner : quelques années plus tard, il était encore de bon ton, au nom de ce fameux désir dont nous allons nous occuper un peu plus loin, il était de bon ton de… « cracher » sur l’amour. Tout pour le désir, rien pour l’amour ! Lacan concédera : « L’amour dont il est apparu aux yeux de certains que nous avions procédé au ravalement »…

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Mais, avant de tirer les conséquences de cet engluement de l’amour dans le narcissisme et de concevoir cette autre forme de relation à l’objet que sera le désir, Lacan s’acharne et tente de sauver l’amour. On assiste en effet à une sorte de dernier sursaut avec l’affirmation d’un autre amour, amour qu’il nomme alors « amour dans sa forme achevée ». Et de fait, il ébauche deux alternatives à l’amour passion : la première tournera autour de l’idée de pacte ; la seconde autour de celle du don actif, de l’amour comme don actif.

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Voyons la première, la question du pacte. Lacan commence par maintenir que « la relation imaginaire primordiale donne le cadre fondamental de tout érotisme possible », et que c’est une condition à laquelle devra être soumis l’objet de l’Éros en tant que tel. La relation objectale devra toujours d’abord se soumettre au cadre narcissique et s’y inscrire. Cela n’empêche pas que cette relation puisse cependant « transcender le narcissisme, mais d’une façon impossible à réaliser sur le plan imaginaire. C’est ce qui fait, conclut-il, la nécessité pour le sujet de ce qui s’appelle l’amour ».

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Voilà donc l’amour qui réapparaît du côté du symbolique – on aurait presque envie de dire : faisant office de symbolique, autour de ce que Lacan formule comme pacte. « Il faut à une créature, dit-il, quelque référence à l’au-delà du langage, à un pacte, à un engagement qui la constitue, à proprement parler comme une autre […]. Il n’y a pas d’amour fonctionnellement réalisable dans la communauté humaine si ce n’est par l’intermédiaire d’un certain pacte qui tend à s’isoler dans une certaine fonction, à la fois à l’intérieur du langage et à l’extérieur. C’est ce qu’on appelle la fonction du sacré, qui est au-delà de la relation imaginaire. »

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Deux remarques. C’est, pour autant que j’aie pu m’en assurer, l’unique fois où Lacan invoquera une telle fonction du sacré. La notion d’un « au-delà », ici amorcée, connaîtra en revanche une fortune certaine, comme nous le verrons par la suite.

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Mais on va voir une fois de plus une note de « ravalement », pour reprendre le mot de Lacan, se glisser dans les conclusions qu’on pourrait être tenté de tirer quant aux promesses de ce pacte symbolique. En effet, si l’on voulait croire qu’avec ce pacte nous nous étions installés à quelque hauteur, dans un superbe commentaire des célèbres pages de Sartre sur l’amour dans L’être et le néant (lecture qu’il recommande vivement aux analystes), Lacan va nous faire quelque peu déchanter. Notant que Sartre fait justement remarquer que, dans le vécu de l’amour, ce que nous exigeons de l’objet n’est pas un engagement complètement libre, il commente : « Le pacte initial auquel je fais allusion quand je vous parle du registre symbolique, n’a vraiment rien dans son abstraction cornélienne pour saturer nos fondamentales exigences. C’est dans une sorte d’engluement corporel de la liberté que s’exprime la nature du désir. Nous voulons devenir pour l’autre un objet qui ait pour lui la même valeur de limite qu’a, par rapport à sa liberté, son propre corps. » La suite du texte est de la même veine : « Il faut qu’une liberté accepte de se renoncer elle-même… »

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Il ne nous laisse pourtant pas totalement sans espoir quant à un certain jeu par rapport à un engluement complet dans l’imaginaire : « Du fait de notre contingence, ce qui situe phénoménologiquement l’amour dans sa forme concrète, c’est ce qui l’institue dans cette zone intermédiaire, ambiguë, entre le symbolique et l’imaginaire. » La participation au registre symbolique de « l’amour dans sa forme achevée », c’est « l’échange liberté-pacte qui s’incarne dans la parole donnée ». « Et il s’étage dans toute une gamme de nuances, tout un éventail de formes qui jouent entre l’imaginaire et le symbolique. »

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La seconde alternative à l’amour passion que j’ai annoncée aura plus d’avenir que le pacte. Celui-ci en effet ne pouvait que sombrer avec l’abandon par Lacan de l’axe de l’intersubjectivité. Je m’explique : l’intersubjectivité, c’est la relation duelle immédiate, ou non médiatisée, de sujet à sujet, ou du sujet à l’autre semblable. C’était le champ d’origine de Lacan, mais, au fur et à mesure qu’il avançait, ce champ s’avérait trop ancré dans la dualité pour être compatible avec la ternarité de sa pensée qui supposait toujours une médiation tierce.

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L’autre alternative à l’amour passion va se nommer « don actif ». Outre le motif du don (qui reste ici encore assez énigmatique mais qui sera par la suite, on le verra, l’objet d’un certain nombre de variations), Lacan relance à ce moment un thème crucial dont nous avions déjà rencontré l’esquisse et que nous retrouverons encore sous différentes formes : c’est la notion de « l’au-delà », ici de « l’au-delà de l’objet ». Il faut en mesurer tout le poids : c’est avec elle que s’annonce la dimension du manque, dimension qui deviendra centrale dans la théorie lacanienne.

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Il faut encore noter deux éléments d’importance : c’est d’une part ici aussi que l’amour va commencer à être explicitement opposé au désir ; et d’autre part qu’il va s’y opposer en se disant dans le langage de l’être. « L’amour, nous dit Lacan, se distingue du désir […] car sa visée n’est pas de satisfaction, mais d’être. Quand l’amour se réalise symboliquement dans la parole, il se dirige vers l’être de l’autre. Sans la parole, il y a seulement Verliebtheit, fascination imaginaire. S’il y a amour, c’est un amour subi et non pas l’amour comme don actif qui vise l’autre, non pas dans […] sa particularité mais dans son être. Aimer, c’est aimer un être au-delà de ce qu’il paraît être. »

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Lacan revient sur la dimension de la parole comme médiation entre le sujet et l’autre, qui était, je vous le rappelle, celle de notre point de départ : médiation, réalisation de l’autre à laquelle la parole nous unit. Lacan considère maintenant que cette dimension est bien en effet celle dans laquelle nous nous déplaçons sans cesse, mais qu’elle masque une autre face de la parole qui est de révélation, de révélation de ce qu’il nomme « le secret le plus profond de l’être ». La parole, dit-il encore, est « aveu de l’être ». Et il conclut : « Toute l’œuvre de Freud se déploie dans le sens de la révélation. La révélation est le ressort dernier de ce que nous cherchons dans l’expérience analytique. »

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Je veux faire ici une petite incidente. Elle concerne la délicate question que pose le recours au discours de l’être auquel procède Lacan ce jour-là (3 février 1954) et qui alimentera longtemps une accusation de dérive métaphysicienne et ontologique de sa pensée. C’est un débat qu’on ne peut pas ouvrir ici, mais je vous invite à vous reporter, pour ce qui concerne cette question, au remarquable travail de François Balmès intitulé Ce que Lacan dit de l’être. Il montre comment « à partir de cette nouvelle définition de la parole comme révélation de l’être, la référence à l’être va, pour tout un temps, situer et articuler le désir, le refoulement, la résistance, le transfert – et pour finir la fin du processus analytique ».

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Ce qui n’est pas douteux, en tout cas, c’est que Lacan, en prenant appui sur Hegel et sur Heidegger, a délibérément choisi le risque de la métaphysique contre celui de la psychologie, psychologie dans laquelle baignait la psychanalyse en place. À cette dérive psychologisante s’oppose la conception lacanienne de l’analyse : « Au début de l’analyse, nous dit-il, cet être, s’il existe implicitement, d’une façon virtuelle, n’est pas réalisé. » C’est ce qui se creuse dans l’expérience de la parole en analyse qui, comme révélation, va réaliser l’être.

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Qu’en est-il alors de l’amour par rapport à cette expérience ainsi redéfinie ? L’amour sera une des voies de la réalisation de l’être : la dimension symbolique de la parole permet en effet que l’amour s’adresse à l’être, le faisant échapper à une simple captivation imaginaire, à cette tentative de capturer l’autre dans soi-même dont nous avons parlé précédemment.

55

J’ai dit : une des voies de la réalisation de l’être. Il y en a en effet deux autres : la haine et l’ignorance. On ne s’étonne plus trop de voir la haine jumelée avec l’amour. Freud avait déjà suffisamment insisté sur le couple amour-haine, et l’on sait par ailleurs à quel point la haine est une des formes du lien à l’autre : au point qu’il est arrivé à Lacan de dire qu’il vaut mieux qu’il y ait un peu de haine, cela assure qu’il y a alors aussi un peu d’amour.

56

On peut en revanche bien plus s’étonner de voir l’ignorance mise elle aussi sur le même plan. Pourtant, avoir accès à l’être suppose l’aveu d’un non-savoir initial. La psychanalyse en est l’exemple majeur : « Il ne s’agit pas de montrer au sujet qu’il est dans l’erreur, dit Lacan, mais de lui montrer qu’il parle sans savoir, comme un ignorant et qu’il n’y a d’autres voies d’accès au savoir que celle de son erreur. »

57

Cette triade amour-haine-ignorance, et leur rapport à l’être, Lacan y restera attaché jusqu’au bout [1][1] Lacan voyait une correspondance entre ces trois passions.... Vingt ans plus tard, dans Encore, il les nommera « passions de l’être », et c’est en les revisitant qu’il forgera le néologisme d’« hainamoration » auquel j’ai déjà fait allusion.

58

Avant de refermer cette première période où Lacan se débattra pour tenter de donner à l’amour un statut qui aille au-delà de ce qu’en faisaient ses chers collègues, faisons une petite halte. Il s’agit d’au-delà, justement. Car appréhender l’amour comme visée de l’au-delà de l’objet conduit Lacan à faire un rapprochement avec deux formes historiques d’amour : l’amour courtois d’abord, puis l’amour des mystiques.

59

L’amour courtois est celui qui est le plus tôt évoqué par Lacan. Cet amour courtois, dit-il, « implique une très rigoureuse élaboration technique de l’approche amoureuse, qui comportait de longs stages réfrénés en la présence de l’objet aimé, visant à la réalisation de cet au-delà qui est cherché dans l’amour, l’au-delà proprement érotique ». « C’est, dit-il encore, l’ordre même dans lequel un amour idéal peut s’épanouir, [celui de] l’institution du manque dans la relation d’objet. »

60

Notons tout de suite que, quand Lacan parle du « manque dans la relation d’objet », cela peut s’entendre dans une double direction. Celle du manque de l’objet, mais aussi celle du manque dans l’objet. Cela s’éclairera mieux plus loin.

61

Notons encore que si l’amour courtois est une pratique amoureuse, c’est une pratique inséparable d’une forme bien particulière de discours : ce discours des troubadours qui mettait en mots le corps sexué de la Dame et qui chantait le manque toujours renouvelé, entretenu dans la savante délectation d’un système infini de prescriptions.

62

Pour ce qui concerne l’amour des mystiques, même si Lacan lui accorde une large place dans son séminaire sur L’éthique de la psychanalyse, c’est dans Encore que la référence qu’il y fait prendra tout son poids.

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L’amour des mystiques est une vieille affaire : elle est connue sous le nom d’une figure paradoxale dite du « pur amour » – il existe sur ce sujet un livre passionnant : Le pur amour de Platon à Lacan, de Jacques Lebrun. On y apprend que c’est une polémique à laquelle l’Église catholique a mis fin brutalement en 1699 pour contrer un livre publié en 1697 par Fénelon, l’Explication des maximes des saints, livre fortement inspiré par ses échanges avec son amie mystique Madame Guyon. L’Église y a mis fin parce que la doctrine du pur amour menaçait tout l’édifice théologique de la spiritualité catholique. Qu’était donc ce pur amour tellement inacceptable ? « C’est un amour inconditionnel dont l’ultime critère serait le refus de toute récompense, un amour qui trouverait sa jouissance dans la ruine de toute jouissance et entraînerait avec la perte de soi, la perte de l’amour et même celle de Dieu. » Dans le cas de l’amour divin, cette thèse donnait lieu à un raisonnement par passage à la limite qui est devenu fameux sous le nom de « supposition impossible des mystiques » : un Dieu qui condamnerait à des peines allant jusqu’à celles de l’enfer celui qui l’aimerait parfaitement serait par ce dernier aimé plus purement que s’il le récompensait et lui offrait toutes les joies du paradis.

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La thèse de Lebrun est que, refoulé du champ de la théologie, le pur amour a fait retour dans d’autres champs : la littérature (le roman, avec une place toute particulière pour Sacher-Masoch), la philosophie (Kant et Schopenhauer) et plus tard la psychanalyse, avec Freud mais surtout Lacan, bien évidemment. On devine comment la question du manque de l’objet et du manque dans l’objet peut faire son miel d’une telle doctrine…

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On ne peut pas quitter cette problématique paradoxale du pur amour sans marquer la place d’une série de questions que nous devrons laisser de côté aujourd’hui. Elles sont toutes liées à la question du mal. Qu’en est-il de la haine et de la cruauté possiblement supposées à ce Dieu qui infligerait de telles peines, voire en jouirait ? Qu’en est-il encore de ce que Lacan appelle « les extrêmes des mystiques », leurs excès dans l’horrible et l’immonde ? Quel rapport avec le masochisme ? Comment, ensuite, repenser ces questions après que Dieu aura été déclaré mort ? Qu’est-ce qui occupe cette place laissée vide ? L’espoir de récompense une fois radicalement perdu, qu’est-ce qui va faire fonction de limite au mal, à cette « intime tendance au mal » que l’on sait voilée par ce qu’il est convenu d’appeler « l’amour du prochain » ?

De l’amour au désir

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Nous sommes ici arrivés au bout de ce qui peut se dire dans une pensée qui reste une pensée de la relation objectale, c’est-à-dire d’un objet, dans un sens traditionnel, posé en face d’un sujet dans un sens tout aussi traditionnel.

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Ce qu’on appelait « relation d’objet » était, comme je l’ai déjà dit, la théorie qui faisait précisément les choux gras de la psychanalyse des années 1950, au moment donc où Lacan se met à prendre la parole. Il faut en dire un mot pour comprendre de quoi il cherchait à se détacher. L’idée était schématiquement que le but de ce qu’on appelait « cure analytique » était une sorte de rééducation qui devait mener le patient à faire converger ses pulsions partielles (orales, anales, etc.) en une pulsion unifiée dite génitale, laquelle devait s’accorder à un objet à son tour dit génital qui serait l’objet total de son amour. Il faut dire que, si les pulsions partielles peuvent être attribuées à Freud, on ne trouve jamais chez lui de pulsion génitale unifiée, pas plus que d’objet total. C’est même une question sur laquelle Freud n’aura cessé de se casser les dents.

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Revenons à Lacan. Nous avons noté, que, pour la première fois, il a été dit que l’amour et le désir avaient, face à l’objet, deux aspirations différentes : celle du désir est la satisfaction ; celle de l’amour est la visée de l’être. Mais la distinction avancée ne va pas sans faire question. Si, du côté de l’amour, nous avons esquissé une approche de ce que voulait dire « viser l’être », du côté du désir, de quel type de satisfaction peut-il donc bien s’agir ?

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Il est clair, pour Lacan, qu’il ne s’agit pas d’une satisfaction qui serait de l’ordre de la satisfaction d’un besoin, comme il était dit dans la théorie de l’époque : d’un besoin soit partiel, comme, par exemple, la faim dans l’oralité avec le sein pour y répondre, soit total ou totalisé, comme on le disait de la sexualité et de son objet génital. À cette représentation mythique de la quête de l’autre comme complément que le sujet chercherait dans l’autre de l’amour, Lacan va substituer la recherche par le sujet non pas du complément sexuel, mais de tout à fait autre chose, d’un objet d’un tout autre genre, qui est sans existence matérielle et qui pourtant est celui qui fait fonctionner le désir humain. C’est ce fameux objet petit a, dont on a déjà entendu le nom énigmatique.

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Repartons de cette thèse fondamentale de Lacan : le champ que Freud a découvert, l’inconscient, met le sujet à distance de son être ; cet être, il ne le rejoindra jamais, et le désir, le champ du désir, peut être conçu comme le champ où le sujet s’engage dans la recherche d’objets propres à se substituer à cet être inatteignable. Le désir est ainsi, si on peut dire, primitivement sous le signe du manque, d’un manque qui est originairement celui de la perte que le sujet subit du fait de naître et d’avoir à entrer dans un monde de parole : le sujet est « morcelé » (c’est le propre terme de Lacan), morcelé par le signifiant. Comment explique-t-il que le fait d’être un être parlant – ce qu’il nomme par un néologisme, le « parlêtre » –, que cet état ait pour conséquence cette perte subie par le sujet, cette dérobade de l’être qu’il nomme encore « manque-à-être » ?

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Il faut dire ici quelques mots sur ce qu’est le signifiant au sens lacanien. Lacan s’empare du signe de Saussure qui, je le rappelle, s’écrit signifié sur signifiant, le tout enclos dans une ellipse – le signifiant saussurien correspondant au son et le signifié au sens. Il s’en empare et se l’approprie en inversant ce rapport pour écrire signifiant sur signifié, indiquant ainsi la suprématie qu’il accorde au signifiant sur le signifié : le sens sera toujours second, déterminé par les effets que permet ce matériau sonore qu’est le signifiant. Il met ensuite une barre entre signifiant et signifié et supprime l’ellipse. Car c’est non plus dans l’unité signifiante mais dans l’ensemble des signifiants, dans ce qu’il nomme « la chaîne des signifiants », qu’il voit la structure du langage, puisque c’est au niveau du jeu des signifiants entre eux que vont avoir lieu toutes les manifestations du sujet. Ce qui lui permet de conclure que « l’effet de langage c’est la cause introduite dans le sujet ».

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De ce jeu du signifiant, il donne un exemple célèbre dans ses Écrits. Deux enfants sont dans un train qui s’arrête en gare. Le bâtiment des toilettes est visible. « Tiens, dit le frère, on est à Dames ! – Imbécile, répond la sœur, tu ne vois pas qu’on est à Hommes ! » Cela illustre que, s’il y a bien d’abord un écart entre un signifiant et un autre signifiant, ce ne sera que dans un temps second que l’on pourra accéder au signifié, ici les toilettes. Car ce que l’on entrevoit d’abord, c’est comment, dans cette lecture différentielle, se profile la question du rapport entre les sexes, avec tout ce que cela implique de rapport au manque.

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Un mot encore sur un autre des termes lacaniens dont nous aurons besoin par la suite. Lacan nomme grand Autre, ou lieu de l’Autre, un lieu fictif où seraient comme rassemblés tous les signifiants. C’est le lieu de la parole, dimension radicalement Autre parce que, en naissant, nous tombons dans le bain du langage, qui fonctionne d’abord comme un milieu totalement extérieur à nous.

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Revenons à présent à notre question : comment la nécessité pour le sujet d’avoir à entrer dans la parole et à passer par « les défilés du signifiant » a-t-elle pour effet une perte d’être, ce « manque-à-être » que nous avons dit ? Lacan l’explique par la nature même du signifiant. Le signifiant est pure différence, altérité, tout signifiant renvoie toujours à un autre signifiant, et chaque signifiant est ce que tous les autres ne sont pas. De ce fait, il a cette fonction distinctive qui permet d’articuler un discours. Mais, du côté du sujet, il n’en va pas de même, il a une fonction néantissante : aucun signifiant ne peut en effet assurer une identité positive au sujet parlant, et tout se passe comme s’il y avait en quelque sorte un signifiant qui manquait toujours – c’est celui qui répondrait de l’être du sujet.

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Les linguistes distinguent le sujet de l’énonciation du sujet de l’énoncé. Celui de l’énonciation nous intéresse pour ce qui concerne la perte subie par l’être parlant : c’est le point d’où part sa parole, mais, dit Lacan, c’est un point qu’il ne peut jamais voir et où, de ce fait, il est comme absent. Il ne peut se voir qu’au niveau de l’énoncé dans le « je » ou dans son propre nom. Or, à ce niveau, il se trouve en effet identifié, mais sans y être « simplement » : car ce nom lui est à la fois intime et extérieur. Ce qui fait que le sujet lacanien est conçu comme un sujet divisé, et que Lacan peut parler d’un « mur du langage ».

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On comprend que, par rapport à une telle conception du sujet, il soit nécessaire de renouveler ce qu’il pourrait en être de l’objet. Lacan le fait bien entendu encore à partir du langage, de la nécessité pour le sujet humain, dans la prématuration où il se trouve à la naissance, d’en passer par la parole pour obtenir la satisfaction de ses besoins. Du coup, on va changer de registre : on n’est plus dans celui du besoin, on passe maintenant dans celui que Lacan nomme demande. Et c’est là que nous allons retrouver l’amour, mais aussi le désir qui maintenant va s’en distinguer – besoin, demande, désir, voilà encore un ternaire lacanien…

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L’amour d’abord, car on peut dire que c’est là, avec la demande, qu’il vient à l’homme. Avec la demande, puisque dans son état de prématurité, le petit d’homme doit en passer par l’appel à l’autre pour obtenir la satisfaction de ses besoins, de la faim en tout premier lieu. Et, très vite, tout au long de la répétition de ses appels, le bébé fait une série d’expériences. D’abord celle de l’inévitable dépendance qui est la sienne par rapport à l’autre ; puis celle de la position de pouvoir, pour ne pas dire de toute-puissance, qu’il ne peut pas ne pas prêter à l’autre devant le fait que cet autre est maître de répondre ou non à sa demande. Cependant, cette demande change très vite de nature. Très vite, le bébé comprend que, derrière son cri d’affamé, la mère entend autre chose : une demande d’amour. Mais encore que, réciproquement, la mère par sa présence, au-delà des soins qu’elle dispense, lui signifie son amour. Le bébé veut aimer, mais aussi être aimé ; il sourit, l’autre lui sourit.

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Avec l’amour, on est dans le monde des signes : de l’amour, on ne peut en effet recevoir et donner que des signes. Pensons à l’enfant qui répond à la demande d’amour en accordant à sa mère, ou à celui de ses proches à qui il veut signifier sa faveur, le privilège de recevoir ses soins : cet enfant qui interpelle « Maman pipi ! », ou celui qui décrète : « C’est toi qui te mets à côté de moi », le déclare en effet comme signe d’amour. Et ce geste illustre une des plus célèbres maximes lacaniennes sur l’amour : « L’amour, c’est donner ce qu’on n’a pas. » Ce que le petit accorde à l’autre, en effet, c’est quelque chose qu’il n’a pas : ce qu’il donne, c’est sa demande d’amour. Ce que le sujet demande, c’est que l’autre de l’amour le situe comme aimable, afin qu’il puisse aimer à son tour.

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« L’amour, c’est donner ce qu’on n’a pas », Lacan le dit très tôt, dès le séminaire IV, La relation d’objet. Mais il y reviendra et le complètera. La formule la plus aboutie se trouve dans le séminaire VIII, Le transfert. La voici : « L’amour, c’est donner ce qu’on n’a pas et on ne peut aimer qu’à se faire n’ayant pas, même s’il on l’a. » Et il ajoute : « L’amour comme réponse implique le domaine du non-avoir. Donner ce que l’on a c’est la fête, ce n’est pas l’amour… »

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Le problème, c’est que l’amour ne s’en tient pas là. La demande d’amour a une caractéristique bien particulière : elle est demande pure, inconditionnelle. Il s’agit non pas d’une demande de ceci ou de cela, mais de demande tout court. Et c’est là que va s’ouvrir la dimension du désir : l’amour, si l’on peut dire, ne se contente pas de l’amour. L’amour en veut toujours plus. Oui, mais quoi ? On ne peut répondre, dit Lacan, que par la lettre sous laquelle s’écrit l’inconnue en mathématique : au-delà du signe d’amour, le désir vise un x. Mais ce n’est pas tout. Cette ignorance quant à ce que je veux de l’autre a une seconde face : si ce que je désire de l’autre m’échappe, réciproquement, ce qu’il attend de moi, cet autre, m’est également pure énigme : mais que me veut-il donc ? Lacan ramassait cette question dans l’expression « che vuoi ? » (littéralement : « Que veux-tu ? », mais il préfère le rendre par : « Que me veut-il ? »). C’est dire que, de la façon la plus confuse, la question du désir est d’abord déposée dans l’autre. C’est ce qui faisait dire à Lacan – formule célèbre – que le désir de l’homme, c’est le désir de l’Autre.

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Pour éclaircir ce qu’il en est de cet x du désir, de cet au-delà de l’objet de la demande, Lacan fait un détour, et là encore on va rencontrer un de ces mots un peu énigmatiques qu’on entend quand on parle de Lacan. Il s’agit de das Ding, la Chose en français (c’est dans la séminaire VII, L’éthique de la psychanalyse). Je vais très brièvement la situer.

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Das Ding est un mot emprunté à Freud. Dans la rencontre avec l’autre, Freud avance qu’il y a deux parts : une part que je reconnais parce que je peux la ramener à ce que je connais en moi ; une autre part à laquelle je n’ai aucun moyen d’accès et qui va me rester radicalement étrangère. Das Ding, la Chose, désigne cette part de l’autre qui m’échappera toujours dans une radicale « étrangéité ». Et Lacan rapproche cela d’une constatation faite très tôt par Freud. Freud constate que tout se passe comme si le sujet était orienté et mû par une tendance à « retrouver » ; comme si toute quête de l’objet se présentait comme la quête d’un objet foncièrement perdu et comme si toute « trouvaille » de l’objet prenait le sens d’une « retrouvaille » de cet objet perdu. En superposant ces deux notions freudiennes, Lacan fait de das Ding le modèle même de l’objet cherché mais jamais trouvé, objet à la fois absolu et impossible à atteindre, qui engendre la tendance à retrouver alors qu’il n’a jamais été perdu puisque jamais trouvé.

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C’est la place de cette Chose qui fonctionne comme un noyau central de vide (Lacan parle du cœur vide de la Chose) et qui, par une sorte d’appel que va générer ce vide, creusera le lit des objets à venir – ces objets connus sous le nom d’objets (petit) a (a étant, disait Lacan, la première lettre qui nous tombe sous la main pour désigner ces objets d’un genre tout à fait nouveau). Ces objets sont donc à penser non plus comme des objets que viserait le désir, mais comme des objets qui causent le désir. Ils sont dits : objets causes du désir.

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Ces objets causes gardent les mêmes noms que ceux qui étaient au préalable visés par la demande, ces objets dit partiels parce que ayant tous des rapports avec des parties du corps (sein, fèces, regard et voix). Mais, par cette transmutation qui fait que l’insatisfaction liée à la demande et à l’inconditionnalité de l’amour a ouvert un autre registre, celui du désir, leur nature est totalement subvertie : ce sont des objets strictement imaginaires, de purs objets de pensée et non pas des objets de ce monde. Ce sont eux, ces semblants d’objets, qui animent le fantasme et fonctionnent comme des leurres, leurres dont on peut dire qu’ils trompent le désir, comme on dit qu’on trompe la faim. Mais, dit Lacan, le sujet « s’en contente », à entendre dans son ambiguïté : il y a des leurres réussis. Même si c’est de l’ordre du « semblant », comme le dit encore Lacan, ça fait marcher le désir.

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Et ici, si l’on peut dire, la boucle se referme. Nous étions partis, du côté du sujet, de ce manque fondamental, ce manque-à-être que déterminait en lui sa prise dans le langage. Or, en face de quoi ces objets fonctionnent-ils comme des leurres, et que trompent-ils, si ce n’est précisément ce manque dans le sujet dont il ne veut rien savoir ?

Ratage du rapport sexuel

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L’objet a mis en place, la question de l’amour, comme je l’ai dit dans mon introduction, paraît pour tout un temps devenue obsolète. C’est le désir qui va maintenant occuper Lacan. Le désir, mais aussi un autre concept qui en fait en quelque sorte la doublure : la jouissance.

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Faut-il souligner que la sexualité humaine n’a plus rien de « naturel » ? Elle est littéralement dé-naturée, mise à distance de l’instinct par la prise de l’être humain dans le langage. Comme toutes ses autres fonctions dites naturelles d’ailleurs. Le registre du symptôme le dit suffisamment : il n’y a d’impuissance et de frigidité, comme de boulimie et d’anorexie, que dans notre espèce.

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Lacan a introduit le concept de jouissance pour restructurer ce que la psychanalyse peut dire du rapport des êtres humains, femmes comme hommes, à ce phallus dont nous avons déjà parlé, en le considérant maintenant comme le signifiant qui va prendre en charge, dans l’inconscient humain, la dimension du manque – qu’on peut entendre, je le rappelle, tout à la fois comme le signifiant du manque de l’objet et comme celui du manque dans l’objet. On peut le comprendre si on se souvient de ce qui a déjà été dit à propos du phallus : le phallus, si l’on reste sur un plan imaginaire, peut être indice de toute-puissance ; mais à l’inverse, si on le considère sur un plan symbolique, il devient le signifiant le plus apte à inscrire la dimension du manque dans la psychisme humain.

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Cette dimension du manque, c’est ce qui fait obstacle à toute possibilité de satisfaction pleine, comme le dit assez la problématique de l’objet a. Il va falloir à l’être humain, s’il veut avoir accès au désir, renoncer à ce qu’on pourrait appeler une pleine jouissance. Et c’est la fonction phallique qui indique le chemin de cette renonciation – c’est ce que la psychanalyse désigne comme loi universelle de la castration.

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Ce à quoi il faut renoncer – je vais être extrêmement schématique – peut se dire de différentes façons : renoncer à la mère qui est interdite, renoncer à retrouver ce que nous avons appelé l’objet perdu, ou encore das Ding, la Chose, bref, renoncer à tout ce qui pourrait faire office de Souverain Bien. Mais, à cette pleine jouissance interdite, se substitue, ici encore, quoi ? Un leurre, puisque c’est décidément le destin de l’être parlant… Et ce leurre est celui de la jouissance phallique. C’est un leurre, car la jouissance phallique n’est pas directement accessible au désir, si on peut dire : elle ne peut s’exercer qu’au travers de toute une élaboration qui met en jeu le langage et qui doit faire le détour par le fantasme. Ça n’empêche pas que ce soit ce détour qui rend possible ce que les humains connaissent de satisfaction sexuelle. Mais le prix à payer pour ce passage par le fantasme est une sorte de fragilité de l’être parlant dans son rapport à une satisfaction qui est, je le répète, dénaturée. Conséquence de cette fragilité : l’angoisse peut s’en mêler et le symptôme y pointer son nez…

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Freud parlait de l’angoisse de castration pour l’homme et du fameux Penisneid pour la femme. Lacan, quant à lui, commente avec humour : ce que la femme demande à l’analyste, c’est, oui, on peut le dire comme ça, un pénis. « Mais, spécifie-t-il, pour faire mieux que l’homme ! » La femme, c’est justement ce sur quoi Lacan à son tour va buter. Je dis à son tour, car cette question de la sexualité féminine est là depuis le début de la théorie analytique, comme une épine plantée en son cœur.

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Tout comme celle de ce qu’on nomme différence des sexes, d’ailleurs : comment dire, du point de vue de l’inconscient, ce qu’est une femme et ce qu’est un homme ? Ou encore, à partir de quoi définir ce qu’on appelle le sexe psychique ? La référence biologique ne peut plus servir à rien, et on sait depuis Freud qu’il n’y a pas dans l’inconscient de signifiants différenciés qui permettraient d’inscrire deux sexes symétriques. Reste ce fameux phallus avec lequel, et avec lui seul, il va falloir bâtir une logique qui puisse répondre de la différence des sexes.

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Il faut avant tout souligner qu’on ne peut en aucun cas opposer une catégorie de ceux « qui auraient » à une catégorie de ceux « qui n’auraient pas », puisque, on l’a souligné, dans le psychisme, le phallus est toujours ce à travers quoi s’inscrit la dimension du manque. Ce qui fait que Lacan s’emploiera à construire une logique qui permettra d’écrire (j’insiste sur « écrire ») comment chaque sexe va boiter à sa manière dans son rapport au phallus – c’est ce qui est connu chez Lacan sous le nom de « formules de la sexuation ».

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Pour ce qui nous intéresse ici, retenons seulement qu’au cours de son cheminement, Lacan parvient à deux aphorismes, tous les deux négatifs. Quand ils sont redits ailleurs, si on les prend naïvement au pied de la lettre, ils sont pour le moins provocants – pour ne pas dire qu’ils donnent une apparence d’absurdité : ce sont « La Femme n’existe pas » et « il n’y a pas de rapport sexuel ».

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Un mot de chacun d’eux. « La Femme n’existe pas » : on remarque qu’à strictement parler, ça ne peut pas se dire, mais seulement s’écrire – la preuve, je dois vous l’épeler. C’est ce qui signe qu’on est dans la dimension d’une formulation logique, et qu’on n’a plus affaire à une proposition de la langue commune. Car ce qui est nié, ce n’est évidemment pas le sexe féminin, mais la possibilité que ses représentantes puissent se subsumer sous un concept qui aurait une prétention à l’universalité. Il n’y a pas de trait sous lequel nous pourrions rassembler toutes les femmes pour en faire un « La Femme ». Pour l’homme, en revanche, ce trait, nous l’avons : c’est qu’il n’est pas possible pour l’homme de se soustraire à sa soumission à la fonction phallique ; tous les hommes sont strictement cantonnés dans ce champ de la jouissance phallique. Les femmes, non. Elles peuvent, dit Lacan, pour une part, s’en extraire. C’est pourquoi Lacan dit aussi de la femme qu’elle est « pas-toute », ce qui signifie : pas toute soumise à la fonction phallique. Cette part de jouissance qui ne s’enrôle pas sous la bannière phallique, Lacan la nomme : jouissance supplémentaire. Nous allons y venir, car c’est elle que Lacan essayera de cerner dans le séminaire Encore qui sera notre prochaine étape.

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Quant au « il n’y a pas de rapport sexuel », il signifie que cette dissymétrie foncière entre les sexes que l’on vient d’énoncer interdit toute mise en rapport – au sens logique du terme, encore une fois – de complémentarité entre deux sexes, dont la définition est si insaisissable et dont les jouissances sont à ce point incommensurables. Impossible avec ces deux-là que ça fasse Un, le Un de l’union sexuelle.

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Bref, l’essentiel à retenir, c’est que, pour ce qu’il en est du rapport entre les sexes, c’est toujours de l’ordre de l’incomplétude, de l’aléatoire, de la boiterie, dans ce rapport au leurre qui est le lot de l’être parlant. Ça n’empêche certes pas de continuer à faire courir le monde, mais ça ne cesse pas tout en même temps de faire demander autre chose. Et c’est là que nous allons retrouver l’amour.

L’amour comme suppléance

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On est maintenant dans l’année 1972. Lacan, qui s’adresse à son public dans la chapelle Sainte-Anne, a cette curieuse envolée : il se demande si ce n’est pas aux murs qu’il parle, et si ses auditeurs ne prennent pas la réflexion de sa voix sur lesdits murs pour sa réflexion personnelle. Il reprend alors un poème de Tudal qu’il avait déjà mis en exergue à l’un de ses textes des Écrits :

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Entre l’homme et l’amour,
Il y a la femme.
Entre l’homme et la femme,
Il y a un monde.
Entre l’homme et le monde,
Il y a un mur.
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De fait il va s’avérer que ce poème est le prélude à la réouverture de la question de l’amour. Mais Lacan écrit, ce jour-là, « amour » d’une façon bien particulière : « (a)mur ». C’est un néologisme qu’il emprunte à une de ses patientes délirantes et qui lui permet, par son écriture, de faire entendre plusieurs choses à la fois. De marquer, avec ce petit « a » entre parenthèses, que l’amour lui aussi est toujours accroché à l’objet a, et que, de ce fait même, il met en jeu le manque et la castration. D’insister aussi, une fois encore, sur le fait qu’entre l’homme et la femme, « ça ne marche pas » – comme il dit : il y a un mur. Il y en a même deux : il y a le mur du langage, et il y a le mur du non-rapport sexuel. Puis, note-t-il encore, l’écrire ainsi peut faire aussi « muroir » (où assonent miroir – celui du narcissisme – et mouroir – où l’on entend la pulsion de mort –)…

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Disons-le tout de suite, cette écriture « amur » (ayant perdu ses parenthèses) sera reprise quelques mois plus tard, au cours du séminaire Encore, où la question de l’amour va faire retour en tant que telle au cœur du propos de Lacan. « Amur » donnera la lettre d’amur, mais Lacan écrira aussi Âmour, comme dans « âme », ce qui indique assez qu’il renoue, comme nous le verrons, avec le langage de l’être.

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De cette même année, prélude à Encore, vient l’une de ces maximes concernant l’amour qui fera fortune. Il s’agit de nouveau du don – et cette formule peut être entendue comme une sorte d’exacerbation du « donner ce qu’on n’a pas » : « Je te demande de me refuser ce que je t’offre parce que c’est pas ça » – ça, c’est l’objet a, et l’on retrouve le même avertissement qu’avec l’amur [2][2] Petite histoire. Il se trouve que Lacan a entendu parler....

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Puis arrive Encore, le vingtième des séminaires de Lacan. De l’amour il va en être question. Mais pas que de l’amour. Dans ce séminaire difficile, aux efflorescences quasi surréalistes, Lacan tisse une série de thèmes : celui de la femme et celui de Dieu ; celui du corps, celui du réel et celui de la jouissance.

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Nous en étions restés, quand il a été question de jouissance, avec cette idée que le sexuel avait les plus forts liens, chez la femme comme chez l’homme, avec la fonction phallique. Mais nous avions entrevu, à propos de l’énoncé « La Femme n’existe pas », que Lacan avançait que, si les hommes étaient entièrement assujettis à cette fonction, les femmes, elles, pouvaient, pour une part de leur jouissance, ne pas être y soumises. D’où cet autre énoncé « la femme n’est pas toute », à compléter par : « La femme n’est pas toute prise dans la fonction phallique. » Cette part de jouissance qui excède la soumission phallique, cette part en plus, Lacan la nomme jouissance « supplémentaire » – supplément qu’il faut entendre dans sa différence d’avec « complément » : rien de complémentaire entre les sexes.

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Ce qui est donc posé maintenant, c’est une question qui prend de nouveau la forme d’un « au-delà », la question d’une jouissance « au-delà » du phallique. Avant d’aller plus loin, il faut dire un mot de l’air de ce temps-là, où la question de la jouissance féminine était éminemment à la mode et provoquait tout le monde, psychanalystes en tête. Freud déjà s’était plaint : quand il s’agit du féminin, se désolait-il, « notre matériel devient – d’une façon incompréhensible – beaucoup plus obscur et lacunaire ». Quant à Lacan, il s’interroge devant « cette jouissance que les femmes éprouvent sans en faire savoir et dont elles ne disent rien malgré qu’on les supplie à genoux de le faire ».

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Et c’était bien l’au-delà du phallique qui intriguait : la jouissance clitoridienne, elle, ne posait pas de problème, elle était considérée comme relevant de la jouissance phallique, c’est-à-dire comme une jouissance d’organe. Mais quid de la jouissance vaginale ? D’une jouissance sans organe digne de ce nom, puisque constitué d’une gaine reconnue comme dépourvue de toute innervation : comment cela pouvait-il bien jouir ? Il y a bien eu le célèbre « orgasme utéro-annexiel » de la chère Françoise Dolto. Il y a bien eu aussi un certain point G, dont d’aucuns ont pu penser qu’il allait dissiper le mystère… Mais, de fait, c’est lui, ce point, qui allait à son tour devenir plutôt sujet à controverse.

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Voilà donc la question que vient relever Lacan avec sa jouissance supplémentaire, « au-delà », à laquelle il donne un nom : « jouissance de l’Autre » (avec un A majuscule). Cet « Autre », il faut l’entendre au moins dans un double sens. D’abord, il s’agit de l’Autre comme lieu du langage – nous l’avons déjà évoqué – et, en effet, pour tout sujet l’abord de la jouissance s’effectue nécessairement par une question posée au lieu de l’Autre. Puis, dans un second sens, par cette jouissance supplémentaire, Lacan fait en quelque sorte de la femme l’Autre sexe, ou l’Autre absolu du sexe – qu’il lui arrive même de désigner, sur le modèle du Horla de Maupassant, comme « Horsexe ».

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Alors, que vous dire de cette jouissance dont Lacan se plaignait que les femmes l’éprouvent sans en faire savoir ? Si elles n’en disent rien, ce n’est pas qu’elles s’y refusent, c’est, finira-t-il par admettre, qu’on ne peut rien en dire, et qu’on ne peut rien en dire par structure. Quelque chose non pas d’ineffable, mais d’indicible, quelque chose qui est éprouvé sans qu’on n’en sache rien, quelque chose qui aurait à voir avec la plus grande affinité de la femme à l’égard de la question du manque dans l’Autre, lieu d’incomplétude où peut s’épanouir par excellence ce qui ne relève pas de la jouissance phallique.

109

Il y a pourtant une manière de l’approcher qu’on a déjà entrevue : c’est le discours des mystiques, celui dont Lacan trouve les plus hautes expressions dans l’extase de la Sainte Thérèse du Bernin (qui, comme on le sait, fait la couverture du séminaire Encore), ou également dans La nuit obscure de saint Jean de la Croix. Lacan proposait même d’inscrire ses propres Écrits à la suite de ceux des grands mystiques, ce qu’autoriserait, selon lui, sa croyance en cette jouissance purement féminine qui serait « en plus ». Lacan un grand mystique ? Avant de se compter parmi eux, il venait juste de parler de « ces hommes qui sont aussi bien que les femmes » – insistant : « Ça existe ! »

110

Écoutons Madame Guyon, dont Fénelon suivait attentivement les expériences mystiques : « L’amour pur [dans le contexte, par amour pur, on peut sans aucun doute entendre “jouissance” au sens moderne du terme : cet “amour pur” est celui qu’on lit sur le visage de la sainte Thérèse du Bernin], l’amour pur, dit-elle, est d’une nature qu’il ne peut jamais être connu que de celui qui l’éprouve […]. Celui qui n’est pas parfaitement consommé dans l’amour ne peut jamais juger de ce que produit l’amour consommé […]. Tout ce que l’on dirait des effets de l’amour tout pur et tout nu non seulement ne serait pas compris de celui qui n’est pas détruit par cet amour, mais il en serait souvent scandalisé. »

111

Et on peut imaginer Fénelon, en 1689, aussi embarrassé dans la théologie que Lacan allait l’être dans la théorie analytique : comment analyser cette jouissance par les ressources de la seule science théologique, alors qu’elle exige d’être expérimentée pour être connue véritablement ? Son embarras, Lacan l’avoue : « D’un côté la jouissance est marquée par ce trou qui ne lui laisse pas d’autres voies que celle de la jouissance phallique. De l’autre côté, quelque chose peut-il s’atteindre qui nous dirait comment ce qui jusqu’ici n’est que faille, béance dans la jouissance, serait réalisé ? »

112

Ce « quelque chose », cette jouissance « au-delà » toucherait à ce point limite que peut atteindre tout discours humain et qui, pour parler lacanien pur et dur, « confinerait à ce bord qu’est le réel » (une des définitions du réel étant que « le réel, c’est l’impossible »). On serait ainsi au bord de ce réel indicible, fascinant et horrifiant pour tout homme, dernier vacillement du sujet devant cette jouissance silencieuse qui ne peut que faire surgir l’angoisse.

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Qu’est-ce qui conduit Lacan, dans ce contexte, à reparler d’amour ? Il le fait avec une assertion nouvelle, en distinguant radicalement jouissance d’amour : quand on aime, affirme-t-il, il ne s’agit pas de sexe. C’est même là où le rapport sexuel s’avère être toujours dans un certain rapport au ratage que l’amour retrouve sa place. L’amour – voilà la thèse nouvelle – vise à faire suppléance. Là où le sexe ne peut pas faire Un avec deux, l’amour ne le pourrait-il pas ?

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Il est frappant que, pour en parler, Lacan revienne d’une certaine manière à son point de départ. Il fait de l’amour un signe : l’amour fait signe. Et Lacan précise bien, dans une formule négative, qu’il n’est pas le signe de la jouissance de l’Autre, ni du corps qui symbolise cet Autre. Le titre d’Encore y fait écho et mérite qu’on s’y arrête : on peut l’entendre comme la disjonction entre l’en-corps de la jouissance et l’encore de la demande – qui ne peut que demander, encore et encore. « Encore, dit Lacan, est le nom propre de cette faille d’où dans l’Autre part la demande d’amour. »

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Je parlais de retour au point de départ. Je le verrai en effet à différents titres. En premier lieu, le signe – ce signe qu’avait délogé le signifiant lacanien – est de retour. En second lieu, nous nous retrouvons à ce moment initial où nous disions que derrière l’appel du bébé, appel né du besoin, très vite, ce qui est demandé, c’est un signe d’amour – c’est à partir de là que se met en route toute la dialectique du désir. Eh bien voilà, tout le circuit a été parcouru pour arriver à retrouver la demande d’amour, encore et encore.

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Il y a enfin un troisième trait qui nous ramène en arrière, à ce temps où Lacan disait que l’amour, par-delà l’objet, s’adressait à l’être. L’amour est tellement de l’ordre de l’adresse, que ce soit à l’être ou à l’Autre, que Lacan dit avoir les plus grands regrets de parler une langue où on dise aimer quelqu’un. Lui, il voudrait qu’on dise qu’on aime « à quelqu’un », qu’on ne dise pas : « J’aime une femme comme on dit je la bats. » Manière ironique, peut-être, de souligner que l’amour s’adresse à l’Âme (aimer à) ( .... hcqs : ... à l'Â vie ..) et le sexuel au corps (je la bats) ?

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Mais, après tout, ce « aimer à » peut se comprendre comme pris dans le monde des signes : « aimer à » comme « faire signe à ». Sans doute cette remarque fait-elle écho à la différence entre le signe et le signifiant. Le signe est défini comme ce qui représente quelque chose pour quelqu’un. Mais Lacan fait une habile remarque qui subvertit le « quelque chose » représenté. Il prend cet exemple : on dit « pas de fumée sans feu » ; oui, mais la fumée peut être, aussi bien que du feu, le signe du fumeur. La fumée signale la présence d’un sujet fumeur pour un sujet qui regarde. Le signe prendrait ainsi un sens un peu différent : il serait ce qui aurait cette prétention, dans l’amour, de représenter un sujet pour un autre sujet.

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Reste que la position de Lacan par rapport à l’amour demeure extrêmement ambiguë. Dès qu’il y revient, le sarcasme semble de nouveau n’être jamais très loin. Par exemple : « Ça agite, ça remue, ça tracasse les êtres parlants » ; ou encore : mais « boiteux, boitillants, ils arrivent quand même à donner une ombre de petite vie à ce sentiment dit de l’amour ». « Il faut bien pourtant, ajoute-t-il, que par ce sentiment, ça aboutisse en fin de compte à la reproduction des corps… »

119

Reste aussi que la fameuse supposition impossible des mystiques est toujours là, formellement, à l’arrière-plan chez Lacan dès qu’il s’agit des rapports de l’amour et de la jouissance. Elle permet d’approcher quelque chose qui autrement ne pourrait pas se dire. On peut en revanche toujours écrire une supposition, rappelle Jacques Lebrun, mais il faut alors se garder aussi bien de la prendre pour une affirmation que de la prendre comme irréelle. C’est toute la force redoutable de cette figure rhétorique comme instrument dialectique. Toujours est-il que cette supposition conduit Lacan à un point où, dit-il, « on ne peut plus rien dire sans se contredire ».

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Ainsi dira-t-il : « Parler d’amour, la philosophie ne fait que ça, et le psychanalyste prend sa suite. » Ou encore : « Ce que le discours analytique apporte […] c’est que parler d’amour est en soi une jouissance. » Mais c’est pour marteler, tout en même temps, que de l’amour, « assurément, on ne peut pas en parler ». Toutefois, qu’on ne puisse pas en parler n’empêche pas que l’amour, ça se déclare et ça s’écrive : « C’est son aspect obligé et c’est son drame », conclut-il [3][3] Et pourquoi ne peut-on pas en parler ? Parce que, pour....

121

Car il y a quand même un autre effet du langage que la parole : c’est l’écrit. Alors, dans l’amour, ça donne la lettre d’amour – qu’il écrit aussi, toujours ironique : lettre d’âmur. Il n’empêche, finit-il par lâcher, la lettre d’amour est « la seule chose qu’on puisse faire d’un peu sérieux ».

La mourre

122

Vous aurez sans doute remarqué que, si j’ai tenté d’apporter des éléments de définition pour les différents concepts lacaniens que j’ai utilisés, il y en a un sur lequel j’ai glissé : c’est le réel. Je me suis contenté (mise à part une brève notation au début de ce texte) de signaler au passage que l’impossible était un de ses noms. C’est un des noms que Lacan donne au réel, plus particulièrement dans un deuxième temps de son œuvre. Dans le premier, nous l’avons dit, le ternaire S.I.R. (symbolique-imaginaire-réel) était gouverné par la suprématie du signifiant. Puis, la théorisation de Lacan s’affinant, le réel prend un poids de plus en plus déterminant et le ternaire s’écrit désormais R.S.I. [4][4] Sans pour autant que le réel « gouverne » le ternaire....

123

Si j’évoque maintenant ce réel, c’est qu’il existe une dernière tentative de Lacan (le temps de ses trois derniers séminaires) d’arracher l’amour à l’ordre de l’illusion – dernière tentative de sauvetage ? – et de faire, comme il dit, « que l’amour touche au réel ». Impossible, c’est le cas de le dire, de vraiment développer cela. Mais je vais essayer de vous en donner un tout petit aperçu avec le recours de Lacan à un jeu : le jeu de la mourre [5][5] Je m’appuie ici sur la lecture de Mayette Viltard,....

124

Lacan a toujours soutenu que la rencontre amoureuse était de hasard, mais tout en même temps qu’elle se supportait d’un certain savoir entre deux sujets inconscients. Il y a là deux pièges dans lesquels il ne faut pas tomber. Celui du savoir, d’abord : quand Lacan parle de « savoir », c’est d’un savoir, comme il le nomme, insu. Le savoir de l’inconscient est un savoir insu, un savoir que le sujet ne sait pas avoir. Quant au second piège, il serait d’entendre dans ce mot de rencontre quoi que ce soit qui serait de l’ordre de l’accord des psychés. Du fait de la dysharmonie radicale des savoirs inconscients, il y a là un impossible. Lacan fait alors de l’amour ce qui, dans un temps de suspension, introduit à la reconnaissance de cet impossible.

125

Alors, comment faire toucher du doigt ce qu’il en est de cette reconnaissance de l’impossible qui est en même temps re-connaissance de hasard de deux savoirs inconscients – de savoirs insus ? Et comment comprendre que cette rencontre de hasard par-delà l’illusion « touche au réel » ?

126

C’est ce que Lacan propose en ayant recours à ce jeu de la mourre – on a envie de dire : de la mourre et du hasard, puisque c’est un jeu qui justement intrique intimement rencontre et hasard. La légende veut qu’il ait été inventé par la Belle Hélène pour jouer avec son amant Pâris. On y joue beaucoup en Orient, mais aussi en Italie – et en Corse m’a-t-on dit.

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La mourre, le jeu de la mourre, je vous le rappelle : deux partenaires se tiennent face à face, le poing fermé en avant ; à un signal donné, chaque joueur doit, en même temps que son adversaire, lancer une main et lever le nombre de doigts qu’il désire, tout en énonçant un nombre entre 1 et 10 ; si l’un d’entre eux énonce le nombre égal à la somme des doigts levés par l’un et par l’autre des deux joueurs, il a gagné. Si, par exemple, le joueur A lève trois doigts en disant 5 pendant que le joueur B lève deux doigts en énonçant le chiffre 6, c’est le joueur A qui marque un point puisque le nombre total des doigts levés est : 3 + 2 = 5.

128

C’est un pur événement de rencontre : les partenaires doivent « au bon moment [6][6] Thème cher à Lacan : voir « Le temps logique », dans... » et dans une parfaite simultanéité crier et montrer les doigts. Celui qui « par hasard » sait la mourre et crie le nombre qui tombe juste le fait à son insu. Ce nombre ne se sait pas d’avance, il n’est pas lié à la prévision de l’autre, il est crié comme pur événement. « Savoir ce que le partenaire va faire, affirme Lacan, n’est pas une preuve de l’amour. » En effet, le savoir, au sens du savoir su, ce savoir du partenaire nous ramènerait dans les eaux du narcissisme, alors qu’ici, on l’aura compris, on est dans le champ de la pure altérité.

129

Essayons de ramasser ce qui a été dit en une seule proposition : l’amour toucherait au réel dans le bref instant suspendu de ce pur événement de rencontre où celui qui par hasard saurait la mourre à son insu la crierait au bon moment…

130

Lacan a dans une autre occasion évoqué le jeu de la mourre (ou plus exactement son équivalent plus connu chez nous, le jeu de « pierre/papier/ciseaux »). C’était dans l’« Hommage fait à Marguerite Duras du ravissement de Lol V. Stein ». Il écrivait, en équivoquant : « Lol V. Stein, ailes de papier, V ciseaux, Stein, la pierre, au jeu de la mourre tu perds. » Avec Lol, en effet, ça ne pouvait être que : « Tu perds. »

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Pour que ce « tu perds » – que vous risquez d’entendre de bien des manières… – ne soit pas mon dernier mot, je vais terminer sur une dernière formulation de Lacan : « Le réel, dirai-je, c’est le mystère du corps parlant, c’est le mystère de l’inconscient. » L’amour aussi, n’est-il pas ?

132

Valence, Les apprentis philosophes,

133

16 avril 2007.

Notes

[1]

Lacan voyait une correspondance entre ces trois passions et les différentes formes du transfert : l’amour pour le transfert positif, la haine pour le transfert négatif et l’ignorance pour cette forme très particulière de transfert que Freud nommait « réaction thérapeutique négative », où le sujet en analyse, tout en paraissant laisser aller librement sa parole, se montre rebelle à tout changement et à toute amélioration de son état.

[2]

Petite histoire. Il se trouve que Lacan a entendu parler du nœud borroméen par la fille d’une de ses amies la veille du jour où il a prononcé son « je te demande de me refuser ce que je t’offre ». Le nœud borroméen, c’est ce nœud où trois anneaux (ou plus) sont mutuellement entrelacés de façon telle que si l’on coupe l’un d’entre eux, n’importe lequel, l’ensemble du nœud se défait. De ce nœud, Lacan saisit immédiatement l’intérêt et déclare que ça lui est « donné comme une bague au doigt » : il y trouvait en effet un outil mathématique qui permettait d’écrire ce qui était son souci à cette époque, la stricte équivalence des trois registres du réel, du symbolique et de l’imaginaire. Un mois après l’avoir proposée, il inscrivait la formule susdite sur les trois ronds du nœud borroméen : « Je te demande / de me refuser / ce que je t’offre »…

[3]

Et pourquoi ne peut-on pas en parler ? Parce que, pour Lacan, deux impossibles à dire s’entremêlent : dire ce qu’il en est de l’être (ce qui serait une impossibilité logique) et parler d’amour (ce qui relèverait de la « bêtise » – à entendre de la façon la plus rude : qui veut faire l’ange fait la bête). L’être « parce que ce qui est de l’être, d’un être qui se poserait comme absolu, n’est jamais que la fracture, la cassure, l’interruption de la formule “être sexué” ». L’amour parce que ce qu’il tente, c’est de « suppléer au rapport sexuel en tant qu’inexistant ». Et, pour tout ce qui tente de s’approcher de cette suppléance, le langage ne se manifeste que dans son insuffisance : vouloir suppléer au rapport sexuel, c’est « tenter de suppléer à ce qui d’aucune façon ne peut se dire ».

[4]

Sans pour autant que le réel « gouverne » le ternaire R.S.I. comme le faisait le symbolique dans S.I.R. : Lacan postule maintenant une stricte équivalence des trois instances, ce qu’il écrit avec le nœud borroméen (voir note 2). Disons encore ici que l’objet a, d’imaginaire qu’il était au départ, procède dorénavant des trois registres à la fois, « coincé » entre les trois anneaux du nœud.

[5]

Je m’appuie ici sur la lecture de Mayette Viltard, « L’amour », dans L’apport freudien.

[6]

Thème cher à Lacan : voir « Le temps logique », dans Écrits, Paris, Seuil, 1966.

Résumé

Français

[Extrait de l'article — Les articles sont publiés uniquement en français ; les traductions de l'extrait ont été réalisées par le collectif de la revue]
« L’amour… on peut se demander s’il s’agit d’un concept proprement psychanalytique et non pas plutôt d’un thème relevant de la psychologie, voire de la philosophie – “les philosophes, ils ne parlent que de ça”, affirmait en tout cas Lacan. Si on ouvre le bien connu Vocabulaire de la psychanalyse de Laplanche et Pontalis, on constate qu’il n’y a pas d’entrée “amour”. Si on veut entendre parler d’amour, il faut se reporter à l’entrée “objet” pour voir apparaître l’amour, l’amour pour l’objet dans la “relation d’objet”.»
Partant de la Verliebheit de Freud (à distinguer de l’amour : Liebe) Lacan a-t-il fait de l’amour un concept psychanalytique ? J.P. Ricoeur parcourt vingt-cinq ans d’élaboration, partant de l’amour de transfert et de l’amour narcissique (séminaire I), jusqu’à la conception, si singulièrement lacanienne, du séminaire Encore - de l’amour comme suppléance au rapport sexuel qu’il n’y a pas - avant le dernier pas de 1977, qui pose l’amour, pur événement de rencontre, comme touchant au réel.

English

« Lacan, love »
« With love, we can wonder whether it is a properly psychoanalytic concept and not instead, a theme that comes from psychology, even from philosophy - “philosophers talk only about that,” as Lacan, in any case, says. If we open Laplanche and Pontalis’ well-known Language of Psychoanalysis, we can see that there is no entry for love. If we want to hear about love, we must go to the article on the object, where we see love, love for the object in its “object relation.” »

Español

« Lacan, el amor »
« El Amor... Nos podemos preguntar si se trata de un concepto propiamente psicoanalítico o más bien un tema que concierne la psicología, incluso la filosofía – “los filósofos sólo hablan de eso”, como afirmaba Lacan. Si abrimos, el famoso Vocabulario del psicoanálisis de Laplanche y Pontalis constatamos que no hay la palabra “amor”. Si queremos oir hablar de amor, hay que buscar el término “objeto” para encontrar el amor, el amor para el objeto en la “relación de objeto”. »

Plan de l'article

  1. L’amour narcissique
  2. L’amour dans son achèvement
  3. De l’amour au désir
  4. Ratage du rapport sexuel
  5. L’amour comme suppléance
  6. La mourre

 

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Pourquoi Lacan n'aimait pas Ricœur ... ( hcq  il s'agit là de  Paul Ricoeur ...à mon avis )

Question d'ego, et surtout d'un regard différent sur la pensée freudienne, rien ne va entre le psychanalyste et le philosophe. Explications.

Par
Publié le | Le Point.fr
Paul Ricoeur, en 1990, dans son salon aux Murs blancs.
Paul Ricœur, en 1990, dans son salon aux Murs blancs. © ULF ANDERSEN / Ulf Andersen / Aurimages
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PREFACE

page 6 à 23

        

 

 

Reflexions du bon usage des études scolaires

en vue de l'Amour de Dieu

page 95 à 106

 

 

 

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Chemins d'exil : Simone Weil à Londres, entre mystique et résistance

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RÉCIT - La philosophe a tiré de ses seize mois d'exil la substance de son livre majeur, L'Enracinement. Oubliée de tous, en pleine guerre, elle s'éteint d'inanition à Ashford dans le Kent.

Envoyée spéciale à Londres

Le charmant cimetière Bybrook d'Ashford, ville du Kent située à 90 km au sud-est de Londres, se trouve niché entre un quartier pavillonnaire et un centre commercial. Ici, point de caveaux monumentaux qui figent les prestiges dans la mort, mais de sobres tombes joliment fleuries à même la terre, réparties librement comme les arbres dans un jardin à l'anglaise. Si on cherche bien, on trouve dans l'espace réservé aux catholiques une sépulture encore plus modeste que les autres. Un simple carré de granit posé sur le sol indique: «Simone Weil, 3 février 1909- 24 août 1943.»

La tombe de Simone Weil, dans le cimetière d'Ashford.
La tombe de Simone Weil, dans le cimetière d'Ashford. - Crédits photo : Find A Grave / Iain MacFarlaine

En dessous, une petite plaque gravée dont il faut gratter la mousse et la poussière pour pouvoir lire ces mots: «En 1942, Simone Weil a rejoint le gouvernement provisoire français à Londres, mais développa la tuberculose et mourut au sanatorium Grosvenor d'Ashford. Ses écrits l'ont établie comme l'une des plus grandes philosophes modernes.» Une photo délavée par la pluie orne la pierre tombale qui recouvre les restes de celle qui n'aimait pas son corps.

Non loin de là, entre la ville d'Ashford et le cimetière, une autoroute balafre la verte campagne, longée par une «avenue Simone-Weil». Un panneau défraîchi indique que la rue a été renommée ainsi le 8 juillet 1983 en présence de l'attaché culturel de l'ambassadeur de France. Lorsqu'on les interroge, les jeunes collégiens anglais qui la traversent ne savent pas qui elle est.

Sept personnes présentes à son enterrement

Le 24 août 1943, à 10 heures et demie, la plus grande philosophe française du XXe siècle s'est éteinte dans l'anonymat de la campagne anglaise, en plein milieu d'une guerre dont elle ne verra pas l'issue. «Nous n'étions que sept à suivre son enterrement», racontera son ami et compagnon d'exil le chrétien-démocrate Maurice Schumann. «Je le sais parce que je l'ai lu. En effet, le seul souvenir que je garde de cette matinée est celui d'une Anglaise pauvrement endimanchée qui se pencha sur la fosse à moitié bouchée par la dalle, jeta sur le cercueil un bouquet tricolore et partit très vite sans lever les yeux.» C'était sa logeuse à Londres, Mrs Francis, qui avait posé un congé sans soldes pour venir aux obsèques.

Le sanatorium Grosvenor où elle s'est éteinte accueillait des malades atteints de tuberculose. Après la guerre, il s'est transformé en clinique privée, puis en centre d'entraînement pour la police locale. Aujourd'hui, il est devenu un centre de loisirs pour jeunes de 7 à 17 ans. Sous les fenêtres où s'est éteinte l'auteur de L'Enracinement, des gamins jouent au football sur une vaste pelouse qui donne sur les prairies verdoyantes du Kent qu'on n'appelle pas pour rien «le jardin de l'Angleterre». «Quel bel endroit pour mourir!» se serait exclamée la philosophe en entrant dans sa chambre, d'où elle entendait les oiseaux. Elle faillit ne pas y être admise.

Pendant tout son exil, elle ne cessera de regretter d'avoir quitté la France en mai 1942, elle qui aurait tant aimé mourir en martyr ou en combattante, d'une balle dans le front comme Péguy

Dans son dossier à Ashford, on trouve une lettre envoyée au médecin qui s'occupait d'elle à l'hôpital du Middlesex et avait fait une demande pour son transfert au sanatorium: «En réponse à votre lettre du 30 juillet, je regrette de ne pouvoir accepter Mlle Weil parmi nous. Comme notre clientèle est exclusivement ouvrière, nous croyons que la malade se sentira mal à l'aise.» Quelle ironie, quand on sait que toute sa vie, Simone Weil n'aura eu de cesse de chercher la compagnie des plus humbles, allant jusqu'à partager la condition ouvrière dans les usines d'Alsthom et de Renault.

» LIRE AUSSI - Simone Weil, un météore dans le ciel des idées

Le lendemain de l'enterrement, le quotidien local d'Ashford titre en première page: «Un professeur francais se laisse mourir de faim», reprenant l'enquête diligentée par le sous-coroner du comté qui établit dans le certificat de décès qu'elle est morte d'une «défaillance cardiaque due à un affaiblissement du myocarde des muscles du cœur, lui-même causé par les privations et la tuberculose pulmonaire», précisant: «La défunte s'est condamnée et tuée en refusant de manger, dans une période de trouble de l'esprit.» Comme la grande mystique médiévale Catherine de Sienne est morte d'intenses privations infligées à 33 ans, Simone Weil s'est laissée mourir d'inanition à 34 ans, estimant qu'elle ne pouvait manger «quand elle pensait aux Français mourant de faim en France».

«Je suis prête à tuer les Allemands»

Pendant tout son exil, elle ne cessera de regretter d'avoir quitté la France en mai 1942 (les lois raciales de Vichy la touchent directement avec sa famille), elle qui aurait tant aimé mourir en martyre ou en combattante, d'une balle dans le front comme Péguy. Lorsqu'elle rejoint Londres depuis New York, en novembre 1942, c'est pour «prendre part à n'importe quels travaux utiles ou dangereux». Espionnage, sabotage, service de liaison: elle se dit prête à tout. Elle aimerait être parachutée en France dans une unité d'infirmières de première ligne. Un projet très abouti, dont elle avait transmis une note à Roosevelt, puis à de Gaulle, qui le jugea inepte: «De la folie!», se serait exclamé le Général, qui n'a jamais croisé la route de Simone Weil pendant son exil. Elle rencontrera le commissaire à l'Intérieur de la France libre, André Philip, qui, ébloui par son intelligence, avoua à Maurice Schumann qu'il ne savait comment l'utiliser.

Simone Weil en combattante, en 1936, probablement pendant la guerre d'Espagne.
Simone Weil en combattante, en 1936, probablement pendant la guerre d'Espagne. - Crédits photo : Rue des Archives/©Rue des Archives/PVDE

Sa maladresse, sa distraction et sa myopie en font un boulet plutôt qu'une aide précieuse en temps de crise. En 1936, elle avait déjà joué les résistantes au milieu des antifascistes en Espagne: elle avait été rapatriée au bout de quelques semaines après avoir marché dans une bassine d'huile bouillante. À Marseille, en 1942, elle avait essayé d'aider un réseau de résistants proches de Témoignage chrétien, qui lui avait confié une valise de documents à transporter: trébuchant en pleine rue, elle laissa tomber la mallette qui répandit au sol les documents. À Harlem, elle avait pris des cours de secourisme, mais échoué aux examens. Ce pur esprit n'est pas plus fait pour le combat physique qu'on imagine Jean-Paul Sartre faire la cuisine. Ce qui ne l'empêche pas de noter gravement dans ses carnets: «Je suis prête à tuer les Allemands en cas de nécessité stratégique.»

On lui trouve tout de même une tâche, celle d'analyser et de passer au crible tous les documents à caractère politique qui arrivaient en France. Reléguée dans les bureaux d'un des immeubles de la France libre au 19, Hill Street, non loin de Hyde Park où on l'imagine bien faire de longues balades pensives, Simone Weil se morfond de ne pas pouvoir donner son sang. Elle loue une chambre chez une veuve, au 31 Portland Street, dans le quartier aujourd'hui très à la mode de Notting Hill.

L'immeuble en briques où elle avait sa chambre est toujours là, les fenêtres donnant sur une rue tranquille où se garent des voitures cossues. Les traces de l'administration du mouvement de résistance sont très minces à Londres: de Gaulle et Churchill s'étant brouillés après la guerre, la mémoire n'a jamais été entretenue. On trouve simplement une plaque à Carlton Garden: «Ici, le général de Gaulle établit son quartier général. Les Français libres, ses compagnons refusant d'accepter la défaite y ont poursuivi la luttejusqu'à la victoire.» Tous les jours Simone Weil se rend à la messe dans une charmante église néogothique de Farm Street, située à deux pas des bureaux.

«Je consacrerai le peu d'énergie et de vie ainsi accordé soit à réfléchir et rédiger ce que j'ai dans le ventre soit à une activité genre chair à canon»

Simone Weil

Le dimanche, Maurice Schumann l'accompagne parfois au Brompton Oratory. Elle dort trois à quatre heures par nuit, et rentre parfois à pied, à trois heures du matin, après la fermeture de l'undergound, à travers les rues entre les bombardements qui l'indiffèrent. Au total elle passera moins de cinq mois à Londres, avant d'être transférée dans un hôpital du Middlesex pour une granulie pulmonaire. «Je consacrerai le peu d'énergie et de vie ainsi accordé soit à réfléchir et rédiger ce que j'ai dans le ventre soit à une activité genre chair à canon», dit-elle à ses parents. La seconde option lui étant refusée, elle va se concentrer sur la première et offrir au monde un testament spirituel qui l'inscrira dans l'histoire de la philosophie.

Dans un état d'épuisement total, elle a l'urgente conscience d'un legs à communiquer: «Il se trouve en moi un dépôt d'or pur qui est à transmettre», affirme-t-elle dans une de ses dernières lettres. Elle écrit donc frénétiquement, comme en témoigne la large production qui couvre ces quatre mois londoniens: ses carnets, de nombreuses lettres et bien sûr son chef-d'œuvre absolu: L'Enracinement, cette «version contemporaine du Timée de Platon» comme le décrit Robert Chenavier dans la préface qu'il donne aux Écrits de Londres publiés chez Gallimard. Ce texte majeur, qui se veut un projet de Constitution politique pour la France après la Libération, oppose à la civilisation des droits de l'homme une civilisation fondée sur les besoins de l'âme et les obligations qui en découlent. L'Enracinement sera le fruit tourmenté de l'exil.

» LIRE AUSSI - Jacques Julliard: «Simone Weil a le don de faire surgir des contradictions intimes»

Mais au-delà de ce texte très politique, c'est la question spirituelle qui hante ses derniers instants. Ses cahiers de Londres, mélange épars de fragments, sont véritablement l'œuvre d'une mystique. Dans un tourbillon contemplatif et passionné se mêlent les anciens Grecs, saint Thomas d'Aquin, Antigone et les dieux égyptiens, les signes du Zodiaque, les mythes des Gitans, de l'Irlande gaélique et des Esquimaux. Ce qui se dégage de ce syncrétisme est la recherche d'une grâce surnaturelle qui se manifeste différemment selon les cultures. Y a-t-il pour elle une supériorité du christianisme? Oui, sans nul doute, dit celle qui a trouvé la foi en rencontrant notamment le père Joseph-Marie Perrin et le philosophe Gustave Thibon.

On est partagé entre le respect que suggère une intransigeance absolue et l'effroi qu'inspire l'étiolement précoce d'un génie aussi prometteur

Dans un texte remis avant de mourir à son amie la juive convertie Simone Deitz, elle écrit: «Je crois en Dieu, à la Trinité, à l'Incarnation, à la Rédemption, à l'Eucharistie, aux enseignements de l'Évangile.» Cependant: «Je n'ai jamais fait jusqu'ici à un prêtre une demande formelle du baptême. Je ne la fais pas non plus maintenant.» Elle préférera toujours rester sur le seuil, à la «limite», ce mot qu'elle affectionne tant et qu'on retrouve une quarantaine de fois dans ses derniers carnets. À lire ces pages fiévreuses, on est partagé entre le respect que suggère une intransigeance absolue et l'effroi qu'inspire l'étiolement précoce d'un génie aussi prometteur.

Dans la campagne anglaise, Simone Weil dort du juste sommeil des prophètes, loin de la «patrie» qu'elle mit tant d'ardeur à défendre dans ses derniers écrits. L'Eurostar ne passe pas loin. Avec ses godillots usés et son allure de mystique égarée, on l'imagine mal prendre les trains à grande vitesse du XXIe siècle. Elle est mieux oubliée dans son petit cimetière d'Ashford que dans un Panthéon glacé, elle qui écrivait dans son dernier carnet: «Silence de la petite fille dans Grimm qui sauve les 7 cygnes ses frères. Silence du juste d'Isaïe “injurié, maltraité, il n'ouvrait pas la bouche”. Silence du Christ. Une sorte de convention divine, un pacte de Dieu avec lui-même condamne ici bas la vérité au silence.» 

* Pour aller plus loin:  Simone Weil à New York et à Londres, Jacques Cabaud, Plon.


Bio express

1909 - Naissance de Simone Weil à Paris

14 mai 1942- Départ de Marseille pour New York

14 décembre 1942 - Arrivée à Londres

15 avril 1943 - Transfert dans un hôpital du Middlesex pour granulie pulmonaire

24 août 1943 - Mort au sanatorium d'Ashford

 

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 Le combat entre sédentaires et nomades prend désormais une forme inédite et intense. Brexit, Trump: les sédentaires relèvent la tête. Sous le mépris et les insultes moralisatrices des nomades. Dans la confusion et l'exaspération.

 Tout cela paraît bien loin des premiers émois amoureux des années 1970. «En libérant le désir sans limites, en organisant le régime du désir comme ordre et comme religion séculière, c'est bien la disparition du monde comme monde et la disparition de l'homme comme homme qu'il entreprend.»  >>>>>>>>>>

 

ARTICLES

 

1) ...l’espace et le temps des formes de vie

2) .....La REVUE ELEMENTS d' Alain de Benoist ... ce 24.03.2018

 

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ARTICLES

 

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l’espace et le temps des formes de vie

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Texte intégral

 

LES RÉGIMES TOPOLOGIQUES DES FORMES DE VIE

Les régimes topologiques de la présence

 

Les formes de vie se manifestent en particulier par les mouvements dans le champ topologique de la présence,

ou pour faire bref, dans la profondeur sensible. Un actant-corps déploie autour de lui un champ sensible, qui comporte un centre de référence (l’actant-corps sensible lui-même), des horizons (enveloppés d’un domaine extérieur, l’au-delà des horizons), ainsi que des mouvements entre ces positions topologiques.

    S’agissant de modifications sensibles, éprouvées par un actant-corps, elles s’exercent nécessairement sur deux dimensions : celle de l’intensité, et celle de l’étendue ; nous dénommons visée un mouvement topologique portant sur l’intensité de la présence sensible, et saisie un mouvement topologique portant sur l’étendue. Les deux opérations, la visée et la saisie, impliquent chacune au minimum deux rôles : une source et une cible. L’actant-corps peut donc être impliqué dans une visée qui est intensive, et/ou dans une saisie qui est extensive. Il peut être dans les deux cas la source ou la cible. Les régimes topologiques se différencient alors principalement selon que le centre de référence (l’actant-corps) et les horizons (les limites de son champ de présence) sont respectivement source ou cible, soit d’une visée (en intensité), soit d’une saisie (dans l’étendue)2.

 

    Chacun de ces mouvements de visée ou de saisie se traduit par une inflexion, voire une déformation significative du champ de la présence sensible. Par exemple, une forme de vie qui privilégie la visée, à partir de l’actant centre de référence, vers les horizons et leur au-delà, est nécessairement ouverte sur toute la diversité des possibles, des menaces comme des bonheurs.

   En revanche, une forme de vie qui privilégie au contraire la saisie des horizons et de ce qui occupe le champ en deçà des horizons, à partir du même actant centre de référence, focalise tout particulièrement sur la clôture topologique de la perspective, voire sur des effets d’enveloppement et de totalisation, au bénéfice d’une attitude générale qui consiste à affermir la prise sur le monde signifiant.

Mais imaginons que dans l’éprouvé de l’actant, ce soit lui qui soit visé par le monde et par ce qui se passe sur les horizons de son champ personnel : le voilà menacé, voire assiégé, par ce rebroussement de la visée et de la profondeur. La position de centre de référence peut même être compromise, le champ tout entier, déstabilisé, et le régime topologique est alors celui d’une vie intenable et « inhabitable ».

  

Il serait légitime de se demander en quoi ces déformations topologiques concernent les deux plans constitutifs des formes de vie, à savoir le plan de l’expression (le schème syntagmatique), et le plan du contenu (les différentes catégories sélectionnées et pondérées). Il faut rappeler ici que nous ne pouvons parler de « formes de vie »  que si le schème syntagmatique est ressenti comme cohérent, et si l’actant qui le ressent ainsi s’emploie à le rendre tel par son engagement dans la poursuite du cours de vie, et que si les catégories du contenu sont entièrement déployées, sur un parcours génératif entier, sous le contrôle de sélections et pondérations congruentes.

    Le principe que nous avons posé plus haut (première partie, deuxième chapitre), et qui « subjectivise » en quelque sorte les schèmes syntagmatiques de l’expression et les structures paradigmatiques du contenu, est parfaitement adapté à ces modifications topologiques du champ de présence sensible : que ce soit du côté de la cohérence (de l’expression) ou du côté de la congruence (des contenus), nous avons dans les deux cas affaire à un déploiement dans l’étendue (déploiement syntagmatique d’un cours de vie, déploiement des choix sur l’ensemble des niveaux d’un parcours génératif) et à des variations d’intensité (intensité de l’engagement dans le cours de vie, intensité des choix et des pondérations effectués sur les contenus). Et dans les deux cas, l’origine de ces déploiements dans l’étendue et de ces variations d’intensité, celui qui les opère et les ressent à la fois, est le même actant, l’actant-corps qui assume la forme de vie.

Les déformations topologiques dominantes sont donc produites sous le contrôle des variantes suivantes :

  1. Le mouvement topologique peut porter
    1. soit plutôt sur l’intensité de la présence, et laisser une certaine incertitude sur l’extension (ouverture, diversité des possibles, etc.) : il s’agit de la visée,
    2. soit plutôt sur l’extension de la présence, sur sa portée et ses limites (clôture, mesure, etc.), et laisser en suspens la question de l’intensité : il s’agit de la saisie.
  2. L’initiative de la relation sensible revient soit à l’actant-corps, soit au monde sensible, offrant ainsi deux cas d’orientation des opérations sur la présence sensible : (i) ou bien l’actant est la source et le monde, la cible, (ii) ou bien l’inverse : l’actant est la cible, et le monde est la source.

  

Dès lors, les déformations topologiques du champ de la présence sensible peuvent être envisagées comme des associations entre deux types d’opérations, la visée (intensité, orientation, ouverture du champ) et la saisie (extension, portée, clôture du champ), et deux orientations de la profondeur sensible, une orientation centrifuge (de l’actant vers le monde) et une orientation centripète (du monde vers le sujet). Les quatre situations prévisibles sont les suivantes :

  1. Si l’actant-corps vise le monde sensible et ouvre le champ, il est en position de quête, voire de conquête et de découverte.
  2. Si l’actant-corps saisit le monde et ferme le champ, il est en position demprise ; il fait du monde son empire, sa possession et son domaine de légitimité.
  3. Si l’actant-corps est visé par le monde sensible, il est en position de fuite, de repli ; il est menacé, remis en cause, au minimum, interrogé ou sollicité.
  4. Si l’actant-corps est saisi par le monde, il est en quelque sorte en inclusion dans le monde, englobé et localisé, dans une situation qui peut prendre la forme d’un piège et/ou d’une réification en tant que simple partie du champ topologique.

   Nous avons déjà évoqué le monde de l’absurde, et la prolifération des expressions qui assiègent l’actant-corps, le visent et le menacent, et des forces qui cherchent à se saisir de lui. Il n’a le choix qu’entre deux régimes de formes de vie : la fuite, pour n’être pas saisi, ou l’inclusion, pour faire corps avec les expressions proliférantes qui l’assiègent. Chez Céline, Bardamu ne cesse de fuir en changeant de champ de référence et en parcourant le monde entier, entre Europe, Afrique et États-Unis. Il finit par renoncer, et par appartenir lui-même aux expressions de l’absurde : c’est l’étape finale de l’abjection. Chez Ionesco, Béranger fuit en quelque sorte de l’intérieur, en renonçant à être la position de référence du champ sensible : il adopte alors un vécu corporel schizoïde.

10Nous évoquerons plus loin la dynamique propre aux territoires, que l’on se représente spontanément, en première analyse, comme relevant d’un régime topologique de clôture et d’emprise : emprise biologique, éthologique, économique et culturelle. Mais nous montrerons également pourquoi ce régime de l’emprise ne peut rendre compte de la dynamique territoriale contemporaine : les limites sont conçues pour être transgressées ou déplacées, les réseaux et les interactions à distance ouvrent les territoires, et les autres régimes (la quête, la fuite ou le piège) peuvent alors se substituer ou s’associer à celui de l’emprise.

11Une typologie prend forme, qui peut en première approche être présentée comme une simple table de combinaisons :

 

Actant source/Monde cible

Actant cible/Monde source

Visée

Quête

Fuite

Saisie

EmprisePossession

InclusionPiège

Des formes de vie en tension et transformation

12La typologie des régimes topologiques de la présence peut être réorganisée du point de vue de l’actant, le centre de référence du champ de présence sensible, qui est aussi le centre d’assomption de la forme de vie : nous avons déjà montré que les formes de vie impliquent l’assomption subjective par un actant-corps.

13De ce point de vue subjectif, le premier choix qui s’impose est celui de la nature de l’opération dominante qui est exercée sur le champ de présence sensible : visée ou saisie ? Ensuite, que l’actant-corps soit source ou cible de cette opération dominante, la question qui se pose de son point de vue, c’est la possibilité d’exercer tout ou partie de l’autre opération : l’opération qu’il met en œuvre en tant que source, ou dont il est la cible, laisse-t-elle la place, ou pas, à la possibilité de l’autre opération ?

14De ce point de vue, les choses sont donc relativement simples : l’actant prend en charge ou pas l’intensité de la présence sensible (visée), et il s’agit de savoir si cela inhibe ou pas sa capacité à prendre en charge également l’extension de cette présence (saisie). Par exemple, s’agissant de la continuation du cours de vie, il s’agit de savoir si l’engagement ponctuel intense de l’actant inhibe ou favorise sa persévérance globale et de long cours ; ou bien, s’agissant des sélections paradigmatiques sur les contenus, il s’agit de savoir si l’intensité de tel ou tel choix de pondération compromet ou pas la congruence de l’ensemble des sélections opérées à tous les niveaux. En bref, il s’agit de savoir si la visée et la saisie se renforcent ou s’affaiblissent réciproquement.

15Formellement, la question qui se pose dans ce cas est celle de la compatibilité ou de l’incompatibilité entre la visée et la saisie, considérées comme deux dimensions, respectivement intensive (la visée) et extensive (la saisie), de la même structure de perception et de constitution des formes de vie. Ces relations de compatibilité et d’incompatibilité peuvent être décrites comme des tensions entre la visée dans l’intensité, et la saisie dans l’étendue : tensions convergentes, quand elles se déploient en se renforçant l’une l’autre ; tensions divergentes et inverses, quand elles se déploient en s’affaiblissant l’une l’autre. Ces tensions constituent une structure tensive où nous retrouvons les positions combinées précédentes, mais cette fois liées dans un modèle qui garantit la solidarité globale des quatre régimes identifiés.

 

Les formes de vie définies par la topologie des visées et des saisies dans le champ de présence doivent être homologables avec celles, élémentaires, définies par les seules catégories de l’absence et de la présence de l’expression et du contenu (partie I, deuxième chapitre) : c’est ainsi que le sentiment du manque est présupposé par la quête, que le sentiment de plénitude est associé à l’emprise, que le sentiment du vide peut correspondre à l’inclusion et au piège, et enfin que la surprise et l’attente de l’inattendu sont parties prenantes de la fuite. Ces homologations sont à la fois congruentes et conformes : ce sont les associations en quelque sorte « par défaut », que suscite le mode déductif que nous avons adopté.

17Mais elles ne sont pas contraignantes, et d’autres relations sont possibles, qui deviendront congruentes si elles se propagent sur d’autres niveaux d’analyse. Par exemple, l’actant dominant de l’emprise peut être paradoxalement « déprimé » si le sentiment du vide est associé à l’emprise. De même, il n’est pas exclu que le sentiment de plénitude puisse être associé à la fuite, si la seule manière de conjuguer une entière présence de l’expression et du contenu est, pour l’actant, un parcours d’errance et de mouvement perpétuel : pour lui, en effet, la seule manière d’accorder un déploiement réussi du cours de vie avec un ensemble de choix axiologiques congruents consiste en un déracinement ou une échappatoire qui donnera à la forme de sa vie l’allure d’une fuite, pour échapper à une visée réductrice, et recouvrer ou préserver toutes les capacités d’ouverture au monde.

18Une forme de vie peut donc en cacher une autre, où se muer en une autre : en position d’emprise, par exemple, l’actant peut avoir circonscrit, en affirmant sa possession sur son domaine, les limites de son propre enfermement : il apparaît alors en inclusion dans un domaine plus vaste, qui le menace ou qui le contrôle. De même, la quête peut recouvrir une fuite, si, en visant un objet de valeur, l’actant révèle ou réveille en quelque sorte l’hostilité ou l’intérêt d’une autre visée, dont il est alors la cible.

19Autres cas de figure : la fuite peut aboutir à l’inclusion, si la visée dont l’actant est la cible se mue en « saisie », et cette inclusion est alors un piège. De même la quête qui se satisfait d’une conjonction aboutit en emprise, dès que la visée de l’actant se transforme en saisie. Ces transformations sont de règle : aucune forme de vie n’éclot ou ne se manifeste seule, sans contraste et sans transformation ; chaque forme de vie est une configuration qui en transforme une autre, comme une figure qui apparaît sur un fond.

LES RÉGIMES TEMPORELS DES FORMES DE VIE

  • 3 En écho aux travaux de recherche qui ont donné lieu à la publication collective La flèche brisée d (...)

À l’évidence, le temps est l’une des substances de la vie, il en accompagne et constitue le cours même.

Nous voudrions montrer ici3, en quoi les formes de vie sont très fortement déterminées par les régimes temporels qui les portent.

21Le temps des formes de vie transfigure les premières typologies élaborées à partir de la topologie du champ de présence. Cette dernière, en somme, raconte des histoires apparemment ordinaires ; elle définit des types narratifs, parmi lesquels le type canonique sur lequel toute la sémiotique narrative a été construite, à savoir la quête. Elle y ajoute trois autres possibilités qui diversifient la possibilité pour les structures narratives de dire le « sens de la vie », mais d’une vie à hauteur d’homme, organisée autour d’une position de référence dans un champ topologique fondamentalement individuel.

22C’est pourquoi les régimes temporels nous entraîneront bien au-delà, dans deux directions complémentaires, car ils vont d’emblée impliquer le rapport à autrui, le rapport au monde, et le rapport au social. Les régimes temporels des formes de vie débouchent ainsi, notamment sur les mythes de l’invention du temps et du monde, d’un côté, et de l’autre, sur les schèmes juridiques et temporels du « vivre ensemble ».

Temps de l’existence et temps de l’expérience

23Une première distinction s’impose, entre « temps de l’existence » et « temps de l’expérience », qui est le fondement épistémologique nécessaire pour développer une sémiotique du temps. Les formes de vie sont directement concernées par cette distinction, (i) d’abord parce que vivre est d’abord une des manières d’exister (cf. supra, la discussion autour des conceptions de Wittgenstein puis de Latour), et (ii) ensuite parce que le cours d’une vie est en lui-même, et réflexivement, une expérience, très précisément parce que c’est un cours « vécu », par un actant-corps qui ressent et perçoit la force ou la faiblesse des cohérences syntagmatiques et des congruences paradigmatiques (cf. supra, le développement sur la subjectivation et les « variations de la présence »).

24L’existence et l’expérience peuvent être opposées, leurs régimes temporels respectifs peuvent être distingués, mais les formes de vie obligent à les articuler explicitement : un cours de vie est spécifiquement un cours d’existence qui ne peut se dérouler sans la contribution d’un cours d’expérience (et réciproquement).

25Tout commence par un débrayage ontologique : pour passer de l’« être » virtuel (un état stationnaire) à l’« existence » actuelle (un procès), il faut en effet lui procurer un cours, inventer le temps, de même que le changement, le premier permettant de faire face au second. Le temps est à cet égard une figure discriminante de l’existence, résultant d’un débrayage à partir de l’être, un débrayage qui suscite immédiatement une demande de sens. Le temps et la quête du sens de la vie se trouvent de ce fait irréversiblement associés.

26Les cosmogonies métaphysiques et mythologiques racontent presque toutes l’invention du temps de l’existence, comme une sorte de compensation pour l’« échéance » ontologique (pour reprendre une terminologie proche de celle d’Heidegger) de ce qui advient à l’existence. Il faut alors faire appel aux régimes temporels distensifs pour donner du sens non seulement au dégagement de l’existence à partir de l’être, mais aussi à tous les hiatus et les écarts induits par les changements en cours.

27Mais il est d’autres cosmogonies, qui manifestent au contraire une continuité, et qui reposent sur une autre conception du procès de l’existence : elles racontent la constance et la transition (ce qui ne varie pas dans la variation, ce qui ne s’interrompt jamais dans le changement), de sorte que la constance apparaît comme une propriété du changement lui-même.

28La première distinction pertinente pour les formes de vie est donc à placer entre les régimes temporels distensifs et les régimes temporels transitionnels. Ce sont deux points de vue portant sur le même problème, celui que nous avons identifié sous la dénomination de la « persévérance » et qui conjugue par définition des séries d’aléas, d’obstacles et de ruptures, du côté de l’extension, et un engagement constant en faveur de la continuation du cours de vie, du côté de l’intensité. Les régimes temporels distensifs font porter l’accent sur les facteurs de résistance à la persévérance, et les régimes temporels transitionnels, sur les facteurs de persévérance.

29L’expérience implique de son côté une opération inverse, un embrayage, en raison de l’immédiateté de la relation sensible au monde, d’où découleraient d’autres types de régimes temporels. L’immédiateté de l’expérience (vs la médiation) se manifeste par la présence sensible d’un cours de vie, organisé autour de l’actant-corps de l’expérience, et qui se déploie dans le monde des phénomènes. Cette présence implique donc une référence déictique : le temps de l’expérience ne peut en effet se passer de l’actant comme centre de référence de la présence sensible.

30Mais dans ce cas aussi, deux conceptions peuvent être opposées : à partir de cette référence déictique, les variations temporelles peuvent être considérées comme distensives (par exemple : antérieur/postérieur, ou déictique/non déictique) si elles rompent le caractère d’immédiateté de l’expérience : les régimes temporels de l’expérience rétablissent dans ce cas des relations entre des moments de vie considérés comme disjoints. Les variations temporelles de l’expérience peuvent également être considérées comme transitionnelles (par exemple : rétension/protention, ou avancé/reculé) si le temps est considéré au contraire comme une profondeur « élastique » au sein de laquelle l’actant a toute liberté de naviguer, et de passer d’un moment à l’autre sans jamais perdre le contact avec le premier, l’un et l’autre étant superposés dans la même profondeur temporelle.

31En bref : deux grands régimes temporels, celui de l’existence et celui de l’expérience, qui se subdivisent eux-mêmes chacun en régimes distensifs et régimes transitionnels. Ces quatre grands « régimes » fondent une sémiotique du temps de la vie à condition de pouvoir les amarrer solidement les uns aux autres. Comme il n’existe pas de situation ou de sémiotique-objet, et a fortiori de forme de vie, qui soit purement « expérientielle » ou purement « existentielle », la question de leur articulation se pose en effet immédiatement. En outre, dans la mesure où les régimes distensifs et transitionnels concourent chacun et de manière complémentaire, à la persistance des cours de vie, une forme de vie conjugue nécessairement les deux régimes.

32Pourquoi le temps de l’existence pourrait-il être traité comme transitionnel, sans rupture entre les moments et les époques ? La réponse est dans l’articulation avec l’autre régime : l’expérience nous permet d’appréhender le temps et de lui donner sens, grâce au sentiment continu de notre engagement à poursuivre le cours de vie, et le temps de l’existence est alors un temps vécu, saisi d’un point de vue humain et subjectif. Inversement, pourquoi le temps de l’expérience pourrait-il être distensif ? La réponse est de même nature : l’existence impose ses discontinuités et ses aléas au temps de l’expérience, et peut alors être manifestée sous forme de relations temporelles.

33Les régimes temporels des formes de vie se donneront donc à saisir non pas dans leur stricte opposition, mais dans les tensions et les variations de tension entre les uns et les autres. Nous avons donc déjà affaire à quatre situations temporelles :

  • Le régime existentiel distensif est à dominante existentielle.
  • Le régime expérientiel transitionnel est à dominante expérientielle.
  • Le régime existentiel transitionnel est infléchi par l’expérience.
  • Le régime expérientiel distensif est infléchi par l’existence.
  • 4 Dans Floch Jean-Marie, op. cit.

34Cette proposition demande illustration. Un cours de vie — nous y avons insisté — est à tout moment soumis à la rencontre, à l’imprévu, à l’aléa. Le traitement de ces rencontres et de ces aléas est certes affaire d’engagement de l’actant et de persévérance, du point de vue du déploiement syntagmatique, mais aussi de choix et de poids axiologique, du point de vue de la hiérarchie des catégories. Les modalités de la valorisation et de la dévalorisation des obstacles et des rencontres sont même décisives pour l’identification de certaines formes de vie (cf. les usagers du métro selon Jean-Marie Floch4). Dans cette perspective, l’occasion est une figure temporelle et modale de la rencontre aléatoire, qui, en raison même de ce caractère aléatoire, demande en retour une stratégie de gestion de l’aléa dans le temps.

35L’occasion est une figure hybride, qui comporte

  1. une face d’expérience : l’actant-corps de référence perçoit les intersections et interactions entre une pluralité de parcours, et il saisit immédiatement et sous forme de phénomène sensible leur coïncidence avec sa propre position déictique de référence,
  2. une face d’existence : la rencontre peut susciter un réaménagement de l’organisation syntagmatique du cours de vie, pour l’adapter à cette nouvelle circonstance, ou même pour reconfigurer les choix axiologiques, de manière à les conformer à la nouvelle voie qui vient de s’ouvrir.

36En somme, l’occasion comporte d’un côté l’appréhension immédiate d’une interférence vécue, et de l’autre, un calcul projectif de nature cognitive et stratégique, qui vise à intégrer cette interférence au cours de vie.

37Mais on voit bien immédiatement que l’une et l’autre dialoguent inévitablement : le calcul cognitif ne peut se poursuivre que si l’appréhension sensible de la rencontre en confirme la pertinence et la valeur. La rencontre elle-même n’est clairement appréhendée (du côté de l’expérience sensible) que parce qu’elle est d’emblée identifiée comme stratégiquement exploitable (du côté de l’existence). Cette intimité entre les deux régimes temporels a même un nom, qui pourrait être celui d’une forme de vie : l’opportunisme. Transformer une occasion en opportunité, c’est très exactement accepter qu’un moment particulier de l’expérience puisse changer le cours de l’existence, non seulement grâce à une modification de son schème syntagmatique, mais aussi par une révision des choix axiologiques.

Notes

1 Arbitrairement, mais avec une certaine persévérance ! Pour s’en convaincre, le lecteur pourra consulter Fontanille Jacques & Zilberberg Claude, Tension et signification, op. cit., pp. 92-95, et 162-164).

2 Sur les catégories source/cible et visée/saisie, voir notamment Fontanille Jacques, Sémiotique du discours, op. cit., chapitre « Actants et acteurs » (Actants positionnels), pp. 160-162.

3 En écho aux travaux de recherche qui ont donné lieu à la publication collective La flèche brisée du temps. Figures et régimes sémiotiques de la temporalité, Bertrand Denis & Fontanille Jacques, dir., Paris, PUF, Formes Sémiotiques, 2006.

4 Dans Floch Jean-Marie, op. cit.

 

 

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Alain de Benoist

 ....... nomade ...?

 

 

EXTRAIT ......